J'AI
EU PITIÉ DE LEUR REGARD
|
L'aire métropolitaine de Port-au-Prince compte environ 2 470 762
habitants selon les estimations de l'institut haïtien de statistique
et d'informatique. |
Par Me Maurice
CELESTIN-NOEL-LECHAPEAUTEUR
|
Une partie du centre-ville |
Après 14 longues années, j'ai revu mon pays, du moins Port-au-Prince. Après 14
ans j'ai recroisé le regard de mes sœurs et frères abandonnés plus que jamais.
J'ai du baisser ma tête pour ne pas leur montrer mon regard coupable, plein de
pitié, de questionnement et de honte. Et, d'un regard caché, prudent, j'ai pu
observer ce que disent leurs yeux. Et j'ai eu peur de leur regard...Un regard
narratif...qui dit tout de leur souffrance, de leur misère, de leur colère et
de leur impatience.
|
Les bidonvilles se déploient en gradins vers les hauteurs |
Un regard
famélique, inquiet, jaloux, désolé, inquisiteur, vide, déçu, haineux, furieux,
rempli de désir de vengeance. Un regard peureux et méchant à la fois, frustré,
regard plein de mépris, de dégoût, de désespoir, de violence, de résignation.
Un regard qui questionne et qui fait peur. Enfin tous les regards qui parlent
dans le silence. Un silence imposé. Un silence compressé. Un silence éclaté. Un
silence sonore. Un silence, des fois, explosé qui laisse sortir des propos
injurieux, provocateurs même. Mais silence révolté compréhensible. On comprend
bien la frustration de ce troupeau humain qui remplit les rues défoncées,
chargées de détritus. Un troupeau humain qui envahit les artères de
Port-au-Prince sans savoir exactement où aller. Ils marchent, ils montent et
descendent, ces animaux pensants qui ignorent pourquoi ils déambulent dans les
coins et recoins d'une capitale bidonvilisée totalement ruralisée singeant
ridiculement, par certains endroits, une capitale étrangère jadis, par nous,
occupée.
|
Les détritus envahissent les rues de la Capitale |
J'ai revu Port-au-Prince après
14 ans. Quelle tristesse! Dire qu'après le terrible tremblement de terre
j'avais poussé un cri d'espoir. Je pensais que le moment de la grande
solidarité qui devrait libérer Haiti des étreintes de la misère était enfin
venu. Mais hélas la solidarité internationale et nationale n'était qu'un mot.
Un mot trompeur, un mot calmant, un mot consolateur. Tout simplement. Un mot
bon pour X et tragique pour Y. Une solidarité qui allait enrichir indécemment
certains et plonger d'autres dans la plus profonde et la plus dégradante
misère. Une surpopulation humaine, jointe à une désorganisation à outrance.
Scènes chaotiques partout. Piles de détritus ici, petit commerce là.
Port-au-prince: capitale modèle de désorganisation, d'ingouvernabilité. Dans un
"désordre organisé" participent les véhicules UN, les chauffeurs de
taxis, les voitures privées, les quelques ambulances, les voitures de police,
les gros transporteurs, les piétons et les taxi-motos. Véritable sauve-qui-peut
dans une circulation où le carburant est brûlé sur place, où les heures se
gaspillent dans une routine devenue coutume. La majeur partie du temps se
passe, se perd sur la route. Impossible de régler deux affaires durant une
journée. Mais c'est comme ça! C'est la réponse.
|
Vue des bidonvilles dans les hauteurs de Pétion-Ville.
Une grande partie de l'élite haïtienne habite dans la
banlieue de Pétion-Ville. |
En effet
c'est définitivement ainsi que vont les choses dans ce pays où le mensonge est
médiatisé à la perfection. Politique de façade. Poudre dans les yeux. Les
menteurs mentent tellement qu'ils finissent par convenir entre eux que leurs
mensonges sont pure vérité. Partout les tôles rouges clôturent les édifices
"raz-terre" reconstruits sur YOUTUBE en "PowerPoint" et
offerts aux yeux des naïfs prêts à parier leurs deux yeux que Port-au-Prince
est reconstruite dans sa totalité. Et ainsi, les chanceux qui ont
"gobé" tout l'argent de la reconstruction bénéficient gratuitement de
l'admiration d'une diaspora mal informée. De plus ils capitalisent sur le peu
d'oeuvres réalisées par le secteur privé. Tout ce qui est fait est grâce à leur
sollicitude. Ils se font inviter, ces dirigeants souffrant "d'inaugurite
chronique", à couper, à chaque occasion, le "ruban inaugural".
