Quand on vit en dehors du pays, il y a des paramètres
que l’on prenne en compte dans ses analyses que nombre d’éléments qui vivent à
l’interieur du pays ne considèrent pas. Certains croient que le phénomène du
banditisme en Haïti est dû seulement à la précarité et à la pauvreté. Dans un
certain sens, on peut dire oui, mais nous n’avons pas tout le tableau avec
cette assertion. Faire partie d’un gang est un emploi, être gangster est un
métier lucratif en Haïti. Les experts en sécurité publique en Haïti ne sont pas
nombreux, mais il y a des hommes bien formés qui comprennent la dynamique de la
gangstérisation qui est arrivée à son apogée aujourd’hui. Mes compatriotes
parlent de banditisme, de gangs qui sèment la terreur dans certains quartiers
de la capitale, mais ils oublient d’aborder les raisons d’existence de ces
gangs armés. Ici dans ce texte, nous allons aborder cette question et éclairer
la lanterne de nos compatriote sur la gangstérisation d’Haïti qui est une
politique publique embrassée par des dirigeants de l’Etat et soutenue par la
bourgeoisie. Pour bien cerner la question, nous pouvons dire que le processus
de gangstérisation du pays a débuté immédiatement après le départ de Jean
Claude Duvalier. Des groupes et des secteurs ont voulu avoir la mainmise sur
les bidonvilles, ainsi, ils ont trouvé bon d’armer des jeunes et des chômeurs
pour faire la répression au sein de ces bidonvilles.
Certains croient que les bandits dans les quartiers
populaires agissent seuls, mais ils ne comprennent pas la dynamique. Avec la
démocratisation d’Haïti qui a été mal abordée puisque l’éducation de masse et
l’éducation civique et morale du peuple qui devrait accompagnée ce processus
n’a jamais été rendu possible, plusieurs individus très bien placés au sein de
la société ont trouvé bon de fragmenter les bidonvilles pour les transformer en
des zones de non-droit. Pour mieux appréhender la question de gangstérisation,
c’est lors des élections qu’il faut observer. Ce sont ces mêmes bandits qui
sèment la pagaille et intimident la population pour ne pas voter. Dans
certaines communes quand il s’agit de voler les élections, ce sont ces bandits
également qui interviennent. Là, nous sommes en plein dans le banditisme d’Etat.
En deuxième année en travail social à la Faculté des Sciences Humaines, je
savais fréquenter une association à Cité Soleil où j’ai eu la chance de
travailler avec des jeunes qui faisaient partie des gangs de cette bidonville.
J’ai pu comprendre comment fonctionnait les gangs et savoir de qui ils
recevaient leurs armes et leurs munitions ainsi que l’argent pour faire rouler
le gang. La plupart des soldats, comme on les appelle sont rémunérés et ils
partagent entre eux les butins des braquages et des différents vols.
En Haïti, le crime organisé existe et bien des
rapports l’ont prouvé. Dans un rapport intitulé : Gang violence in Haiti publié
par l’Université Catholique de Sao Polo du Brésil, il est dit que les gangs en
Haïti sont armés et financés par la bourgeoisie d’affaire et les politiciens.
Il est connu de tous que certains politiciens qui n’ont pas de profession
établissent leurs gangs dans ces quartiers et les soldats rançonnent la
population et ces politiciens vivent de ces actes de banditisme qui rapportent
gros. En contrepartie, ils assurent la protection des bandits. Quand ils sont
arrêtés par la police, ils interviennent pour les relâcher. Depuis la création
de la Police Nationale d’Haïti, le service d’intelligence des commissariats se
servent des chefs de gang dans les ghettos pour se renseigner sur les activités
dans les bidonvilles. Chaque commissaire de police a un fond qui n’est pas
budgétisé qu’il peut utiliser à volonté pour payer des bandits qui sont des
informateurs liés au commissariat. Sur les gouvernements lavalas, les chefs
d’Etat savaient intervenir en personne pour relâcher des bandits notoires. Les
gangs qui font parler d’eux est un aspect du vaste phénomène de
gangstérisation. Et on doit dire que le phénomène de gang n’est pas l’apanage
des bidonvilles, même dans les quartiers huppés, il y a des gangs spécialisés.
On retrouve des gangs de kidnappings, d’autres qui se lancent dans le trafic de
la drogue, des gangs spécialisés dans l’exécution des gens. Vous vous souvenez
bien du gang de Clifford Brand, Sonson Lafamilia et Renel Le Récif.
C’est malheureux que certains partis politiques
rentrent dans cette logique de s’associer à des gangs pour le gain électoral.
