Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

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Monday, January 2, 2017

Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

6 avril 1930, discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 



Le perpétuel étonnement
Né le 7 avril 1872, Etzer Vilaire meurt le 22 mai 1951, à l'âge de 79 ans. L'artilleur Vilaire, son grand'père, artilleur de Toussaint Louverture semble avoir été apprécié par le Général. Dans les archives de la famille Vilaire on trouve une lettre exprimant les regrets de Toussaint écrite à Lamartinière:" Je regrette, écrivait Toussaint, de ne pas pouvoir envoyer l'artilleur Vilaire pour deux raisons, il doit m'accompagner prochainement à Ennery et il est le seul qui puisse remplacer avantageusement le maître artilleur Lescot." Les filiations du poète remontent à un moment extrèmement décisif de notre histoire, d'où le nationalisme trouvé dans ce discours prononcé à la Loge maçonnique de Jérémie.
 


Haïti: Discours prononcé le 6 avril 1930 au rite funéraire célébré par la loge maçonique de Jérémie, à la mémoire des héros de l'indépendance haïtienne de Charlemagne Péralte et des massacrés de Marchaterre.

Mesdames, Messieurs et Chers frères,
    
N
ous vivons par nos morts, et nos morts revivent en nous. Ces paroles résument toute la leçon que le passé fait perpétuellement au présent. Nous allons essayer d'en approfondir le sens et la portée.

 
Si nous tenons à nos morts, et qu'eux-mêmes, par delà le tombeau, se rattachent à nous par des liens invisibles, mais indestructibles, les manifestations de la nature de celle qui nous réunit ici sont non seulement légitimes, mais excellentes et d'une précieuse efficacité. Elles nous font communiquer avec nos grands disparus, qui ne sont pas perdus ; elles sont un nouveau sujet et un puissant moyen de rapprochement et de fusion de leurs âmes avec les nôtres.

Les morts nous grandissent, ajoutent à notre stature morale, achèvent notre être, complètent notre vie, quand la piété de notre souvenir fait revivre dans nos coeurs leurs image vénérée et leurs belles actions. Sans leur moralité active, due à l'évocation d'une mémoire reconnaissante et fidèle, sans leur inspiration, le secours de leur esprit, l'animation de leur souffle, leur direction posthume, que vaudrions- nous ? De quoi serions-nous capables ? A quoi se réduirait notre existence ?


L'invisible est le principe mystérieux de notre vie. Si une vie tient à son principe, elle est dans l'ordre voulu de Dieu. Celui qui sait bien remplir cette condition renoue à son profit la chaîne brisée des existences , il en renouvelle pour lui la trame et la renforce ; dans l'immense au-delà qui nous précède à perte de rêve il puise comme à une source intarissable. Notre vie allant ainsi sert autant et plus à d'autres qu'à nous-mêmes ; elle crée et perpétue autour d'elle la vie de notre destinée particulière se lie utilement à celle de la communauté, elle a des prolongements féconds qui préparent et développent l'avenir du peuple et de la race. Car, détachés de ceux qui nous ont fait ce que nous sommes, de qui nous tenons une grande part de notre âme, de nos acquisitions, ingrats enfin envers nos aïeux, nous ne pourrons pas non plus sympathiser avec nos frères vivants, les fils de la même patrie, du même sang que les morts nous ont légué.


Donc, l'invisible, les morts, le passé, les traditions, l'histoire nationale, le souvenir : voila les grands réservoirs de force, d'énergie, d'esprit, de vie ou les racines profondes d'un peuple doivent plonger, s'étendre, se perdre pour qu'il reste lui-même avec toute sa verdeur croissante et sa sève, pour qu'il pousse des rameaux vigoureux, que de ses fleurs et de ses fruits il couve un grand espace, qu'il prospère dans un invincible élan vers les hauteurs et la lumière.
 
On ne concevrait pas un peuple sans histoire ou ignorant de son histoire, ce qui reviendrait au même. Autant serait le chimère d'une cité bâtie dans l'espace, sans appui, sans fondement, avec, pour matériaux de la buée, des vapeurs flottantes, se dissipant à tous les souffles.
 
