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Friday, July 1, 2016

Quand la Chine interpelle l’Haïtien en moi

Par Max Dorismond mx20005@yahoo.ca
Max Dorismond
Fuyant la monotonie des voyages dans le sud de l'Amérique et les incertitudes de l’Europe, plusieurs camarades de la diaspora se tournent vers l’Asie pour découvrir du pays. C’est ainsi, qu’avec quelques amis, au mois de mai 2016, sur les traces de  Marco Polo, nous avons foulé la terre de Chine pour la première fois.

En effet, avec tout ce que nous avons lu et vu sur ce pays lointain, son histoire millénaire, sa culture différente de l'occident, sa politique austère, son communisme dilué, son économie florissante, son ouverture sur le monde, sa jonglerie avec le capitalisme,  sa peuplade immense et son éveil qui corrobore les prédictions d’Alain Peyrefitte (Quand la Chine se réveillera… le monde tremblera. (Fayard, 1973) etc… Nous étions prêts.
            
Vue en perspective du gigantesque barrage hydroélec-
trique des Trois-Gorges ayant une retenue de 600 KM.
Toutefois, nous restions sur nos gardes. Connaissant le régime dans lequel nous nous embarquions, nous n’allions pas nous laisser embobiner par les propagandes d’un système où le droit de l’homme est inexistant.  Après 16 heures de vol, nous voilà à Beijing (ci-devant Pékin) et, plus tard, en croisière sur le fleuve Yangtsé, le plus long fleuve du monde après l’Amazone et le Nil ;ensuite dans les villes extrêmement propres, telles que Xian (33 millions d’habitants), Wuhan (10,2 millions en 2013), Shanghai (18,9 millions en 2012… etc, se côtoient le modernisme,  étalant paresseusement des forêts de building de 30 à 40 étages flambant neufs, des autoroutes superposées, un flot intarissable de touristes, de rutilantes voitures de luxe européennes, l’éternelle Grande Muraille, l’indescriptible Barrage hydroélectrique des Trois-Gorges dont l’érection défie l’imagination, des stades olympiques fabuleux, dont le fameux Nid d’oiseaux, des spectacles de danse inoubliables, la tristement célèbre Place Tian'anmen et la Cité Interdite, les Soldats en terre cuite du mausolée de l’Empereur Qin Shi Huang, les fameuses fabriques de soie, de jade et de porcelaine, les tableaux décoratifs tissés en fil de soie. Les nuits multicolores, éclairées d’une orgie de néon, dénotent la richesse d’une Chine développée et futuriste en plein boum économique. Parlant de voitures, pour contrer cet engouement des chinois pour la modernité et régler le fléau de l’embouteillage, un permis d’immatriculation coûte plus cher que la voiture désirée, mais c’est pour la vie.
  
Macabres souvenirs        
Max Dorismond posant devant l'une des trois gorges sur
le fleuve Yangtsé.                                                      
Face à ce rutilant tape-à-l’œil, l'Haïtien en nous se manifeste, se compare, se questionne. C’est le lot de tous les compatriotes en voyage. Rien n’est rose chez-nous. Et la comparaison ne se fait point attendre, même si la démesure frôle l’indécence et la folie. Se référant à nos souvenirs livresques et médiatiques, nous voyons hier encore évoluer Mao Zedong et ses milliers de sbires lors de leur grande chevauchée pour la création d’une Chine nouvelle. Selon l’histoire, l’utopie irrationnelle de Mao, le Grand Timonier, le poussa à enclencher le « grand bond en avant » (GBA). Ce processus de modernisation sociale et économique fut une catastrophe et une erreur monumentale durant les années 58 à 62. Il occasionna « la grande famine » au cours de laquelle, selon l’historien Yang Jisheng, 36 millions de chinois avaient péri. 


