Par: Max Dorismond mx20005@yahoo.ca
Bernard Fanfan |
Je n'ai pas souvenance d'avoir feuilleté un livre d'Haïti composé uniquement de pensées ou conseils destinés à orienter notre vie dans un sens ou dans l'autre. Quelqu'un y avait-il pensé avant? Je l'ignore! Sous toutes réserves, je peux affirmer que l'auteur en titre, Bernard Duly Fanfan, vient de combler cette lacune, non pas en complétant une anthologie de Souvenirs des Grands-Pères, mais en compilant ses propres annotations présentées dans un recueil sous le titre évocateur : Pensées et Réalités.
Pourquoi ne retrace-t-on dans nos archives publiques, au moins une plaquette ou une collection des conseils épars de nos ancêtres? Mystère! Pourtant, dans nos us et coutumes, l'aïeul reste et personnifie le Baobab, la bibliothèque vivante, le pilier autour duquel tout s'articule. Il est l'unique dispensateur de connaissances. L'oral avait et a toujours droit de cité pour 98% de nos frères. Par conséquent, l'aîné demeure une référence. Il hérite de la tâche d'instruire et de conseiller la génération montante à partir de son vécu. Tout peuple dont la langue n'est pas écrite est condamné à transmettre ses expériences à partir de ce canal ou disparaître. C'est quasi empirique, mais, avions-nous d'autres choix quand les vrais maîtres de la nation avaient décidé de cautionner notre retard sur tous les plans en nous confinant dans les cavernes, sans alphabet, sans langue propre? Sans ses signes de convenances qu'est l'écriture, l'avenir s'avérait naturellement incertain. La preuve est matérielle, nous la vivons quotidiennement. C'est une des causes de notre sous-développement. Aucun héritage littéraire dans cette optique ne fut transmis suite à cette déficience. Un p'tit exemple très simple, pour vous conforter : essayez d'ériger votre arbre généalogique? Vous m'en direz tant! …Des noms de vos ancêtres, nulle trace, nulles archives…..Quelques rares familles peuvent s'enorgueillir de réussir cette tâche titanesque. Et là encore, le doute est persistant.
Si on possédait le minimum, c'est-à-dire, un centième de l'alphabétisme ambiant, certains troubadours ou trouvères auraient utilisé dans le passé la technique dite des Miscellanées, pour s'y conformer. Ç'est un genre composé de textes divers destinés à populariser le savoir oral, à cautionner et perpétuer les valeurs sociales. C'est une technique de fragments littéraires, sorte de mosaïque connue aussi sous le nom d'Analectes ou simplement Ana. Un concept hybride et morcelé avec un peu de tout, offrant des pistes de réflexions sur le déroulement organisé du quotidian.
Le Chinois, Confucius, était passé maître dans cet art, avec ces citations éclairées, ces conseils aux gouvernants et gouvernés. Il fut considéré comme le premier éducateur chinois. Son enseignement a donné naissance au confucianisme, doctrine politique et sociale qui a été érigée en religion d'État. Toutefois, en 2006, nous retrouvons en Angleterre, les analectes, chez l'écrivain Ben Schott. Ses oeuvres sont connues sous le titre : Les Miscellanées de Mr Schott. Selon les biographes de ce dernier, ce sont des recueils de petits riens, des informations incongrues. Ce dernier avait relancé la mode tombée en désuétude depuis le XIXe siècle. Ce genre fut la pièce ou le chaînon manquant de la littérature haïtienne. Nous venons de le retracer dans l'œuvre de Bernard D. Fanfan : Pensées et réalités.
Disons que l'auteur n'a jamais titré ses trouvailles dans ce style, c'est-à-dire, les Miscellanées. C'est une technique dépassée. Parlons plutôt aujourd'hui d'une donnée plus moderne, tel l'Aphorisme. En effet, plus près de nous, les auteurs du XXe siècle nous entretiennent de cette nouveauté qui caractérise la vivacité de leur esprit surtout critique. Ils ont apporté plus de précision en soutenant que l'Aphorisme est un énoncé autosuffisant. Il peut être lu et compris sans faire appel à un autre texte. C'est une pensée qui provoque et autorise d'autres pensées. Dans son ouvrage, Pensée et Réalités, Bernard ne cesse de nous surprendre par la justesse de ses méditations qui s'inscrivent naturellement dans la lignée de sa déconvenue, de sa déception et de ses frustrations. Ce qu'il dénonce dans une succincte critique à peine voilée de sa terre natale évoluant à l'encontre de la normalité.
En effet, par la justesse et la simplicité des mots, il distribue ses pétales de fleurs au gré des ondes qu'il parfume pour le plaisir des lecteurs. Il laisse échapper ces citations doucereuses qu'il goûtait avec une naïveté juvénile. Ces trouvailles représentent des poèmes en prose d'une pureté parfaite, d'une fidélité sans faille supportée par une écriture alerte et dument maîtrisée. Ses vérités sont offertes comme une chanson où le symbolisme des sons fait sentir ses effets surtout quand son origine capoise se manifeste de la façon la plus palpable et la plus intense frôlant la mélancolie et la sérénité.
Ces résolutions métamorphosent le langage humain réduit à son essentiel dans la manifestation la plus pure de la création littéraire. Il se permet de tout dire, ici et d'ailleurs sans réserve, au gré d'une imagination impérieuse des souvenirs douloureux vécu au pays natal, une intériorité élargie aux mesures de l'inconscient, sans oublier les limites de son lectorat. Ces pensées-conseils sont d'une inventivité à donner des ailes à une âme tourmentée, car Bernard ne prétend pas tout dire, ni dire le tout. Écoutez-le :
Il semble que nous avons commis un mal impardonnable en nous opposant à la délivrance que nous sollicitons dans le «Notre Père» de chaque jour.
Ou à ce choix relatif à un dilemme innommable :
Dieu a créé l'homme et lui a délégué la responsabilité de son existence. Il a donc le choix entre la misère, le mieux-être et l'aisance; entre l'enfer, le purgatoire et le paradis.
En outre, cet ouvrage demeure un vibrant constat avec ces capsules à réhabiliter la mémoire. Bernard Fanfan a exécuté un plongeon au cœur du problème haïtien pour refaire surface avec plusieurs perles à donner le vertige, juste à réfléchir sur le destin outragé d'un peuple qui ne sait à quel dieu se confier ou sur quel diable compter. Hélas!
Mais il n'est pas rare que la psychologie rencontre la poésie pendant dix ou quinze minutes dans ce recueil d'idées. Quand cette rencontre occupe une centaine de pages, c'est un évènement littéraire qui vient de prendre son envol, car, les composantes de la pensée de l'auteur interpellent l'universel humain. Lui-même le souligne dans son introduction : J'aimais beaucoup la littérature. J'apprenais avec passion les pièces classiques. Grâce à une écriture inspirée, il parvient à maîtriser sa matière, à lui infléchir une vision à la fois puissante et singulière. Le pari est d'ores et déjà engagé, car ce ne sera pas le dernier Duly qui nous sera servi. Je soupçonne un coffret rempli de tulipes1 encore fraîches qu'il présentera très bientôt sous forme de bouquets multicolores. En attendant, je vous invite à lire l'œuvre de Bernard Duly Fanfan : Pensées et Réalités comme lecture de vacances.
Sur ce, je vous souhaite, chers lecteurs, un bel été 2013!
Note 1 : Bernard Fanfan a hérité du surnom : Fanfan la Tulipe.
Max Dorismond mx20005@yahoo.ca
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