Le panorama de la zone des gens pauvres en Haïti |
Par Max Dorismond
Ce surprenant constat, en titre,
de Restif de la Bretonne, en 1789, lors
de la Révolution française, a été ramené dans le décor par l’écrivain Lionel
Trouillot, lors d’une interview, suite aux récents évènements du 7 au 12
février 2019 en Haïti. Il a provoqué
chez-moi un déclic qui vient me confirmer les raisons de ce drame, maintes fois
annoncé dans mes écrits et dans ceux d’autres auteurs depuis belle lurette.
Personne ne pleure pour les têtus
qui jouent aujourd’hui à l’étonné et à l’offensé, en classant ce déferlement
prophétisé sous la rubrique de l’irrationnel, de la sauvagerie gratuite d’une
masse hideuse, tout en oblitérant leur sourde et inqualifiable violence, le moteur
de ce retour d’ascenseur. C’était écrit dans le ciel. C’était prévisible. Mais
avec ce peuple bon enfant, aimant rire, chanter et danser, le sursis s’était
prolongé. Ayant grandi maintenant, voilà sonner la fin du carnaval des morts-vivants,
la fin de la bamboche tropicale.
La
terre des ingrats – L’île aux oublieux
Comment sommes-nous arrivés là?
En sillonnant l’histoire du pays, vous pouvez facilement détecter les
balbutiements de son destin. Avec la découverte du Nouveau Monde, tous les
éclopés de l’Europe, les marginaux, les gueux, les pauvres entre les pauvres
avaient fait voile vers ses rivages. À l’appel des vainqueurs de la guerre de
l’indépendance haïtienne, tous les persécutés de la terre, qui posaient leurs
pieds sur l’île, étaient automatiquement Haïtiens. Vinrent ensuite les
autres conflits d’ailleurs et plus tard,
les grandes guerres, avec leur lot de persécutés, d’assoiffés de paix, qui ont
retrouvé le chemin de cette jeune nation, en suivant l’étoile des Nègres. Dans
le rêve de nos ancêtres, cette tribu de rescapés de la géhenne serait
naturellement solidaire par nature. C’est sans compter avec la cupidité
humaine. Hélas!, Ils se sont trompés d’histoire d’amour.
Ces estropiés du destin n’en
avaient cure des premiers habitants qui les avaient reçus à bras ouverts. Pour
eux, ce ne sont que des imbéciles à enculer, des niaiseux qui ne savent que
faire de leur riche héritage. Ces ingrats rescapés se sont associés avec les
tristes sirs de l’élite du pays pour commettre leurs basses œuvres. Tout a été
calculé pour exploiter et contrôler la masse jusqu’à l’os : privation de
connaissances, fermeture des écoles, confinement à la terre dans l’arrière
pays, retour à l’esclavage sans le mot, isolement absolu et division du peuple
sur une base de couleur. Sauf un mur de la honte n’a pas été érigé, mais il est
virtuellement là, dans les esprits, et contribue à la
segmentation et au déchirement entre frères de sang.
Souvenirs
indélébiles
La terre n’est pas un bloc
monolithique. Nous savons tous que la vérité est fade et le mensonge croustillant.
Néanmoins, une fausseté, implantée au Nord, finira toujours par pousser la
vérité à émerger au Sud. Cette dernière est indomptable. L’éternité ne peut se
prévaloir contre elle.
J’ai souvenance encore, dans ma
province natale, de l’attroupement sur la Place Dumas (Jérémie), autour de
celui qui revient d’une virée à la capitale, Port-au-Prince. Je revois encore
le héros du jour, en conférence, entouré des jeunes de son âge, émerveillés,
qui vinrent s’enquérir des dernières actualités : les récentes tubes de
Nemours Jean-Baptiste, les dernières chansonnettes françaises, les nouvelles tenues
à la mode, l’ambiance au Rex Théâtre, le nombre de voitures dans les rues, les devantures de magasins illuminées par des
néons multicolores, la Place du
Bicentenaire, la nuit, avec ses fontaines lumineuses valsant sur un air de
Strauss, la largeur de la Grand’Rue, les buildings, les Supermarchés sans
employés pour te guider en te surveillant, les fresco, les hamburgers, les crêmes
glacées multicolores, agrémentées de raisins, aux arômes de whisky etc…, etc…
À beau mentir qui vient de loin!
