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Tuesday, March 19, 2019

« Le peuple s’est rendu compte qu’il était pauvre »

Le panorama de la zone des gens pauvres en Haïti

Par Max Dorismond

Ce surprenant constat, en titre,  de Restif de la Bretonne, en 1789, lors de la Révolution française, a été ramené dans le décor par l’écrivain Lionel Trouillot, lors d’une interview, suite aux récents évènements du 7 au 12 février 2019 en Haïti.  Il a provoqué chez-moi un déclic qui vient me confirmer les raisons de ce drame, maintes fois annoncé dans mes écrits et dans ceux d’autres auteurs depuis belle lurette.

Personne ne pleure pour les têtus qui jouent aujourd’hui à l’étonné et à l’offensé, en classant ce déferlement prophétisé sous la rubrique de l’irrationnel, de la sauvagerie gratuite d’une masse hideuse, tout en oblitérant leur sourde et inqualifiable violence, le moteur de ce retour d’ascenseur. C’était écrit dans le ciel. C’était prévisible. Mais avec ce peuple bon enfant, aimant rire, chanter et danser, le sursis s’était prolongé. Ayant grandi maintenant, voilà sonner la fin du carnaval des morts-vivants, la fin de la bamboche tropicale.

La terre des ingrats – L’île aux oublieux
Comment sommes-nous arrivés là? En sillonnant l’histoire du pays, vous pouvez facilement détecter les balbutiements de son destin. Avec la découverte du Nouveau Monde, tous les éclopés de l’Europe, les marginaux, les gueux, les pauvres entre les pauvres avaient fait voile vers ses rivages. À l’appel des vainqueurs de la guerre de l’indépendance haïtienne, tous les persécutés de la terre, qui posaient leurs pieds sur l’île, étaient automatiquement Haïtiens. Vinrent ensuite les autres  conflits d’ailleurs et plus tard, les grandes guerres, avec leur lot de persécutés, d’assoiffés de paix, qui ont retrouvé le chemin de cette jeune nation, en suivant l’étoile des Nègres. Dans le rêve de nos ancêtres, cette tribu de rescapés de la géhenne serait naturellement solidaire par nature. C’est sans compter avec la cupidité humaine. Hélas!, Ils se sont trompés d’histoire d’amour.

Ces estropiés du destin n’en avaient cure des premiers habitants qui les avaient reçus à bras ouverts. Pour eux, ce ne sont que des imbéciles à enculer, des niaiseux qui ne savent que faire de leur riche héritage. Ces ingrats rescapés se sont associés avec les tristes sirs de l’élite du pays pour commettre leurs basses œuvres. Tout a été calculé pour exploiter et contrôler la masse jusqu’à l’os : privation de connaissances, fermeture des écoles, confinement à la terre dans l’arrière pays, retour à l’esclavage sans le mot, isolement absolu et division du peuple sur une base de couleur. Sauf un mur de la honte n’a pas été érigé, mais il est virtuellement là, dans les esprits, et contribue  à  la segmentation et au déchirement entre frères de sang.

Souvenirs indélébiles
La terre n’est pas un bloc monolithique. Nous savons tous que la vérité est fade et le mensonge croustillant. Néanmoins, une fausseté, implantée au Nord, finira toujours par pousser la vérité à émerger au Sud. Cette dernière est indomptable. L’éternité ne peut se prévaloir contre elle.

J’ai souvenance encore, dans ma province natale, de l’attroupement sur la Place Dumas (Jérémie), autour de celui qui revient d’une virée à la capitale, Port-au-Prince. Je revois encore le héros du jour, en conférence, entouré des jeunes de son âge, émerveillés, qui vinrent s’enquérir des dernières actualités : les récentes tubes de Nemours Jean-Baptiste, les dernières chansonnettes françaises, les nouvelles tenues à la mode,  l’ambiance au Rex Théâtre,  le nombre de voitures dans les rues,  les devantures de magasins illuminées par des néons multicolores,  la Place du Bicentenaire, la nuit, avec ses fontaines lumineuses valsant sur un air de Strauss, la largeur de la Grand’Rue, les buildings, les Supermarchés sans employés pour te guider en te surveillant, les fresco, les hamburgers, les crêmes glacées multicolores, agrémentées de raisins, aux arômes de whisky etc…, etc…

