Anthony Pascal alias Konpè Filo |
Par Eddy Cavé
J’ai
rencontré Konpè Filo pour la première fois à l’édition 2011 de Livres en folie à Port-au-Prince et ce
fut immédiatement le coup de foudre. Pour avoir quitté Haiti en 1970, donc à un
moment où il s’appelait encore Anthony Pascal et où Konpè Filo n’existait pas
encore, je n’avais pas pu connaître le personnage politique ou médiatique qu’il
était devenu. Je partageais ce jour-là un
stand avec Kettly Mars, Leslie Péan et une très jeune auteure, Marie Flore
Morett, qui venait d’être couronnée Miss
Annaïse. J’en étais à mon premier livre de sorte que j’étais un auteur
complètement inconnu sur ma terre natale. Cette expérience se révéla une des plus belles,
des plus fructueuses et des plus instructives de ma vie de semi-retraité.
Accompagné
de mon ami Claude C. Pierre, aujourd’hui disparu, j’étais arrivé très tôt sur
le site pour explorer les lieux et m’installer avec mes amis écrivains. Dès le
coup d’envoi, donné à 10 heures du matin, le site est envahi par une foule de
jeunes qui, une fois les tourniquets franchis, se bousculent aux guichets,
prennent leurs livres et se présentent aux divers stands pour les dédicaces.
Kettly, Leslie et moi, qui croyons avoir beaucoup de choses à dire, nous nous
tournons les pouces en conversant entre nous pendant que notre voisine de
table, Marie Flore, est assaillie par une flopée de jeunes lecteurs qui
réclament les autographes. Une grande leçon d’humilité pour nous trois.
Konpè Filo s'amuse pendant que les auteurs se préparent |
Marie
Flore a seulement 23 ans et est étudiante en relations internationales
dans un institut privé de diplomatie. Elle m’explique qu’elle a fait ce choix parce que les programmes sont trop longs à
l’Université d’État, et j’apprends du même coup qu’elle est la gagnante du
concours Miss Annaïse, dont je n’avais jamais entendu parler auparavant.
Ce matin-là, Marie Flore signait, elle aussi, son premier livre, un fascicule d’une
cinquantaine de pages qui attira une file impressionnante de jeunes.
Michel
Martelly, qui venait de prêter serment comme président, non pas du konpa mais
de la République, avait décidé ce matin-là d’aller faire un tour au Salon. Une
première dans l’histoire de cette activité. Arrivé très tôt à notre stand, il ne
put résister à la tentation de se mêler à la troupe joyeuse des
admirateurs de la jeune auteure :
-
Tu es très jeune, lui dit-il, d’un ton admiratif ! Mais quel
âge as-tu?
-
Vingt-trois ans.
-
Compliments! Faut persévérer. Hein!
Une minute de gloire pour la jeune auteure |
Marc-Antoine Gauthier, Guiton Dorimain, Konpè Filo et Monique Cavé Martineau. |
Eddy Cavé, Simphar Bontemps, Eddie Saint-Louis et Aramys Bontemps (De la gauche vers la droite) |
L’idée qu’on se fait de
ces personnages publics à partir de la télévision, de la radio et des
spectacles est très différente de la réalité. À regarder et à écouter les
émissions de Filo sur le vodou, on imagine facilement que c’est un homme de
péristyle qui ne danserait occasionnellement que la musique rasin. Grave erreur! Qu’il s’agisse de konpa, de boléro ou de
salsa, Filo est dans son élément. Il investit la piste de danse, attirant vers
lui les regards admiratifs de toutes celles et ceux qui sont restés à leurs
tables. J’étais fasciné de le voir danser avec tant de brio, de gaieté de cœur
et d’élégance. Entre deux sets de musique, nous trouvons un court moment pour
échanger quelques mots. Rien de plus, à cause du bruit infernal qui couvre les
voix.
En prenant congé de Filo,
je tombe sur Cary Hector, décédé prématurément depuis. Il est assis avec notre
ami commun Leslie Péan et Gladys, une cousine de ce dernier. Un peu en retrait
par rapport à l’atmosphère endiablée que créent les vieux succès du répertoire
de Ju Kann, Cary s’amuse à observer
cette faune qui se déhanche à la limite de la transe. Après deux chaleureuses
accolades, il me dit avec son sourire désarmant : « Ça fait un bon
moment que je t’observe. Je viens d’ailleurs de dire à Leslie : « Gade Eddy. Gade l byen. La p obsève pou l al ekri (Regarde Eddy. Regarde-le bien. Il observe
pour raconter ensuite) ". Il avait en partie raison.
Rose-Anne Auguste, Eddy Cavé, Leslie Péan, Kettly Mars (De la gauche vers la droite) |
En terminant cette page,
je vois défiler les amis présents à cette soirée et qui ont fait depuis le
grand voyage : Cary lui-même, parti pendant l’été 2017; Ricot Labrousse,
rentré de Montréal et rencontré sur les lieux par pur hasard avec sa femme
Carole; mon cousin Boy Cavé, parti en
2015; Roger Nicolas, qui se remettait d’une longue maladie. Et au cœur du
groupe, celui qui était pour moi la vedette de la soirée : Konpè Filo.
De retour au Canada, j’ai
pris l’habitude de suivre ses émissions à TELE GINEN, ce qui m’a permis de
découvrir sa philosophie de la vie et la spiritualité qu’il pratiquait avec
ferveur. Cela m’a en outre donné la possibilité d’entretenir dans l’éloignement
et l’absence un souvenir qui aurait pu s‘éteindre de lui-même s’il ne
s’agissait pas d’un homme au charisme peu commun et d’une stature
exceptionnelle. Tout cela me donne aujourd’hui l’impression de ne l’avoir
jamais perdu de vue.
Filo, tu seras toujours dans mes pensées!
Eddy Cavé,
Ottawa, ce 12 août 2020
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