La base profonde, solide, d'un état, ce sont les grandes tombes, ce sont les fossés autrefois creusés par la mitraille, les ossuaires anciens où dorment d'héroïques ombres, où, la nuit, des morts se réveillent, comme des géants rôdeurs, pour parler en songe aux survivants, leur remettre en mémoire l'idéal national et ses salutaires conseils, leur montrer la route à suivre, que le génie de la patrie nous trace, en des illuminations merveilleuses comme des traînées de splendeurs stellaires.

Un peuple sans idéal particulier ne compte point. Or, le nôtre est un de ceux qui peuvent se dire prédestinés, parce que tout de suite après sa constitution, le sentiment lui est venu qu'il doit remplir dans le monde une grande, une sainte mission. Une oeuvre de justice, de réparation, de dignité et de fraternité humaine s'est imposée à nous comme un impérieux devoir.

Ce n'est pas tout d'avoir eu cette conception ; nous nous sommes mis à la vouloir réaliser. Cette pensée ne nous a jamais abandonnés dans nos vicissitudes et nos tourmentes. Quelques unes des crises politiques qui ont agité notre pays sont dues, en grande partie, à l'impatience d'Haïtiens influents et instruits qui exigeaient trop de leurs concitoyens et de la masse, qui présumaient trop aussi d'eux-mêmes dans leur noble ambition d'élever notre nationalité à un niveau remarquable pour tous, et qui la fit considérer partout avec honneur.

Un idéal nous possède et nous inspire, un idéal très grand, très juste, humain à la fois et divin : c'est la réhabilitation de toute une race -la race noire- par Haïti - la première république noire ayant conquis son indépendance au prix du sang. La grandeur et la beauté morale de cet idéal se reflètent sur la pensée haïtienne, dans notre poésie et notre littérature. Par la vertu de ce même idéal, la nation haïtienne peut vivre, victorieuse de ses épreuves, de ses humiliations, de ses chutes et de ses opprobres. Voila bien ce dont je voudrais vous convaincre.

Cet idéal-là, précieuse raison d'être pour notre peuple, c'est le legs impérissable du passé. Il sort de nos origines comme du sein des mers orageuses qui baignent notre Grand'Anse, nous voyons lentement émerger le puissant soleil tropical dont la glorieuse lumière dore les ombres amassées autour d'elle, puis les disperse pour répandre partout l'éblouissement du jour.

Nos pères puisèrent au foyer de l'esprit français les principes libéraux et sauveurs qui constituent cet idéal. Et chose singulière, ce fut d'abord contre des Français qu'ils s'inspirèrent. Ils avaient à combattre leur tyrannie et à se constituer en nation indépendante sur les débris fumants et ensanglantés de Saint Domingue. Il est vrai que la France elle-même se trouvait divisée à cette terrible époque. Nos pères instruits par la leçon des grands événements qui agitaient leur métropole ne voulurent plus de maîtres. Ils luttèrent pour abolir l'esclavage des Noirs, pour vaincre le préjugé qui avait fait naître et qui perpétuait ce fléau dévastateur de presque tout un continent et d'une grande portion de l'humanité.

C'est par la perpétuité des traditions et des traits généreux inspirés de cet idéal de peuple, par la pieuse conservation dans nos esprits que notre présent tient à notre passé, que nous resterons fidèles à nos morts, que notre présent tient à notre passé, que nous resterons fidèles à nos morts, que notre avenir répondra de loin à nos temps héroïques, au cycle des géants de notre histoire et que la vie nationale s'ordonnera en une splendide unité, pour prendre un sens ainsi qu'un symbole, une leçon providentielle s'adressant à tous les autres peuples de la terre.

Les esclavagistes voulaient justifier l'affreux trafic auquel se livraient les négriers. Il fallait légitimer la traite des noirs, pour satisfaire la monstrueuse cupidité des peuples colonisateurs. Alors on mit en honneur les théories anthropologiques qui refusaient aux nôtres la qualité d'hommes. Et voila condamnée toute une race, dans le seul intérêt de vils spéculateurs. Voila une foule de malheureux noirs et sang mêlé, livrée à l'infamie, rejetés du sein de l'humanité, confondus avec des bêtes, celles-ci mieux vues encore et moins qu'eux maltraités. Ce n'est pas assez du mépris et de l'opprobre qui les couvre, on y joint l'aversion, une sorte d'horreur qu'ils inspirent au reste du monde.
                      
