Par Max Dorismond
Ne vous arrive-t-il pas parfois
de vous réveiller un matin avec l’envie de pleurer le monde, tant les
soubresauts de la vie viennent déranger votre quotidien? En ce samedi matin
grisâtre, j’ai eu l’occasion, à mon réveil, de parcourir deux sujets qui sont
venus me chercher. Le premier, un éloge
funèbre, venu tout droit du cœur d’Eddy Cavé, pour le décès d’un populaire
Jérémien, l’inoubliable Joe Bontemps, et le
second se révèle être la liste des prix de haute distinction de « L’Ordre
des Ingénieurs du Québec » (OIQ), pour ses 100 ans d’existence. Vous
vous demandez où est le rapport. Relaxez!
Pour le texte de Cavé, une sorte d'élégie, comme en fait foi mon commentaire que je lui avais laissé en ces quelques mots gentils : « … Mon vieux, tu as su brasser les souvenirs, au point de faire revivre à chaque arrêt du train de la vie, une part de nous, une part de notre âme, que Joe et les autres congénères disparus emportent avec eux… ».
En effet, à travers sa prose, j’ai eu l’occasion de découvrir ma ville, exposée dans un tableau d’un bonheur contagieux et bucolique, avant le déluge de 1957 et d’autres péripéties : des artistes de renom, des musiciens classiques de talent, une école de musique, la fanfare, de célèbres écrivains et, surtout, un climat social envoûtant dans lequel des hommes d’honneur évoluaient sans nulle pensée morbide de fuir le coin de terre qui les avait vus naître, tant leur paradis leur suffisait.
Pour enguirlander le décor, Max-Harry, le fils du décédé, avec raison, avait introduit, dans son oraison funéraire, une strophe empruntée au célèbre Charles Aznavour, dans « La Bohème » : « Je vous parle d’un temps, que les moins de vingt… plutôt 40, 50 ans… ne peuvent pas connaître ». Il a frappé en plein dans le mille. Sa valse-hésitation dans la durée a confirmé l’itinérance mémorielle et la beauté du passé de son père adoré.
Vraiment, ma génération
n’avait pas eu le temps et l’occasion de connaître, sous toutes leurs coutures,
ces parenthèses enchantées. À notre époque, c’était le black-out social. Le
temps semblait s’être enroulé sur son socle. Aucun poète, aucun écrivain majeur
n’osait se montrer le museau. Aucun artiste d’envergure, à part notre Malou local, ne vint tenter le diable, de peur d’inciter la suspicion des tontons
flingueurs. Fermées les écoles de musique! Barricadés les clubs sociaux! On
écrivait dans le noir! À preuve, au cours de l’année 2012, pour illustrer cette
période obscure, j’avais mis des mots sur les exactions, les crimes et les
vertiges, en bariolant le surnom de ma ville dans un article inattendu : « Jérémie
- Ne m’appelez plus jamais la Cité des poètes ».
À l’époque, toute forme de vedettariat devait arborer un habit de « gros bleu », un chiffon rouge autour du cou et, surtout, prêter le serment d’allégeance à Papa. Un quidam, qui n’avait pas l’intention d’obtempérer, était condamné à rester bouche cousue et à épouser la couleur des murs qu’il rasait en faisant le mort, jusqu’à son départ vers la capitale, sur la pointe des pieds, pour laisser plus tard le pays et se libérer de ces stéréotypes aliénants, dans un enchevêtrement de souffrances.
Adieu artistes, adieu poètes, adieu créateurs, adieu progressistes, adieu terre natale…. Notre génération mal née était vouée à l’errance. Ces voyages, non désirés, ont permis aux pays d’accueil de nous découvrir, de nous apprécier et d’utiliser notre potentiel dans leur plan de développement. C’est là qu’est venue me surprendre la liste des gagnants de l’Ordre des Ingénieurs du Québec, (l’OIQ).
Des prix d’excellence pour des congénères perdus à jamais pour Haïti
Nullement surpris, pour le 1er lauréat des lauréats de la fameuse liste, notre compatriote, le Dr. Samuel Pierre, Professeur titulaire au département de génie informatique et de génie logiciel de Polytechnique Montréal, a décroché la plus haute des distinctions pour les 100 ans de l’OIQ. Mon ami Samuel est déjà honoré par tant d’institutions et tant de pays que je lui ai déjà suggéré, à la blague, « de blinder les murs de sa maison, sinon elle risque d’imploser sous la pression de ses multiples trophées accumulés dans le temps ».
