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Saturday, February 6, 2016

Chant du cygne de Michel Martelly

LE PRÉSIDENT HAÏTIEN PERSISTE DANS L’INSULTE FAITE AUX FEMMES

Par Robert Berrouët-Oriol
Montréal, le 4 février 2016
Robert Berrouët-Oriol
On le savait en public vulgaire et ordurier… Sa déjà vieille « carrière » de musicien –plus précisément de clown amuseur public--, est dans le champ artistique jonchée de détritus paroliers, d’appels aux pulsions violentes les plus archaïques et discriminantes. Malgré cela, ou sans doute à cause de cela, une partie de la petite bourgeoisie pétionvilleoise traditionnellement privilégiée ainsi qu’une ample frange du lumpen prolétariat des grandes villes flanquée de « lumpen professionnels » et de « lumpen intellectuels » ont plébiscité la musique obtuse de Sweet Micky autoproclamé « président du konpa ». De là à vouloir fantasmatiquement devenir président tout court du pays, il n’y avait qu’un pas à franchir et il l’a fait sous la houlette de certains occultes « amis » d’Haïti et dans le droit fil d’une mesurable faillite de l’État haïtien.

On le savait en public grossier et scatologique, méprisant les intellectuels, les écrivains comme les poètes, et voici que par un obscur golpe électoral concocté en vase clos l’Organisation des États américains (OEA) a su l’imposer en 2011 comme président de la République d’Haïti. Ce golpe électoral foulait lors aux pieds la vérité des urnes dans un contexte où moins de 20% de la population d’Haïti s’était prévalu de son droit de vote…

Michel Martelly (à gauche) et Jean-Claude Duvalier (à droite)
L’autoproclamé « président du konpa », devenu président d’Haïti à l’aune d’une périlleuse magouille, s’est appliqué dès son arrivée au pouvoir à instituer le règne des « bandits légaux » dans l’Administration du pays et à afficher ses liens avec les plus connus des narcotrafiquants haïtiens. Admirateur des Léopards de Jean Claude Duvalier –corps militaire anti guérilla de préservation du pouvoir de la dictature mis sur pied par la CIA au début des années 1970--, ami affiché des narcotrafiquants de l’Armée d’Haïti qui ont fomenté le coup d’État de 1991, Sweet Micky alias Michel Martelly est également connu pour sa misogynie, son mépris affiché des femmes, en particulier pour les femmes qui représentent en Haïti un modèle citoyen.

Mépris halluciné des femmes 
On l’a vu à l’œuvre ces derniers mois et les frasques du chanteur-président n’ont pas manqué de soulever un tollé dans les médias sociaux comme dans la presse traditionnelle. Ainsi, le Nouvelliste d’Haïti rapporte les propos de plusieurs interlocuteurs qui assument à visière levée que Michel Martelly est « […] une honte pour le pays, il n’est pas à sa place, il déshonore la fonction de président de la République, […] il n’est pas lucide… » […] les réactions après les injures du chef de l’État contre cette dame lors d’un meeting à Miragoâne mardi dernier [28 juillet 2015] ne sont pas tendres envers le locataire du palais national. Dans les réseaux sociaux et dans les médias, les gens ont exprimé leur colère contre le président de la République. » [… S’exprimant elle aussi,] « La militante de défense des droits de la femme, la sociologue Danielle Magloire, considère comme une agression sexuelle les propos de Michel Martelly contre cette dame à Miragoâne. » (« Michel Martelly a encore frappé fort» ), Le Nouvelliste du 30 juillet 2015.  

Plus près de nous, la presse nationale et internationale s’est indignée avec raison face au déferlement de haine et de mépris contenu dans la méringue carnavalesque que diffuse en Haïti Sweet Micky alias Michel Martelly (voir l’article «Le carnaval démagogique du président d Haïti », journal Libération, édition du 2 février 2016); voir aussi l’article le plus récent, « Haïti-Médias : concert de condamnations de la chanson sexiste de Martelly contre la journaliste Liliane Pierre Paul », AlterPresse, édition du 4 février 2016 : ).

