Vue partielle du parlement haïtien lors d'une séance plénière. |
Par Max Dorismond
Ça cogne dur, dur, très dur là-dedans!
C’est le Parlement d’aujourd’hui. Souvenez-vous des parlementaires du temps de
nos pères et grands-pères. Des notables de la cité choisis par des citoyens
éclairés. Des sages qui ont fait leur preuve dans la société. Des hommes de
valeur aux timbres courtois, dotés de grandeur d’âme. Des honnêtes gens dont le
nom est synonyme de respect, de bonté et de civisme, avec un curieux mélange de
sensibilité et de détachements.
Où sont-ils passés, ces tribuns éternels,
fiers et altiers, dont la nation pleure encore la disparition! Le vide n’a pas
été comblé ou, du moins, il est mal remblayé par la nature qui en a horreur. À
ce rythme, nous ignorons ce que nous réserve l’avenir. À entendre le Sénateur
Ricard Pierre décliner par ordre de grandeur le dossier du Sénateur
Lambert : L’auto-location de sa fameuse résidence à l’État à 7 280 000,00Gdes pour 8 mois, soit 910
000,00Gdes par mois, l’équivalent de 13
382,00$US. - drogue, cocaïne et DEA etc…, une ribambelle de notes que nous
pouvons titrer comme la « Symphonie
à Lambert » en La majeur. On
tombe des nues.
À entendre le Sénateur Lambert à son tour pérorer sur la
génératrice détournée trop « intelligemment »
par le Sénateur Ricard Pierre et que les Jacmeliens refusent de recevoir pour
cause de recel effronté, on perd son latin.
Les sénateurs Ricard Pierre et Joseph Lambert: ces soit-disant collègues mordant leur propre queue. |
Haïti! De quel mal avez-vous hérité? Très
souvent la télévision nous renvoie une version carnavalesque d’une séance pugilistique
au sein de l’auguste enceinte. Les bureaux virevoltent, des chaises lancées qui
reviennent comme des boomerangs, des vestons en lambeaux. Les femmes perdent
jupes et jupons. N’étaient-ce les sous-vêtements, on se croirait dans un bar de
danseuses à gogo. Le voyeurisme est au 1er rang. Les supports des
micros servent de baïonnettes pour effrayer l’adversaire.
Ne nous illusionnons point, il n’y aura
jamais de morts par perforation. Ce sont des comédiens qui jouent leur « théâtre à quatre sous » pour le
plaisir des réseaux sociaux, au bénéfice de WhatsApp, Facebook, Instagram etc…
Faute de cerner la vocation nationale de cette illustre bâtisse, le premier
phare vers lequel les yeux de la nation doivent tourner, pour réclamer le droit
de vivre heureux, la Cathédrale au sein de laquelle le peuple a mandaté des
femmes et des hommes, dans l’objectif de créer pour chacun, un espace officiel où
« le nègre haïtien se sent
réellement souverain et libre » 1 .
Malheureusement, ces élus sont, pour la
grande majorité, des partisans des « Bêchons
joyeux2
», à la mine souriante, au destin heureux, qui réfutent le « Mourir est beau pour la patrie 2
». Ce sont tous des petits amis, des petits copains-coquins, avec un esprit
clanique et leur code secret dont le mot de passe commun se conjugue en un seul
verbe : MANGER, en un seul
temps : « Je mange, tu manges ».
Nous mangeons, tu manges ».
C’est la tabula rasa!
Ne nous berçons point d’illusion. Ils ne constituent qu’une seule et même équipe,
avec le même esprit. Il n’y a pas d’opposition. En chœur, ils jouent au « cash-cash » dans le vrai sens
monétaire de l’expression. Ils ont tous voté en chantant, la location de la
résidence à Lambert.
Durant les batailles rangées, les feuilles
de papier et autres documents contenant l’ordre du jour s’éparpillent dans l’air
jusqu’au plancher comme dans un tourbillon automnal, faute de compréhension des
textes par les acteurs en lice. « Se pa zafè peyi yo vinn regle isit ». La faiblesse de leurs connaissances
classiques au niveau légale, économique, juridique, social, national, familial,
général, fait d’eux des pugilistes, des champions de boxe en « cassage de gueules », oblitérant
une bonne part de leur objectivité nominative. D’où le cirque quotidien
disponible, à visionner sur Youtube.
Le Parlement est une caverne d'Ali Baba,
comme je l’ai déjà écrit. Celle de notre
enfance avait 40 voleurs. La nôtre en a plus de 149 sous ses arches. En
égrenant le chapelet des montants qu’engrangent ces deux corps, on n’en revient
pas. Selon un éditorial du journal
« Le Nouvelliste » du 13
juillet 2017, 7.2 milliards de gourdes sont accordés au Parlement et 6.1
milliards pour la Santé publique. C’est une véritable aberration quand on
privilégie une minorité d’individus au détriment de la santé des citoyens. Ainsi,
les petits copains-coquins se chamaillent et font du cinéma pour nous détourner
des vraies affaires : le pillage d’une nation. Ils attirent notre
attention pour nous porter à parler de batailles de ruelle. Ils nous jettent de
la poudre aux yeux pour mieux faire passer la pilule. Entretemps, loin des
caméras, ils s’entendent à merveille et les alliances se nouent au gré des
intérêts.
Que font en réalité ces gens pour toute
cette somme engrangée par ce Parlement budgétivore? Presque rien! Nous le déplorons
avec le journaliste D. Petit-Frère, qui eut à accoucher ce douloureux
constat : « Jamais
de mémoire d’homme et de citoyen, je n’ai vu un appareil étatique autant
décrié, avili, déshonoré ; de parlementaires, des élus du peuple, descendre si
bas dans le bassin de la honte, se baigner autant dans les eaux boueuses du
mensonge, de l’hypocrisie et de la stupidité 3 ».
