Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Sunday, February 10, 2019

LE PRÉSIDENT JOJO SOUS LE MICROSCOPE DE LA FONTAINE - (Première partie)

Par Eddy Cavé 





Dans notre beau pays d’Haïti Thomas, où « l’impossible est possible et  le possible, impossible » et où « les gens marchent la tête en bas »,  l’affabulation présente un attrait  presque irrésistible pour quiconque essaie d’en raconter certaines tranches d’histoire.  Ésope et, dans son sillage,  La Fontaine y ont eu recours pour peindre les mœurs de  leur temps, tout en divertissant leurs concitoyens. Un procédé qui permet de raconter en badinant une présidence chaotique et menacée de toutes parts d’effondrement.

Tout portait à penser, dès proclamation des résultats des élections de 2016, que le jeune président  avait  appris les fables de La Fontaine et qu’il allait au moins  en prendre les maximes comme boussole.  Mais encore eût-il fallu les appliquer à la lettre et à  bon escient!

Le lièvre et la tortue                                  
De toute évidence, une de ses  premières déclarations de président nouvellement  élu s’inspirait  de la maxime de la fable du lièvre et de la tortue : « Rien ne sert de courir, il faut partir à temps.»  Ainsi, Jojo n’avait  pas encore prêté serment comme président qu’il effectuait un départ en trombe dans cette course d’obstacles. Pas seulement à temps,  mais avant le temps,  en faisant cette  la déclaration fracassante : « Le carnaval  national  aura lieu aux Cayes. Point barre. » Le président avait parlé. Déclaration claire et simple à mon goût, mais  annonciatrice d’un type de leadership pour le moins inquiétant !

Ainsi, le nouveau maître des lieux s’installait à la fois dans la peau de l’éléphant qui écrase tout sur son passage et du lion qui fait la loi, l’applique à sa manière et règne en maître absolu.

Au grand dam d’une opposition morcelée, épuisée par une campagne électorale de plus d’un an et endormie par le délai de grâce des 100 premiers jours, Jojo se mit à marquer des points : réussite spectaculaire du carnaval national des  Cayes; caravanes de l’espoir dans le Sud, et  l’ Artibonite; révélations tapageuses sur les prix de l’asphalte et ses miracles  de magicien au service de la Patrie commune; promesses inconsidérées faites avec l’assurance d’un chef d’État qui n’a pourtant pas les moyens financiers de ses politiques. On découvrira plus tard que, tout en suivant les préceptes de La Fontaine, Jojo  appliquait  une consigne prêtée à Voltaire par un adversaire peu scrupuleux : « Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose. » Soit dit en passant, Voltaire n’a jamais prêché pareille ineptie.

Dans la foulée des promesses d’argent dans les poches du citoyen, de nourriture dans toutes les assiettes et d’emplois pour tous, Jojo  lancera aussi le slogan Elektrisite nan 24 mwa qui est en train de lui éclater  au visage en ce début de février 2019.

Le corbeau et le renard
Dans l’euphorie du carnaval national des Cayes et du concert de louanges qui accueille le couple Jojo-Titinne au Palais national, le président oublie très vite la leçon de la fable du  corbeau et du renard : « Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute ». Aussi  distribue-t-il  à tour de bras les largesses du pouvoir aux « hypocrites caressants » qui l’encensent sur tous les tons à longueur de journée. Les grands bénéficiaires sont ceux et celles qui chantent le plus fort et se rasent et se cirent  le crane le plus souvent possible en guise de serment d’allégeance.

Les contrats juteux pleuvent alors sur l’oligarchie qui a financé sa très coûteuse campagne électorale et qui attend à bon droit les retours d’ascenseur. Adulé  par ce beau monde du milieu des affaires,  l’ami Jojo flotte sur un nuage.  Il sillonne le pays à la tête de sa caravane, concentrant entre ses mains les fonctions d’un premier ministre invisible et des ministres introuvables des Travaux publics, de l’Agriculture, etc. La réussite est totale, le bonheur parfait! Mais personne ne voit que les prix montent, que la gourde coule et que le marasme s’installe insidieusement, Un seul refrain :

« Que vous êtes joli! Que vous me semblez beau!» 
Amateur de formules simplistes, Jojo oublie toutefois celle-ci : « Qui trop embrasse mal étreint. »  Il  accumule ainsi  gaffe sur gaffe en un temps record : constructions de mauvaises routes sans études préalables; improvisations dangereuses dans l’agriculture avec la promesse de création de dix zones de production;  nominations partisanes dans tous les secteurs, diplomatie comprise; projet de téléphérique dans le Nord; gestion catastrophique du budget dont le déficit croissant entraîne  la gourde dans un trou sans fond. Jojo se bat sur tous les fronts et adore les bains de foule dont les inaugurations les plus insignifiantes lui donnent l’occasion.