Calomnieuse, méprisante et ouvertement sexuellement agressante, la version 2016 de la méringue carnavalesque du chanteur-président s’intitule « Ba l bannann nan » (« donne-lui la banane ») et de nombreux médias haïtiens refusent courageusement de la diffuser alors même que dans la nuit du 30 novembre 2015 les locaux de Radio télé Kiskeya ont été l’objet de tirs d’armes à feu (voir l’article «Attaque armée contre les locaux de Radio Télé Kiskeya » : ). La méringue carnavalesque du chanteur-président cible avec violence deux journalistes de renom, Jean Monard Métellus, qui dirige l’émission « Ranmasé » de Radio télévision caraïbes, et Liliane Pierre-Paul, animatrice du journal quotidien en créole de Radio Kiskeya, « Jounal katrè ». Depuis Port-au-Prince l’Agence en ligne AlterPresse, tout en rappelant l’hostilité constante de Michel Martelly à l’égard de la presse, fait un état des lieux en ces termes :

Liliane Pierre-Paul
« Un fragment d’une méringue carnavalesque de « Sweet Micky » (Michel Martelly), dans laquelle est fredonné le refrain Ti Lili (en référence à la journaliste Liliane Pierre-Paul, que Martelly voudrait ridiculiser), circule sur les réseaux sociaux, depuis la fin de l’année 2015. Cette meringue attentatoire de Michel Martelly cible la journaliste et directrice de programmation de Radio Télé Kiskeya, Liliane Pierre-Paul, qui a été déjà qualifiée par Martelly de Ti Lili dans le cadre d’une interview à Radio Télévision Caraïbes (Rtvc). Dans une note datée du 16 décembre 2015, l’Association nationale des médias haïtiens (Anmh) a dénoncé cette méringue carnavalesque de « Sweet Micky », qui a repris son costume de musicien-amuseur public à travers cet acte inqualifiable, qui traduit son irresponsabilité et son incurie. » (« Haïti-Culture : le carnaval national 2016, prévu à Port-au-Prince du 7 au 9 février, malgré le marasme économique et une période tumultueuse », AlterPresse, édition du 19 janvier 2016.

Dans une société haïtienne archaïque et profondément machiste, l’attitude de Sweet Micky alias Michel Martelly participe d’un séculaire mépris des femmes et d’un lourd déficit de citoyenneté légué par la dictature duvaliériste. Alors même que la période du carnaval est celle durant laquelle s’exprime la défiance, la critique satirique, la dérision, les « pwen » et autres piques peu amènes pour les pouvoirs en place, l’actuel locataire du Palais national entend lui aussi « jouir de la liberté d’expression » pour contrer ceux qui ont osé porter un regard critique sur son erratique gestion du pays ces cinq dernières années. Mais pour répondre aux journalistes assimilés à des détracteurs, Sweet Micky alias Michel Martelly emploie le seul langage qu’il connaît, celui du rapport de forces inégal, de la calomnie sous le manteau de l’impunité, de la menace implicite et de la néantisation des femmes selon l’évangile misogyne. Fidèle à lui-même, il s’exprime de manière vulgaire et scatologique : il fait du Sweet Micky drapé en président de la République. Et puisque la sexualité-de-domination est le lieu par excellence de l’infantilisation, du mépris et de la néantisation des femmes, c’est sur le terrain d’une sexualité violentée qu’il convie celle qui est visée par son mépris, « Ti Lili » (« Petite Lili »), surnom de Madame Liliane Pierre-Paul que seuls les amis intimes et les proches parents ont le droit d’utiliser. En créole haïtien, le « ti » réfère aussi à une catégorisation de « petit », de subalterne, de « moitié de », de second rôle, et le chanteur-président le sait bien lorsqu’il choisit de catégoriser ainsi une journaliste connue pour sa droiture et qui, emprisonnée et torturée dans les années 1980, a été violentée dans sa chair sous la dictature de Jean Claude Duvalier.Madame Liliane Pierre-Paul a été violentée à l’instar de l’actuel « premier Ministre » Evans Paul qui, lui, arrêté et torturé à la même époque, a choisi en dehors de toute justice-réparation la voie peu reluisante de la compromission avec ses bourreaux : il n’a pas hésité à serrer la main et à poser aux côtés du nazillon Jean Claude Duvalier et du zenglendo Prosper Avril, aux Gonaïves, le 1er janvier 2014. 