Réplique du Sénateur Ricard Pierre suite à l'allégation de vol de génératrice...
Au temps de nos parents, un parlementaire n’était
jamais un homme riche. C’était un personnage humble, soucieux, serein qui
nous laissait l’impression, même en dormant, qu’il pensait et mangeait Haïti.
Il connaissait son mandat et ses limites. Au retour dans son patelin, il était
à l’écoute de ses mandants. Tous étaient fiers d’être représentés par ce citoyen
hors-norme. Nos parents se souviennent encore du député de Grande-Rivière du
Nord, Jean-Price Mars, des intellectuels Anténor Firmin et Louis Joseph
janvier, candidats à la députation respectivement en 1902 et 1909, de l’Honorable
sénateur Émile St-Lot en 1946 et 1950, du Sénateur Raphaël Brouard, 1941, père
du célèbre Carl Brouard4…, s’il ne faut citer que ceux-là.
Aujourd’hui, les aliborons qui y siègent ignorent jusqu’à
la raison première de leur présence, pourvu que la paye arrive chaque 15 jours.
C’est une horde de magouilleurs qui se
cassent la margoulette à coup de poings pour améliorer les lois du budget à
leur avantage, pour l’augmentation des frais pour la fête patronale de tel
village, pour obtenir l’argent du poisson pour la semaine sainte de leurs
mandataires, pour nommer leur ministre aux finances ou leur directeur général
aux Douanes ou à l’ONA etc… Ces montants votés seront perçus sciemment une
semaine après l’évènement cité. Ni vu, ni connu, et le petit peuple continue de
crever.
En pillant le pays sans vergogne, quelle
chance ces prédateurs
laissent-ils aux plus mal pris qui
avaient déposé pour eux, avec un certain espoir, un bulletin dans l’urne?
L’horizon est vide. La nuit semble éternelle. Le manège au guignol, qu’est le
Parlement, tourne sans contraste et sans aucun plan. La misère de l’autre ne
les empêche point de dormir les poings fermés. Ils sont déjà très loin de ce
chapître, très loin de l’idée d’Anténor Firmin, qui eut à déclarer que « Dans
tous les pays, dans toutes les races, le progrès ne s’effectue, ne se réalise,
ne devient tangible que lorsque les couches sociales inférieures, qui forment
toujours la majorité, tendent à monter, en intelligence, en puissance, en
dignité et en bien-être. Là où la politique, dite éclairée, ne consisterait
qu’à perpétuer l’infériorité de ces couches, formant l’assise même de la
nation, en exploitant leur ignorance, il n’y a point de progrès possible 5 ».
Pouvons-nous un jour rêver de « monter, en intelligence, en puissance, en
dignité et en bien-être » ? Pas avec ces énergumènes. Pas avec
cette race de « bandits légaux »
qui ignorent jusqu’à l’objet de leur mandat : proposer, amender, modifier,
promulguer des lois pour le bien-être collectif, contrôler l’exécutif et porter
très haut le flambeau de la démocratie.
En 2006, le Parlement d’Haïti, le plus
ancien de toute l’Amérique latine, fêtait ses 200 ans d’existence6, a
perdu la côte. Dans un sondage, réalisé du 6 au 15 janvier 2018 7, par HAFORS 8, 71,49% des habitants de l’île ont exprimé qu’ils n’avaient
aucune confiance dans ce corps.
Du train où vont les choses, il n’y a
presque plus d’espoir. Les carottes sont cuites pour Haïti. Ayant compris la
feuille de route et le plan de vie de nos parlementaires, la jeunesse prend la
fuite à la recherche d’un hypothétique futur au hasard de sa route. Ce qui est
triste, c’est qu’aucun économiste du pays n’a tiré la sonnette d’alarme pour attirer
l’attention des gouvernants sur ces départs inusités, très inquiétants pour le
commerce, et angoissants pour l’avenir du pays.
À la lumière de ce sondage, aux prochaines
élections, n’importe quel Ali Baba qui ajoutera à son programme, une option de
réclamer un référendum pour réduire le Parlement à 40 individus, le peuple se
pressera d’un pas alerte pour aller cautionner cette idée géniale. Car, mieux
vaut élire 40 voleurs au lieu de 150 détrousseurs
ou 1500 doigts trop agiles et trop longs, prompts à siphonner
la caisse nationale.
Note – 1 :
Src. : « Serment au drapeau »
Note – 2 :
Explication du terme : les « Bêchons
joyeux » qui est inscrit dans : « L’Hymne national d’Haïti ». Il est utilisé ici dans un sens
humoristique, parlant ici de parlementaires qui facilitent le côté positive de
leur travail, en légiférant à leur avantage d’abord et se font payer des
privilèges.
Note – 3 : Journal
« Le Nouvelliste » 1er juin 2006.
Note – 4 : Src :
« Le parlement haïtien. Deux siècles d’histoires » Lemoine Bonneau
(2014).
Note – 5 : « M. Roosevelt, Président des États-Unis, et
la République d'Haïti ».
Par Anténor Firmin, éd. Hamilton Bank Note Engraving and Printing Company
Note – 6 : Journal
« Le Nouvelliste » 1er juin 2006.
Note – 7 : Le
journal en ligne « Alter Press »
du 19 avril 2018.
Note – 8 : HAFORS,
accronyme de « Institution Haïti
Formation et Services de consultation »
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