L'eau de la mer est entrée jusque dans les maisons en certains endroits de la basse-ville de Jérémie. |
Les dégâts causés par le cyclone Matthew sont connus. La désolation s’est installée dans le territoire de la Grand’Anse où l’on entend même plus le chant des oiseaux. Rares sont les gazouillis des tourterelles et des sèpantye (charpentiers) à tête rouge qui, nichant et faisant leur demeure dans les trous des bois, ont échappé au désastre. Les mauvaises nouvelles alimentent bien des rumeurs et enveniment une situation déjà apocalyptique. Dans l’économie anémiée d’un État en faillite, le passage de l’ouragan dévastateur aggrave encore la situation et accroit les craintes de la déliquescence finale. La moindre alternative sérieuse exige des idées nouvelles permettant de passer des eaux de surface au fond de l’abîme, de l’aide humanitaire à la reconstruction, et d’aller au cœur des tourments qui assaillent la société. Car le cyclone Matthew qui est passé à Cuba avec la même intensité n’a fait aucun mort, tandis qu’il en a fait plusieurs centaines sinon un millier en Haïti.
La basse-ville de Jérémie a été lessivée par l'ouragan. |
Son message n’a pas été écouté par tous et nous payons cher, très cher, cette obstination de nos élites à maintenir notre peuple dans une mentalité archaïque qui refuse la modernité.Fondamentalement, la réflexion nécessaire pour prêter secours aux victimes exige un renversement de tendance dans nos comportements irrationnels, dans la manière dont notre société se pense et fonctionne, dans les fondements de nos rapports avec nous-mêmes et avec la communauté internationale. En effet, l’expérience de la gabegie internationale lors du tremblement de terre du 12 janvier 2010 est encore dans les esprits et on comprend aisément le refus du gouvernement haïtien de déclarer l’état d’urgence.
Pour remédier à cela, Haïti a besoin de mettre en place en toute transparence un réceptacle (une institution) pour recevoir les conseils permettant de distribuer efficacement l’aide humanitaire mais surtout pour guider les investissements afin qu’ils soient faits au bon endroit. Pour sauver Haïti de la débâcle totale, il importe d’avoir une vraie vision pour investir dans les facteurs de croissance en commençant par l’éducation.
Vue aérienne de Corail dans la Grand'Anse le 7 octobre 2016 après le passage de l'ouragan . |
Les vents violents ont causé des destructions dans les secteurs suivants : 1) les habitations non conformes aux normes sécuritaires de construction ; 2) les infrastructures publiques (eau, électricité, téléphone, ports) ; 3) la végétation (arbres déracinés, branches brisées) et 4) le bétail (bœufs, cabrits, porcs, poulets) qui a été tué et transporté par les eaux. La mer et la pluie ont endommagé par des inondations et détruit les biens mobiliers des habitations. Les crues des rivières Rouyonne à Léogane, La Guinaudée à Jérémie, Ladigue à Petit-Goâve, Serpent et Despins à L’Asile, Voldrogue à Roseaux, Glace sur la route Cayes-Jérémie, etc. ont saccagé les plantations agricoles, pollué les eaux rendues impropres à la consommation et provoqué des éboulements et glissements de terrain. Enfin, le réseau routier a été gravement endommagé.
La réponse humanitaire
60.000 maisons ont été détruites en Haïti par l'ouragan. selon la Croix-Rouge. |
Le grand nombre de personnes qui ont perdu la vie est dû essentiellement au déficit d’État et à la faiblesse du système d’alerte mis en place. D’où le niveau de dévastation dans l’habitat (les maisons), l’agriculture et les infrastructures. L’aide d’urgence dont l’objectif est de faire la soudure entre le passage de Matthew les 3-4 octobre et les premières récoltes ne devrait pas dépasser six mois. Dans la hiérarchie des besoins, la nourriture est principale. Puis viennent l’eau, l’assainissement, l’habitat d’urgence et les soins de santé essentiels. Des distributions de nourriture organisées par le gouvernement et la société civile ont commencé dans certaines localités. La solidarité interhaïtienne s’est manifestée immédiatement. Puis les Américains ont effectué une première distribution de nourriture le 9 octobre à la capitale et dans le Sud. La nourriture consiste en riz, pois et huile. Il importe d’y ajouter plus de protéines, des légumes, ainsi que des feuilles pour la vitamine C.
Le calendrier de distribution de nourriture mérite d’être établi par ville et zone affectée afin de rationaliser et de maximiser les effets. Dans le même temps, il s’agit de distribuer des semences à croissance rapide (maïs, choux, manioc, patates douces, melons, etc.) La politique de l’aide alimentaire à ceux qui ont tout perdu devrait être couplée à une politique de production alimentaire. Une semaine après le passage du cyclone Matthew, dans beaucoup d’endroits, la population attend avec impatience le début de la distribution alimentaire. Haïti a reçu l'aide alimentaire de plusieurs pays. Des dizaines d’ONG dont Food for the Poor, Action contre la Faim, Care, ont porté les premiers secours à ceux touchés par le sinistre. Des denrées sont arrivées sur place, mais certains pointent la lenteur de la distribution. Par exemple, c’est le cas aux Cayes où selon un sinistré, « On est là depuis le dimanche 2 octobre. Jusqu’à présent on n’a vu aucune autorité de l’État. Seulement la Croix-Rouge comme institution non gouvernementale a visité, une fois, l’abri provisoire du Lycée Philippe Guerrier des Cayes ». Il importe donc d’augmenter la cadence des activités de distribution surtout dans les zones reculées.
