Le 17e sommet de la Francophonie bat désormais
son plein à Erevan, en Arménie. Dans la matinée, ce jeudi 11 octobre 2018, la
cérémonie d’ouverture a rassemblé plusieurs dizaines de chefs d’Etat et de
gouvernement en séance plénière. En filigrane des interventions de
MM. Macron et Trudeau : la désignation probable de la Rwandaise
Louise Mushikiwabo au secrétariat général de l’Organisation internationale de
la Francophonie, en remplacement de la Canadienne Michaëlle Jean, qui ne sera
pas reconduite. Amère, cette dernière a clôturé la séance par un discours
offensif centré sur les valeurs de l’OIF.
Une dizaine de discours à la tribune. Ce jeudi matin à Erevan,
chacun y est allé de la défense de la langue française comme outil de réconciliation
entre les peuples. Mais le vrai sujet dans toutes les têtes, c’était le duel
pour le secrétariat général de l’organisation, la « bataille des
dames » qui défraie cette année la chronique, et qui devrait déboucher sur
une victoire de Mme Mushikiwabo.
La sortante
Michaëlle Jean, ancienne gouverneure générale du Canada née en Haïti, n’a
jamais eu le soutien de la France dans sa
course pour un second mandat. Mais sous l’impulsion de Paris, elle a également
perdu celui d’Ottawa cette semaine, Justin Trudeau s’étant rallié au consensus
naissant autour de sa rivale rwandaise, alors qu’il soutenait sa ressortissante
activement jusque-là.
Discours de Michaëlle Jean à Erevan, le 11 octobre 2018
Excellences,
Monsieur le Président de la République d’Arménie,
Monsieur le Premier ministre d’Arménie,
Messieurs les chefs d’Etat et de gouvernement,
Mesdames et Messieurs le Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les chefs de délégation,
Madame la Directrice de l’UNESCO,
Monsieur le Secrétaire général de l’OEA,
Monsieur le Président de la République d’Arménie,
Monsieur le Premier ministre d’Arménie,
Messieurs les chefs d’Etat et de gouvernement,
Mesdames et Messieurs le Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les chefs de délégation,
Madame la Directrice de l’UNESCO,
Monsieur le Secrétaire général de l’OEA,
Chers amis de la Francophonie,
Tout, sur cette terre d’Arménie, nous appelle à un devoir de
mémoire.
Tout, ici,
est à jamais empreint du souvenir des centaines de milliers de victimes de ce
monstrueux projet d’extermination planifié, méthodique, et persévérant dans
l’horreur que fut le génocide arménien.
C’est à ces hommes, ces femmes, ces enfants que je pense en cet
instant, mais aussi à tous les rescapés qui n’ont jamais accepté que leur pays
soit condamné à n’appartenir qu’au passé.
L’Arménie est plus que jamais vivante, riche de la force et du
courage d’un peuple de culture et d’histoire, riche de l’ingéniosité et de la
vaillance de sa jeunesse projetée vers l’avenir... riche de la vitalité de sa
diaspora qui lui a donné les dimensions du monde.
Charles Aznavour, n’était-il pas de ces citoyens, de ces Arméniens
du monde ?
Eh bien,
aujourd’hui, Monsieur le Premier Ministre, c’est le monde qui, à votre
invitation, vient à l’Arménie, à travers les 84 États et gouvernements de la
Francophonie des cinq continents.
Et, c’est pour nous une grande fierté, un grand bonheur, à la
hauteur de l’accueil si chaleureux, si sincère qui nous est réservé à
l’occasion de ce XVIIeme Sommet de la Francophonie.
Je vous en remercie, en mon nom personnel et au nom des peuples de
la Francophonie.
Messieurs les chefs d’Etat et de gouvernement,
Tout, ici, sur cette terre d’Arménie, nous appelle à un devoir de
mémoire, et par là-même à vivre, ensemble, un moment de vérité et de lucidité
parce que, malheureusement, l’histoire nous apprend que nous ne savons pas
apprendre de l’histoire.
