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Wednesday, June 25, 2025

Hommage à Richard Duroseau – Le compas perd un maître du clavier

Richard Duroseau
 

Par Herve Gilbert

La communauté musicale haïtienne est en deuil. Richard Duroseau, l’un des pionniers du compas direct, s’est éteint à l’âge de 85 ans, emportant avec lui une part précieuse de la mémoire vivante de cette musique. Maître du clavier, figure discrète mais essentielle, il fut l’un des artisans les plus fidèles de l’œuvre de Nemours Jean-Baptiste. Par son élégance musicale, son exigence sans compromis et sa loyauté indéfectible à l’essence même du compas, il a traversé les époques en laissant une empreinte profonde dans le paysage sonore d’Haïti. Son départ laisse un silence lourd, chargé de résonances — mais aussi un héritage vibrant, gravé dans la trame intime de notre culture musicale.

Élevé par ses frères Mozart et Kreutzer, alors jeunes talents issus de l'Orchestre des Casernes Dessalines, Richard Duroseau entra précocement  dans la légende, porté par  les élans fiévreux de son adolescence lorsqu'il rejoignit  l’Orchestre de Nemours Jean-Baptiste, père fondateur du compas. Encore frêle, presque enfant, on le hissait sur une chaise pour qu’il soit visible derrière son instrument. Mais dès les premières notes, il imposa une signature : une manière singulière de faire parler l’accordéon, avec une justesse limpide et une délicatesse presque mystique. Dans un univers musical en pleine effervescence, il s’éleva comme l’une des premières voix du compas — un timbre discret, mais inoubliable.

Son empreinte traverse le temps à travers des titres devenus mythiques :  Ti manman CaroleDiscipline, Infidélité, Fanatique Compas, Haïti Compas, Sainte Cécile, ou encore Ti Claudette. À chaque mesure, sa présence se fait sentir — discrète, mais décisive, comme une respiration profonde qui donne vie à l’œuvre. Richard Duroseau n’était pas seulement un interprète ; il était l’âme invisible qui reliait les notes entre elles, un souffle créateur niché au cœur de l’architecture sonore de l’orchestre. Dans la trame du compas, il aura tissé une étoffe d’élégance et d’émotion dont nul ne saurait oublier la texture.

Les trois dangers, tel qu'acclamé par ce super
hit de l'époque qui l'immortalisa avec Nemours
Jean-Baptiste et Raymond Gaspard.                
Au fil d’une carrière aussi dense qu’inspirée, Richard Duroseau fit vibrer les scènes haïtiennes et internationales, en mettant son génie musical au service de formations d'exception:  le Mini All Stars   en particulier dans le cadre  des somptueux arrangements  réalisé par Dernst Émile pour les Quinze Titres d’Or de Nemours Jean-Baptiste  — le Super Jazz des Jeunes, Les Frères Déjean ou encore Skah Shah. Partout où il posait les doigts, naissait une harmonie discrète mais saisissante — une alchimie sonore  révélant, sous ses accords, l’âme profonde des morceaux.Très singulier dans ses improviations et sa texture lumineuse,Richard se permettait des changements de tempo, construisant des variations empreintes de caprices et de paraphrases.

Mais c’est sans doute avec Skah Shah, groupe emblématique des années 1970 et 1980, qu’il connut une période d’intensité exceptionnelle. En tant que claviériste et arrangeur, il participa à des tournées internationales et à des albums devenus cultes. Sa manière d’habiller les chansons de nappes mélodiques — tantôt feutrées, tantôt flamboyantes — contribua largement à la signature sonore du groupe.

« Richard jouait comme on raconte un secret qu’on ne veut pas trahir », disait un musicien proche. À l’accordéon comme au piano, il ne se contentait pas d’accompagner : il traduisait l’émotion du peuple, les silences de la douleur, la joie du carnaval, la nostalgie de l’exil.

Au fil des décennies, Duroseau devint un bâtisseur de l’ombre, un maître respecté pour sa rigueur, son humilité et sa générosité artistique. Il croyait en la musique comme vecteur de dignité, de beauté et de transmission. Sa maison fut un refuge pour de jeunes musiciens en quête de conseils, ou simplement d’un regard bienveillant.

Aujourd’hui, alors que son piano s’est tu, c’est toute une époque qui semble s’éloigner. Mais les notes de Richard Duroseau continueront de résonner dans nos mémoires, dans les grooves intemporels des vinyles, et dans le souffle des musiques à venir.

Images éparses de Richard Duroseau, entouré d'amis en diverses occasions

Message personnel :

À toi, Richard, maestro au cœur silencieux, merci pour l’exemple, la constance et l’élégance. Tu as montré qu’on pouvait faire grand bruit sans hausser la voix. Que le ciel accueille ton âme avec ces accords doux que tu savais si bien tisser ici-bas.

