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Saturday, July 15, 2017

Nos trois poètes jérémiens et l’inaccessible étoile


Par Max Dorismond
Ils étaient les trois mousquetaires de la plume, une trilogie d’étoiles accrochées au frontispice de l’amphithéâtre littéraire qu’est Jérémie, la ville qui avait bercé leur enfance avec des hymnes à la beauté et la mélodie des choses. Quand, dans leur jeunesse, le noir linceul recouvrait le pays de deuils, ils avaient pris leur courage à deux mains pour braver l’hydre aux cent têtes.  Des rêves pleins le chapeau, Claude Pierre, Serge Legagneur, et Jean-Claude Fignolé  se voyaient déjà en rédempteurs des âmes et des consciences pour remettre cette île à l’endroit et contribuer à l’édification d’une société égalitaire. De déception en déception, leur existence ne fut que luttes et désespoirs. En empruntant aux mots leurs secrets et leur puissance, ils ont tout tenté pour annihiler les effets du poison de la méchanceté humaine, pour convaincre les paumés et les orienter vers un brin d’humanité. Des poèmes, des romans, des nouvelles, du théâtre…tout a été essayé pour pacifier les cœurs et renverser l’ordre des choses. Malheureusement, le pays a vogué de drames en drames pour se ramasser avec des pleurs et des cauchemars à damner les plus endurcis.

Voilà maintenant le trio sur le chemin du ciel. Avec un rictus au coin des lèvres, ils vont faire rapport au Bon Dieu, tout en sachant déjà que la récolte ne fut pas abondante. Ils ont tout donné, tout tenté, mais le destin l’a voulu autrement. Sous leurs yeux, s’est produit l’effacement systématique de familles entières, des amis, des copains. Ils ont été spectateurs involontaires de la descente aux enfers de la nation. Acteurs impuissants, témoins  de la déchéance collective, leur dialectique ne pouvait renverser l’ordre établi. La force du verbe ne pouvait rivaliser avec les armes de guerre, avec les insinuations malveillantes, les regards inquisiteurs, la haine débridée et la terreur innommable qui alimentaient le quotidien. Le peuple à genoux criait famine. La face de la misère était indescriptible.

Dans leurs œuvres, à tous les trois, on détecte une poésie aux accents prophétiques, une sorte d’érotisme mystique, une source inépuisable de consolation à pouvoir de rêves. Avec intelligence et sensibilité, ils s’adressent souvent aux fossoyeurs de pays sous couvert de poètes sans illusion de l’espoir.  Hélas ! Tout a filé comme le sable entre leurs doigts. Leurs vis-à-vis n’avaient aucun sens de la vie. Ils se foutaient de l’existence de leurs semblables. C’était des humanoïdes.

Les voilà aujourd’hui de l’autre côté du miroir. Ils sont partis, pour répéter Jacques Brel, « handicapés de leurs rêves non exaucés ». Claude, Serge et Jean-Claude, ne vous en faites point. Arriver au bout du voyage sans la satisfaction du devoir accompli est vraiment rageant. Ce fut une mission impossible. Partez sans nul souci. Le ciel est indulgent. Les desseins de Dieu sont impénétrables. Pour la première fois, nous allons vivre nos chagrins sans vous. Tel est notre destin.  La cité entière vous salue en choeur et  joint sa voix à celle de Regnor C. Bernard, de regrettée mémoire, votre confrère jérémien, dans le poème « Altitude » pour vous dire, à chacun :

Cherche la donc enfin la route du soleil.
Et grandis ta souffrance à l’orgueil de ton rôle.
Nègre, l’horizon est immense qui t’appelle et te sollicite.
Elève-toi, élève-toi !
Et cueille toutes les étoiles qui fleurissent le champ bleu de la nuit.

2016-10-27
Max Dorismond 
Note : En cliquant sur les mots colorés (hyperliens), vous aurez l'avantage de découvrir ou de lire la tragédie jérémienne ou en l'occurence le drame haïtien qui a été le cheval de bataille de ces trois combattants.


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