À beau mentir qui vient de loin! Le messager nous en mettait plein le casque. Et on allait se coucher moins niaiseux, la tête enrubannée de rêves, de voyages dans la capitale située seulement à cinq heures de bateau en suivant la côte. On avait l’air d’arriérés, d’attardés, mais on n’osait point accoler ces loufoques épithètes à nos déficiences. L’orgueil étant plus fort que l’éclat du soleil, on ne saurait voir, ni imaginer que notre coin de province avait été ignoré par les prédateurs en place. Pas même une bibliothèque publique n’existait dans la ville. L’électricité était intermittente. On étudiait sous les rares lampadaires disponibles. Ce n’est que plus tard, devenu grand, qu’on a pu comprendre le dessein des élites : Pour elles, plus il y a d’idiots dans l’arrière-pays, moins il y aurait d’ambitieux, mieux leur confort serait assuré. Le gâteau est mince. Il fallait minimiser les attentes. À l’époque, nous n’étions que six millions!

Le réveil des castrés et le bal des maudits -
Le revanchard François Duvalier, pour  concrétiser une secrète pensée qu’il caressait depuis son jeune âge, fit venir, chaque 22 mai, sa date mythique, de l’arrière-pays, des camions remplis de paysans, sortis de force de leur quotidien pour venir le fêter à Port-au-Prince. Cinquante pour cent d’entre eux n’ont jamais regagné leurs pénates. Et c’était fait à dessein. D’où la prolifération d’une masse de chômeurs incontrôlables et la démographie galopante dans une capitale exsangue.  Un aéroport pour turbo-jets a été érigé, en dernier lieu, pour faciliter le départ des récalcitrants, car le nombre des assassinats d’opposants commençait à déranger au niveau médiatique. Hitler avait ce même dilemme avec les fusillades des juifs. Il a trouvé la solution dans les chambres à gaz. Les tyrans sont tous des génies du mal.

Le summum, et ce n’est guère négligeable, le créole devint la langue officielle. Les simagrées de nos petits Français mal dégrossis, de nos derniers colons oubliés dans les tropiques, ont été démystifiées. La parole s’est libérée. Le pauvre n’est plus muet. L’élite avait perdu son instrument de subordination.

Les poètes au pied de Ti-Amélie à Jérémie
Ainsi, à la faveur des allers-retours des voyageurs en pays évolués, comme sur la Place Dumas, à Jérémie, les ténèbres des esprits se dissipent et une autre réalité commence à germer dans la tête des nécessiteux, à savoir que leur déchéance n’était pas du tout une fatalité du destin.

Entretemps, le siècle de l’électronique, de l’informatique, des métadonnées, des réseaux sociaux frappent à la porte. Le voyageur, venu de loin, n’a point besoin de venir faire son petit tour héroïque. Juste un clic… Et le monde s’ouvre par enchantement, dans  toute sa splendeur et dans toutes ses horreurs sous les yeux des spoliés. Le réveil s’est fait chair.

Qu’est-ce qu’ils ont vu? Quelques privilégiés, jouissant de tous les avantages du pays, nomment et révoquent les présidents, comme ils changent de chemise. L’inégalité sociale et l’injustice affligeante avaient une île… etc. La succincte énumération ci-dessous, vous apporte, entre mille,  un  certain aperçu du constat ahurissant des déshérités  en comparaison de leur vécu avec celui d’une minorité qui exploite,  pille et gaspille sans vergogne, sans aucune empathie. 

1 - Les parlementaires, humbles et augustes notables d’autrefois, se révèlent aujourd’hui des prédateurs millionnaires qui ne se déplacent plus à pied, mais dans des voitures de grand luxe avec chauffeur privé. Il y en a un qui possède son jet personnel.

Maison d'un directeur  après 9 mois en fonction...
2 – Des pauvres d’hier qui se transforment en châtelain l’espace d’une nomination à un poste ministériel ou de direction.

3 – Les enfants des riches ou des privilégiés du pouvoir ne fréquentent plus les écoles d’Haïti qui en ont pris pour leur rhume. Ils préfèrent enrichir les institutions d’outremer.