Or « Quand le passé n’éclaire plus l’avenir, comme le disait
Tocqueville, l’esprit marche dans les ténèbres ».
Telle fut la raison d’être de la Société des Nations, puis de
l’Organisation des Nations unies, de l’Union européenne aussi, qui se sont
construites sur les décombres de deux guerres mondiales, avec la farouche
volonté d’assurer, enfin, la paix et la sécurité, de favoriser le progrès
économique et social, à travers la coopération entre les peuples et sur la base
également de la reconnaissance de la dignité, des libertés et des droits
fondamentaux de la personne humaine.
Nous ne sommes pas toujours parvenus à éviter le pire, mais la
communauté des nations, rassemblée au sein des organisations multilatérales, a
continué d’avancer, pas à pas , sur la voie de la réalisation de ces idéaux
encore et toujours à atteindre.
Nous, de la
Francophonie, avons aussi, à notre manière, construit notre projet sur des
décombres, ceux de la colonisation et de son déni d’humanité.
Ce projet nous l’avons construit avec la farouche volonté de
renaître à nous-mêmes, et de renaître au monde.
Et nous avons su faire de la langue française langue de
domination, une langue d’émancipation et de coopération, langue partenaire de
toutes nos autres langues, revitalisée par toutes nos écritures et toutes nos
autres langues, mais surtout au service d’un humanisme intégral et universel
dans lequel trouverait à s’épanouir, autour de valeurs partagées, la diversité
de nos traits de civilisation, de nos cultures dans toute leur richesse et leur
complémentarité, dans leur égale dignité.
Nous aussi, nous avons avancé, étape après étape, pour toujours
mieux concrétiser et faire prospérer cet idéal, pour toujours mieux nous
adapter aux bouleversements géopolitiques et aujourd’hui aux défis de la
société mondialisée.
Et nous sommes chaque jour debout et à pied d’oeuvre. Tout sauf
fatigués. Nous avons chassé le mot fatigue de notre vocabulaire. Moi, la
première.
Permettez que je cite ici Léopold Sedar Senghor :
« Notre
Francophonie, n’est ni une tour ni une cathédrale, elle s’enfonce dans la chair
ardente de notre temps et ses exigences ! »
Ces mots
s’imposent à nous comme une évidence.
Messieurs les Chefs d’État et de gouvernement,
C’est sous votre impulsion que la Francophonie , au fil de ces
quelque cinquante ans, a renforcé ou élargi ses missions, pour répondre au plus
près, oui aux besoins et aux aspirations nouvelles des populations, notamment
des femmes et des jeunes, en matière d’éducation et de formation, en matière de
développement durable, d’innovation technologique, d’entrepreneuriat.
C’est sous votre impulsion, que la Francophonie s’est affirmée
comme une Francophonie politique et diplomatique, toujours plus sollicitée par
ses pays membres, mais aussi toujours plus entendue et attendue par ses
partenaires internationaux.
C’est sous
votre impulsion, aussi, que nous nous sommes dotés de textes normatifs et de
référence exigeants sur la pratique de la démocratie, des droits et des
libertés dans l’espace francophone ainsi que sur la prévention des conflits et
la sécurité humaine, tout en les revisitant à la lumière des menaces nouvelles.
C’est en cela que le bilan de mon mandat, que je vous présenterai,
est aussi votre bilan, la somme de tout ce que nous avons porté et construit,
ensemble, durant ces quatre années, dans le droit fil de ce que mes illustres
prédécesseurs avaient engagé aussi, et ce, grâce à la mobilisation constante et
à l’expertise de tous les acteurs et de tous les réseaux de la Francophonie.
Mais nous ne nous sommes pas contentés de nous adapter aux défis
du monde, nous avons su aussi être à l’avant-garde quand il le fallait,
démontrant que les principes et les valeurs au fondement de notre projet et de
notre idéal valent pour tous les temps, tous les peuples et toutes les nations.
Mais sommes-nous prêts aujourd’hui à le réaffirmer ?