Le messager nous en mettait plein le casque. Et on allait se coucher moins niaiseux,
la tête enrubannée de rêves, de voyages dans la capitale située seulement à cinq
heures de bateau en suivant la côte. On avait l’air d’arriérés, d’attardés,
mais on n’osait point accoler ces loufoques épithètes à nos déficiences.
L’orgueil étant plus fort que l’éclat du soleil, on ne saurait voir, ni imaginer
que notre coin de province avait été ignoré par les prédateurs en place. Pas même
une bibliothèque publique n’existait dans la ville. L’électricité était
intermittente. On étudiait sous les rares lampadaires disponibles. Ce n’est que
plus tard, devenu grand, qu’on a pu comprendre le dessein des élites : Pour
elles, plus il y a d’idiots dans l’arrière-pays, moins il y aurait d’ambitieux,
mieux leur confort serait assuré. Le gâteau est mince. Il fallait minimiser les
attentes. À l’époque, nous n’étions que six millions!
Le
réveil des castrés et le bal des maudits -
Le revanchard François Duvalier,
pour concrétiser une secrète pensée
qu’il caressait depuis son jeune âge, fit venir, chaque 22 mai, sa date
mythique, de l’arrière-pays, des camions remplis de paysans, sortis de force de
leur quotidien pour venir le fêter à Port-au-Prince. Cinquante pour cent d’entre
eux n’ont jamais regagné leurs pénates. Et c’était fait à dessein. D’où la
prolifération d’une masse de chômeurs incontrôlables et la démographie
galopante dans une capitale exsangue. Un
aéroport pour turbo-jets a été érigé, en dernier lieu, pour faciliter le départ
des récalcitrants, car le nombre des assassinats d’opposants commençait à
déranger au niveau médiatique. Hitler avait ce même dilemme avec les fusillades
des juifs. Il a trouvé la solution dans les chambres à gaz. Les tyrans sont
tous des génies du mal.
Le summum, et ce n’est guère négligeable,
le créole devint la langue officielle. Les simagrées de nos petits Français mal dégrossis, de nos
derniers colons oubliés dans les tropiques, ont été démystifiées. La parole
s’est libérée. Le pauvre n’est plus muet. L’élite avait perdu son instrument de
subordination.
Ainsi, à la faveur des allers-retours
des voyageurs en pays évolués, comme sur la Place Dumas, à Jérémie, les
ténèbres des esprits se dissipent et une autre réalité commence à germer dans
la tête des nécessiteux, à savoir que leur déchéance n’était pas du tout une
fatalité du destin.
Entretemps, le siècle de
l’électronique, de l’informatique, des métadonnées, des réseaux sociaux
frappent à la porte. Le voyageur, venu de loin, n’a point besoin de venir faire
son petit tour héroïque. Juste un clic… Et le monde s’ouvre par enchantement,
dans toute sa splendeur et dans toutes
ses horreurs sous les yeux des spoliés. Le réveil s’est fait chair.
Qu’est-ce qu’ils ont vu? Quelques privilégiés, jouissant de tous les avantages du pays, nomment et révoquent les présidents, comme ils changent de chemise. L’inégalité sociale et l’injustice affligeante avaient une île… etc. La succincte énumération ci-dessous, vous apporte, entre mille, un certain aperçu du constat ahurissant des déshérités en comparaison de leur vécu avec celui d’une minorité qui exploite, pille et gaspille sans vergogne, sans aucune empathie.