Certains sénateurs et députés influents ont leur gang. Il arrive que des
sénateurs et des députés soient des chefs de gang eux-mêmes. Ces faits sont
connus de l’Ambassade Américaine, mais elle s’en fout puisque les victimes sont
des Haïtiens. Les ambassades étrangères ne disent rien sur ce phénomène de
gangstérisation parce qu’ils font leur affaire. Pour des raisons personnelles,
je ne vais pas citer le nom de certains gangsters qui sont connus et qui
arpentent des stations de radio de temps à autre pour faire leur sale besogne.
D’après vous, pourquoi la bourgeoisie haïtienne ne se sent jamais inquiétée,
malgré les revendications répétées du peuple haïtien. Tout simplement parce
qu’ils arrivent à contrôler les chefs de gangs qui sont à leur service. Depuis
plus d’un an, Cité Soleil est devenu une zone vivable grâce à l’effort de
certains ONGs dont Viva Rio et des notables de la zone qui ont pu faciliter le
dialogue. Aujourd’hui, les jeunes de Cité Soleil sont plus intéressés à
apprendre un métier et à trouver un boulot. Les massacres répétés des chefs de
gangs durant la transition 2004-2006 et durant l’administration de René Préval
II les ont dissuadés également.
Chers compatriotes, pensez-vous vraiment que la PNH
n’a pas les moyens pour faire régner la paix à Village de Dieu, Ti Bois et
Grand Ravine ? La Police Nationale d’Haïti peut neutraliser les bandits, mais
elle ne le fera pas puisque le directeur général de la PNH reçoit ses ordres
premièrement des ambassades, deuxièmement de la bourgeoisie d’affaires et
ensuite des dirigeants au pouvoir. Tous ces groupes ont leur intérêt dans la
gangstérisation. Imagine que ce peuple des bidonvilles pouvait penser et
réfléchir sur ses conditions matérielles d’existence et qu’il n’y avait pas ces
bandits pour semer la terreur, ne pensez-vous pas qu’ils se révolteraient. Le
président de la République sait qu’il ne peut pas atterrir, alors il gagne du
temps, il donne des distractions au peuple. Et l’opposition cherche à emmerder
le gouvernement en poussant ces gangs à terroriser la population. Il y a un
aspect lucratif de la gangstérisation qui est assez important. A la fin des
années 90 et au début des années 2000, dans certaines zones comme la Plaine du
Cul de Sac, des gangs étaient armés pour forcer certains propriétaires à
laisser leurs maisons et pour vendre à vil prix leurs propriétés et leurs
terrains. Il ne faut pas oublier que les bandits légaux au pouvoir veulent
investir dans le centre-ville et tout le périmètre allant de la Saline à
Martissant. A entretenir des gangs et semer la terreur, ils poussent la
population à se réfugier ailleurs
Ce qui est lamentable dans tout cela, c’est qu’il y a
des experts en sécurité publique qui détiennent ces informations, mais ils ne
peuvent dire rien puisqu’ils ne veulent pas mettre leur vie en danger. Depuis
une dizaine d’années, nous travaillons avec des policiers pour mieux
appréhender le phénomène de gangstérisation. C’est triste de le dire, mais vous
trouvez des policiers qui sont partie prenante des gangs également. Chaque
jour, je reçois des vidéos de gangsters qui paradent avec des armes lourdes,
d’après vous, où est-ce que ces jeunes trouvent ces armes de guerre ? Les
munitions ne sont pas gratuites. Pour semer la terreur pendant toute une nuit
de 6 à 8 heures de temps, il faut au moins 3 à 4 mille dollars américains pour
les balles, d’où est-ce que les bandits trouvent cet argent ? Personne ne pipe
mot sur les armes qui entrent en Haïti dans les wharfs privés en contrebande.
Les responsables de sécurité publique n’ont jamais mené des enquêtes pour
savoir qui achètent ces armes et à quelle fin. Voilà l’Haïti dans lequel nous
vivons. Le crime et le banditisme sont très bien organisés au pays. Certains
jeunes sont illusionnés et croient qu’ils peuvent changer le pays avec de beaux
discours. Il y a assez d’armes dans le pays pour tuer tous les Haïtiens. Et ce
climat de terreur que nous vivons un peu partout dans le pays, c’est un fait
voulu, car les élites de ce pays vivent de sensation et de crimes.