En croisière sur le fleuve Yangtsé
Le cannibalisme fut le dernier recours de certains survivants. Plus de 10 000 cas ont été répertoriés. John Fairbank1 a qualifié le GBA « d’un des plus grands cataclysmes de l’humanité ». Ce fut la plus grande tragédie de la folie totalitaire de l’ère moderne. L’exil s’est mis de la partie. Les Chinois émigraient par milliers. Nous en avions reçu notre lot en Haïti. Par ironie, les badauds les décrivaient comme des : « Ti chinwa - Tèt lobis – Dan bonbon3 ». (Voir Pèlin Tèt). Pourtant, cette descente aux enfers datait d’hier, 1960. À cette même époque, les portes de l’enfer s’ouvraient aussi pour Haïti. Souvenons nous-en. Aujourd’hui, celles de la Chine sont au ¾ fermées, mais les nôtres sont encore grandes ouvertes.

Tentante comparaison
Vue  d’une Chine développée et futuriste en plein
 boum économique.                                             
Nous ne pourrons jamais comparer la Chine à Haïti. Il n’y a pas de commune mesure. Toutefois, vu le brigandage omniprésent, une cascade d’interrogations vient hanter l’Haïtien malgré lui, à savoir, par exemple, qu’avec 1, 370 milliards d’individus, ce gigantesque territoire a su tirer son épingle du jeu et donner une chance à ce peuple meurtri par tant de souffrances, il n’y a pas si longtemps. Pourquoi nous, une demie-île, un minuscule pays, sommes encore dans les entrailles de l’enfer ? À ce propos, nous avons tout écrit. D’autres ont échafaudé toutes sortes de théories. Nos gouvernants ont été affublés de toutes les épithètes péjoratives et dégradantes, pour les stimuler. Rien n’y fit. On va de mal en pis. Le comité dirigeant de la Chine, l’Assemblée Nationale Populaire, se compose de 3 000 personnes. Il a réussi l’impossible. Tandis que chez-nous avec une centaine de députés et une trentaine de sénateurs, c’est la pagaille quotidienne où l’incompétence et la gabegie se font concurrence à longueur de jour.  La majorité s’insurge contre toute forme d’intelligence éclairée et ouverte. L'obscurantisme est leur credo premier. Ils se sont lancés dans une spirale autodestructrice qui ne fait qu’amplifier la débâcle, tandis que les inégalités se creusent et le tissu social se déchire.

Le monde est un village global
Escale à l'un des restaurants chinois à Shanghai.
Un exemple inattendu vient conforter notre réflexion. Il  est midi, quand le cellulaire d’un de nos amis grésille. C’est un téléphone d’Haïti. Son interlocuteur, étonné de l’avoir au bout du fil, jusqu’en Chine, rétorque que « le monde d’aujourd’hui est un village global ». À cette boutade, un tourbillon de pensées s’installe dans mon esprit. En réalité, c’est une évidence, mais Haïti, hélas, n’en fait pas partie. Voyez-vous, il est minuit là-bas. Tous ceux qui utilisent le téléphone via l’internet ont l’obligation d’attendre à cette heure précise l’arrivée de l’électricité pour activer leur machin. Alors, sans électricité et avec un déficit de communication, comment Haïti pense-t’elle faire partie de la globalisation universelle. C’est rêver en couleur. Quel pays dans le village global pratique une médecine de brousse en effectuant une intervention chirurgicale à la lueur d’un téléphone cellulaire ? Quel pays du village global utilise du feu de bois pour s’éclairer, la nuit venue ? Cela ne se voit que dans L’Haïti Thomas. That’s the question !
  
