Par Max Dorismond
Ils étaient les trois
mousquetaires de la plume, une trilogie d’étoiles accrochées au frontispice de l’amphithéâtre
littéraire qu’est Jérémie,
la ville qui avait bercé leur enfance avec des hymnes à la beauté et la mélodie
des choses. Quand, dans leur jeunesse, le
noir linceul recouvrait le pays de deuils, ils avaient pris leur courage à
deux mains pour braver l’hydre aux cent têtes. Des rêves pleins le chapeau, Claude
Pierre, Serge
Legagneur, et Jean-Claude Fignolé se voyaient déjà en rédempteurs des âmes
et des consciences pour remettre cette île à l’endroit et contribuer à
l’édification d’une société égalitaire. De déception en déception, leur
existence ne fut que luttes et désespoirs. En empruntant aux mots leurs secrets
et leur puissance, ils ont tout tenté pour annihiler les effets du poison de la
méchanceté humaine, pour convaincre les paumés et les orienter vers un brin
d’humanité. Des poèmes, des romans, des nouvelles, du théâtre…tout a été essayé
pour pacifier les cœurs et renverser l’ordre des choses. Malheureusement, le
pays a vogué de drames en drames pour se ramasser avec des pleurs et des
cauchemars à damner les plus endurcis.
Voilà maintenant le
trio sur le chemin du ciel. Avec un rictus au coin des lèvres, ils vont faire
rapport au Bon Dieu, tout en sachant déjà que la récolte ne fut pas abondante.
Ils ont tout donné, tout tenté, mais le destin l’a voulu autrement. Sous leurs
yeux, s’est produit l’effacement systématique de familles
entières, des
amis, des
copains. Ils ont été spectateurs involontaires de la descente aux enfers de
la nation. Acteurs impuissants, témoins de la déchéance collective, leur dialectique
ne pouvait renverser l’ordre établi. La force du verbe ne pouvait rivaliser
avec les armes de guerre, avec les insinuations malveillantes, les regards
inquisiteurs, la haine débridée et la terreur innommable qui alimentaient le
quotidien. Le peuple à genoux criait famine. La face de la misère était indescriptible.
Dans leurs œuvres, à
tous les trois, on détecte une poésie aux accents prophétiques, une sorte
d’érotisme mystique, une source inépuisable de consolation à pouvoir de rêves.
Avec intelligence et sensibilité, ils s’adressent souvent aux fossoyeurs de
pays sous couvert de poètes sans illusion de l’espoir. Hélas ! Tout a filé comme le sable entre
leurs doigts. Leurs vis-à-vis n’avaient aucun sens de la vie. Ils se foutaient
de l’existence de leurs semblables. C’était des humanoïdes.
Les voilà aujourd’hui
de l’autre côté du miroir. Ils sont partis, pour répéter Jacques Brel,
« handicapés de leurs rêves non exaucés ». Claude, Serge et
Jean-Claude, ne vous en faites point. Arriver au bout du voyage sans la
satisfaction du devoir accompli est vraiment rageant. Ce fut une mission
impossible. Partez sans nul souci. Le ciel est indulgent. Les desseins de Dieu
sont impénétrables. Pour la première fois, nous allons vivre nos chagrins sans
vous. Tel est notre destin. La cité
entière vous salue en choeur et joint sa voix à celle de Regnor C. Bernard, de
regrettée mémoire, votre confrère jérémien, dans le poème « Altitude »
pour vous dire, à chacun :
Cherche la donc enfin
la route du soleil.
Et grandis ta
souffrance à l’orgueil de ton rôle.
Nègre, l’horizon est
immense qui t’appelle et te sollicite.
Elève-toi,
élève-toi !
Et cueille toutes les
étoiles qui fleurissent le champ bleu de la nuit.
Max Dorismond
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