HCC- Une trilogie de lettres destinée à élever la réflexion de nos lecteurs à son plus haut niveau.
Au fil des rubriques de HCC, nous faisons de notre mieux pour gâter nos lecteurs avec des textes
fouillés, bien équilibrés et soigneusement illustrés.
HCC - Une érudition immense dans les domaines : « de la politique, de l'histoire, des religions, de la culture et des arts en général. »
Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte...
Dans l'arène politique canadienne, une nouvelle figure se distingue par son parcours singulier et sa profondeur d'engagement: Marjorie Michel. Elle incarne une nouvelle voix du Canada pluriel — enracinée dans la mémoire haïtienne, façonnée par l’expertise technocratique, guidée par une intelligence politique affûtée. Marjorie Michel, récemment élue députée de Papineau, entre en scène avec une trajectoire remarquable : brillante, ancrée, déterminée.
Fille de feu Smarck Michel, ancien Premier ministre haïtien dont le court mandat a laissé une empreinte durable, Marjorie n’a jamais compté sur le prestige d’un nom. Bien au contraire: c’est par la rigueur, le service public et une conscience aiguë des enjeux sociaux qu’elle a construit sa propre légitimité. Aujourd’hui, elle devient la nouvelle voix de Papineau, cette circonscription emblématique autrefois représentée par Justin Trudeau — un passage de flambeau hautement symbolique.
Formée en Belgique en psychologie sociale et organisationnelle, elle amorce son parcours au sein de la haute fonction publique canadienne, où elle développe une compréhension fine des politiques sociales. Sa vision et son professionnalisme la propulsent rapidement dans les sphères du pouvoir : cheffe de cabinet au ministère des Familles, cheffe de cabinet auprès de la présidence du Conseil du Trésor, puis, en 2021, cheffe adjointe de cabinet au bureau du Premier ministre — une première historique pour une femme noire au Canada.
Mais son regard ne s’est jamais limité, elle mène un combat discret mais tenace pour la reconnaissance, dans un contexte où chaque avancée est une victoire de principe et de dignité.
Son élection dans Papineau marque aujourd’hui un tournant. À la croisée des héritages et des expériences, Marjorie Michel incarne une rare synthèse : la précision administrative, la mémoire diasporique, et l’ambition d’une politique plus inclusive.
Dans un paysage politique en quête de sens et de renouveau, elle incarne une promesse rare — celle d’un leadership ancré dans l’humanité, la compétence, et une fidélité assumée à ses racines. Et si l’avenir du progressisme canadien s’écrivait désormais au féminin, avec des racines venues du Sud et une vision résolument tournée vers demain ?
Pour de plus amples informations, voir les vidéos ci-jointes en notes
Par Max Dorismond
En cette période cruciale
pour cette île des Caraïbes, on se perd en conjectures, ne sachant quoi penser,
ignorant quelle prière réciter pour rectifier la fatale et funeste trajectoire
qui conduit Haïti vers un triste sort.
La semaine écoulée, j’ai
eu l’occasion de lire quelques intéressantes lettres adressées au CPT (Conseil
Présidentiel de Transition), communément appelé «Ti Transit» par les
loustics. Ces documents, qui ne tournent pas autour du pot, ne réclament ni
plus ni moins que la démission de ce club tentaculaire après une année
d’existence sans l’ombre d’une résolution de paix pour le peuple.
Demande irréaliste, s’il
faut en tout et pour tout reconsidérer la tradition. Connaissez-vous, tout en
jetant un regard rétrospectif sur l’histoire de ce coin de terre, un chef d’État
qui avait déjà remis volontairement l’écharpe présidentielle pour incapacité ou
incompétence? Continuez de
rêver, frérot! Dans le passé,
aucun d’entre eux n’avait jamais exaucé les ambitions du diable. Allez voir
pour les neuf mongols d’aujourd’hui qui caressent en catimini et mutuellement le
fantasme d’un CPT à vie.
Les observateurs
critiquent ces privilégiés pour leur inaction, leur impuissance à désamorcer le
drame appréhendé dans un pays, ankylosé par l’insécurité. Quant à leur train de vie royal,
on rentre en plein dans la démesure : voyages internationaux farfelus,
salaires mirobolants, plans budgétaires fantasmagoriques, alors que toutes les
institutions étatiques sont en proie à la déconfiture.
Juste à titre d’exemple, le
Parlement est dysfonctionnel. Ne siège nul député, ni sénateur, mais un budget
faramineux1 a été alloué à ce
corps fantomatique. Trouvez l’erreur! Ce ne sont que des Ali
Baba en puissance. Même les singes refusent de croire que ces gens-là
descendent d’eux.
Dans la première semaine
d’avril, le Canada est entré en élection. Les candidats de l’opposition
reprochent à l’ancien gouvernement Trudeau ses dons somptuaires en aides
internationales. En un clin d’œil, sur la télévision, aux nouvelles de 18h, j’ai
vu défiler sur l’écran le nom d’Haïti qui aurait bénéficié de 172000000,00 $. C’est
à tomber des nues!
Et de là, à comprendre
l’incompréhensible, il n’y a qu’un pas. La vanne de Petro Caribe est bel et
bien fermée, c’est au tour des 9 larrons de ne laisser passer aucun penny.
Ils n’en ont cure de la détresse du peuple. Pourvu que leur besace soit remplie,
le temps du transit. S’il faut se fier aux documents mis en ligne par le RNDDH, chacun des membres du
CPT dispose2 mensuellement d’un
montant de 10 millions de gourdes ou 76923,08$ US. Une
rémunération plus élevée que celle des présidents américains. Tandis qu’en
Afrique de l’Ouest, au Burkina Faso, le jeune Ibrahim Traoré, «avek Ti
kòb kapitèn li ya», avec son petit salaire de capitaine, a
réalisé des merveilles pour son coin de terre en moins de deux ans de
gouvernance. Chez nous, tout le monde veut aller au ciel en passant par la
politique.