Le loup et l’agneau
Jojo avait appris en mémorisant Le loup et l’agneau  que la raison du plus fort est toujours la meilleure. Comme il n’a jamais oublié cette maxime qui fait le bonheur des puissants de ce monde, il  fonce tête première dans l’exercice solitaire du pouvoir  et dans une prise de décision autocratique et complètement aberrante. La griserie du pouvoir aidant, il oublie très vite qu’il a été propulsé au pouvoir sans  préparation adéquate  et il ne fait aucun effort pour s’initier à la pratique de la délégation. Il sait qu’il est le plus fort et que tout ce qui est bon pour lui est bon pour son entourage et pour le pays.

Chaussé de ses solides, mais peu esthétiques, bottes de construction, il se fait bon papa, stratège, tacticien, gestionnaire, directeur de chantier et occupe à lui seul tout l’espace médiatique. Ce faisant, il s’entoure d’une armée de courtisans qui applaudissent à tout rompre à ses initiatives les plus saugrenues. Une seule promesse mirobolante  manque à son programme de gouvernement : la création de  murs entre les zones de non-droit et les beaux quartiers. Bravo Jojo, diraient-ils! Bali bwa, chofè!


Dans un premier temps, Jojo, le plus fort des forts,  est gratifié de tous les honneurs, mais quand, au bout de quatorze de mauvaise gestion,  les émeutes éclatent, il est contraint de congédier son premier ministre et d’écarter, du moins officiellement, certains proches devenus trop encombrants. En ce début de 2019, les manifestations de rues ont gagné en importance  et inquiètent de plus en plus, et  l’interlocuteur  le plus fort est en train de devenir la rue. Avec les nombreux changements d’allégeance que cela  entraîne.

En hommage à la vérité, il faut toutefois dire qu’en rusé compère, il se voit aussi en renard. Admirateur silencieux de cette engeance sortie des fables de La Fontaine, il a, avec la complicité de Titine, leurré durant toute la campagne électorale les Gwo Soso, Valérie, Christine et autres grandes dames du PHTK. Une fois installé dans ce qui reste du Palais national, le terrible duo les écarte habilement du Palais et fait place nette pour les nouveaux invités au banquet du pouvoir.
Le renard de La Fontaine
Qu’il s’agisse des maîtres chanteurs et «  parle-menteurs » Jacques et Gracia, de l’homme d’affaires Edo, du tout-puissant Shérif  ou de Micky lui-même, on observe maintenant que le vent a tourné. Et, avec lui, les girouettes accrochées au mât du navire. Pas surprenant que les deux anciens présidents du Sénat qui avaient appuyé en 2010 Myrlande Manigat contre Michel Martelly aient  repris leurs  places dans les rangées de l’opposition. « La politique haïtienne est byzantine! », se plaisait à répéter Leslie Manigat. Jojo est en train de l’apprendre à ses dépens.

Le laboureur et ses enfants
Vue partielle de la plantation d'Agitrans en 2016
La publication, fin janvier, du rapport de la Cour supérieure des comptes  sur la dilapidation des fonds de Petro Caribe a remis sur le tapis le scandale d’Agitrans. Autrement dit, de l’abandon des installations de la gigantesque exploitation agricole qui a propulsé Jojo sur la scène nationale en 2015-2016. Après avoir coûté des millions de dollars aux contribuables du pays et servi de rampe de lancement de Jojo au timon des affaires, Agitrans a simplement été fermée et la plantation de bananes, abandonnée à elle-même. La seule opération d’exportation connue est un trompe-l’œil qui finalement n’a trompé personne : l’exportation de quelques caisses de bananes vers l’Allemagne sur un convoyeur pratiquement vide.  Et la vie a repris son cours  dans ce pays où les scandales ont la réputation de durer 17 jours, soit deux semaines et un week-end additionnel.

Si Jojo avait appris la fable du laboureur et de ses enfants et s’en était souvenu, il aurait tout fait pour sauver les bananeraies. Il aurait retenu que, les enfants du fermier n’ayant pas  trouvé le trésor prétendument enfoui dans le terrain légué par leur père et qu’ils passèrent une année complète à labourer, il était très rentable de l’ensemencer et de récolter. Comment comprendre donc que les stratèges qui ont monté et financé Agitrans pour nous donner Jojo comme président n’aient rien fait par la suite pour sauver et rentabiliser l’investissement initial? Qu’ils aient  refusé de remettre en mouvement  cette unité de production qui n’attendait qu’un tour de clé pour alimenter un marché international avide de produits biologiques et un marché national en proie à des pénuries chroniques?

Quoi de plus simple, Eddy, me répondent tous les jours les gens qui  prétendent détenir la clé de l’énigme? « L’objectif du projet n’était pas de faire d’Haïti un grand exportateur de bananes biologiques. C’était de propulser Jojo la banane à la présidence et cet objectif a été atteint. »  En gestion de projet, m’explique-t-on, comme si je venais d’une autre planète, la réalisation d’un projet ne va  au-delà de l’atteinte des objectifs. Point barre!

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE

Ottawa, le dimanche 3 février 2019

Eddy Cavé eddycave@hotmail.com

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