LE PRÉSIDENT
HAÏTIEN PERSISTE DANS L’INSULTE FAITE AUX FEMMES
Par Robert
Berrouët-Oriol
On le savait
en public vulgaire et ordurier… Sa déjà vieille « carrière » de
musicien –plus précisément de clown amuseur public--, est dans le champ
artistique jonchée de détritus paroliers, d’appels aux pulsions violentes
les plus archaïques et discriminantes. Malgré cela, ou sans doute à cause de
cela, une partie de la petite bourgeoisie pétionvilleoise traditionnellement
privilégiée ainsi qu’une ample frange du lumpen prolétariat des grandes villes
flanquée de « lumpen professionnels » et de « lumpen
intellectuels » ont plébiscité la musique obtuse de Sweet Micky
autoproclamé « président du konpa ». De là à vouloir
fantasmatiquement devenir président tout court du pays, il n’y avait qu’un pas
à franchir et il l’a fait sous la houlette de certains occultes
« amis » d’Haïti et dans le droit fil d’une mesurable faillite
de l’État haïtien.
On le savait
en public grossier et scatologique, méprisant les intellectuels, les écrivains
comme les poètes, et voici que par un obscur golpe électoral concocté en
vase clos l’Organisation des États américains (OEA) a su l’imposer en 2011
comme président de la République d’Haïti. Ce golpe électoral foulait lors
aux pieds la vérité des urnes dans un contexte où moins de 20% de la population
d’Haïti s’était prévalu de son droit de vote…
Michel Martelly (à gauche) et Jean-Claude Duvalier (à droite) |
L’autoproclamé « président
du konpa », devenu président d’Haïti à l’aune d’une périlleuse magouille,
s’est appliqué dès son arrivée au pouvoir à instituer le règne des
« bandits légaux » dans l’Administration du pays et à afficher ses
liens avec les plus connus des narcotrafiquants haïtiens. Admirateur des
Léopards de Jean Claude Duvalier –corps militaire anti guérilla de préservation
du pouvoir de la dictature mis sur pied par la CIA au début des années 1970--,
ami affiché des narcotrafiquants de l’Armée d’Haïti qui ont fomenté le coup
d’État de 1991, Sweet Micky alias Michel Martelly est
également connu pour sa misogynie, son mépris affiché des femmes, en
particulier pour les femmes qui représentent en Haïti un modèle citoyen.
Mépris
halluciné des femmes
Plus près de
nous, la presse nationale et internationale s’est indignée avec raison face au
déferlement de haine et de mépris contenu dans la méringue carnavalesque que
diffuse en Haïti Sweet Micky alias Michel Martelly (voir l’article «Le carnaval démagogique du président d Haïti », journal Libération, édition du 2 février 2016); voir aussi l’article le plus récent,
« Haïti-Médias : concert de condamnations de la chanson sexiste de
Martelly contre la journaliste Liliane Pierre Paul », AlterPresse, édition du 4 février 2016 : ).
Calomnieuse,
méprisante et ouvertement sexuellement agressante, la version 2016 de
la méringue carnavalesque du chanteur-président s’intitule « Ba
l bannann nan » (« donne-lui la banane ») et de nombreux médias
haïtiens refusent courageusement de la diffuser alors même que dans la
nuit du 30 novembre 2015 les locaux de Radio télé Kiskeya ont été l’objet de
tirs d’armes à feu (voir l’article «Attaque armée contre les locaux de Radio Télé Kiskeya » : ). La méringue carnavalesque du
chanteur-président cible avec violence deux journalistes de renom, Jean
Monard Métellus, qui dirige l’émission « Ranmasé » de Radio
télévision caraïbes, et Liliane Pierre-Paul, animatrice du journal quotidien en
créole de Radio Kiskeya, « Jounal katrè ». Depuis Port-au-Prince l’Agence
en ligne AlterPresse, tout en rappelant l’hostilité constante de Michel
Martelly à l’égard de la presse, fait un état des lieux en ces
termes :
Liliane Pierre-Paul |
« Un fragment d’une méringue carnavalesque
de « Sweet Micky » (Michel Martelly), dans laquelle est fredonné le
refrain Ti Lili (en référence à la journaliste Liliane Pierre-Paul,
que Martelly voudrait ridiculiser), circule sur les réseaux sociaux, depuis la
fin de l’année 2015. Cette meringue attentatoire de Michel Martelly cible la
journaliste et directrice de programmation de Radio Télé Kiskeya, Liliane
Pierre-Paul, qui a été déjà qualifiée par Martelly de Ti Lili dans le
cadre d’une interview à Radio Télévision Caraïbes (Rtvc). Dans une note datée
du 16 décembre 2015, l’Association nationale des médias haïtiens (Anmh) a
dénoncé cette méringue carnavalesque de « Sweet Micky », qui a repris
son costume de musicien-amuseur public à travers cet acte inqualifiable, qui
traduit son irresponsabilité et son incurie. »
(« Haïti-Culture : le carnaval national 2016, prévu à Port-au-Prince
du 7 au 9 février, malgré le marasme économique et une période
tumultueuse », AlterPresse, édition du 19 janvier 2016.
