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| Les anciens joeurs présents au Gala du 20 septembre 2025 De la gauche : Saul Noël, Eric St-Surin, Pierre-Richard Legagneur, Richard Jacob, Maurice Chéry |
Il est des victoires qui ne se mesurent pas seulement à
la lumière des trophées, mais à la profondeur des émotions qu’elles éveillent,
aux rêves qu’elles rallument dans le cœur des peuples.
L’histoire du football haïtien, écrite dans l’élan d’une
décennie flamboyante, porte en elle l’empreinte de ces triomphes discrets qui,
bien au-delà du sport, racontent une lutte acharnée pour l’existence, la
dignité et la reconnaissance.
En 1975, Jérémie — la « Cité
des Poètes », capitale mélancolique de la Grand'Anse
— offrit à la nation l’une de ces pages
immortelles : une épopée née dans le sillage de la Coupe du Monde 1974 en
Allemagne, à laquelle Haïti participait pour la première fois.
L’enthousiasme était alors national, presque mystique :
le football devenait miroir de l’identité, promesse d’unité et symbole d’espoir
et de développement. Dans ce souffle d’ivresse collective, la Fédération
haïtienne de football organisa de prestigieux championnats interrégionaux. C’était
dans ces tournois que s’affrontaient les fiertés locales, que foisonnaient les
talents de demain. C’était là aussi que se forgeait, loin des projecteurs, le
socle humain de l’équipe nationale.
Jérémie, l’outsider aux rêves d’absolu
Pourtant, au cœur de cette effervescence, Jérémie se
dessinait dans la marge. Elle n’était ni Port-au-Prince ni Cap-Haïtien. Elle
ne régnait pas sur les pelouses : elle les effleurait avec timidité. Ses
terrains, souvent poussiéreux, n’avaient rien des grandes arènes. Mais ses
enfants, eux, portaient dans leurs veines la flamme de l’insoumission et le
désir d’écrire leur propre destin.
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| Une photo d'archives de l'équipe jérémienne vers les années 1955 |
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| Maurice Léonce |
Le jour où Jérémie fit trembler l’ordre du football
Nous étions en 1975. Le Stade Sylvio Cator, plein à
craquer, vibrait comme un cœur au bord de l’explosion. Jérémie affrontait Saint-Marc en
finale du championnat interrégional. Tout semblait déjà écrit, comme une
fatalité tracée sur le parchemin du destin : les outsiders devaient s’incliner.
Mais le match, âpre, haletant, disputé avec une ardeur farouche, demeura
stérile jusqu’au bout. Aucun but ne vint dénouer l’affrontement, aucune faille
ne s’ouvrit dans les défenses héroïques. Alors, dans ce théâtre de tension où
chaque souffle retenu pesait plus lourd qu’un cri, le destin décida de se jouer
aux nerfs. La finale s’en remit aux tirs au but — ce rituel cruel où les héros
se forgent ou s’effondrent. Là, sous les projecteurs tremblants, dans une
atmosphère où l’histoire semblait suspendue au bout de chaque frappe, Jérémie
fit mentir les pronostics.
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| Pierre-Richard Légagneur & Clermont Coamin |
Dans les rues de la Grand'Anse,
les tambours résonnaient, le son guerrier des conques déchirait l’atmosphère.Les
« Héros de 1975 » étaient portés en triomphe, célébrés comme les artisans d’une
révolution sportive. La presse, émerveillée, parla de « l’épopée de Jérémie »,
symbole d’un football régénérateur d’une jeunesse dévouée et indomptable.
Les visages de la gloire
Derrière ce triomphe, des visages et des noms se
dressèrent comme les silhouettes héroïques d’une génération entière, à jamais
gravés dans la mémoire collective: Maurice Chéry, gardien vigilant; Pierre
Richard Legagneur, capitaine courageux; Luckner Laguerre; Eddy Gilbert; Orel
Lamarre; Parnel Michel; Louis Lafortune; Éric St-Surin; Agnus Chéry; Bradler
Ogé; Gérard Charles; Richard Jacob; Bonera Moïse; Éric Saint-Fleur; Saül Noël ;Mario
Fauché; Dominique Jean-Miche ; Richard Scylla; Jean Gérard Pierre.
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| La sélection de 1975 Photo prise aux landes des Gabions, Aux Cayes (1975) |
Chacun d’eux portait en lui la flamme de l’insoumission
et le courage des oubliés. Certains furent plus tard appelés à rejoindre les
camps de l’équipe nationale, prolongeant ainsi une épopée née dans l’ombre pour
s’inscrire dans la lumière de l’histoire. Parmi eux, Pierre Richard Legagneur
porta plus loin encore le flambeau jérémien en rejoignant le prestigieux
Violette Athletic Club de Port-au-Prince — champion de la Concacaf en 1984 —
inscrivant durablement l’esprit de 1975 dans les grandes arènes du football
national. Jusqu’en 1984, son talent prolongea, au sommet, le souffle victorieux
né sur les terres de la Grand’Anse.
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| Devant:de la gauche: Parnel Bontemps,Guy Cupidon, Pierre Richard Legagneur, Mme Richard Jacob. En arrière plan: Mme & Mr Saul Noël, Mme Pierre- Richard Legagneur, Richard Jacob. \ |
La gloire comme héritage
Cette victoire unique, solitaire et pourtant immense, laissa dans les mémoires une trace indélébile. Elle inspira des générations entières, y compris ceux de la diaspora qui, loin du pays, continuèrent de porter fièrement cette histoire comme un talisman.Des décennies ont passé. Les visages ont mûri, les voix se sont adoucies, mais la mémoire de cette épopée demeure intacte.
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| Raymond Jn-Louis |
L’histoire de Jérémie 1975 est celle d’une région qui
refusa l’effacement. C’est l’histoire d’un match devenu métaphore de
l’existence, d’une victoire qui, bien plus que sportive, fut sociale,
culturelle et identitaire. Elle rappelle que les grandes conquêtes naissent
souvent dans les lieux que l’on croit insignifiants, et que les rêves les plus
fous s’écrivent parfois avec les pieds nus des enfants sur des terrains
poussiéreux.
Dans la mémoire d’Haïti, cette épopée demeure un poème de
courage et d’espérance — un poème que rien, jamais, ne pourra effacer.
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| Hervé Gilbert |









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