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Saturday, August 15, 2020

Adieu à un grand ébéniste de la communauté jérémienne

Par Herve Gilbert
Alix Charles alias Ti Liliss
Nous avons appris avec tristesse le décès de Alix Charles dit «Ti Liliss » survenu dans la nuit du 6 août 2020, sur la route nationale no 7 (Jérémie-Cayes) durant son transport en urgence vers un centre hospitalier à Port-au-Prince. Il a rendu l’âme, à la suite d’un malaise ressenti à l’estomac, avons-nous appris.

Voilà, le tableau sombre qu’on a soulevé dans nos précédents articles: « lorsqu’on brûle du désir de revoir le patelin ou d’y retourner pour un séjour, l’hôpital Saint-Antoine n’est pas en mesure de vous prodiguer les soins que pourrait nécessiter votre cas ». Parfois une nourriture avariée peut vous enlever la vie. Nous l’avons mentionné à maintes reprises – une population sans un centre hospitalier passablement équipé est vulnérable à toutes les catastrophes ou calamités.

Ti Liliss est un Jérémien, un ébéniste-menuisier chevronné, un ami très connu de la communauté jérémienne tant en Haïti qu’à New York. C’était un homme d’une force et d’une vivacité d’esprit peu communes.

Bien émouvants sont parfois les souvenirs des souvenirs. Je m’arrête un moment pour me rappeler à l’esprit les bienfaits de cet homme qui a laissé dans ma mémoire d’enfant des souvenirs ineffaçables. Si l'âme parvient à être immortelle, c'est sans doute parce qu'elle est invisible. « Le souvenir c’est la présence invisible », a écrit Victor Hugo.

Venons en au fait, dès ma tendre enfance, j’avais développé un amour pour les oiseaux et les pigeons, je faisais parfois la chasse aux oiseaux dans notre ferme à Gébeau en y mettant des gommes de l’écosse de (lame véritable) ou parfois j’utilisais mes frondes (fustiballes) . À l’âge de 6 ans, j’avais un chien comme ami du nom de Micky. Au départ de Carl, mon grand frère pour la poursuite de ses études à Port-au-Prince, je prenais la relève de l’élevage de ses pigeons dans notre cour familiale. Durant la saison estivale de 1967, ma  mère m’avait acheté une paire de cochons d’Inde appelée aussi cobaye.

Ti Liliss et David Étienne (1ère rangée de la gauche vers la 
droite), deux Jérémiens qui nous ont laissé cette année 2020
N’ayant pas de cage ou “kalòj”, je les abritais provisoirement dans une boîte en carton qui sous l’effet de l’humidité provoquée par les animaux n’a pas tardé à s’effondrer, j’ai pensé donc à me procurer d’un clapier pour mes ‘petites boules de poils’ plutôt très affectueuses. L’idée d’un clapier m’est venue à l’esprit. Qui donc allait me le construire ? Je partais à la recherche d’une cage. Au temps de mon enfance, dans ma ville natale, nous vivions comme dans un village, tout le voisinage nous identifiait et connait tout aussi bien nos parents.

Dans mon quartier, à la rue Abbé Huet  au carrefour “Ti Fontaine” où j’habitais durant cette époque, il existait 5 ébénisteries. Presque en face de chez moi, sur la cour adjacente à la maison de Mme Geffrard Bijoux, il y avait une ébénisterie où Boss Micanor Despeines, et Boss Canova travaillaient. À quelques mètres de ma maison, à la rue Lelac, se trouvait l’ébénisterie d’Antoine Appolon, sans oublier celle de Ben Jacob, son beau-frère, localisée à la Source Dommage. À un demi-bloc de la rue “Ti Chaise”, perpendiculaire à la rue Abbé Huet, il y avait l’ébénisterie d’André Jolibois. Tout près du cinéma Fox, à la rue Eugène Magron on retrouvait celle du regretté Abner Michel où travaillait Ti Liliss. Rappelons que Boss Michel a perdu deux jeunes enfants adolescents ( un garçon et une fille) enlevés de Jérémie par les malfrats duvaliéristes pour être emmenés et emprisonnés aux Casernes Dessalines, sous l’accusation “d’être des communistes”. Leur sort ne fut jamais connu.