A cet aveugle préjugé auquel ils se voient sacrifiés, à ce préjugé respirant le crime, nourri de cruauté cupide, allant au carnage de toute une race, nos pères font trois étonnantes réponses. 
                         
La première est l'apparition miraculeuse d'un génie, de deux ou trois grands hommes ensemble et d'une pléiade de héros, au sein même de l'esclavage. L'abîme si profond, si ténébreux qu'il fut où gémissait la race opprimée n'a pu étouffer sa vigueur et la richesse de sa sève. Dans ce berceau d'ignominie, de boue et de sang, elle eut pourtant la puissance d'enfanter Toussaint, Pétion, Christophe, Dessalines. Notre servitude s'est changée en gloire. Tel est le prodige de notre début dans l'histoire. C'est une merveille unique, le perpétuel étonnement du monde qui pense, qui compare et juge.
                          
La seconde réponse de nature à confondre l'orgueil du préjugé et à nous faire admirer, c'est notre victorieuse épopée, l'Illiade noire fulgurante d'exploits. Nos pères ont voulu vaincre, vivre libres ou mourir : sublime mot d'ordre Il ont vaincu : victoire sublime ! Pareille détermination suivie d'un si grand effet ne pouvait venir que d'hommes au dessus du vulgaire, de héros authentiques.
                           
Dans tous les lieux du monde où un courage extraordinaire, des actions glorieuses inspirées par l'amour de la liberté, soulèvent l'enthousiasme, le chaleureux applaudissement des nobles âmes, on finira bien par regarder avec respect nos preux, et cette admiration que méritent leurs vertus guerrières et leur conquête magnifique, quelque chose restera, un peu de ce rayonnement des morts augustes auxquels l'histoire fait une apothéose. Ainsi notre passé nous deviendra une sauvegarde, une suprême recommandation à l'attention, à la sympathie des hommes dont l'appréciation doit compter.
                           
La troisième réplique de nos pères à ceux qui leur refusaient le titre d'hommes, c'est leur organisation rapide en nation indépendante, leur législation intelligente, les institutions témoignant de leurs aptitudes, de la perfectibilité, de la promptitude et de la force de leur esprit comme leur vitalité de peuple et de notre remarquable puissance d'assimilation. Au milieu de mille entraves, au travers de toute espèce d'obstacles, et bien que longtemps menacé d'un retour oppressif du maître qui ne pouvait se consoler de sa défaite, la cité haïtienne a pu s'édifier et, bravant l'hostilité du monde, se soutenir durant un siècle et plus par ses seules forces. Dans le concert des nations, elle représente une pensée neuve, une conscience et une volonté qui jusque-là leur manquaient, une âme, une voix dont l'univers a encore besoin pour plus de justice et d'humaine sympathie. Elle vit avec ses qualités, son esprit, ses aspects propres, et en dépit de tout ; et parce qu'elle répond à une nécessité morale, elle continuera de vivre.                               
Elle a eu son incontestable mérite : l'influence qu'elle a déjà exercée est même plus grand qu'elle et a abordé son territoire. Elle a, d'un souffle héroïque et vital, ranimé, échauffé, fait triompher, dans le nouveau monde, de nombreux soldats de la liberté. Elle a aidé à créer d'autres autonomies, d'autres patries. Elle a été le foyer hospitalier et vibrant où, dans la solennité tragique d'une veillée d'armes, des héros infortunés sont venus de loin retremper leur courage et recouvre la force de lutter et de vaincre.
                            
Mesdames, messieurs, nous achevons de vivre une terrible époque. Nous avons vu, avec horreur, les protagonistes de l'occupation américaine, pour justifier leur félonie, prendre à tache de déprécier leur peuple, de honnir son passé en rappelant à satiété, avec une féroce acharnement, ses erreurs et ses fautes. Nos tâtonnements, nos convulsions, qui s'expliquent par les lois de l'histoire et des fatalités communes à tous les jeunes, ils en ont grossi les conséquences et les tristesses. Nos efforts méritoires, nos réelles acquisitions, ils les ont passés sous silence : rien de nous n'a trouvé grâce devant ces odieux profanateurs. Leur trahison s'est mise à déchirer rageusement les pages glorieuses de nos annales pour l'avilissement de notre relation et son maintien dans la servitude.
              