Gestion de la corruption en Chine
Nous n’osons pas nous comparer à cet immense pays dont le système politique, la philosophie et la culture nous sont totalement étrangers, mais fixons-nous seulement sur l’une de ces tares communes avec Haïti : la corruption. Certaines mesures coercitives de la Chine peuvent nous apporter une lueur d’espoir, car cette perversion n’est pas invincible. En fait, la corruption s’avère être notre sport national. Elle se révèle comme un obstacle majeur à notre développement. Nous nous trouvons dans l’impossibilité de faire la transition vers une économie de marché si on considère les théories conventionnelles à propos de cette gangrène. Par contre, la Chine, par les méthodes drastiques appliquées, pour endiguer ce fléau, réussit depuis plus de deux décennies à entretenir une croissance économique exemplaire. 

Max Dorismond posant devant "le temple du ciel et de
la terre".                                                                  
Voyons-y: La Cour Populaire Suprême et le Parquet Populaire Suprême chinois ont décidé que la peine de mort sera appliquée aux fonctionnaires corrompus, même retraités. Ce fut capital et les gibets de potence ont fonctionné à plein rendement. Avant d’être présenté au peloton d’exécution, les condamnés sont exhibés publiquement. La population les humilie et les accompagne jusqu’au terrain d’exécution. Certaines fraudes mineures sont sanctionnées de la peine capitale. C’est notamment le cas des infractions à la loi sur les stupéfiants, des fraudes fiscales, des détournements de fond, etc…  Or, en Chine, comme de vulgaires criminels, celui qui est pendu ou fusillé doit payer les balles qui l’ont envoyé ad patres. Idem pour la corde. C’est sa famille qui est chargée de rembourser l’État.

Plus tard, le président chinois Xi Jinping a renforcé la mesure, dès son arrivée au pouvoir en 2012, en instituant une campagne anti-corruption d’envergure. « La lutte doit être menée tant contre les mouches (petits concussionnaires) que contre les tigres (hauts fonctionnaires corrompus)» a déclaré le chef de l’État chinois.

Relation de cause à effet
Visite au musée des soldats en terre cuite
Comme résultat, entre autres, les jeux Olympiques ont eu lieu sans trop de grabuge. Les plans, les horaires et les budgets ont été respectés. Ce fut identique pour la construction du barrage hydroélectrique des Trois-Gorges, le plus grand au monde avec ses 2,35 kms de longueur, 300 m de largeur et 185 m de hauteur. Il fut terminé sans anicroche en un temps record et le budget de 25 milliards de dollars a été respecté. « Plusieurs sources de travail de recherche confirment une forte relation de cause à effet  entre réforme économique et corruption »4. (Dong Bin et Torgler Benno)
  
Situation kafkaïenne
Allez annoncer au peuple haïtien que le gouvernement a un projet structurant de 25 milliards de dollars. Ce sera, dans les rues, le carnaval annoncé, car 90% de nos frères se verraient déjà tous millionnaires. Dans cette atmosphère de rêve, les chevaliers de la corruption auraient la bouche fendue jusqu’aux oreilles.

En conclusion, mes vacances se sont bien déroulées en Chine. Je n’avais point  à jeter un œil furtif par dessus mes épaules pour deviner qui marchait derrière moi.

Max Dorismond mx20005@yahoo.ca



Note 1 : John K. Fairbank, Histoire de la Chine : Des origines à nos jours.
Note 2 : Le célèbre chanteur haïtien, Essud Fungcap des années 70, fut l’un de leurs descendants.
Note 3 : Yang Jisheng, Stèles. La grande famine en Chine. Édition Seuil.
Note 4 : Dong Bin, Torgler Benno, The cause of corruption : Evidences from China.




Autres photos prises lors de notre visite en Chine

Notre arrivée à Beijing
La Grande Muraille
Dans la cour d'un jardin privé
 La ville de Wuhan

 Dans la zone des stades 
 Théâtre dans l'un des restaurants
 Vue nocturne d'une partie de la ville  de Shanghai
 Musée nationale de Shangai
 Vue partielle  d'une ville de la Chine
 Stade nid d'oiseaux la nuit
 Un centre d' achats chinois

Un mariage en campagne 
 
Vue nocturne de la ville de Shangai


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