Haïti te dit merci — avec émotion, avec respect, avec amour.
Bon voyage, Richard Duroseau. Ta musique nous appartient désormais.

Hervé Gilbert


Thursday, February 8, 2018

2 février 2018 : centenaire de la naissance de Nemours Jean-Baptiste

 HOMMAGE DE TRIBUNE DE LIBRE OPINION
Né le 2 février 1918 à Port-au-Prince et mort le 18 mai 1985,
Nemours Jean-Baptiste aurait eu 100 ans ce 2 février 2018.  
C'est une date qui rappelle la naissance d'un homme qui a apporté un changement capital dans la musique haitienne. Le rythme qu'il y a introduit a fait école en devenant le rythme national du pays et aussi en se propageant plusieurs années après sa mort à travers les Antilles et l'Amérique. Il était à la fois un novateur et un créateur et dans son domaine, il a apporté un changement phénoménal dans le rythme musical  haitien.

En ce mois de février 2018, mois de l'histoire des noirs, il n'est pas dérisoire d'inscrire dans notre pensée, Nemours Jean-Baptiste, cet homme sorti de nulle part, mais qui nous a laissé quelque chose qui représente aujourd'hui un joyau pour le pays.



JM
Biographie de Nemours Jean-Baptiste
Troisième d’une famille de quatre enfants, Nemours Jean-Baptiste est né le 2 février 1918 à Port-au-Prince. Ses parents Lucia Labissière, couturière et Clément Jean-Baptiste, cordonnier ont décédé prématurément. Nemours et ses frères et soeur André, Monfort et Altagrace furent confiés à des proches parents. Il fit de brèves études à Jean Marie Guilloux et chez les Frères de Saint Louis de Gonzague et a dû faire très tôt aux affres de la vie occupant de menus emplois pour survenir à ses besoins. Devenu coiffeur, Nemours a pu trouver, sans nul doute, en ses clients et le salon de coiffure, l’auditoire et l’endroit idéal pour discuter de son amour et don pour la musique. Ce don a reçu par hasard sa première sponsorisation à travers un ami, Antoine Duverger. Joueur et propriétaire de banjo, Duverger a décidé de confier son instrument à Nemours pour éviter les réprimandes parentales : « l’enfant de famille » des années 50 ne faisait pas de la musique. 
Nemours en a profité pour apprendre tout seul le banjo. La chance lui a sourit lorsque Duverger n’a pas pu respecter un de ses engagements auprès des frères Guignard. Nemours l’a remplacé. La performance fut un succès et lui a rapporté $30.00 et son recrutement par les frères Guignard. De cette date, Nemours s’était adonné complètement à la musique; une carrière qui allait durer environ vingt-cinq ans. Au cours d’une de ses performances, il a rencontré Marie Félicité C. Olivier. Ils se sont mariés le 28 Septembre 1946 et eurent trois enfants Marie Denise qui a vécut jusqu’à l’âge de deux (2) ans, Yvrose et Yves Nemours Jr.


Les débuts de Nemours consistaient surtout de tournées à travers le pays animant les fêtes patronales. C’est d’ailleurs un jour de la Sainte Anne, le 26 juillet 1955, qu’il a créé le rythme qui allait devenir le compas et son propre groupe musical, Conjunto International avec pour Membres fondateurs Julien Paul, Monfort Jean-Baptiste, frère de Nemours, Anilus Cadet, Mozart et Krutzer Duroseau et pour une courte durée Webert Sicot qui sera remplacé par Frank Brignol. Mais, ce n’était pas son premier coup d’essai de maestro. Il a dirigé auparavant, des groupes de l’époque tels que Anacaona, Jazz Atomique, Jazz atomique Junior.


En 1956, la carrière de l’artiste devait prendre une nouvelle direction lorsqu’il rencontra son premier promoteur, Jean Lumarque, propriétaire d’un Club à la mode, « Calebasses ». Ce dernier organisa la première tournée à l’étranger de Nemours et son groupe les accompagnant aux États Unis d’Amérique et au Mexique. Cependant, peu de temps après, Nemours devait quitter Lumarque pour Senatus Lafleur, propriétaire d’un autre Club, « Palladium ». Pourtant, c’était encore Jean Lumarque qui, en 1961, emmena aux États-unis le groupe et le 5 juillet, au cours d’une cérémonie au siège des Nations Unies, Nemours a reçu une plaque d’honneur. Après un autre aller-retour du Palladium au Calebasses, Nemours et son groupe successivement nommé « Ensemble aux Calebasses » et « Ensemble Nemours Jean Baptiste » ont été embauchés par René Martini, propriétaire de « Cabane Choucoune » où ils ont joué de 1962 à 1970. Au cours de cette période, en 1963, l’artiste a participé à son premier défilé carnavalesque, sur demande du public. A noter qu’il souffrait de glaucome. En juillet 1967, les médecins d’un hôpital de Port-au-Paix ont dû lui enlever son œil (droit ou gauche) au cours d’une intervention chirurgicale.

