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L’année 1717 marque effectivement la création de la première Grande Loge à Londres, puis la mise en place du système maçonnique qui va se pérenniser jusqu’à aujourd’hui – avec certaines évolutions, bien sûr. L’origine de la maçonnerie se situe donc en Grande-Bretagne et tout l’enjeu est de comprendre de quelle manière une fraternité de métier – celle des maçons – s’y est transformée en une société de rencontres et de convivialité. Ce phénomène est – il faut le redire – exclusivement britannique : en France, par exemple, les compagnonnages ne se sont pas transformés en franc-maçonnerie.
L’Écosse est au cœur de cette mutation, à partir de l’extrême fin du XVIe siècle et tout au long du XVIIe. La date la plus ancienne dont nous puissions faire état pour ce qui va devenir la franc-maçonnerie est 1599. Cette année-là, William Schaw, maître des bâtiments du roi à Edimbourg donne de nouveaux règlements aux maçons. Ces « Statuts Schaw» présentent une conception nouvelle de la loge qui va devenir celle que nous connaissons encore aujourd’hui. Elle n’est plus liée à un chantier forcément temporaire, mais se voit dotée d’une personnalité morale et pérenne. C’est aussi de 1599 que date le premier procès-verbal dont nous disposons, en l’occurrence le compte rendu des travaux de la Loge d’Aitcheson’s Haven – un hameau sur la côte, à une dizaine de kilomètres à l’est d’Edimbourg – le 9 janvier 1599. À partir de cette date, toute une série de documents font la jonction avec la franc-maçonnerie actuelle.
La tenue du Grand Maitre de la Maçonnerie universelle . |
Il existe donc bien un lien réel entre les maçons de métier, dits opératifs, et les francs-maçons philosophes du XVIIIe siècle, dits « spéculatifs » ?
C’est une des grandes controverses qui divisent les historiens de la franc-maçonnerie depuis quelques années. Pour certains, la maçonnerie est l’héritière d’une maçonnerie opérative qui s’est peu à peu transformée en une société plus symbolique. Pour d’autres, la franc-maçonnerie est un pur produit du XVIIIe siècle n’ayant fait que reprendre d’anciennes traditions pour se donner une légitimité.
Derrière ces débats se cachent aussi des présupposés idéologiques : les partisans de la continuité sont souvent influencés par le philosophe René Guénon, qui estime que la dimension initiatique de la maçonnerie vient de cette expérience de confrontation à la matière des maçons d’autrefois. Si ce lien n’existait plus, la dimension initiatique de la franc-maçonnerie disparaîtrait. Inversement, ceux qui considèrent que tout a été créé au XVIIIe siècle perçoivent la maçonnerie comme un produit de la philosophie des Lumières. L’historien que je suis estime que la vérité se situe entre les deux : s’il est clair que la première Grande Loge en 1717 correspond à un esprit et à un projet nouveau, les matériaux qu’elle utilise sont incontestablement directement tirés des traditions des maçons de métier, alors encore bien vivantes.
Comment expliquer cet attachement si fort aux maçons médiévaux qui, bien qu’éminemment talentueux, étaient pour la plupart analphabètes, alors que les francs-maçons du XVIIIe siècle représentent une élite sociale ?
Nous avons une conception caricaturale des maçons de métier. Il faut sortir du cliché moderne de l’homme aux grosses mains calleuses, juste bon à casser du caillou, face au franc-maçon intellectuel. La taille de pierre suppose bien sûr une certaine force physique, mais aussi une vraie compétence en géométrie, et même dans une branche de la géométrie particulièrement compliquée, la géométrie descriptive qui sous-tend la stéréotomie. Quiconque a eu la chance de pouvoir admirer des épures préparatoires à la taille de pierre ne peut qu’être frappé par leur sophistication et leur délicatesse. Jusqu’au XVIIIe siècle, les architectes sont d’ailleurs encore souvent d’anciens maîtres maçons.
Cela étant, on peut se demander pourquoi nous sommes francs-maçons, et non francs-boulangers ou francs-jardiniers, professions tout aussi honorables ? Sans doute parce que dès la Renaissance, l’architecture bénéficie d’un grand prestige. Elle est considérée comme une activité devant mobiliser des connaissances universelles. Les traités d’architecture de cette époque sont à la fois très techniques et philosophiques. Un architecte doit également être, d’une certaine manière, médecin – il faut veiller à l’hygiène publique dans un bâtiment, à son aération, sa luminosité… – musicien – on dirait aujourd’hui acousticien – pour que le bâtiment ait la résonance adéquate, etc. Il y a un côté prométhéen dans l’art de bâtir et donc dans le métier de maçon. D’ailleurs, jusqu’au XVIIIe siècle, la culture architecturale fait partie de la culture générale : tout intellectuel se doit d’en maîtriser les notions de base.
A suivre [...]
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Source de référence : Le Monde
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