Nos 9 privilégiés ont
été à la bonne école, ce qui les porte à s’empiffrer davantage. On ne les
entend presque pas, en raison de leur bonne éducation (hic). On leur avait
appris à ne jamais parler la bouche pleine. En conséquence, la demande de
démission en poésie, titrée : «Lettre au CPT», résonne
comme de la musique classique à leurs oreilles. Ces radoteurs sourient dans
leur barbe, face à cette réclamation, à leurs yeux, impromptue et archaïque,
qui «fait vraiment
rire les oiseaux d’Haïti». Je ne serais nullement étonné, après la
lecture de ces missives, de les entendre fredonner en chœur la sécurisante ritournelle
martiniquaise : Ça fait rire les oiseaux/ ça fait danser les écureuils…
En un mot, il n’y a pas dix
solutions. Depuis plus de 200 ans, la corruption demeure un sport national,
et une minorité y a décroché le gros lot. Dans 99% des cas, des politiciens
désargentés s’accaparent du pouvoir, avec leurs amis et complices, font main-basse
sur la caisse et s’enfuient après leur mandat, vers un pays d’outre-mer, où ils
vont se la couler douce pour le restant de leurs jours. La Jamaïque, toute
proche, était autrefois leur terre de prédilection.
Nous ne sommes plus au
stade de la littérature. La situation réclame notre intervention pour nous
débarrasser de ce système rétrograde maintenu par nos voisins hyper puissants
depuis plus de deux siècles. Il faut passer en quatrième vitesse, transcender
l’émotion, s’extraire du conformisme. Trop de larmes versées, trop de victimes
innocentes. La comédie a trop duré. Quand nos droits sont bafoués, le recours
aux armes s’impose dans toute sa force et dans toute sa laideur. Agissez
pendant qu’il est encore temps, avant que la Dominicanie n’occupe Haïti!
Des nombreux amis, collègues
et connaissances que j’ai pratiqués ou côtoyés de près pendant les trois ou
quatre dernières décennies, Joe Jacques est sans conteste un de ceux qui m’ont
le plus marqué. Qui ont le plus influencé mon quotidien, allant enrichir jusqu’à ma manière de voir le monde.
D’abord, Joe m’a sensibilisé
à la réalité et aux défis auxquels les non-voyants sont confrontés à chaque
minute de leur existence. La seule phrase « Le monde est beau, dit-on,
tout est fait pour la vue », tirée de la très belle chanson Entre voir et
t’aimer, révèle en peu de mots le tragique dilemme des non-voyants et ce qui
pourrait être chez lui un motif permanent de frustration. Joe étant un stoïque
qui ne s’est jamais laissé abattre par les caprices d’un destin très peu tendre
à son endroit, il a cherché et trouvé dans la spiritualité les forces
nécessaires pour surmonter chacun des obstacles rencontrés sur sa route.
Ensuite, Joe m’a fait
découvrir, du dedans, le monde très
particulier du spectacle haïtien, avec ses moments forts et ses passages à
vide, ses beautés et ses laideurs, ses actes admirables de solidarité ainsi que
les coups-bas qu’on s’y donne entre confrères et entre vrais ou prétendus amis.
Il m’a également initié au clavier électronique, me donnant un passe-temps dans
lequel je me réfugie toutes les fois que la fatigue physique ou mentale
s’empare de moi après des heures d’intense labeur.
Enfin, Joe n’a jamais cessé
de m’impressionner par la profondeur de son jugement, l’originalité de ses
idées sur les sujets les plus variés et le côté tranchant de ses réparties. Cet
aspect de sa personnalité sera sans doute le plus durable des souvenirs que je
garderai de lui. Joe n’a pas seulement été pour moi un compagnon de route, un
ami intime ou un frère. En plus de tout cela, il a été pour moi un modèle, un
guide, un objet permanent d’admiration. Par son extraordinaire résilience, sa
combativité, l’étendue de son savoir, sa curiosité intellectuelle et sa
capacité d’adaptation à l’évolution technologique, il n’a jamais cessé de
m’inspirer et de me stimuler. Il a, par-dessus tout, contribué à modifier en
profondeur ma vision du monde et de la société dans laquelle nous vivons.
À ma question de savoir si,
au détour de la cinquantaine, il n’était pas trop tard pour que je m’initie à
la musique, Joe me répondit sans réfléchir une seule minute : « Absolument
pas, mon cher ami. Tu as fait des choses beaucoup plus difficiles que cela dans
la vie… Sans compter qu’il y a maintenant le piano électronique que je définis
comme « la musique mise à la portée des sous-doués, des béotiens comme on dit. Achète-toi
pour quelques centaines de dollars un Yamaha semi-professionnel usagé ou un bon
Casio et je t’apprends à jouer en un week-end. À ton retour chez toi à
Ottawa, tu pourras jouer dans ton auto tes propres enregistrements. J’ai tous
les appareils qu’il te faut pour cela dans mon studio. »
Chose dite fut faite. Je
m’achète un Yamaha d’occasion et nous passons ensemble, à Montréal, le premier
long week-end de l’été 1990. Au moment du retour chez moi à Ottawa, le lundi
midi, il me remet une cassette contenant, outre une chanson créole, mes premières
interprétations des grands succès internationaux qu’il m’a appris à jouer :
And I Love You So, de Perry Como, et Spanish Eyes, d’Engelbert Humperdinck.