Dans une
société haïtienne archaïque et profondément machiste, l’attitude de Sweet
Micky alias Michel Martelly participe d’un séculaire mépris des femmes et
d’un lourd déficit de citoyenneté légué par la dictature duvaliériste. Alors
même que la période du carnaval est celle durant laquelle s’exprime la
défiance, la critique satirique, la dérision, les « pwen » et autres
piques peu amènes pour les pouvoirs en place, l’actuel locataire du Palais
national entend lui aussi « jouir de la liberté d’expression » pour
contrer ceux qui ont osé porter un regard critique sur son erratique gestion du
pays ces cinq dernières années. Mais pour répondre aux journalistes assimilés à
des détracteurs, Sweet Micky alias Michel Martelly emploie le seul
langage qu’il connaît, celui du rapport de forces inégal, de la calomnie sous
le manteau de l’impunité, de la menace implicite et de la néantisation des
femmes selon l’évangile misogyne. Fidèle à lui-même, il s’exprime de manière
vulgaire et scatologique : il fait du Sweet Micky drapé en président de la
République. Et puisque la sexualité-de-domination est le lieu par excellence de
l’infantilisation, du mépris et de la néantisation des femmes, c’est sur le
terrain d’une sexualité violentée qu’il convie celle qui est visée par son
mépris, « Ti Lili » (« Petite Lili »), surnom
de Madame Liliane Pierre-Paul que seuls les amis intimes et les
proches parents ont le droit d’utiliser. En créole haïtien, le « ti »
réfère aussi à une catégorisation de « petit », de subalterne, de
« moitié de », de second rôle, et le chanteur-président le sait bien
lorsqu’il choisit de catégoriser ainsi une journaliste connue pour sa droiture
et qui, emprisonnée et torturée dans les années 1980, a été violentée dans sa
chair sous la dictature de Jean Claude Duvalier.Madame Liliane Pierre-Paul
a été violentée à l’instar de l’actuel « premier Ministre » Evans
Paul qui, lui, arrêté et torturé à la même époque, a choisi en dehors de toute
justice-réparation la voie peu reluisante de la compromission avec ses
bourreaux : il n’a pas hésité à serrer la main et à poser aux côtés du
nazillon Jean Claude Duvalier et du zenglendo Prosper Avril, aux Gonaïves, le
1er janvier 2014.