4 – Les hôpitaux n’existent que de nom. Les maîtres de céans ne se soucient pas de ce détail. Ils se font soigner à l’étranger aux frais de la reine. Leurs femmes enceintes, ou leurs nombreuses maîtresses, accouchent sous d’autres cieux et l’enfant à naître devient naturellement citoyen étranger.

5 – La jeunesse dorée n’a cure de la misère des faméliques. Des Dîners en blanc sont organisés pour meubler leur passe-temps, malgré l’insolente indigence du reste de la population. Leurs quartiers emmurés et huppés ressemblent à des coins de paradis. Tandis que les gueux végètent au milieu de leurs déchets où pullulent des cadavres résultant des luttes entre gangs, armés par les prédateurs, les mafieux du pays.  Une population d’animaux squelettiques et affamés, cochons chèvres, chiens, à la recherche d’une quelconque charogne, leur tiennent compagnie.

6 – D’anciennes grandes vedettes internationales, surtout en fin de carrière, sont invitées, à prix d’or, pour animer leur oisiveté.

7 – Une tentative d’extorquer la diaspora a été tentée. Mais cette dernière, expérimentée, en a déjà vu et entendu pire, les a envoyés promener. Donc, le petit peuple, comme de coutume, a été mis à contribution.

8 – C’est la course effrénée après le dollar vert. Tout tourne autour de ce pivot. Le pouvoir est un aimant irrésistible. Personne ne peut caresser le rêve d’une carrière. Il n’aura jamais le temps. Puisque derrière la porte piaffe une armée de candidats, prêts à l’égorger pour le remplacer, le plus vite possible.

9 – Des familles éplorées ont été mises à la porte de leurs foyers centenaires, par de faux réclamants. Munis de faux mandats exécutoires, ils sont accompagnés d’une flopée de malfaisants : faux policiers, juges corrompus, avocats tordus, notaires sans scrupules et des hommes de mains, des bruiteurs, pour impressionner le quartier.

10 – Des terres ancestrales furent saisies de cette façon. Dans les quartiers aisés de Pétion-Ville, par exemple à Vivi-Michel, là où les propriétés ont une valeur substantielle, les possédants ont été obligés de se regrouper sous l’aile d’un voisin expérimenté, l’ex-commissaire Claudy Gassant, pour faire face à cette gangrène qui chiffonne le tissu social.

Une des maisons dans la zone huppée de Belvil
Et voilà! Aujourd’hui, ces pauvres, ces dénués de destin se réveillent brutalement et réclament leur dû devant cet étalage de richesses qu’il regarde avec des yeux d’envie, et le ventre vide. Ils tiennent à mettre fin à cette inégalité éternelle pour voir luire la lumière. Aucun dieu n’avait jamais, au grand jamais, inscrit le M de la misère sur leur front à leur naissance. Donc, personne ne peut s’arroger le droit de les abêtir toute leur vie durant. Une limite s’impose! La violence insolente a trop duré. Le temps du partage a sonné. It’s Now or Never!

Mesdames, Messieurs, sauf l’argent et l’arrogance était votre crédo. Au train où se dessine l’horizon, avec cette masse de jeunes désoeuvrés qui occupent vos rues, en criant leurs désespoirs, vous êtes condamnés à sonder l’envers de votre stratégie pour démêler les écheveaux. Sinon, votre chant de libera ne sera pas long à se faire entendre dans la vallée des ténèbres.

Max Dorismond

4 comments:

  1. Un people condamne a rester pauvre. Pauvre Haiti. C'est triste ce que nous, de loin, nous observons.

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  2. "votre chant de libera ne sera pas long à se faire entendre dans la vallée des ténèbres."
    Vos observations sont crai, mais comme toute autre conclusion par l'homme dit haitien ' depi lan ginen… '

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  3. Les Haïtiens ont combattu l'innégalité l'injustice et l'oppression. On a tort de croire que c'est une question de riches ou de pauvres. De neg en haut, neg en bas, de couleurs de peaux, qui sont dans la politique et la musique du pays, mais les Haïtiens sont novateurs

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