Insistant pour que j’ajoute un boléro haïtien à mon répertoire de départ, il
m’avait fait jouer également Manman Nanotte, un des grands succès de Gérard
Dupervil. Pour dire toute la vérité, j’ajouterai seulement que, dans le but d’accélérer
cet apprentissage, j’avais fait quelques séances de travail avec mon cousin
Michel Fleury à Ottawa. Ce week-end d’initiation « pour sous-doués » avec
Joe restera gravé pour toujours dans ma mémoire…
Ce que la plupart des gens qui parlent de Joe Jack ou écrivent à son sujet ne savent pas, c’est qu’il était un éducateur-né et qu’il a commencé sa carrière professionnelle comme professeur d’anglais avant d’enseigner la musique avec un rare bonheur. Sa carrière de musicien professionnel est venue plusieurs années après.
Joe était également un leader
doté d’extraordinaires talents d’organisateur, en plus d’avoir un flair tenant
presque du génie. En fait foi son expérience de fondateur-maestro des groupes
de non-voyants Les Quatre Cloches, qui deviendront Les Sept Cloches à la fin
des années 1960. La découverte de l’accordéon électronique, qu’il appelait
« un piano à bretelles », déclenchera chez lui l’intuition géniale de
se transformer en homme-orchestre et de faire cavalier seul.
*****
Joe Jack
Je me suis lié d’amitié avec Joe par l’entremise
de mon Valère Cécil Philantrope à la fin des années 1980 et nous ne nous sommes jamais séparés depuis. Voyant que les
promoteurs abusaient souvent de son handicap, je lui fis part un jour
timidement l’idée de m’occuper de la gestion de ses contrats et il me nomma son
manager, sans la moindre réticence. Avec enthousiasme même. C’était l’époque où il entrait dans une nouvelle modernité en passant du
« piano à bretelles » au synthétiseur Technics KN 1000, qu’on voit
ici. Les recettes de notre première tournée servirent à l’achat du modèle haut
de gamme KN 7000, de micros unidirectionnels sans fil, d’une enregistreuse haut
de gamme et de divers autres accessoires. Ainsi commençait une nouvelle étape
de sa carrière qui allait durer plus de vingt ans.
En ma qualité
d’accompagnateur et de manager improvisé, j’ai vécu avec lui des moments de
joie intense, de bonheur indescriptible, ainsi que des aventures désopilantes.
Joe étant très porté vers l’autodérision, il n’a jamais cessé de me raconter
des anecdotes où il n’avait pas nécessairement le meilleur rôle : des
blagues sur les bègues, les aveugles les promoteurs qui ne respectaient pas leurs
engagements à son endroit. Témoin cette blague relative à une soirée qu’il
devait animer chez une connaissance, tandis qu’il devait jouer à un night-club.
Furieux d’apprendre que Joe se produisait ailleurs pendant que les invités
l’attendaient avec impatience, le bonhomme partit à sa rencontre avec, prétendument,
l’intention de le forcer à revenir avec lui. Jouant à fond la carte du cynisme,
Joe lui répondit tout simplement : « Se pa lakay ou mwen ye la a.
Eskizem monchè » (Tu veux me dire que là où je suis en train de jouer, ce n’est
pas chez toi ? Désolé, mon cher !). Joe m’a finalement expliqué que c’était un fait exprès et une revanche prise
à l’encontre d’un voyou qui avait au préalable abusé de sa confiance.
Joe a souvent raconté au micro également une
petite mésaventure qu’il a eue dans un des minibus de la route de Carrefour.
Cédant à ses réflexes de séducteur, il commence à baratiner et à assommer de
compliments une jeune dame assise à côté de lui, tandis que l’ami qui
l’accompagne ne cesse de le piétiner pour lui dire d’arrêter. C’est seulement à
leur arrivée à destination que l’ami lui expliquera que la belle dame en
question était une religieuse en uniforme… Cela l’amusa au plus haut point.
*******
Un souvenir inoubliable
À l’approche du dimanche de
Pâques 1991,j’accompagne Joe à New York
pour une tournée de trois jours organisée par Jéroboam Raphaël, le président-fondateur
de la firme Geronimo Records. Le moment fort du programme d’activités de cette
organisation est le traditionnel concert du dimanche de Pâques donné à l’auditorium du Brooklyn City College
et qui affiche « COMPLET » chaque année. Joeest le troisième nom inscrit au programme
de cette année, et le promoteur n’a ménagé aucun effort pour lui redonner la place
qui lui revient sur la scène musicale haïtienne.
Ti Pwofesè lekòl
Une demi-heure avant l’heure prévuepour le lever du rideau, la salle est déjà pleine à craquer, et le public commence à s’impatienter, réclamant bruyamment le premier groupe inscrit au programme, Lakol. Les musiciens sont sur les lieux, mais ils ne sont pas en mesure de commencer, car ils arrivent de Boston où ils ont seulement pris le petit-jeuner. Le promoteur invite alors Dieudonné Larose, le deuxième artiste de la liste, à combler le vide. Larose refuse, affirmant qu’il ne va pas « chauffer » la salle pour les autres musiciens. En désespoir de cause, Jéroboam m’appelle et me demande, avec beaucoup de tact, si je ne pourrais pas convaincre Joe d’ouvrir le spectacle.
Ayant pleinement confiance
dans la force de frappe de mon ami, je l’encourage à foncer, lui disant que
c’est sa chance de reprendre sa place au Palmarès après une éclipse qui n’a que
trop duré. Il comprend vite les enjeux et accepte. En gravissant les marches du
podium, je lui demande s’il conserve l’agencement préparé en prévision de la
troisième place figurant au programme ou s’il commence par une autre chanson.