Il fallait bien réagir contre ces abominations. Les Haïtiens conscients n'ont pas manqué à ce devoir. C'est à cette légitime défense de notre patrie contre ses assaillants du dedans et de dehors qu'il faut attribuer le réveil du sentiment nationaliste, le goût nouveau chez nous des études dirigées vers nos origines historiques et notre formation ethnique, le culte plus fervent que jamais de nos gloires nationales, enfin ce retour à notre prodigieux passé auquel nous allons demander le secret de nous relever et de nous venger de nos hontes.


Chez tout peuple destiné à vivre, auquel est dévolue une mission utile au monde, il existe une sorte d'instinct de conservation qui le préserve dans les grands périls de son abaissement et de ses chutes, l'avertissant toujours a temps des circonstances et de l'instant propice à un retour sur lui-même et à un rebondissement, pour qu'il se remette à marcher.
                
C'est cet instant-là qui nous a parlé, nous conseillant de revenir au sentiment de notre valeur, à une pleine conscience de nous-mêmes. Et c'est surtout par la contemplation de notre passé que nous apprendrons à connaître ce que nous sommes, ce que nous devons, ce que nous pouvons être. Le moyen de vivre comme il faut sera toujours de communier avec nos héros, les grands morts qui sont d'éternels vivants, et les seuls vivants lorsque la nation est sous le joug de l'étranger. A la lumière du passé en jurant par tous ceux qui illustrent le nom haïtien, nous protestons contre les turpitudes et les ignominies du pressent. La vertu agissante de ses gloires nationales a opéré pour notre peuple le miracle d'un retour à la vie, un phénomène patriotique qui est comme une subite résurrection de l'âme collective. Nous constatons cela avec bonheur et fierté.
                           
Ne désespérons jamais de nous-mêmes. Ayons le regard tourné vers cet idéal de nos pères, qui leur montrait, dans notre petite Haïti, une patrie de création providentielle, nécessaire à la terre et à Dieu, pour la réparation des injustices et des crimes dont la civilisation s'est laissée souiller au détriment des faibles, des races en retard abandonnées à elles-mêmes, proie facile des convoitises bien organisées et armées jusqu'aux dents.
                         
Tout à l'heure, nous vous parlions de l'instinct de conservation chez les peuples. Ils ont, chacun d'eux aussi, une âme qui revient, qui renaît quand on la croyait pour toujours ensevelie dans la nuit du passé, comme un sépulcre obscur et vide, fermé sur des ossements et de la cendre.
                                
Ce génie de la patrie reprend chair, à certaines époques : ainsi toutes les fois qu'il le faut, il reparaît sous une figure rappelant celle de quelque disparu célèbre. C'est par le moyen de ces sortes de réincarnation que le peuple reste lui-même, fidèle à son esprit, à ces origines, à sa vocation.
                               
Ainsi Killick, et son compagnon qui voulut le suivre dans la mort, ainsi Charlemagne Péralte et ses obscurs frères d'armes manifestent la survivance de l'esprit des aïeux. Ils donnent tour à tour la main aux héros de 1804. L'exemple de ces haïtiens nous montre que, même longtemps éclipsées chez les fils oublieux, les vertus ancestrales restent en ceux-ci à l'état latent et peuvent toujours renaître pour une nouvelle rédemption de la race.
                               
Cette rédemption, c'est aussi le fruit des sacrifices imposés par le destin soit à des personnages isolés, soit à des foules anonymes, des héros inconnus. Il est une loi sévère qui assigne le prix du sang à la régénération des peuples subissant le châtiment divin.
                            
Le nôtre devait se relever. Or, le monde entier ne pouvait s'émouvoir de notre sort que grâce aux massacrés de Marchaterre. Il fallait ces nombreuses victimes innocentes pour réveiller la conscience universelle, pour toucher le ciel et nous obtenir sa grâce et la délivrance.
                                    
Cette voix du sang répandu à Marchaterre, comme la fin sinistre de Charlemagne Péralte et la mise en croix de son cadavre, ah ! Combien éloquemment elles plaident pour nous...