Nemours a également séjourné deux ans (1970-1972) aux États Unis d’Amérique et performé dans des clubs tels que Château Caribe (Manhattan) et Canne-à-Sucre (Corona, Queens). De retour sur la terre natale en 1972, il a pris en charge un dernier groupe, le Top Compas, rebaptisé « Super Combo de Nemours Jean-Baptiste » et a été en tournée en Guadeloupe de mai à Décembre 1973. En mai 1974, un promoteur de la Guadeloupe, Hubert Romain leur fit faire une tournée passant par la Guadeloupe, la Martinique, la France et la Guadeloupe pour revenir au pays en Novembre 1974. Leur passage en France, au mois de septembre, a été un immense succès provoqué par la chanson « Ti Carole », en tête du hit parade sur « Radio Télévision France Inter » pendant six mois. De retour au pays en Novembre 1974, le groupe élut domicile à « Cabane Choucoune » jusqu’à sa dissolution en 1979 avec le départ pour les États Unis de son fondateur, Wagner Lalane.

En 1980, environ un quart de siècle après le lancement de sa grande carrière, Nemours s’est retrouvé en musicien solitaire. Heureusement, Eddy Zamor, animateur de radio et présentateur durant les années 60 en Haïti, devenu promoteur de musique aux États-Unis, a pu venir à sa rescousse. Il sponsorisa une soirée de vingt-cinq ans d’anniversaire du compas et l’évènement a été célébré en grande pompe de concert avec le Skah Shah au club « Olympia Palace », New York. Cette soirée a été, en quelque sorte, un hommage couronnant la grande carrière de Nemours Jean-Baptiste. Sa prochaine tentative de jouer aux Etats-Unis en 1981, cette fois-ci accompagné de son rival musical de longue date, Webert Sicot, devait avorter. Nemours est tombé gravement malade et subit une intervention chirurgicale à New York (« Elmhurst Hospital », Queens). Il passera les quatre dernières années de sa vie en Haïti, luttant contre le cancer de la prostate et la cécité. En dépit de l’insistance de sa femme et enfants, il a préféré mourir dans son pays disant qu’à sa mort on reconnaîtra sa valeur.

*Nemours et le Compact Direct*
Jusqu’à la moitié du 20ième siècle, les besoins du public haïtien en animation musicale avaient été principalement satisfaits par les troubadours, et la cadence « tipico » venue de la République voisine et de Cuba. Cette cadence et/ou les groupes espagnols dominaient la majeure partie de nos festivités publiques ou/et privées. Les débuts de Nemours ont été marqués par cette cadence qui lui a permis de gagner le cœur du public. Cependant, Nemours n’a jamais apprécié cette colonisation du marché musical haïtien. Du côté haïtien de la frontière, le Dominicain et le Cubain vivaient de leur musique, de l’autre côté nos frères étaient humiliés par ces mêmes gens.
Nemours Jean-Baptiste,
Les 3 dangers


Inspiré en quelque sorte par ce nationalisme et aidé de son génie, Nemours a donné aux haïtiens leur propre cadence : le compas. Après le lancement de sa carrière, il ne s’était pas arrêté à l’apprentissage du banjo, il a su maîtriser le saxophone et la guitare.

Une autre facette attrayante du personnage Nemours a été sa verve prompte et légère. À l’apogée de sa carrière, il choyait son public régulièrement avec une nouvelle composition. Tous les samedis, ses fanatiques l’attendaient au Rex Théâtre et ils n’étaient jamais déçus ni par le fond ni par la forme. Les femmes haïtiennes, régulièrement l’objet de satyre de nos musiciens, étaient les chouchous de Nemours. En témoignent, les tubes « aprann renmen », « ròb antrav », « Solange » pour ne citer que cela. Quant au compas, son enfant chéri qu’il a mis au jour, il n’avait jamais cessé de prédire sa réussite et longévité. Des tubes comme : « Universal compas », « Vivre Compas », « La joie de vivre » en sont la preuve. Pour Nemours, la clé de ce succès ou cette longévité a été de garder la cadence aussi simple que possible.

Joueur de banjo, guitariste, saxophoniste, compositeur et chef d’orchestre, Nemours Jean-Baptiste, a été un artiste complet. Il a été pour la musique haïtienne ce que furent les Pères de la Patrie pour Haïti. A sa mort le 18 Mai 1985, il a légué un riche héritage au marché musical haïtien. Les premières bases posées par Nemours constituent une source inépuisable qui a inspiré et continue à guider les jeunes générations. Aujourd’hui encore, plus d'un demi-siècle siècle après la création du compas, le public haïtien ne s’est jamais lassé de danser et la musique de Nemours et le compas.

Contributeur: Jean Mathurin