Et l’Université, la fierté
émoussée, s’est empressée de rapporter que : « L’Ordre des ingénieurs a souligné que le Pr.
Pierre menait, depuis plus de 30 ans, des travaux novateurs qui ont permis
de trouver des solutions originales à des problèmes de grande complexité, par
exemple la réduction de l’impact écologique des systèmes infonuagiques. Ces
travaux ont été accomplis en collaboration avec des collègues de Polytechnique
Montréal et avec des entreprises, des institutions gouvernementales et des
administrations municipales.
L’OIQ a mentionné également que les réalisations du Pr. Samuel Pierre lui ont valu de nombreuses distinctions, dont le « Prix Mohamed El Fasi de l’Agence universitaire de la Francophonie » qui récompense l’ensemble de l’œuvre d’une personnalité dont l’action scientifique a exercé une large influence à l’échelle internationale ».
Deux autres compatriotes, les ingénieurs Patrick Paultre (Grand Prix d’excellence professionnelle - Université de Sherbrooke) et Suze Youance (Progression des femmes dans la profession – École de technologie supérieure) ont été des finalistes parmi des centaines et des centaines de candidats.
Entre nous, disons-le tout bas, ces congénères choyés, dorlotés par le pays d’accueil, est-ce pour leurs beaux yeux ou pour leur teint noir qui contraste avec la blancheur de sa neige. Loin de ces puériles pensées, ce qui intéresse avant tout ce dernier, c’est la supériorité de leur esprit, leur ardeur à la tâche, etc… Quitte à ce que, demain, ces nations bénéficiaires se montrent condescendantes pour nous enfumer de leur supériorité surfaite et du mépris, émanant de leur instinct colonialiste, qui reprendra le dessus, en oubliant volontairement que les enfants du « Shit-hole » avaient contribué à les catapulter au palmarès du progrès et de la science.
Entretemps, chez-nous, l’expression « Esprit supérieur » est bannie du vocabulaire des dirigeants. C’est le népotisme à plein nez… la Familia a une patrie…, le club, les petits amis demeurent le pivot des choix. Et la formule fraternelle vient cimenter le serment du clan : « Grate do m, ma grate do w. Se kolonn ki batt! ». D’où la fuite des cerveaux de « l’Égypte des pharaons », le corollaire de cet état de fait, qui vient confirmer la cause fondamentale de notre sous-développement chronique.
Pour les survivants, qui résistent malgré eux, il faut consentir à jouer le jeu du « pwen fè pa », dans une ambiance délétère, qui finira par faire tourner les têtes et susciter des vocations de corrompus de génie. Malgré ce sombre tableau, certains optimistes trouvent encore le courage et la force de penser à la rédemption et à l’émergence d’Haïti, un jour venu.
Allons donc, amis! Continuons
de rêver, les yeux ouverts! Pendant ce temps, les pays d’accueil laissent leurs
portes grandes ouvertes pour siphonner nos surdoués sans rien nous offrir en
retour. Enbesil ki bay, sòt ki pa ramase!
Max Dorismond mx20005@yahoo.ca
Note
1
– Le texte de l’Université : https://www.polymtl.ca/carrefour-actualite/nouvelles/le-professeur-samuel-pierre-laureat-du-grand-prix-dexcellence-professionnelle-2020-de-loiq
2 – Liste des récipiendaires : https://www.oiq.qc.ca/fr/jeSuis/membre/prixDistinctions/Pages/soiree-excellence-prix.aspx
Je serais heureux de pouvoir, à l'instar de votre savoir-faire et avec autant dextérité, jongler avec les mots pour camper vos illustres personnages, qu'importe les circonstances. Pour endosser ou assumer la tâche d'être écrivain ou amant des belles-lettres, c'est selon... il faut toujours l'appui de sa détermination, de l'aptitude en amont, de la capacité de dépeindre à l'aide de sa plume son sujet de choix, et de la maturité dans les figures de style, afin de pouvoir s'exprimer allègrement par le biais de moult métaphores.
ReplyDeleteBravo, et ce n'est chez-vous qu'une habitude, mon cher Max!