Il me répond calmement qu’il ne sait pas encore : « Je dois
d’abord prendre le pouls de l’assistance, me dit-il, en humant l’air ambiant.
Je déciderai ensuite. »
Par les bruits et les
vibrations qui viennent de la salle et par les commentaires qui fusent de
partout, Joe détermine le profil et les attentes de l’auditoire. Après un court
mot de remerciement prononcé pendant lequel il exécute quelques arpèges, il met
son clavier en mode démarrage synchronisé (« Syncro Start ») et
commence à fredonner sans accompagnement musical le premier couplet du
tube qu’il vient de choisir :
« Mignone enfant vieille à huit ans
Quelle douleur glisse du cœur
Dans tesromances où la souffrance verse des pleurs
Tu cours les rues dans tes guenilles
Sans nul soutien et sans famille
Et dans le soir, pleine d’espoirs, ta voix
s’écrie … »
Perspicace et seul maître du jeu,
Joe fait alors une pause bien calculée, puis il plaque le premier accord qui
met le système en route. Pendant que la salle résonne des milliers de décibels
qui traversent l’atmosphère, la foule, déjà chauffée à blanc par la vue de son
artiste retrouvé, entonne d’une seule voix avec lui : « Men kafe
griye. »
\Le pari est gagné. Unimmense frisson traverse l’auditorium, tandis
que les gens se lèvent spontanément pour applaudir à l’unisson « le retour
de l’enfant prodigue ». Dans ma longue expérience d’amateur de spectacles
de ce genre, je n’avais jamais rien vu de tel : un public accordant une
ovation debout à un artiste avant qu’il ait joué une seule note. C‘était, pour
moidu moins, un fait sans précédent
dans les annales du spectacle, une véritable première… Et je n’en ai jamais vu
d’autres, non plus, par la suite.
Au milieu du tonnerre
d’applaudissements qui semble s’éterniser, Joe enchaine en plaquant un accord qui
réactive la synchronisation. La salle retentit alors de mille vivats et le
succès est total. Pendant que l’enchantement se poursuit, Joe entame le second
couplet :
Seule tu passes trainant
Hélas et sa douleur
Ta voix plaintive qui se lamente et qui se meurt
Et tu reviens dans la nuit noire
Sans nul soutien que tes déboires
En toussotant contre le ventet gémissant
Men kafe grye
Les centaines de spectateurs entassés
dans cet immense auditorium super équipé en matériel acoustique se trouvent ainsi plongés, sans transition ni
préparation, dans une euphorie collective indescriptible. Sans doute que la
plupart d’entre eux connaissaient déjà la chanson, mais ils sont cette fois
interpelés par le sujet et ils sympathisent avec cette gamine, sans doute une restavèk,
qui court les rues en guenilles dès le lever du jour pour vendre du café grillé.
Au plus fort de cette euphorie
collective, une jeune dame totalement inconnue se précipite vers
l’estrade,s’improvise directrice de
chorale et fait chanter la foule. Avec son flair habituel, Joe s’ajuste
immédiatement à cette situation complètement imprévue et rejoue en boucle une
partie de la chanson pendant que le public se laisse aller à l’improvisation…
C’était la première et la seule fois de ma vie que je voyais un spectacle
commencer par une ovation debout et dans un tel brouhaha.
La chanson terminée, le
public réclame une reprise et la jeune dame saute cette fois sur l’estrade pour
prendre véritablement les choses en main. Craignant de perdre le contrôle de la
situation, trois gardes de sécurité s’interposent pour l’en empêcher. Elle les
engueule vertement, leur disant que ce sont eux, les Américains, qui ont
l’habitude de tuer leurs vedettes : « Nous autres Haïtiens, nous ne
tuons pas nos vedettes. Nous les embrassons. » Là, elle se rue vers Joe,
le couvre de baisers sous les applaudissements nourris de la foule et de Joe
lui-même.
L’incident terminé, Joe
reprend son tour de chant qui se soldera par des tonnerres d’applaudissements
et de nombreuses invitations. Dès lors, j’avais entre mes mains un carnet de
commandes bien garni, avec des propositions pour Miami, Orlando, Boston,
Chicago et de nouveau New York.
Nous avons par la suite connu
d’autres moments d’euphorie, mais celui-ci était unique. C’est d’ailleurs pour
cette raison qu’en pensant à Michèle et à Andrée-Anne, à Mercédès, à Sabine, à Patsy,
aux enfants et petits-enfants de Joe, j’ai tenu à intégrer à cet hommage le
souvenir de ce couronnement de notre homme-orchestre à New York.
Mon très cher Joe, si la
Nature ne t’a pas toujours comblé de ses bienfaits, elle t’a donné les immenses
ressources spirituelles et autres qui t’ont permis de toujours survivre dans
l’adversité. Et surtout de t’épanouir dans ce monde où, comme tu le dis si
bien, « tout est fait pour la vue ».
Le cardinal Pietro Parolin se tient debout devant le cercueil du pape
Par Hervé Gilbert
Samedi 26 avril 2025, la basilique Saint-Pierre de Rome a été le
théâtre d’un événement d’ampleur mondiale : les obsèques du pape François. Plus
de 200 000 fidèles, 130 délégations officielles et 80 chefs d’État et de
gouvernement se sont réunis pour saluer la mémoire d’un pontife qui, durant
plus d’une décennie, a marqué l’histoire contemporaine par son plaidoyer en
faveur de la justice sociale, du dialogue interreligieux et de la dignité
humaine.