Qu’est-ce qu’ils ont vu? Quelques privilégiés, jouissant de tous les avantages du pays, nomment et révoquent les présidents, comme ils changent de chemise. L’inégalité sociale et l’injustice affligeante avaient une île… etc. La succincte énumération ci-dessous, vous apporte, entre mille, un certain aperçu du constat ahurissant des déshérités en comparaison de leur vécu avec celui d’une minorité qui exploite, pille et gaspille sans vergogne, sans aucune empathie.
1 - Les parlementaires, humbles et
augustes notables d’autrefois, se révèlent aujourd’hui des prédateurs
millionnaires qui ne se déplacent plus à pied, mais dans des voitures de grand
luxe avec chauffeur privé. Il y en a un qui possède son jet personnel.
Maison d'un directeur après 9 mois en fonction... |
3 – Les enfants des riches ou
des privilégiés du pouvoir ne fréquentent plus les écoles d’Haïti qui en ont
pris pour leur rhume. Ils préfèrent enrichir les institutions d’outremer.
4 – Les hôpitaux n’existent que
de nom. Les maîtres de céans ne se soucient pas de ce détail. Ils se font
soigner à l’étranger aux frais de la
reine. Leurs femmes enceintes, ou leurs nombreuses maîtresses, accouchent
sous d’autres cieux et l’enfant à naître devient naturellement citoyen
étranger.
6 – D’anciennes grandes vedettes
internationales, surtout en fin de carrière, sont invitées, à prix d’or, pour
animer leur oisiveté.
7 – Une tentative d’extorquer la
diaspora a été tentée. Mais cette dernière, expérimentée, en a déjà vu et
entendu pire, les a envoyés promener. Donc, le petit peuple, comme de coutume,
a été mis à contribution.
8 – C’est la course effrénée
après le dollar vert. Tout tourne autour de ce pivot. Le pouvoir est un aimant
irrésistible. Personne ne peut caresser le rêve d’une carrière. Il n’aura
jamais le temps. Puisque derrière la porte piaffe une armée de candidats, prêts
à l’égorger pour le remplacer, le plus vite possible.
9 – Des familles éplorées ont
été mises à la porte de leurs foyers centenaires, par de faux réclamants. Munis
de faux mandats exécutoires, ils sont accompagnés d’une flopée de
malfaisants : faux policiers, juges corrompus, avocats tordus, notaires sans
scrupules et des hommes de mains, des bruiteurs, pour impressionner le
quartier.
10 – Des terres ancestrales
furent saisies de cette façon. Dans les quartiers aisés de Pétion-Ville, par
exemple à Vivi-Michel, là où les propriétés ont une valeur substantielle, les
possédants ont été obligés de se regrouper sous l’aile d’un voisin expérimenté,
l’ex-commissaire Claudy Gassant, pour faire face à cette gangrène qui chiffonne
le tissu social.
Une des maisons dans la zone huppée de Belvil |
Mesdames, Messieurs, sauf l’argent
et l’arrogance était votre crédo. Au train où se dessine l’horizon, avec cette
masse de jeunes désoeuvrés qui occupent vos rues, en criant leurs désespoirs,
vous êtes condamnés à sonder l’envers de votre stratégie pour démêler les écheveaux.
Sinon, votre chant de libera ne sera pas long à se faire entendre dans la
vallée des ténèbres.
Max
Dorismond
Un people condamne a rester pauvre. Pauvre Haiti. C'est triste ce que nous, de loin, nous observons.
ReplyDeleteC'est écœurant.
ReplyDelete"votre chant de libera ne sera pas long à se faire entendre dans la vallée des ténèbres."
ReplyDeleteVos observations sont crai, mais comme toute autre conclusion par l'homme dit haitien ' depi lan ginen… '
Les Haïtiens ont combattu l'innégalité l'injustice et l'oppression. On a tort de croire que c'est une question de riches ou de pauvres. De neg en haut, neg en bas, de couleurs de peaux, qui sont dans la politique et la musique du pays, mais les Haïtiens sont novateurs
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