Estey Piano Company in the Bronx |
Si l’on accepte la proposition que les deux
principales motivations de l’exode des Haïtiens vers les Etats-Unis sont
d’ordre politique et économique, il convient de se demander s’ils ont réussi
leur pari. La réponse est : oui. Sur le plan politique, les immigrants haïtiens
de New York jouissent de toutes les libertés dont la dictature des Duvalier les
avait privées : ils peuvent maintenant pratiquer sans aucune crainte de
censure les libertés fondamentales d’opinion, d’expression et d’information
comme cela est courant dans la société démocratique américaine.
La plupart des
immigrants haïtiens en profitent d’ailleurs largement et une telle attitude
tend à rendre de plus en plus difficile la restriction des libertés
en Haïti. Cependant, si la diaspora haïtienne établie à New York n’a aucune
crainte à faire entendre ses opinions politiques vis-à-vis du comportement des
autorités haïtiennes en Haïti, le citoyen ordinaire haïtien vivant au pays tend
à conserver une certaine retenue dans les critiques qu’il porte à l’encontre
des gouvernements haïtiens.
Le pont de Brooklyn , le premier des sept ponts construits dans l'East River , relie Long Island avec l'arrondissement de Manhattan. |
Sur le plan économique, un certain nombre des
immigrants haïtiens de New York ont souffert des grandes différences entre la
réalité sociale américaine et la réalité sociale haïtienne au cours de leurs
premières années dans cette mégapole. Dans les interactions de la
vie quotidienne, ils ont toujours été les grands perdants par suite de facteurs
comme la différence linguistique, le racisme, l’absence de repères sociaux…Les
premiers immigrants haïtiens à New York ont été généralement des membres des
classes moyennes avancées qui fuyaient la répression de François Duvalier.
New York City est une grande ville , mais c'est Manhattan qui représente la ville , et parfois l'ensemble des États-Unis |
C’était au début des années 1960. Un peu plus tard, au début des années 1970,
quand vivre en Haïti commençait à devenir un enfer, à la fois au plan politique
et au plan économique, les immigrants haïtiens provenaient de toutes les
couches sociales et économiques.
Stéphanie Melyon-Reinette |
Selon la sociologue antillaise Stéphanie
Melyon-Reinette , en 2000, « Les Haïtiens travaillaient principalement
dans le domaine de l’Education, de la santé et dans les services sociaux comme
beaucoup de Caribéens…Puis, ils se trouvent dans le domaine des arts, du
spectacle, de l’hôtellerie, et la restauration avec 33 420 personnes, soit 14,
6%...Le salaire moyen d’un Haïtien, toujours selon Stéphanie Melyon-Reinette en
2000, s’élevait à 36 000 USD par an, contre 38 500 USD par an pour les
Jamaïcains, 41 960 pour les Guyanais et 36 300 dollars pour les
Trinidadiens/Tobagoniens. » (page 28).
Chatham Square and Lin Zexu Statue |
A New York, aux deux langues, le kreyòl et le
français, qui ont depuis toujours été réparties inégalement dans l’usage des
locuteurs haïtiens, s’est ajoutée une troisième, l’anglais. C’est la langue
dominante de la société d’accueil et les immigrants haïtiens sont forcés de
communiquer dans cette langue. La maitrise de la langue anglaise représente
l’un des tout premiers handicaps auxquels les immigrants haïtiens de la
première génération ont à faire face.
Une vue de l' Eastern Parkway durant un 'Labor day" |
De nos jours, si l’on excepte
les nouveaux arrivants, une grande partie des immigrants haïtiens manifestent
une relative compétence en anglais, particulièrement dans le domaine de l’oral.
Le kreyòl demeure cependant la langue la plus utilisée dans la communauté
linguistique haïtienne et beaucoup de trentenaires de la seconde génération
sont aussi à l’aise en kreyòl qu’en anglais. En fait, dans les quartiers de
grande concentration haïtienne situés à Brooklyn et à Queens, de plus en plus
d’Américains (Noirs et Blancs) connaissent quelques expressions de base du
kreyòl, comme « Sa k pase ? » « Ki jan ou
ye » ? « N ap kenbe ? » « Mèsi
anpil »
Utica Avenue |
L’un des plus grands problèmes que les
immigrants haïtiens doivent affronter dans la société américaine et
particulièrement à New York est l’image que leur renvoie cette société.
Pratiquement, chaque groupe ethnique conserve une image plus ou moins négative
de l’immigrant haïtien. Même chez les Caribéens que la société américaine a
pris l’habitude de rassembler sous un terme générique, « West
Indians », les représentations haïtiennes sont d’une manière générale loin
d’être positives. Les Haïtiens ne sont pas considérés tout à fait comme des
Caribéens malgré leur présence et leur forte implantation dans la Caraïbe, et
surtout malgré cette culture commune créole qu’ils partagent avec les
« West Indians » et qui possède des structures sociales similaires
héritées des Africains et des Européens.
Mary C. Waters |
Voici comment , Mary C. Waters professeure
de sociologie à Harvard, rapporte les représentations des immigrants haïtiens à
New York dans son livre « Black identities. West Indian Immigrant
dreams and American Realities Harvard University Press,
1999 ». « Bien que les Jamaïcains soient décrits en termes négatifs et positifs, les
Haïtiens sont décrits par les différents groupes dans les termes les plus
négatifs possibles. Les Haïtiens ont définitivement une mauvaise réputation.
Toutes les personnes auxquelles nous avons parlé partagent plusieurs
stéréotypes négatifs sur les Haïtiens. Beaucoup de ces stéréotypes ont leur
origine dans le fait qu’Haïti soit un pays très pauvre et la source des
immigrants les plus pauvres à New York.
Les Haïtiens sont décrits
comme des gens bruyants, mal habillés, qui ne se baignent pas assez, qui
dégagent une mauvaise odeur, et qui vivent comme des sauvages, dans la crasse
et des conditions sordides, avec plusieurs personnes dans la même chambre. Les
Haïtiens sont aussi décrits comme des personnes agressives, égoïstes, et
arrogantes qui n’hésiteraient pas à tricher si elles en ont l’occasion.
Beaucoup de gens mentionnent les pratiques du vodou comme une autre menace
posée par les Haïtiens. Certains enseignants décrivent beaucoup de tensions
dans les écoles où de nombreux élèves d’origine « West Indian »
méprisent les élèves haïtiens. Ces conflits sont exacerbés parce que peu
d’Haïtiens parlent anglais, et le fossé linguistique rend les amitiés proches
et les alliances problématiques parmi les gens de la première
génération. » [ma traduction de la page 60]
Par :Hugues Saint-Fort