À travers cette cérémonie empreinte de solennité, l’Église
catholique a démontré, une fois de plus, sa capacité unique à rassembler
au-delà des frontières politiques, culturelles et confessionnelles. Symbole
vivant d’une tradition millénaire, elle s’est affirmée comme un pilier
incontournable de la civilisation occidentale, tout en portant la voix des
peuples du Sud.
Les figures majeures de notre époque étaient présentes
Sous les voûtes séculaires de la basilique Saint-Pierre, le monde
entier retenait son souffle pour l’ultime adieu rendu à François. Dans
cette solennité vibrante d’émotion, défilaient les figures majeures de notre
époque : le président des États-Unis, la chancelière allemande, le président
français, le roi d’Espagne, l'ancien président Joe Biden, ainsi que de nombreux
représentants venus d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie, porteurs de
l’hommage universel.
Cependant, l'absence, lourde de sens, de Vladimir Poutine, du
président chinois, du dirigeant nord-coréen et du Premier ministre israélien
rappelait, en filigrane, les fractures géopolitiques d’un monde en quête
d’équilibre, même en ses instants de recueillement.
Parmi la foule compacte, une silhouette attira tout
particulièrement les regards : celle de Volodymyr Zelensky. Ovationné à son
arrivée, le président ukrainien, visage fermé, portait en lui la détresse
silencieuse de son peuple meurtri. À travers sa présence, c’était toute la
tragédie d’une guerre toujours en cours qui s'invite, pudique mais poignante,
au cœur d'une messe pour la paix.
Un bref échange entre Zelensky et Trump
Et lorsque les caméras capturèrent cet instant suspendu — un bref
échange entre Zelensky et le président Donald Trump —, la mosaïque
d’écrans du monde entier fit ressurgir les échos d’un passé orageux. Mais dans
la lumière tamisée de Saint-Pierre, cet aparté furtif semblait effacer,
l’espace d’un souffle, l’âpreté des divisions.
Ainsi, au pied de l’autel où reposait François, le combat
pour la paix, l’unité et la dignité humaine trouvait une résonance poignante. À
travers le deuil du monde, c’est aussi une fragile espérance qui levait la
tête, témoin discret mais tenace d’une humanité aspirant à des jours meilleurs.
Le cercueil du pape quittant la Basilique Saint-Pierre
Les funérailles du pape François n'ont pas
seulement été un moment de recueillement religieux : elles ont incarné un rare
instant d’unité mondiale, où les clivages habituels semblaient suspendus au
profit d'une mémoire collective partagée. Premier pontife issu du continent
américain, François avait su, tout au long de son pontificat, replacer les
périphéries au cœur du message catholique, prônant une Église "pauvre pour
les pauvres", ouverte au monde et attentive aux défis de son temps, de
l’écologie intégrale aux migrations humaines.
Cardinal Giovanni Battista
La liturgie, à la fois simple et solennelle, fut ponctuée de
lectures en plusieurs langues, illustrant la diversité de l’Église universelle.
Dans son homélie, le cardinal Giovanni Battista Re, doyen du Collège des
cardinaux , a rendu hommage au pontife défunt en évoquant sa dernière
bénédiction « Urbi et Orbi », soulignant qu'il fût un homme de paix, un artisan d’espérance et un
bâtisseur de ponts entre les peuples. Sous un ciel printanier, la foule massée
sur la place Saint-Pierre pria et chanta dans une émotion partagée, marquant la
fin d’une époque et l’entrée dans une nouvelle ère pour l’Église.
Au-delà du religieux, ces funérailles rappelèrent la centralité
persistante du Vatican dans l’imaginaire mondial : un lieu où, face aux
tumultes de l’histoire, palpite encore le cœur fragile mais indomptable du
destin spirituel de l’humanité.
Pape François est parti: Rome entre deuil et décision
Par Hervé Gilbert
C'est une scène immuable, presque sacrée, qui traverse les siècles: un ciel romain scruté par des milliers de regards, une cheminée d’où s’élève
une fumée. Noire ou blanche. Espoir ou attente. Mort ou renaissance.
Pape François
À chaque vacance du siège apostolique, le monde retient son
souffle. Au cœur du Vatican, entre pierres millénaires et traditions
séculaires, se déroule un rituel codifié, empreint d’une intensité spirituelle
unique: le conclave.
Mais avant que la blancheur ne scelle le nom d’un nouveau pape, la
fumée noire règne. Elle charrie l’écho du doute, des négociations, des prières.
Voile discret, elle dissimule les débats d’une Église enfermée dans le silence
de la chapelle Sixtine, en quête de son avenir.
Ce documentaire propose une plongée dans l’histoire méconnue de ce
signal sombre, à la fois signe d’attente et miroir des époques. De l’obscurité
du Moyen Âge aux remous du XXe siècle, les traditions du Vatican ont évolué, se
sont transformées, parfois au prix de controverses.
À travers les images, les récits et les symboles, redécouvrons
ensemble ce que la fumée noire a toujours su dire… sans jamais parler.
Nul ne peut changer le cours de l’Histoire. À l’annonce du décès
du pape François, tous les regards se tournent de nouveau vers le Vatican,
redevenu pour quelques jours le centre de toutes les attentions. C’est là,
entre silence et recueillement, que la célèbre cheminée de la chapelle Sixtine
diffusera la fumée révélatrice : noire pour l’attente, blanche pour l’élu.