La réponse humanitaire veut être à la hauteur des 10% de la population touchée, dont près d’un demi-million d'enfants dans les régions les plus affectées. Mais cela ne suffit pas étant donné l’ampleur des dégâts et la faiblesse des structures locales. Le moment ne serait-il pas venu, comme l’annonce l’éditorial du journal britannique The Guardian, de mettre en œuvre un vaste programme de réparations de la communauté internationale pour Haïti ? En effet, Haïti a payé à la France pendant un siècle 90 millions de francs-or, soit un montant estimé entre 17 milliards de dollars et 21 milliards de dollars aujourd’hui. La décapitalisation d’Haïti qui s’en est suivie fait paraitre comme une goutte d’eau les 120 millions de dollars sollicités par les Nations Unies pour Haïti pour les trois prochains mois.
Les béquilles dominicaines
Béquilles est un livre à lire pour com prendre l'univers caché des sortilèges soutenant les relations entre les élites des deux pays. |
Dans tous les cas, sur le plan multilatéral, selon le bureau des Nations Unies pour l'aide humanitaire (OCHA en anglais), 2.1 millions de personnes sont affectées et 750.000 personnes, dont 315 000 enfants, ont besoin d'une assistance immédiate. Le Programme alimentaire mondial (PAM) a constitué des réserves pour nourrir 300.000 personnes pendant un mois, dont 25 tonnes sont allouées à Jérémie pour nourrir 9.000 personnes pendant une semaine. D’autres activités sont menées par ACTED (santé), PNUD (eau, assainissement et hygiène), Catholic Relief Service (sécurité alimentaire), etc. Sur le plan bilatéral, l’aide humanitaire provient de Washington à Cuba en passant par la France, l’Union européenne, la Suisse, l’Allemagne, le Canada, le Venezuela, la Colombie, la République Dominicaine. Washington a envoyé un navire avec 400 Marines. Ces derniers assistent la Police Nationale d’Haïti (PNH) pour sécuriser les convois d’aide alimentaire contre les attaques des pilleurs. La France envoie 60 soldats et 32 tonnes (aide humanitaire, dispositifs de purification d'eau). Cuba a envoyé des médecins et du personnel sanitaire. Le Venezuela et la Colombie ont envoyé des bateaux remplis de provisions alimentaires, de matériels techniques ainsi que d’un hélicoptère pour le transport des équipements.
La solidarité de la République Dominicaine avec Haïti est particulièrement appréciable dans cette conjoncture. Des supports, comme je l’ai signalé en 2014 dans l’ouvrage Béquilles — Continuité et des ruptures dans les relations entre la République Dominicaine et Haïti. Des béquilles similaires à celles utilisées jusqu’ici pour monter et descendre des escaliers aux marches inégales pouvant provoquer des chutes, comme l’atteste l’arrêt TC168-13 sur les milliers de Dominicains d’origine haïtienne. Le président Danilo Medina a envoyé un convoi humanitaire de 500 camions et véhicules avec un matériel lourd diversifié, de la nourriture et des techniciens pour aider à la reconstruction. L’aide alimentaire constituée de 25 mille tonnes d’aliments crus est destinée aux populations de Jérémie, Grand’Anse, Roche-à-Bateaux, Ile-à-Vaches, Cayes, Port-à-Piment, etc.
Cinq unités de cuisine mobile ont été envoyées à Pedernales pour cuire les aliments. D’un autre côté, le Ministère de l’Agriculture dominicain a expédié des camions contenant 600 mille bananes, 36 mille kilos de patates, 25 mille livres de fromage, 55 mille livres de poulet et 95 mille livres de riz. D’autres produits envoyés sont des saucisses, des sardines, des biscuits, du zinc, et du bois pour la construction des maisons. Cette coopération Sud-Sud inclut également 40 équipements lourds tels que des grues et des camions et plus de 250 experts dominicains. Enfin, l’aide dominicaine comporte aussi le carburant pour les équipements et toute la logistique en matière d’ambulances, d’hélicoptères, d’ateliers mobiles, de centrales électriques mobiles et des équipements pour fournir l'eau potable. (à suivre)
Citation du Président Jocelerme Privert cité dans « Un ouragan se rapproche de Cuba, Haïti et la Jamaïque », Le Figaro, France, 2 octobre 2016.
Edver Serisier, « Les sinistrés s’impatientent », Le National, 11 octobre 2016.
« The Guardian view on Haiti: time to repay our debts », The Guardian, 11 October 2016.
OCHA, Haïti Situation report, No. 8, October 12, 2016.
Leslie Péan, Béquilles –Continuité et ruptures dans les relations entre la République Dominicaine et Haïti, Pétionville, C3 Éditions, 2014.
Presidencia de la República Dominicana, « Toneladas de alimentos camino a Jimaní para entregar mañana a Haití », 11 de Octubre de 2016.
Par: Leslie Péan |