Sommes-nous prêts à resceller et à endosser comme jamais le pacte qui nous a fédérés aux origines et qui nous a permis de devenir ce que nous sommes et d’accomplir ce que nous avons accompli ?
Sommes-nous prêts à resceller et à endosser comme jamais le pacte qui nous a fédérés aux origines et qui nous a permis de devenir ce que nous sommes et d’accomplir ce que nous avons accompli ?
Car, une fois encore, les signes précurseurs d’un monde en rupture
d’équilibre, de sécurité et de paix sont là !
Nous voyons métastaser le désenchantement à l’égard du fait
démocratique.
Et qu’on se
le dise : aucune région du monde n’est épargnée.
Nous voyons essaimer les crises, liées au non respect des
principes constitutifs de la démocratie et de la gouvernance.
Nous voyons, partout gronder, la montée des extrémismes, des
nationalismes étroits.
Nous voyons,
tant à l’intérieur des nations qu’entre les nations, se durcir de graves
inégalités en matière de droits politiques, économiques, sociaux et culturels.
Nous voyons
s’intensifier et se généraliser les maux liés notamment au terrorisme et à la
radicalisation violente, avec les exactions et les graves violations des droits
et des libertés, mais aussi de la paix et de la sécurité humaine qui en
résultent.
Nous voyons partout s’exacerber la tentation du protectionnisme et
de l’isolationnisme, jusqu’à dresser des murs, aussi honteux que dérisoires,
pour repousser ces millions d’hommes, de femmes, d’enfants prêts à payer de
leur vie la quête légitime d’un avenir meilleur, d’un avenir, tout simplement.
Nous voyons
s’installer une défiance à l’égard de l’ordre libéral international et du
multilatéralisme voire leur remise en cause, et par conséquence la remise en
cause de la démocratie internationale.
Alors, au moment où nous marchons vers le cinquantième
anniversaire de la Francophonie, demandons-nous , ici à Erevan, en toute
conscience et en toute responsabilité, de quel côté de l’Histoire nous voulons
être ?
Sommes-nous prêts à accepter que les organisations internationales
soient utilisées à des fins partisanes, alors que nous avons besoin, comme
jamais, de nous unir dans un multilateralisme rénové et volontaire pour trouver
des réponses et des solutions transnationales à des menaces et des défis
désormais transnationaux ?
Sommes-nous prêts à accepter que la « démocratie », les
« droits » et les « libertés » soient réduits à de simples
mots que l’on vide de leur sens au nom de la réal politique, de petits
arrangements entre États, ou d’intérêts particuliers alors que cette aspiration
légitime à plus de liberté, plus de justice, plus de dignité, plus d’égalité
est une aspiration universelle, portée toujours plus énergiquement par les
jeunes et par les femmes ? Vous les avez entendus.
Sommes-nous prêts à laisser gagner le relativisme culturel alors
que nous devrions saisir l’occasion de son soixante-dixième anniversaire pour
marteler que la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, n’est
pas une production occidentale.
Elle est l’expression de la quintessence de cette part d’humanité
inaliénable que nous avons toutes et tous en partage.
Sommes-nous prêts à laisser l’égoïsme à courte vue, les approches
exclusivement comptables de la coopération internationale, les investissements
prédateurs, ou la corruption l’emporter sur l’exigence de solidarité, sur des
partenariats véritablement gagnants-gagnants ?
Le moment est venu, pour nous, comme pour tant d’autres
organisations multilatérales, de choisir entre réagir ou laisser faire,
progresser ou régresser.
Et
disons-nous bien que l’immobilisme, l’atermoiement et les compromis sont déjà
une forme de régression, car une organisation qui ruse avec les valeurs et les
principes est déjà une organisation moribonde.
Monsieur le
Premier ministre d’Arménie,
Messieurs les chefs d’Etat et de gouvernement,
Messieurs les chefs d’Etat et de gouvernement,
Il ne dépend que de vous que ce XVIIe Sommet, tenu sur cette terre
de mémoire, d’espoir et de renaissance, devienne le symbole lumineux de
l’avenir que nous voulons pour et avec les jeunes générations.
Sources combinées
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