Défunt François repose dans son cercueil
Jorge Mario Bergoglio, devenu pape François en 2013, fut le
premier pontife issu du continent américain et le premier jésuite à accéder au
trône de Pierre. Né à Buenos Aires en 1936, fils d’un cheminot d’origine
italienne, il s’est imposé par son humilité, sa simplicité de vie et sa parole
directe, souvent dérangeante pour les cercles traditionnels de l’Église. Marqué
par les réalités sociales de l’Amérique latine, il fit de son pontificat un
combat pour les pauvres, les migrants, la justice climatique et la réforme
ecclésiale. Sa mort, au-delà du deuil, ouvre un nouveau chapitre dans
l’histoire de l’Église : celui de la succession, dans un monde profondément
bouleversé. Dans la basilique Saint-Pierre, baignée d'une lumière pâle, le corps du pape François repose dans son cercueil, revêtu des ornement liturgiques, les mains sur un crucifix. Le silence de Rome pèse lourd, seulement troublé par les prières discrètes des fidèles venus lui rendre un dernier hommage. Étendu dans son dernier lit, il semble déjà tourné vers l'éternité, offrant à l'histoire l'image d'un pontife demeuré humble jusqu'au seuil de la mort.
La dernière heure du pape François
À travers ce documentaire, nous vous invitons à
redécouvrir le Vatican sous le prisme de la fumée noire — symbole
d’incertitude et d’attente — telle qu’elle a marqué les siècles précédents. Un
voyage au cœur des rites anciens, bien différents des images modernes
auxquelles nous sommes désormais habitués.
Vue de la Basilique Saint-Pierre
Chapitre I – Le théâtre du silence
Le Vatican. Moins d’un demi-kilomètre carré, mais un empire de signes
et de silences. Au lendemain de la mort d’un pape, ses murs retiennent leur
souffle. L’agitation du monde s’arrête à ses portes. Le protocole s’enclenche :
la chambre papale est scellée, l’anneau du pêcheur brisé, et les cloches
sonnent en deuil.
Mais derrière les cérémonies, un autre théâtre se prépare — celui
de la succession. Depuis des siècles, les murs de la chapelle Sixtine enferment
une scène invisible où s’écrit le futur spirituel de l’Église. Là commence le
règne du silence et de la fumée.
Dans ce micro-État bardé de mystère, chaque geste est symbole,
chaque silence, un message. Les cardinaux arrivent de tous les continents,
porteurs de langues, d’expériences, de sensibilités différentes. Et pourtant,
une seule tâche les unit : discerner la voix de l’Esprit. Le monde extérieur ne
pénètre plus ces murs. Seul un petit conduit de pierre reliera encore le
Vatican au reste de l’humanité : celui d’où montera la fumée.
Chapitre II – La fumée noire : un symbole
d’attente
La fumée noire
La fumée noire… elle s’élève sans dire un mot, mais tout le monde
comprend. Elle annonce que l’heure n’est pas encore venue. Que l’Esprit Saint
n’a pas encore soufflé son nom.
Depuis le XIIIe siècle, les papes sont choisis à huis clos. Le
conclave — du latin cum clave, « à clé » — est une pratique née de
l’urgence, lorsque les décisions se faisaient attendre. Mais c’est au XXe
siècle que cette fumée est devenue un langage universel. Noire : il faut
patienter. Blanche : habemus papam.
La fumée blanche s'échappant de la chapelle Sixtine en 2013 annonçait l'élection du pape François
Pendant longtemps, le signal fut artisanal, parfois maladroit. On
ajoutait du goudron, du foin humide, des substances diverses pour noircir la
fumée. Les fidèles, eux, levaient les yeux vers le ciel, entre espoir et
interprétation. Aujourd’hui, des composés chimiques garantissent la clarté du
message. Et pourtant, la symbolique reste intacte : dans le secret des
scrutins, l’humanité cherche à entendre Dieu.
Ce nuage sombre, éphémère et solennel, devient alors le souffle
d’un monde suspendu. Il ne révèle rien, mais dit tout.
Chapitre III – Les conclaves d’hier : pouvoir,
intrigues et révélations
Des cardinaux à la Basilique Saint-Pierre (2022)
Si le conclave est aujourd’hui un rituel sobre, il fut autrefois
le théâtre d’intrigues, d’influences politiques et d’alliances inattendues.
L’histoire des papes est aussi celle des puissances terrestres.
Certains conclaves ont duré des mois, voire des années. Celui de
1268 à Viterbe mit trois ans à désigner un successeur. Le peuple, excédé,
enferma les cardinaux, réduisit leurs rations alimentaires et fit démonter le
toit du palais pour hâter leur décision.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les grandes monarchies européennes —
France, Espagne, Autriche — imposaient leur veto sur certains candidats.
L’Esprit Saint devait parfois composer avec les jeux des cours royales.
Et pourtant, malgré les tensions, c’est dans ces
instants suspendus que l’Église s’est choisi un visage. La fumée noire, dans ce contexte, n’était pas tant un signe
divin qu’un symptôme humain : celui des compromis, des doutes, des calculs… et
parfois des trahisons.
Chapitre IV – Du secret à la transparence : le
Vatican à l’épreuve du siècle
Aujourd’hui, le Vatican ne peut plus vivre en vase clos. La
pression médiatique, l’attente des fidèles, le poids des scandales ont
transformé le regard porté sur le conclave. Le secret demeure, mais il est
scruté. Le silence persiste, mais il résonne au-dehors.
Les papes modernes, de Jean-Paul II à François, ont été élus sous
l’œil du monde entier. Une foule immense, place Saint-Pierre. Des millions de
téléspectateurs. Des réseaux sociaux en alerte. Jamais l’attente n’a été aussi
collective, ni aussi impatiente.