Etzer Vilaire 

                                                                                                  

Saturday, June 1, 2013

Mes adieux à Raymond Chassagne
Par:Eddy Cavé eddycavé@hotmail.com

Ottawa, le 29 mai 2013

Le dimanche 28 octobre 2012, je participais à Montréal, aux côtés de Raymond Chassagne  et de Ghislaine Charlier, à une rencontre sur les auteurs jérémiens organisée par le Comité international pour la promotion du créole et l’alphabétisation (KEPKAA en créole). Cette activité à laquelle nous avait conviés Pierre-Roland Bain, le président du Comité, a probablement été une des dernières du genre auxquelles Raymond a participé. Il portait encore bien ses 88 ans et s’était même rendu au KEPKAA au volant de sa voiture.
L’écrivain Josaphat Large, qui devait présenter son dernier livre sur Jérémie n’ayant pu faire le déplacement, le temps qui lui était réservé a été réparti entre nous trois. Comme à l’accoutumée, Ghislaine Charlier séduit l’auditoire  par la puissance de son verbe, l’originalité de ses idées et son franc-parler. Elle donne ainsi le ton à une inoubliable rencontre empreinte d’une douce amitié et d’une grande courtoisie.  Raymond enchaîne, parle de sa poésie, des poètes jérémiens. Je bois littéralement chacune de ses paroles. Naturellement, il ne dit rien de ses déceptions ni des démêlés avec le pouvoir politique qui ont assombri son existence de citoyen et de poète.   
Raymond Chassagne parlant de son dernier recueil de poésie en 2012
Quel naturel et quelle spontanéité dans le langage! Quelle pondération dans le propos! Quelle humilité chez ce géant auquel le bel âge, la stature, l’impressionnant parcours et l’admiration de tous auraient pu facilement donner le vertige! Une seule réserve. J’ai de temps à autre l’impression que l’amour inconditionnel du pays lui interdit une évaluation froide et réaliste de certains de nos maux. Néanmoins, ceux qui connaissent moindrement son passé savent qu’il transporte en stoïque les fragments de nombreux rêves brisés. Et qu’il ne peut vivre dans l’indifférence les dures épreuves rencontrées sur son chemin.  
Durant une de nos récentes conversations, Raymond  me parla avec passion d’Ezer Vilaire à qui il vouait une véritable dévotion. Il me recommanda vivement de relire Les dix hommes noirs pour bien saisir l’actualité de la pensée de cet illustre Jérémien, ce que je n’ai pas  cessé de faire. Cela m’a d’ailleurs permis de saisir la similitude des vues de ces deux auteurs sur un grand nombre de sujets, la poésie, le patriotisme, l’amour du pays, la mort, le suicide. En relisant le poème ce matin encore, j’ai été frappé par ces vers qui me disent maintenant autant, sinon plus, sur Raymond que sur Vilaire : 
« Comment goûterez-vous la douceur de mourir.

Si vous n’avez compris l’extase de souffrir?

Vous ne le savez pas?  Les douleurs sont des ailes

Pour monter et se perdre aux sphères éternelles. » 

Formé à l’école de la douleur, Raymond avait sans doute apprivoisé l’idée de la mort et est entré dans l’éternité en faisant ce vœu stoïque des dix hommes noirs:

« Bienheureux si plus tard nul ne fait à notre âme

L’aumône d’une larme ou l’injure d’un blâme. » 
 
Officier-poète des beaux jours de l’Armée d’Haïti, Raymond Chassagne quitte cette institution après le début de guerre civile du 25 mai 1957. Il se tourne alors vers l’édition, puis connaît la prison. Après sa libération, il s’exile aux États-Unis, puis au Canada où il retourne aux études. Maîtrise en 1975 à McGill et doctorat en lettres à l’Université de Montréal en 1979. La même année, il retourne au pays pour se consacrer aux tâches qui l’attirent le plus. 
 
De retour en Haïti, Raymond enseigne à l’Université d’État et participe en 1983 à la réforme du système scolaire connue sous le nom de réforme Bernard. C’est avec beaucoup d’émotion qu’il nous parlera de cette expérience pendant la rencontre du KEPKAA.
  
Durant des vacances passées en Haïti il y a une trentaine d’années, j’ai reçu un jour la visite d’un vieil ami de la famille, Michel Mézile, qui voulait savoir si je connaissais bien Raymond et si je le voyais au Canada. Il me demanda alors de transmettre ses bons souvenirs à cet ami d’enfance avec qui il avait partagé une cellule au Pénitencier national, à Port-au-Prince, en 1958.