KPLIM, Jean-Claude Duvalier, Michel Martelly, Prosper Avril
(De gauche à droite)
En pratiquant le dénigrement et le mépris pour Liliane Pierre-Paul --considérée comme un symbole de la démocratie en Haiti--, dans la méringue carnavalesque « Ba l bannann nan », Sweet Micky alias Michel Martelly tente de saper les conquêtes féministes des trente dernières années ainsi que les acquis mesurables mais encore fragiles du camp démocratique haïtien dans ses différentes composantes. Sans tomber dans le piège de la provocation « détournante » du locataire du Palais national d’Haïti, il importe de bien comprendre que le chanteur-président poursuit un objectif stratégique que l’on peut également retracer dans la récente cabale menée sur Storm TV par des proches du pouvoir tèt kale :

« Le directeur général de la station [Radio télévision Kiskeya], Marvel Dandin, qui intervenait au cours du dit journal, a cité deux proches de Michel Martelly connu sous les noms de Ronald (Roro) Nelson et Jojo Lorquet, dans le cadre d’une émission réalisée sur Storm TV, qui s’amusaient à « dénigrer la directrice de programmation de Radio/Télé Kiskeya ». « Si Liliane a une famille, qu’elle le présente à la population », a déclaré l’un des deux individus susmentionnés. « Si Liliane avait un fils ou une fille, ce serait celui ou celle qu’elle avait eu d’un officier de l’armée d’Haïti pendant qu’elle était en prison », a renchéri l’autre animateur de l’émission diffusée sur Storm TV. » (« Liliane Pierre-Paul, victime de « dénigrement » de la part de deux proches du président Martelly », Radio télévision caraïbes, 24 janvier 2016 : )

Détourner l’attention citoyenne de la catastrophe électorale de 2015
En définitive, avec  la méringue carnavalesque « Ba l bannann nan », et à l’aide de la cabale conduite sur Storm TV, il s’agit pour Sweet Micky alias Michel Martelly de détourner l’attention citoyenne de la catastrophe électorale de 2015 et de la fin constitutionnelle du mandat du président le 7 février 2016… afin qu’il puisse parachuter un successeur qui lui soit dédié ou qui lui soit lié, comme après 1986 les tontons macoutes avaient tenté de prolonger la durée de vie du duvaliérisme sans Jean Claude Duvalier. Le pouvoir néo-duvaliériste de Sweet Micky alias Michel Martelly connaît parfaitement son modèle, le jeanclaudisme illusionniste, et il entend poursuivre sa stratégie garantissant la perduration du néoduvaliérisme en Haïti (voir Robert Berrouët-Oriol : « Le retour du duvalierisme en Haïti sous le manteau rose de la «  réconciliation nationale »). Il est donc « logique » que ce pouvoir néo-duvaliériste attaque aussi violemment Liliane Pierre-Paul et Jean Monard Métellus : en réalité c’est l’idée même de démocratie et d’État de droit qui est attaquée sous couvert de méringue carnavalesque. 

Tel me semble être le véritable enjeu à l’œuvre dans la conception et la diffusion de la méringue carnavalesque « Ba l bannann nan », dans la manière dont Sweet Micky alias Michel Martelly exprime sa tortueuse misogynie, son profond mépris des femmes haïtiennes qui est, en structure profonde de son propos, un radical mépris pour l’entrée des femmes haïtiennes dans une citoyenneté moderne et responsable. Et pareil mépris se donne également à voir dans d’autres secteurs de la vie nationale. Ainsi, la présidence du chanteur-amuseur public a réactivé et alimenté le préjugé de couleur en Haïti, l’arrogance méprisante des mulâtristes contre le reste de la population ; elle a pour l’essentiel mobilisé (rale yon bak) et conforté ce que la société haïtienne a de plus obscur, de plus réactionnaire et de plus mystificateur dans la gouvernance du pays, au point où certaines âmes pieuses ivres de promesses se sont laissé piéger, ont cru que le tandem Martelly/Lamothe avait une « vision éducative » pour le pays (projet Psugo) sinon une « vision équilibrée de la question linguistique haïtienne » et du créole (projet Académie créole)…

Début février 2016, l’un des termes de l’alternative qui se tisse est bien de contrer efficacement la stratégie de perduration du néoduvaliérisme en Haïti dans l’après Martelly : le très court terme saura le montrer. L’autre terme pourrait être l’exercice du droit citoyen de Jean Monard Métellus et de Liliane Pierre-Paul de porter plainte dès le 8 février 2016 contre le dénommé Michel Martelly redevenu simple citoyen et ne bénéficiant plus de l’immunité attachée à la fonction présidentielle. Pareille plainte devant les juridictions nationale et internationale compétentes sera un temps fort et aura valeur d’enseignement, notamment pour les jeunes, dans le combat des femmes haïtiennes pour le respect et la dignité et vers l’accès à la pleine citoyenneté.

Hommage de Jean Jean Roosevelt à Liliane Pierre Paul

"Reste debout"


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