Quand vous avez des connaisseurs comme l’ancien
gouverneur Fritz Jean, l’économiste Eddy Labossière, Philippe Vixamar, ancien
cadre de la BNC, vous ne pensez pas que ces gens à eux seuls auraient pu
proposer des idées pour revitaliser l’économie nationale ? Ce n’est pas sans
raison que Fritz Jean qualifie l’économie haïtienne d’économie de rente et il sait
pourquoi on ne peut pas transitionner vers un autre système économique où la
compétition et l’innovation puissent régner en maitre. La classe d’affaire ne
veut pas de la compétition et ils sont contre les investissements directs
étrangers et les investissements de la diaspora. Alors, qu’est-ce qu’ils font
pour dissuader les gens de venir investir en Haïti, ils arment des bandits, ils
installent des gangs armés un peu partout et ils sèment la terreur. Ceux qui
sont capables et qui ne veulent pas vivre dans ces conditions exécrables
s’exilent, et d’autres qui sont attachés à la terre d’Haïti et qui ne veulent
pas partir gardent le silence. Les gens sont terrorisés. On peut mourir à
n’importe quel moment en Haïti du phénomène de banditisme et de ganstérisation
généralisée. Je me garde de parler de révolution avec quiconque en Haïti, car
je sais que c’est une utopie pour le moment. Il prendra du temps pour arriver à
l’Haïti nouvelle, et ceci ne se fera pas sans heurts et sans casses. C’est dur
de le dire, mais c’est une vérité de la palice. Je n’écris pas pour faire
plaisir à des individus ; j’écris pour dire la vérité et porter les gens,
surtout les jeunes à réfléchir.
Depuis un bon bout de temps, on ne parle plus du
trafic de la drogue, et pourtant il est florissant. A chaque fois que je vois
un Haïtien qui vit en dehors du pays prendre la décision de faire une visite en
Haïti, je me demande bien est-ce qu’il va retourner. Il y a des jeunes, fils et
filles d’immigrants haïtiens qui s’intéressent au pays, mais comment vont-ils
entrer dans ce pays pour investir leur argent quand il y a une mafia qui
contrôle tout ? Nous ne devons pas être naïfs. J’apprécie la fougue de certains
jeunes qui croient au changement et qui mettent tout leur poids dans la balance
pour que ce changement arrive, mais des fois, ils oublient qui sont les
véritables ennemis et comment fonctionne la société haïtienne. Même ceux qui
établissent ce climat de terreur, ils ont peur parce qu’ils ne savent pas quand
un gang rival va les attaquer. La bourgeoisie haïtienne elle-même qui a le
monopole de la violence est fragmentée. C’est la guerre des gangs au sein même
de cette bourgeoisie. Malheur à celui qui est naïf dans ce pays. Quand je pense
à ces belles têtes qui faisaient partie de la PNH qui, aujourd’hui sont soit
dans l’au-delà, soit à l’étranger, je me demande comment ce pays va-t-il se
relever s’il n’y pas une force externe capable de bousculer les bandits légaux
et de les neutraliser. Je sais qu’il y a des gens qui n’arrivent pas à saisir
ce que j’écris, mais au fur et à mesure, ils finiront par comprendre. Tout
jeune, j’avais le sens de l’observation. Je prends du temps pour apprendre et
pour comprendre. Pour lutter en faveur des déshérités de ce pays, il faut bien
avoir du fiel et de la résilience.
Je vis avec l’idée qu’un jour tout ce que nous vivons
comme terreur et comme situation exécrable ne seront plus. Il y aura une Haïti
nouvelle. Les bien-pensants doivent lutter pour former la masse critique.
Maintenant que nous avons les réseaux sociaux, nous pouvons former les jeunes
et les moins jeunes qui devrons assumer la relève tôt ou tard. Ayiti nou vle a
pap ka fèt ak blofè. Ayiti nou vle a pap ka fèt ak moun ki fè richès yo nan
sistèm peze souse a. Quand un Haïtien te dit que tout va bien, il faut penser à
deux choses, soit il est fou, soit il fait partie de ceux qui contrôlent les
gangs armés. En attendant la gangstérisation continue. Ne crois pas aux
interventions de saupoudrage de la Police Nationale d’Haïti à la recherche de
bandits. Ils savent comment les appréhender ; la PNH sait comment protéger les
vies et les biens même quand il y a un problème de ressources. Mais, les élites
qui nous dirigent ne veulent pas la paix, ni la vie pour tous dans ce pays. Que
c’est triste ! Les Haïtiens doivent apprendre à prendre en mains leur destin.
Même quand les élections sont truquées, mais le vote est l’un des moyens de
prendre contrôle de l’appareil politique pour structurer l’économique et le
social. Nous ne baisserons pas les bras. Nous encourageons ceux qui
s’investissent dans le futur de ce pays de rester vigilants et sur leur garde,
car les prédateurs sont un peu partout. Il y en a même qui prennent la posture
de mouton. Notre secours et notre espoir résident dans cette phrase, oh combien
significative : l’union fait la force. Que vive Ayiti !
Kerlens Tilus |
Kerlens Tilus 11/04/2018
Futurologue/ Templier de Dieu/ Ecrivain
Snel76_2000@yahoo.com
Tel : 631-639-0844
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