Le souvenir que ce compagnon d’infortune avait gardé de Raymond était celui d’un être exceptionnel, dont le courage, la détermination et le mépris de la mort, la foi dans l’avenir du pays ne se voyaient plus que dans les livres d’histoire. Je n’oublierai jamais l’admiration avec laquelle il décrivit les réactions qu’eut Raymond le 29 juillet 1958 en apprenant que ses anciens frères d’armes Alix Pasquet, Henry  Perpignan et Fritz Dominique avaient pris d’assaut les casernes Dessalines et sommé François Duvalier de se rendre. « Si l’affaire échoue, nous avait-il dit avec tout son calme,  ne soyez pas surpris qu’on vienne me chercher pour me fusiller… »

Une quarantaine d’années plus tard, en 2007, des déboires d’un autre type venaient assombrir de nouveau son existence. Saccage de sa résidence de Port-Salut; attaque à main armée du camion transportant à Port-au-Prince sa bibliothèque et sa riche collection de peintures; retour à l’étranger, décès de son épouse, etc. 

En octobre 2012, cet homme n’a plus 20 ans et vit son crépuscule avec courage et dignité. Assis 
près de lui à la rencontre du KEPKAA, je l’observe discrètement en train de dédicacer avec affection les exemplaires du Dernier des paladins, son plus récent recueil de poésie. Il répond avec grâce et sagesse aux questions d’une assistance attentive et partage avec nous son expérience du terrain. Pendant que je regarde les photos que j’ai prises de lui ce soir-là, il me vient à l’esprit une phrase lue la semaine dernière dans une des revues thématiques du GRAHN : « On ne peut aimer Haïti sans souffrir. »

Au moment de rééditer mon livre de souvenirs De mémoire de Jérémien, il y a environ deux ans, je lui ai demandé une photo de l’époque où il portrait l’uniforme. C’était pour illustrer l’idée que l’amour de la poésie était si fort chez certains Jérémiens qu’ils ne pouvaient la contenir même quand ils optaient pour le métier des armes. Les deux autres exemples retenus étaient Hamilton Garoute et Paul Laraque. L’idée lui plut et il m’envoya la seule photo qui lui restait de son passage dans l’Armée, celle du superbe saut à cheval réalisé quand il étudiait à l’Académie de cavalerie de Saumur, en France. Cette photo, celles de Ghislaine Charlier aux côtés de Fidel Castro et de la religieuse Ludovique Marc avec le pape Jean-Paul II sont les préférées des lecteurs de mon livre.  

La recommandation que m’a faite Raymond de relire Les dix hommes noirs m’a  aidé non seulement à décoder les messages dissimulés dans l’œuvre de Vilaire, mais aussi à comprendre sa propre angoisse. Ce poème et le suicide d’Edmond Laforest dans les premières années de l’occupation américaine de 1915-1935 sont les meilleures preuves de la conscience sociale et politique de nos poètes et du sens profond de nombreuses œuvres trop souvent considérées comme des exercices d’évasion pure et simple. À l’image de ces devanciers, Raymond Chassage était un poète qui s’est toute sa vie efforcé d’associer l’action politique, la création littéraire, l’expression des sentiments et le combat pour la justice sociale.
Je salue en lui un des derniers paladins de son temps. 




Eddy Cavé eddycavé@hotmail.com

 

Tuesday, March 5, 2013

A la recherche des Personnages Légendaires d'Haiti ....

par: Herve Gilbert
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Herve Gilbert
Jérémie n'a pas produit seulement des poêtes, des hommes de lettres et des écrivains... Il y a des noms, des personnages légendaires comme Louis Jean Beaugé, Antoine Nan Gonmye qui ont traversé le temps et l'espace...

Qui est Louis Jean Beaugé ? « Ou Sé yon Louis Jean Beaugé »

Guylène Beaugé

Louis  Jean  Beaugé  fut un militaire cantonné à la garnison de Jérémie au début  du  20ème siècle.  C'est un ascendant de l'illustre famille Beaugé de Jérémie  qui a donné à la ville un brillant directeur de Lycée, Maitre Clément Beaugé, professeur de  langue  par surcroît au cours des années 1960,  un écrivain poête; un amant  du  microphone Max Beaugé qui milite dans la radiodiffusion au Canada jusqu' à aujourd'hui ; Guylène Beaugé , la première Noire nommée Juge à la Cour supérieure au Québec. Et une autre belle tête de femme, Jacqueline Beaugé Rosier  qui est l'auteure du poème « Conte de l'enfance aveugle » dit par Anthony Phelps sur son disque. Jacqueline  a  également écrit un roman sur l'une des plus belles plage de Jérémie : Les Yeux de l'Anse-du-Clair. C'est un récit où se dénouent les boucles temporelles de la jeunesse, un long métrage de l'autrefois qui expose les détails de l'époque où la jeune fille que fut l'auteure cherchait sa place dans le monde, entre « la lampe clignotante des autels de marbre » et le parfum de l'encens  émanant du « disque d'or de l'encensoir ». Ils ont presque tous émigré au Canada.


