Pour célébrer la Journée internationale de la femme
Anacaona, première grande figure féminine de notre histoire |
PAR Eddy Cavé eddycave@hotmail.com
DEUXIÈME PARTIE
Dans cette deuxième partie, nous rendons hommage à quatre autres
héroïnes oubliées de notre histoire : Madame Veuve Abel, Henriette Saint-Marc,
Henriette Saint-Marc, Défilée-la-Folle. La conclusion est consacrée à Anacaona.
Madame veuve Abel
Contrairement à une idée encore très répandue, les Haïtiennes
d’autrefois ne se contentaient pas de vivre dans l’ombre de leurs maris. On
raconte que c’est Madame Veuve Abel, une sœur du général de division Nicolas
Geffrard et en même temps la belle-sœur du ministre de la Guerre, le général
Gérin, qui força presque ce dernier à participer à la conspiration contre
Dessalines. Selon la petite histoire, la population des Cayes avait la
conviction que le général Geffrard, mort subitement le 31 mai 1805, avait été
empoisonné sur ordre de Dessalines, qui croyait dur comme fer que ce général
conspirait contre lui avec Christophe.
On raconte que Gérin était très réticent à sauter dans le train en
marche quand Madame Abel l’apostropha chez elle un soir en disant : « Général
Gérin, si vous ne vous sentez plus le courage de combattre avec vos frères,
donnez-moi votre habit, vos épaulettes et votre épée, je marcherai à votre
place.»
À court d’arguments, Gérin serait passé à la conspiration. On
pourra toujours objecter que Veuve Abel a mis sa force de caractère au service d’une
mauvaise cause, mais cela n’enlève rien à son courage de fanm vanyan (femme de
grand courage).
……10). Henriette Saint-Marc (17xx-1802)
Les oubliées de l'histoire |
Parmi les héroïnes oubliées de notre histoire, il convient de
mentionner ici Henriette Saint-Marc qui a été, avant la lettre, la Mata Hari de
la guerre de l’Indépendance d’Haïti. Fille d’une esclave noire et d’un
fonctionnaire blanc, elle était, selon les témoignages de ses détracteurs, une
prostituée de luxe exécutée en 1802 pour complicité avec les insurgés. Il est
en effet admis qu’aujourd’hui qu’elle a mis au service de Toussaint Louverture,
puis de Dessalines, ses charmes, ses talents et ses relations privilégiées avec
les officiers français..
Selon certaines sources, elle entraînait souvent dans des endroits
reculés certains soldats et officiers de l’armée française qui ne revenaient
jamais à leurs campements. On pense qu’elle les faisait achever par des
complices après les avoir mis hors d’état de se défendre. Elle sera finalement
découverte, jugée et condamnée à la peine de mort. Thomas Madiou qui résume en
ces termes les derniers moments de sa vie au Cap : « Arrachée de la prison,
elle fut placée entre deux pelotons de carabiniers européens, et conduite,
suivie de son cercueil, sur la place du marché, vis-à-vis de l'église […] Elle
monta sur l'échafaud avec courage. Quand son cadavre se balança dans l'air, un
cri lugubre, des sanglots éclatèrent dans la foule. Les femmes abandonnèrent le
marché, saisies d'horreur…»
Cécile Fatiman (v.1775-1887)
Cécile Fatiman |
Une autre figure féminine occultée de la résistance et de la
politique haïtiennes est sans conteste celle de la Cécile Fatiman, la prêtresse
vaudou qui anima, aux côtés de Boukman, la cérémonie du Bois-Caïman. S’agit-il
d’un oubli involontaire ou d’une opération délibérée de matraquage des esprits?
Le fait est qu’aucun de nos manuels scolaires ne précise l’identité de ce
personnage qui a joué un rôle essentiel dans l’acte fondateur qu’a été cette
cérémonie.