Syndrome qu'ils ont sans doute hérité des DUVALIER. Démagogie sans fin.
Démagogie en cascade. D'hier à aujourd'hui.
|
L'omniprésence des fatras jonchant les rues attire le regard de tout visiteur. |
Voilà en peu
de mots le court récit d'un voyage et d'un séjour dans une capitale aux rues
défoncées où on est exposé à toutes sortes, à toutes formes d'insécurité. Le
chauffeur évite à chaque deux minutes un accident qui pourrait être mortel. Les
hôpitaux ne sont pas équipés et le personnel est loin d'être à la hauteur de sa
tâche. Les policiers se font rares car l'effectif du corps est nettement
insuffisant pour les besoins de la surpopulation de la ville. L'insalubrité fait
de Port-au-Prince la
capitale la plus laide et la plus sale du monde. Sale et laide au point qu'un
audacieux destructeur s'est béatement autorisé de crier "QU'AVEZ VOUS FAIT
DE MON PAYS". Il a fait carrément sien ce mot historique. Si cet oublieux
savait ce que c'est que la probité intellectuelle et si son manque de culture
ne lui avait pas permis de citer l'auteur il aurait certainement, à la limite,
ajouté " COMME AVAIT DIT L'AUTRE ".
|
L'insalubrité fait de Port-au-Prince la capitale la plus monstrueuse et la plus sale du monde. |
Dans cette
Port-au-Prince aux rues malodorantes, la leptospirose menace la population à
cause de la proximité, de la cohabitation des habitants avec les rongeurs, les
rats en particulier. Un environnement malsain est observé dans tous les
quartiers résidentiels, même les plus huppés où on peut voir des palais
construits, on dirait, dans des porcheries. Les média d'Etat ne s'acquittent
guère de leur tâche d'éduquer la population qui lance à même le sol les
contenants vides. Ainsi, les insectes trouvent en masse leurs gîtes et la
malaria de même que d'autres infections font rage. Partout, les médicaments se
vendent sur les trottoirs, dans les rues comme des bonbons et des patates.
Port-au-Prince ne peut pas gérer dix minutes de pluie. La moindre averse est
cause de mort d'hommes et de bétail, d'enfants surtout. La protection citoyenne
est un vain mot. Les gens sont abattus comme des chiens en plein jour. Une
guerre de religion semble se livrer en Haiti. Les religieuses et les houngans
sont attaqués. Enfin l'insécurité bat son plein dans ce pays et surtout dans
cette capitale où tout est concentré. La peur est sur tous les visages. Et
toute cette incongruité se déroule sous les "yeux fermés"d'une
opposition aussi bancale que le gouvernement. Une opposition improvisée qui n'a
d'autre visée que la prise du pouvoir qui procure gloire et argent. Argent
d'abord, gloire ensuite, gloire peut-être mais pas certain. J'aurais titré : "HAITI:
QUELLE OPPOSITION? et j'aurais conclu : UNE OPPOSITION SANS VISION, SANS
ACTION, AUSSI BANCALE QUE LE GOUVERNEMENT." Balade à Port-au-Prince vers les années 1940
Les regards
vitreux, déprimés, désolés, inquiets, affamés, découragés, sans espoir,
misérables, craintifs mais méchants et provocateurs expriment ce qui se passe
dans la profondeur de l'âme des passants qui n'attendent que l'heure pour vider
leur trop plein.
J'ai eu
pitié, j'ai eu peur de ces regards nouveaux, inconnus et conjoncturels. De ces
regards incertains. Douteux. Qui d'entre eux est bienveillant ou méchant? Le
jour de l'éclatement seul pourra le dire!
No comments:
Post a Comment