Clément Amiclé Beaugé

Louis  Jean  Beaugé  était  craint  dans le milieu de Jérémie où il était en service  parce qu'il  ne 
Max Beaugé
mâchait pas  ses mots. Ses ordres devaient être respectés, il  n'avait peur de personne; c'était un homme debout, un vaillant garçon, un nègre « guinen », un adepte du vaudou. Il était l'héritier d'un «  loa familial »  qui habite dans une grotte non loin de la ville des Roseaux à  5 ou 6 kilomètres de la ville de Jérémie.
Louis  Jean  Beaugé  ne  reculait  devant  aucun  danger parce qu'il était assisté  ou protégé  par  son saint ou « loa » qui veillait sur ses pas. Son pouvoir  mystique  avait été mis à l'épreuve le jour où un événement politique provoqua  le  soulèvement  de  toute  la population ayant mis alors les forces de l'ordre en échec. 
Le Commandant de la Place était aux abois. Louis Jean Beaugé se détacha de sa troupe et donna l'assurance à son Chef hiérarchique qu'il pouvait rétablir seul l'ordre dans la ville.

C'est sur cette épave située à l'extrèmité droite de la photo que
Louis Jean Beaugé s'immortalisa en un personnage légendaire
Louis  Jean  Beaugé  se  rendit  au  bord  de mer de Jérémie; se saisit d'une chaloupe.  Il pagaya jusqu'au fond de la mer pour accoster les épaves d'un bateau connu sous le nom de Ti Simone, lesquelles étaient plantées non loin du port de Jérémie. Ce bateau qui avait fait naufrage dans le temps laissait émerger une plate-forme qui a servi de  reposoir  à des générations de nageurs, y compris celle de mon époque, quand ils faisaient sportivement des va-et-vient dans la mer avant de regagner le rivage.
 


Jacqueline Beaugé Rosier
Au vu et au su de tout  le monde  Louis  Jean Beaugé se hissa sur Ti Simone comme podium et tourna sa  face  vers  la  ville  de  Jérémie. Il leva ses deux bras pour exécuter des tours mystiques que tout le monde perçut. Par  peur, ou  par pression purement psychologique tout le monde s'empressa  de vider les lieux. La nouvelle se répandit comme une traînée de  poudre  à travers  la ville de Jérémie qui se calma tout de suite comme l'avait  promis ce  soldat  sans  peur.  Louis  Jean  Beaugé s'immortalisa  en  devenant un personnage légendaire qui a traversé le temps et l'espace.  Ainsi  on  appelle Louis Jean Beaugé ordinairement en Haïti celui  qui fait  montre  d'une  bravoure  extraordinaire ou qui n'éprouve aucune crainte face au danger.
Ces  informations  nous  ont  été  communiquées par l'un des membres de la famille de Louis Jean Beaugé, ce membre vit à Ottawa.

Qui est Antoine nan Gonmye ?