Souvenir de Ti Lilss durant les retrouvailles à Palm Coast  
J’ai donc visité tous ces menuisiers sus-cités, en vue d’acheter une cage pour mes petits cochons d’Inde. Je n’ y ai pas trouvé de cages préfabriquées. Ces personnages m’ont offert plutôt de petits morceaux de planche et m’ont suggéré de bâtir moi-même le clapier. Ne connaissant pas les abc de l’ébénisterie, je ne savais pas à quel saint me vouer pour cette tâche. C’est ainsi qu’en arrivant à quelques mètres de ma maison chez le menuisier Loupérou, l’ancien tambourineur des Fantaisistes de Jérémie, j’ai rencontré Ti Liliss qui m’a offert son aide sans ambages pour construire le petit habitat pour mes cobayes. Il s’est rendu chez moi en y apportant les outils nécessaires et du matériel ( grilles métalliques, clous), acheté chez Jean Rouzier à la basse-ville pour mettre fin à notre projet. En l’espace de deux jours, ce logis d’une dimension de 1m. carré 82 était prêt pour mes cobayes disposant désormais d’une grande place pour se dégourdir et vivre adéquatement leur vie.

Tout ce récit est un hommage rendu à ce jérémien pour ses qualités humaines dont je garde encore un précieux souvenir et qui m’ont beaucoup marqué . Ce geste magnanime de sa part à mon égard m’a rendu heureux et c’est grâce à son action bénévole et impayable que j’ai appris aussi le maniement des outils de menuiserie comme une scie à bois ou un marteau. Par la suite, Ti Liliss était devenu un restaurateur des meubles pour mes parents qui l’appréciaient tout aussi bien. Dans l’exercice de nos vies, chacun de nous a reçu un don spécial pour une mission bien déterminée. Celle de Ti Lillis était d’aider des gens de sa communauté.

Une photo souvenir de Palm Coast  avec Ti Lilis
(Année 2013) 
Peu de temps après, j’ai rencontré Ti Liliss, soit à Palm Coast, lors des retrouvailles des Amis de la Place Dumas, soit à Jérémie durant  La Saint-Louis. L’année dernière à Cascade Night-Club, lors de la soirée dansante animée par le Tropicana, je l’ai revu pour la dernière fois. Nous nous sommes entretenus de notre Jérémie d’antan et m’a même conté l’histoire d’un tambour en aluminium que mon père avait donné en cadeau à son école dont il était le directeur à l’occasion de la fête du Drapeau. Et ce geste a été reconnu par toute la ville qui l’avait même mis en chanson reprise de temps à autre au cours des parades du 18 mai. Ti Lilisse, de ce nom connu de toute une génération de Jérémiens était resté le même à travers le temps, faisant toujours preuve d’un homme plaisant, jovial, comique, amuseur, qui vous replonge à chaque rencontre dans l’alma mater à travers des blagues et des farces humoristiques. Être auprès de Ti Liliss durant les moments de retrouvailles était toujours amusant; riant aux éclats, il aimait danser et n’hésitait pas à solliciter la danse à toutes les filles d’une soirée dansante. ll racontait toujours quelque chose à sa manière, de façon à vous capter l’attention.

En vérité, personne ne s’attendait à cette perte soudaine. Ses nombreux amis à New York vont certainement lui manquer…

La vie a une fin comme une lumière de bougie qui s’éteint, mais dans le cœur les souvenirs sont à jamais ancrés.

Ti Liliss, nous sommes tous bouleversés par ton départ impromptu, mais tes qualités humaines ont fait de toi un homme apprécié par tous.

À ta famille, tes enfants tes amis, toute ta progéniture, tous ceux qui t'ont connu et aimé, je présente mes sincères condoléances. Merci pour tes actions bienveillantes et généreuses! Ta mémoire sera toujours gravée dans nos coeurs.

Va en Paix mon ami!



Orlando le 15 août 2020

Herve Gilbert










2 comments:

  1. REST IN PEACE TILILICE YOU WILL BE MISSED

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  2. Wow ! C'est un texte bien écrit ! Là-haut, Alix doit être content de ton éloge à son égard. Toutes mes félicitations! Tu es vraiment un Gilbert. Tu fais honneur à ton oncle Marcel Gilbert et ton papa Barnave Gilbert.
    MaryseE

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