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Haïti-France : Une rançon pour prix de la liberté |
Par Hervé Gilbert
Deux siècles après l’indépendance d’Haïti, la France semble prête à revisiter un pan sombre de son héritage colonial : la fameuse « rançon de l’indépendance ». Une injustice fondatrice que Paris commence enfin à nommer. Mais que peut réellement signifier ce réveil mémoriel dans un contexte de crise permanente pour Haïti ?
Un tournant historique en gestation
Le 17 avril 2025, à l’occasion du bicentenaire de l’ordonnance de 1825, le président Emmanuel Macron a annoncé la création d’une commission conjointe franco-haïtienne pour « faire la lumière sur la force injuste de l’Histoire ». Une formulation mesurée, mais lourde de sens, qui fait écho à ce que de nombreux historiens et militants dénoncent depuis des décennies : l’imposition par la France, en 1825, d’une dette colossale à Haïti, jeune nation née de la première révolte d’esclaves victorieuse.
Une rançon pour prix de la liberté
Sous la menace d’une flotte militaire, le gouvernement haïtien Jean-Pierre Boyer, avait été contraint d’accepter de verser 150 millions de francs-or à la France — somme ensuite ramenée à 90 millions — en échange de la reconnaissance de son indépendance. Officiellement, cette indemnité visait à compenser les anciens colons pour la perte de leurs terres et… de leurs esclaves. Concrètement, ce fardeau économique a plongé Haïti dans un cycle de pauvreté et de dépendance dont il ne s’est jamais relevé. Les remboursements, étalés sur plus d’un siècle, ont asséché les ressources publiques jusqu’en 1952.
Une commission… et après ?
La nouvelle commission, composée d’historiens, d’intellectuels et de représentants de la société civile des deux pays, aura pour mission de documenter les faits, évaluer les impacts et proposer d’éventuelles mesures de réparation. Des organisations telles que la Caricom et des collectifs haïtiens réclament déjà des réparations à hauteur de dizaines de milliards de dollars, estimant que cette dette odieuse a privé Haïti de tout développement autonome.
Mais cette reconnaissance symbolique suffira-t-elle à ouvrir la voie à une vraie justice réparatrice ? Et surtout, que peut-on attendre de la France dans un monde où les demandes de réparation post-coloniale se heurtent souvent à l’inertie des États ?
Un aveu tardif, une espérance fragile
Alors que les mots commencent enfin à nommer l’injustice, les Haïtiens — et une partie du monde — attendent des actes. La rançon de l’indépendance n’est pas qu’un épisode du passé : elle est le socle d’un déséquilibre toujours vivant. La France est-elle prête à en assumer les conséquences ? Haïti est-elle en état d’en réclamer les fruits ? Une page pourrait s’ouvrir, mais pour l’instant, elle ne fait que frémir.
Déclaration d'une haïtienne d'orgine face à la déclaration du président Macron
« Une page pourrait s’ouvrir, pour l’instant elle ne fait que frémir ». En effet, c’est la réalité. Il ne faut pas sauter trop vite à la conclusion. Macron ne fait qu’ébaucher l’idée. C’est une intention pour gagner du temps. D’ailleurs, il ne parle pas de remboursement. Il pense simplement jeter un regard sur la problématique. Toutefois, nous devons rappeler à sa mémoire qu’il existe trois types de sommes à rembourser: 1- la rançon, 2- les intérêts prêtés qu’on appelle « la double dette ». 3- les indemnités, c’est-à-dire, les salaires non versés aux esclaves.
ReplyDeleteEt si la France décidait de rembourser la dette de l’indépendance : à qui, en Haïti, remettrait-elle cet argent ? La question, en apparence théorique, soulève un problème de fond : l'absence d'un pouvoir légitime et crédible à qui confier une telle réparation historique. Peut-on sérieusement envisager une négociation avec les neuf rapaces du Conseil présidentiel de transition — désignés dans l’opacité, sans mandat populaire, et largement perçus comme une coalition d’intérêts claniques ? Dans l’opinion, leur légitimité vacille, et nombreux sont ceux qui les décrivent comme une version haïtienne des « quarante voleurs », s’étant emparés du pouvoir dans un vide institutionnel prolongé.
ReplyDeleteL’absence de gouvernance fiable en Haïti n’est pas nouvelle. Elle explique en partie pourquoi une portion des avoirs détournés sous la dictature de Jean-Claude Duvalier — plusieurs millions de dollars — reste gelée en Suisse, faute d’un État haïtien capable de justifier juridiquement leur restitution. Ce précédent illustre le paradoxe : comment réclamer justice pour les crimes financiers du passé quand les gestionnaires du présent sont eux-mêmes discrédités ?
Plus près de nous, le scandale PetroCaribe reste un dossier emblématique. Sous les gouvernements de Michel Martelly et de ses proches alliés, près de 3,1 milliards de dollars issus de ce fonds vénézuélien, censé financer des projets de développement, se sont volatilisés. Malgré les audits accablants et les mobilisations citoyennes massives de 2018 et 2019, aucune poursuite sérieuse n’a été engagée. L’impunité, comme un mal structurel, empêche toute tentative de réparation ou de reconstruction nationale