Par Eddy Cavé,
Ottawa, le 14 décembre 2020
Dans un commentaire sur l’exécution du colonel Jean-Baptiste Rousselot, dit
Dommage, pendu par les Français au Cap le 3 novembre 1802, Marcel et Claude B. Auguste écrivent dans leur
livre L’expédition Leclerc 1801-1803 :
« Partisan farouche de Toussaint Louverture, [Dommage] était devenu
commandant de Jérémie et de la 4e demi-brigade de cette ville après la
conquête du Sud […] Il organisait le front de la résistance dans la Grand’Anse
[…] quand il fut arrêté avec Jean Panier. Mais
son œuvre sera parachevée par Férou dont la contribution à la guerre de
l’indépendance sera inestimable. » (Les caractères gras sont de nous.)
Dommage a laissé beaucoup de souvenirs à Jérémie, car le nom complet du quartier de La Source, où se trouve la caserne, est La Source Dommage. Quant à Férou, tout ce qui reste de lui comme souvenir aujourd’hui dans la région, c’est une tombe abandonnée qui ne porte même pas une épitaphe. C’est pourtant lui qui, parti le 1er juillet 1803 du Camp-Gérard, dans la région des Cayes, mit le cap sur Jérémie, s’empara de Tiburon d’abord, puis des Irois le 5 du même mois avant de prendre possession successivement de l’Anse d’Hainault, de Dame-Marie et des Abricots. Le 20 juillet, son frère d’armes Bazile occupait le poste Marfranc qui était défendu par 500 hommes de troupe.
Voyant la cause perdue et craignant que Jérémie ne soit
livrée au pillage, le général français de Fressinet proposa à Bazile une
suspension des hostilités que le général Férou accepta. Au terme de la trêve convenue de
14 jours, soit le 4 août, le Français embarquait sa garnison pendant que Férou
lui rendait les honneurs de la guerre. La Grand’Anse devenait ainsi la première
grande région libérée totalement du joug de la France. L’artillerie trouvée à
Jérémie fut transportée alors vers les Cayes, ce qui permit à Geffrard liquider
l’adversaire avec une puissante force de frappe.
Mais qui donc était ce général Férou ?
Le général de brigade Laurent Férou est un signataire de
l’Acte de l’indépendance d’Haïti né aux Côteaux, d’un père blanc et d’une mère noire.
Il était le cousin de Nicolas Mallet, dénommé « Mallette Bon
Blanc », le seul révolutionnaire blanc à faire partie du groupe des
signataires de ce document.
Comme plusieurs des autres généraux qui ont signé ce document à ses côtés, Férou n’avait aucune instruction. Alin Hall, l’auteur de La Péninsule Républicaine, affirme que ce charpentier de profession pouvait à peine signer son nom. Il a pourtant laissé un héritage qui suscite autant d’admiration que de respect.
Le jeune Laurent a seulement 14 ans, quand, le 15 août 1779, il quitte le Cap-Français avec un contingent des chasseurs volontaires invités, à la demande du marquis de Lafayette, à participer à la guerre d’Indépendance des Treize colonies anglaises d’Amérique, sous les ordres de l’amiral d’Estaing. Blessé dans les combats durant le siège de Savannah, le jeune homme retournera à Saint‑Domingue avant la fin de l’année. En 1799, on le retrouvera comme capitaine dans l’Armée d’André Rigaud pendant la guerre contre les Anglais.
À l’arrivée de l’Expédition Leclerc, en 1802, Férou faisait partie des troupes coloniales et commandait son quartier natal des Côteaux. On ne sait pas avec certitude à quel moment il décida de passer à l’insurrection. Cependant, tout porte qu’il était de mèche avec les insurgés Gilles Bénech (Ti-Malice), Nicolas Régner et Goman lorsque ces trois anciens lieutenants de Rigaud attaquèrent Tiburon au mois d’octobre 1802. Par la suite, explique Alin Hall, Férou gagna à sa cause les chefs de bandes et les cultivateurs des régions de Port-Salut et de Camp-Perrin, allumant le feu de la révolte dans une bonne partie du département du Sud.
Après avoir remporté plusieurs victoires sur les
Français, Férou sera proclamé chef des insurgés du Sud. Au rendez-vous
historique du Camp-Gérard en juillet 1803, il reconnaît, en même temps que
Nicolas Geffrard, l’autorité de Dessalines comme général en chef de l’Armée indigène et il
abandonne ses frères d’armes insoumis. Dessalines le nomme peu de temps après
général de brigade et commandant de l’arrondissement de Jérémie. Le même mois,
Geffrard l’envoie à la conquête de son territoire et il part à la tête de ses
troupes. Il s’empare des Côteaux, de Tiburon, des Irois. Après une pause à
l’Anse d’Hainault, il reprend la route pour sa destination finale, Jérémie.
C’est à lui que reviendra l’honneur de hisser le premier bicolore au mât des
édifices de Jérémie.
Moins fortuné et sans doute plus austère que ces généraux, Férou n’a pas
laissé de portraits ni même de croquis. En l’absence de tels documents, on est
bien forcé de s’inspirer des portraits des frères d’armes de son rang pour se l’imaginer avec ses
épaulettes de général et dans la splendeur des Pères fondateurs.
Par la suite, Férou fera de Jérémie sa ville d’adoption et construira le Fort Marfranc dans le cadre de la politique de renforcement du dispositif de défense du territoire. Par suite de divergences de vues avec l’Empereur, il tombera en disgrâce en 1806 et prendra ses distances par rapport au pouvoir.
Épuisé, ruiné par la maladie, écrit Alin Hall, il s’était déjà démis de son poste de commandant quand il poussa la ville de Jérémie à se rebeller contre Dessalines en 1806 (Hall, p. 183).
Laurent Férou s’est éteint le vendredi 16 janvier 1807 à l’âge de 41 ans sous le gouvernement de Pétion. Il a été inhumé dans le fort qu’il a construit sur un site magnifique des berges de la Grand’Anse qui abrite depuis 60 ans une école normale d’instituteurs.
L’état d’abandon dans lequel se trouve actuellement le tombeau de ce Père fondateur est sinon une honte, du moins un motif d’embarras pour toutes celles et tous ceux qui entretiennent le respect des aïeux. On remarquera que les canons, bien entretenus, ont défié l’épreuve du temps, tandis que la sépulture de ce Père fondateur a été livrée à la fureur des intempéries et laissées à la bonne volonté des âmes charitables.
Un grand merci à Sœur Laurette Pierre qui a eu la générosité et la bonne idée de protéger le tombeau du Père fondateur en le recouvrant de plaques de céramique et à l’abbé Mey Joseph qui nous a envoyé plusieurs photos. Crions Halte à l’incurie et mettons-nous en frais pour donner au brigadier Férou une sépulture digne de son passé glorieux!
FIN
Malheureusement, nous n'avons de Laurent Férou que la lettre suivante rédigée en 1805, sous le gouvernement de Dessalines:
ReplyDeleteÀ Monsieur Nicolas Herreson Capitaine de la Goélette naufragée, l’Alexandre à Jérémie
Je ne puis vous permettre, Monsieur, d’exporter la quantité de gourdes que vous demandés (sic), attendu que sa Majesté Impériale (L'Empereur Jacques Premier -- Dessalines) me le défend bien expressemans (sic), et n'entend poins (sic) que l'argens (sic) monnayés (sic) sortens (sic) de Son Empire.
Je vous salue.
Férou