Le pontificat de François, avec ses appels à la réforme, à la
justice sociale, à une Église « pauvre pour les pauvres », a creusé des
fractures tout en suscitant de vastes espérances. Sa disparition pose une
question essentielle : quelle Église pour demain ?
La fumée noire n’est plus seulement un signe d’attente : elle est
devenue une épreuve. Celle d’une institution millénaire confrontée à un siècle
où la foi, la vérité et la transparence ne peuvent plus se dissocier.
Conclusion – Le souffle des siècles
Elle s’élève une dernière fois, la fumée noire. Fugace,
silencieuse, elle emporte avec elle les doutes, les prières, l’attente.
Puis vient le silence… avant la lumière.
Dans cette parenthèse suspendue, l’Église cherche son souffle. Entre héritage et renouveau, entre rites
anciens et appels du présent, le conclave s’achève — la mission commence.
La fumée noire disparaît. Mais son message demeure : le chemin vers la clarté passe toujours
par l’ombre.
La cheminée de la chapelle Sixtine, immobile sous un ciel romain,
puis fondu au noir.
« La foi, c’est marcher dans l’obscurité, une main tendue vers la
lumière. » — Cardinal John Henry Newman
Cette disparition me
tombe sur le crâne comme un violent coup de poing: une atteinte vitale.
L’esprit engourdi, secoué de toutes mes fibres, dévasté. Je n’ai jamais pu
anticiper l’inévitable. Comment imaginer Jean Claude Samedy hors de la vie et
de toute vie?
Physiquement quelque
chose est aspiré hors de moi, quelque chose a volé en éclats. Des pensées, des
émotions, des affects, des souvenirs se succèdent inlassablement en moi. D’un
coup, la vie m'a l’air fragile et précaire; je prends conscience que nous sommes
jetés sur terre pour un temps et des raisons inconnues. Je revois la vie
dans sa finitude, sa mortalité. Suis-je normal ou suis-je dépressif ? Je
m’entends réciter ce poème de Kipling“Si” qu’il m’a fait
apprendre dans l’adolescence comme un
véritable bréviaire de force intérieure. Ce n’est pas seulement le
souvenir, c’est sa présence qui continue de vivre intensément en moi
Le chef
de file
Dans les années 50,
le scoutisme était pour la jeunesse de Jérémie une admirable école de formation
virile et rayonnante qui correspondait aux aspirations et aux besoins de
nombreux jeunes. On dirait une sorte de service militaire, une armée organisée,
encadrée, disciplinée. Des personnalités brillantes, de belles sources
d’inspiration Bido, Cazo, Maxime Antoine, Robert Samedi guidaient le scoutisme.
Au milieu de la
décennie, Jean Claude Samedy vint. Il a en charge la troupe. De valeurs
morales, éthiques, altruistes élevées, il est animé de rêves
grandioses. Ce jeune C.T s’élance en vainqueur à la conquête de nouvelles
tâches, de nouvelles responsabilités. Sa présence constitue un appui, une
force. Il est capable de faire travailler les scouts en commun, d’utiliser les
capacités de chacun, de donner à tous le sens de leur responsabilité. Il
inspire le respect, il est respectable et respecté. Lorsqu’il parle, les autres
écoutent, il a les mots parfaitement adaptés au bon moment.
L’aumônier à l’époque
était le père Rio, autoritaire, tant soit peu dominant, cassant, avec des accès
de colère. L’autorité supérieure. Oui, le commandant ! Il érige les lois et les
règlements et les fait respecter, une des prérogatives essentielles du commandement.
Jean Claude Samedy avec cette prestance, cette présence, cette façon de parler
éclipse le père Rio. Il n’a pas besoin de réclamer le silence comme le fait
l’aumônier. Le silence se fait tout naturellement lorsqu’il parle. Aucun des
scouts n’échappe à cette impression de force qui émane de cet homme.
Jean Claude ne se
contente pas d’être le chef qui transforme le scoutisme, il est comme un
éducateur qui développe vis-à-vis des co-équipiers une disposition
bienveillante. Cet homme qui vit de livres et d’idées est un symbole de
l’esprit chevaleresque dans ses meilleurs aspects. L’initiative et la
responsabilité, le sentiment d’être utile sont des besoins vitaux qu’il veut
inculquer. Son message est centré sur l’être individuel et sa croissance. Il
intéresse les scouts à tous les domaines du savoir et met très haut les joies
de l’esprit. Chaque scout possède un immense potentiel, la réalisation de ce
potentiel doit être désormais le but. La vie peut-être parfois difficile,
douloureuse, injuste. Il veut que le scout se prépare à traverser des caps
difficiles. Tituber, tomber, se relever et réapprendre à marcher fut son
leitmotiv.
Toutefois ce sérieux,
cette rigueur, cette image d’ascète abstinent ne plaisait pas à tous. Le droit
au plaisir et au désir est moins admis chez lui. Il prône une forme de contrôle
des pulsions, la chasteté en pensée et en action. Il ne s’intéresse pas aux
seins et aux fesses des jolies filles comme c’était habituel chez les garçons
de son âge.
La force de l’amitié
Jean Claude Samedy
était connu comme un homme capable d’actes étonnants. Des jeunes s’assemblent
autour de lui et le suivent. Son succès indéniable. J’avais environ 10 ans
quand j’ai eu la chance insigne, le privilège de le rencontrer.
L’émerveillement fut immédiat, un immense échange d’amour vrai s’est établi
entre nous. Une amitié dure et magnifique s’installe chez nous, ininterrompue,
comme un vrai partage entre deux êtres de ce qu’ils sont et de ce qu’ils
aiment. On passe cinq, dix ans sans se voir, mais dès qu’on se retrouve
la flamme de l’amitié se rallume instantanée. Une amitié sélective,
gratuite.