La vérité est maintenant connue. Voici ce qu’a écrit le Dr Étienne
Charlier au sujet de cette héroïne :
« Cécile FATIMAN, femme de Louis Michel PIERROT, qui commanda un
bataillon indigène à Vertières et devint plus tard Président d'Haïti, participa
à la cérémonie du Bois-Caïman: elle était une mambo. Fille d'une Négresse
africaine et d'un Prince corse, Cécile FATIMAN était une Mulâtresse aux yeux
verts et à longue chevelure noire et soyeuse et avait été vendue avec sa mère à
Saint-Domingue. La mère avait également deux fils qui disparurent au hasard de
la traite, sans laisser de traces. Cécile FATIMAN vécut au Cap jusqu'à l'âge de
112 ans, en pleine possession de ses facultés. »
Défilée-la-folle
Dédé Bazile ou Défilé-la-folle |
Par une de ces révoltantes injustices, l’histoire d’Haïti n’a
retenu deux choses de la vie de Dédé Bazile : le fait qu’elle était folle et
qu’elle posa un acte de grande générosité en ramassant les restes épars du
corps de Dessalines pour les transporter au cimetière des « Trousses-Côtes »,
qui était alors le seul de la ville.
De sa vie d’avant la folie et de son passé de combattante, on ne
dit généralement rien. Au terme de patientes recherches, l’ancien professeur
d’histoire Octave Petit conclut que Défilée est née au Cap-Français vers 1736
et qu’elle est morte sous Pétion en 1816. Elle aurait perdu la raison en
apprenant la mort de deux frères et de trois fils tombés au front durant un des
combats sanglants de la guerre de l’Indépendance. Voici ce qu’a écrit à son
sujet Me Cadet Jérémie :
Les femmes esclaves |
Ces femmes innommées sont les premières soldates de la Liberté.
Elles avaient le souci d'assurer le pot-au-feu et de soutenir la bravoure. En
traversant les champs qui étaient à tous puisque c'était la sueur de
l'esclavage, en grattant les radicelles pour savoir si le manioc était à point,
ces femmes préparaient l'attaque prochaine…»
Au sujet du nom de Défilée, Cadet Jérémie apporte une explication
assez convaincante en écrivant :
[…] Ce qu'il y a de particulier chez l'esclave dont nous racontons
la vie, c'est l'obsession de la lutte pour la Liberté. Cette idée fixe dirigera
toutes ses actions. Ce n'était plus qu'une ombre attachée au pas des héros. Le
son du tambour l'entraînait. Chaque fois que l'Armée s'arrêtait quelque part,
elle levait sa canne : DE—FI-LEZ ! Ce mot de commandement deviendra son nom et
c'est sous ce nom qu'elle s’emparera de l'Histoire.
EN GUISE DE CONCLUSION
Anacaona
Anacaona, la reine guerrière des Taïnos fut pendue... |
En cette journée internationale de la femme, je ne puis me
résoudre à clore cet hommage à nos héroïnes sans dire un mot d’Anacaona,
première grande figure féminine de notre histoire. Chantée par nos poètes et
nos musiciens, honorée par nos historiens et nos romanciers, Anacaona habite
aujourd’hui encore la mémoire des femmes et des hommes de l’ancien caciquat du
Xaragua. Sœur du cacique Bohéchio et épouse de Caonabo, elle appartenait à la
célèbre dynastie des Tainos, objets du premier génocide de notre histoire.
Le baron Émile Nau a reconstitué dans son Histoire des Caciques
d’Haïti, parue en 1855, le mode de vie des caciquats et leur fin tragique. Il y
souligne la beauté, la grâce, l’élégance et l’intelligence d’Anacaona. Dans le
compte rendu de la réception qu’elle a offerte à Barthélemy Colomb en 1496, Nau
écrit : « Anacaona, portée en litière, suivait immédiatement ces filles
d’élite. Elle était vêtue de sa plus belle tunique. Elle avait la tête ornée
d’une espèce de tiare plaquée d’or, et d’une guirlande de fleurs fraîchement
cueillies et de toutes couleurs […] qui, après avoir fait plusieurs fois le
tour de ses trempes et de son front, se répandaient sur ses épaules et sur ses
seins nus. La plupart des hymnes qu’on chantait étaient de sa composition. »
En 1503, c’était au tour de Nicolas Ovando d’accueillir la
souveraine. La réception, pourtant bien commencée, « se changea soudain en un
horrible carnage ». Tous les spectateurs furent massacrés sans pitié, y compris
les caciques invités. Seule Anacaona fut épargnée. Après s’être débarrassée, en
1504, de tous les autres caciques de l’île, Ovando repartit pour Santo Domingo
avec elle, « liée et garrottée », et la fit juger et condamner à mort pour
rébellion. « La gracieuse reine, l’illustre poète […] fut ainsi
ignominieusement pendue. »
F I
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