KPLIM, Jean-Claude Duvalier, Michel Martelly, Prosper Avril (De gauche à droite) |
En pratiquant
le dénigrement et le mépris pour Liliane Pierre-Paul --considérée
comme un symbole de la démocratie en Haiti--, dans la méringue
carnavalesque « Ba l bannann nan », Sweet Micky alias Michel
Martelly tente de saper les conquêtes féministes des trente dernières années
ainsi que les acquis mesurables mais encore fragiles du camp démocratique
haïtien dans ses différentes composantes. Sans tomber dans le piège de la
provocation « détournante » du locataire du Palais national d’Haïti,
il importe de bien comprendre que le chanteur-président poursuit un objectif
stratégique que l’on peut également retracer dans la récente cabale menée sur
Storm TV par des proches du pouvoir tèt kale :
« Le
directeur général de la station [Radio télévision Kiskeya], Marvel Dandin, qui
intervenait au cours du dit journal, a cité deux proches de Michel Martelly
connu sous les noms de Ronald (Roro) Nelson et Jojo Lorquet, dans le cadre
d’une émission réalisée sur Storm TV, qui s’amusaient à « dénigrer la
directrice de programmation de Radio/Télé Kiskeya ». « Si Liliane a une
famille, qu’elle le présente à la population », a déclaré l’un des deux
individus susmentionnés. « Si Liliane avait un fils ou une fille, ce serait
celui ou celle qu’elle avait eu d’un officier de l’armée d’Haïti pendant
qu’elle était en prison », a renchéri l’autre animateur de l’émission diffusée
sur Storm TV. » (« Liliane Pierre-Paul, victime de « dénigrement » de la part de deux proches du président Martelly », Radio télévision caraïbes, 24 janvier 2016 : )
Détourner
l’attention citoyenne de la catastrophe électorale de 2015
En
définitive, avec la méringue carnavalesque « Ba l bannann
nan », et à l’aide de la cabale conduite sur Storm TV, il s’agit
pour Sweet Micky alias Michel Martelly de détourner l’attention
citoyenne de la catastrophe électorale de 2015 et de la fin constitutionnelle
du mandat du président le 7 février 2016… afin qu’il puisse parachuter un
successeur qui lui soit dédié ou qui lui soit lié, comme après 1986 les tontons
macoutes avaient tenté de prolonger la durée de vie du duvaliérisme sans Jean
Claude Duvalier. Le pouvoir néo-duvaliériste de Sweet Micky alias Michel
Martelly connaît parfaitement son modèle, le jeanclaudisme illusionniste, et il
entend poursuivre sa stratégie garantissant la perduration du néoduvaliérisme
en Haïti (voir Robert Berrouët-Oriol : « Le retour du duvalierisme en Haïti sous le manteau rose de la « réconciliation nationale »). Il est donc « logique »
que ce pouvoir néo-duvaliériste attaque aussi violemment Liliane
Pierre-Paul et Jean Monard Métellus : en réalité c’est l’idée même de
démocratie et d’État de droit qui est attaquée sous couvert de méringue
carnavalesque.
Tel me
semble être le véritable enjeu à l’œuvre dans la conception et la diffusion
de la méringue carnavalesque « Ba l bannann nan », dans la
manière dont Sweet Micky alias Michel Martelly exprime sa tortueuse
misogynie, son profond mépris des femmes haïtiennes qui est, en structure
profonde de son propos, un radical mépris pour l’entrée des femmes haïtiennes
dans une citoyenneté moderne et responsable. Et pareil mépris se donne
également à voir dans d’autres secteurs de la vie nationale. Ainsi, la
présidence du chanteur-amuseur public a réactivé et alimenté le préjugé de
couleur en Haïti, l’arrogance méprisante des mulâtristes contre le reste de la
population ; elle a pour l’essentiel mobilisé (rale yon bak) et conforté
ce que la société haïtienne a de plus obscur, de plus réactionnaire et de plus
mystificateur dans la gouvernance du pays, au point où certaines âmes pieuses
ivres de promesses se sont laissé piéger, ont cru que le tandem
Martelly/Lamothe avait une « vision éducative » pour le pays (projet
Psugo) sinon une « vision équilibrée de la question linguistique
haïtienne » et du créole (projet Académie créole)…
Début
février 2016, l’un des termes de l’alternative qui se tisse est bien de contrer
efficacement la stratégie de perduration du néoduvaliérisme en Haïti dans
l’après Martelly : le très court terme saura le montrer. L’autre terme pourrait
être l’exercice du droit citoyen de Jean Monard Métellus et de Liliane
Pierre-Paul de porter plainte dès le 8 février 2016 contre le dénommé Michel
Martelly redevenu simple citoyen et ne bénéficiant plus de l’immunité attachée
à la fonction présidentielle. Pareille plainte devant les juridictions
nationale et internationale compétentes sera un temps fort et aura valeur
d’enseignement, notamment pour les jeunes, dans le combat des femmes haïtiennes
pour le respect et la dignité et vers l’accès à la pleine citoyenneté.
Hommage de Jean Jean Roosevelt à Liliane Pierre Paul
"Reste debout"
No comments:
Post a Comment