Jean Claude savait
que je n’avais pas d’attirance particulière pour les maths et qu’à finir les
études secondaires à Jérémie je risquerais d’échouer au baccalauréat. Un jour
il m’a fait venir derrière sa maison au bord de mer pour me demander de
considérer la section A à Port-au-Prince. Le grec n’était plus enseigné à
Jérémie. Il s’est engagé à me donner des leçons de grec pendant son année
sabbatique après la philo pour me faire sauter l’équivalent de 3 années de
grec. Chose dite, chose faite.
À l’examen
d’admission en seconde au lycée Pétion, le professeur de grec Raoul Fréderic,
étonné des résultats, voulait savoir d’où j’ai appris le grec. Je lui ai dit
que c’était l’ouvrage de Jean Claude Samedy. Il a vite fait de communiquer avec
le père, inspecteur scolaire à Jérémie pour lui présenter ses compliments.
Autrement dit, Jean Claude apprenait ma réussite avant que je ne le lui aie
dit.
Parti pour
l’Argentine après l’année passée à Jérémie, la correspondance entre nous se
maintient active, vivante. À la fin de mes études secondaires, je suis admis
aux Hautes Études Internationales. Jean Claude n’a pas cessé ses lettres vives,
adaptées, persuasives, signées “kabrit nan mòn” à “chatte nan lèt” nos totems
scouts. Il voulait me persuader de considérer d’abord un métier, une profession
me permettant de vivre librement sans dépendre d’un chèque de l’État haïtien.
Avoir le souci du bien-être, du bonheur, de l’avenir d’un ami est aussi
important pour lui. Combien d’autres cas concrets, des expériences, des
fragments de réalité de ma vie le captivent et le préoccupent !
Premier Haïtien en
médecine à Cordoba, il a été pour les étudiants après lui un compagnon, un
partenaire d’une constante bienveillance.
Une délégation
officielle arrive à Buenos Aires avec le président d’Haïti René Préval. On
cherche une figure haïtienne, rassurante et crédible et perçue comme telle. On
fait appel à Jean Claude à mille cinq cents kilomètres de la capitale. Le
lendemain il était déjà sur la route, en vieux routier de toujours, avec la
même vocation de chevalier, la vraie vocation de croisé. Ses interventions ont
eu un tel impact que son aura s’est immédiatement répandue.
Souvent Jean Claude
passe ses vacances chez moi tantôt à Montréal tantôt en Floride. Un voisin de
Miami nous observant discuter à longueur du jour et de la nuit, fasciné par
cette relation humaine, chaleureuse, différente, est venu nous demander bien
poliment si on était “2 straight”. C’est qu’il avait de la difficulté à nous
suivre, il nous voyait comme un bloc radicalement étrange et ferme et
mystérieux.
Héritage de Jean
Claude Samedy
Cet homme remarquable
a eu plusieurs épisodes dans sa vie. De Haïti à Cordoba puis Catamarca,
Tinogasta en Argentine, c’est un chemin long, sinueux. Il a certes connu les
tribulations de la vie avec ses hasards, ses embûches et ses pièges. Les gens
peuvent le voir différemment et avoir sur lui des approximations et des
interprétations inévitables. Jeanco Parisien, écrivain et poète jérémien ,
l’ami fidèle de Jean Claude, assis avec moi sur un banc dans le Vieux-Québec,
on contemple ensemble l’étendue du Saint-Laurent, la danse des vagues qui se
préparent, montent, s’accroissent et se brisent. On se reconnecte aux autres,
on se projette dans le passé. On revoit Jérémie, nos promenades à Lapointe, ce
havre de quiétude, apaisant et revitalisant au cœur de son environnement
matériel. C’est alors qu’il me fait part de son intention d’écrire un livre sur
Jean Claude Samedy. Non pour exalter l’homme, mais pour exposer à la jeunesse
ce garçon de quinze ans, déjà formateur en développement personnel, le coach
qui insuffle l’espoir, communique la flamme. Il est le dernier C.T de Jérémie,
de toute la Grand’Anse. Après lui, le scoutisme s’est évanoui, éteint. Il doute
qu’ailleurs en Haïti on trouve un autre échantillon de cette humanité. Il est
difficile de trouver dans la jeunesse d’aujourd’hui des jeunes qui rêvent et
font partager aux autres l’idéal dont ils vivent. Ce livre est une
nécessité. Il a la conviction d’avoir à transmettre sa mémoire et son
message. Nul ne peut le faire à sa place. À ceux qui pensent que Jean Claude
d’âge mûr n’est certes pas celui de l’adolescence, il répond qu’il est
illusoire de penser que notre force physique, notre énergie intérieure restent
identiques tout au long de la vie.
Six mois plus tard,
ce fut un coup de téléphone de Jeanco m’annonçant un cancer au poumon dépisté
chez lui et sa mort dans six mois. Ce livre, certes, n’est pas écrit. Jeanco
nous a fait ses adieux. Pour lui Jean Claude Samedy se résume surtout à ces années
d’adolescence qui transmettent une sagesse de vie par la force de l’exemple. Il
a changé certes, il a mûri, mais l’essentiel demeure intact. C’est la même
matrice, le même chromosome, la même unité de foi : un homme qui se passionne
pour une affaire qui n’est pas son affaire.
Jean Claude Samedy,
70 ans d’amitié non interrompue. Cette amitié contient une vérité et une beauté
absolues. Une réussite humaine incontestable, un trésor impalpable. Il y a dans
cette amitié quelque chose d’indestructible, de divin que même la mort ne peut
détruire.