Sa’m wè pouwou, antwàn nan Gonmye pa wè’l
(ce que je prévois pour vous, Antoine Nan Gommier lui-même ne peut le voir)
Antoine Nan Gonmye (dans le Sud) habitait la plaine des Gommiers (4ème section commune des Roseaux, arrondissement de Corail, département de la Grande-Anse).  La dénomination de cette localité non loin de Jérémie est due à l’abondance d’arbres producteurs de gommes ou résines.  Rulx Léon renseigne que le vrai nom de Nan Gommier était Antoine Pintro et qu’il était un griffe clair.
Antoine était un “houngan”, selon des gens dont il aurait servi les grands-parents.  Il possédait des facultés surnaturelles et aurait prédit beaucoup d’évènements qui se sont réellement passé par la suite.  Il faisait des prédictions pour les régions du sud et pour les gens qui venaient le consulter.  Il était, disait-on, doté de puissances invisibles qui lui permettaient de lire dans le passé, le présent et l’avenir.  La tradition voulait qu’Antoine fût toujours au courant à l’avance de l’arrivée de ceux qui venaient chez lui.  “et, chaque fois qu’il s’agissait d’une personnalité de marque, politique, militaire ou civile, il envoyait une monture à sa rencontre pour l’impressionner.”  Le consultant n’avait jamais besoin d’exposer l’objet de sa visite, ceci étant déjà connu d’Antoine.
Vue partielle de la basse-ville de Jérémie (Photo H.Gilbert)
Selon Dr. Léon, Antoine avait le don de télépathie; il n’avait qu’à fermer ses yeux, se recueillir et regarder en lui-même avant d’exprimer ses révélations.  L’auteur cité relate des faits qui lui ont été raconté par MM. Jean-Joseph et Etzer Vilaire.  Antoine était en mesure de prévoir le nombre de visiteurs; quand ces derniers devaient rester à dîner, il savait la quantité de mets et de couverts à préparer.

Voyons Antoine Nan Gommier à l’oeuvre: une fois, il gronda un jeune homme qui, en cours de route, rechignait pour venir chercher un remède pour un parent malade.  Une autre fois, Mlle Eugénie Vilaire, institutrice, emmenait ses élèves en promenade.  Antoine les vit passer et s’écria: “Promenade de malheur!…” Peu après, un des enfants manqua à l’appel et fut retrouvé la tête broyée entre deux chalands en réparation sur le rivage. 

Etzer Vilaire
Un directeur d’usine avait perdu un révolver et désespérait de le retrouver. Il fut conseillé de voir Antoine qui lui annonça à raison de sa visite, puis lui décrivit le voleur et lui indiqua un panier à linge sale où l’arme se trouvait.  Celui-là trouva l’arme là où Antoine lui avait indiqué.  Quelqu’un disparut à jérémie; après maintes recherches, on pensa à Antoine qui révéla l’objet de sa visite et dit d’aller sur X habitation, qu’un chien les mettrait sur la piste du cadavre.  Arrivés sur les lieux, le chien de leur ami sorti d’un bosquet et montra les dépouilles de son maître.  Deux personnalités visitaient Antoine, il insista pour que l’un des deux partit, l’autre demanda pourquoi.  Antoine répondit qu’il n’avait pas beaucoup de temps à vivre et qu’il ne voulait pas que l’homme mourût chez lui; celui-ci mourut avant d’atteindre son domicile.  Mlle vilaire raconta qu’étant fillette, Antoine sortait du cabinet d’avocat de son père et dit:” Votre enfant a une grande t­âche au dos, ce n’est pas grave.” Au départ d’Antoine, une large dépigmentation que personne n’avait remarqué y fut réellement constatée.

Antoine Nan Gommier a laissé une réputation qui a largement dépassé les limites territoriales de Jérémie et même du Sud de l’Île”.  Les haïtiens ont coutume de dire: “Sa’m wè pou wou, antwàn nan Gonmye pa wè’l” (ce que je prévois pour vous, Antoine Nan Gommier lui-même ne peut le voir).
Sources de référence :
Milo Rigaud, La Tradition voudoo et le Voudoo haïtien (son temple, ses mystères, sa magie), Editions Niclaus,Paris 1953, pp 71, 72.
Rulx Léon, simples propos d’histoire, Imprimerie H. Deschamps, Pau-P, 1979, pp 133,134.

La cité des Poètes

           
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Les épaves des bateaux Le Croyant et Valencia échoués depuis la fin du 19ème siècle et qui sont encore visibles à distance dans la rade de Jérémie.                                                          
Une vue de le rivière de la grand'Anse, les "pipirites" construites en roseaux sont utilisées pour transporter les aliments dans les banlieues avoisinantes telles que: Moron, Marfranc,Tessier, Voldrogue, Gébeau etc..      
                                                        



Vue d'une autre épave échouée récemment (Photo H.Gilbert)
Autres épaves de bateaux échoués dans la rade de Jérémie

 Le ferry Boat 3 rivières accosté au wraff de Jérémie

Hôtel Auberge à Bordes



Ti Amélie ! Sur sa tête trône le plateau des souvenirs de plusieurs générations d'hommes et de femmes de Jérémie