Max Beauvoir s'est éteint le 12 septembre 2015. Haïti Connexion Culture publie cette interview qu'il avait accordée au Journal le Nouvelliste en juillet 2008. Dominique Domerçant y faisait le point avec Max Beauvoir fraîchement intronisé Ati national.
Max Beauvoir |
Le Nouvelliste (LN): « Ati national », un titre nouvellement
proposé dans notre société par la communauté des vaudouisants, quelles en sont
vos responsabilités qui vous sont imposées par ce poste ?
Max Beauvoir (MB): Le titre « Ati » fait
référence aux traditions de « Legba », « Legba Atibon », « Loko Atibon, Loko
Atisou » et de « Ati Danyi Boloko » qui signifient le grand arbre de la forêt
qui protège les petits arbres qui sont au-dessus de lui contre les rigueurs du
soleil et des intempéries etc. Le nom « Ati » est aussi l'un des autres noms
d'Haïti, qui serait basé sur le fleuve Artibonite (Atibonit, sans la lettre
«r»). Fleuve qui sépare géographiquement le pays en deux parties (le haut
Artibonite et le bas Artibonite). Le poste d'Ati place l'individu dans une
position d'intermédiaire entre le monde des humains et le monde des esprits, et
c'est pourquoi la traduction du mot «Ati» tout comme le mot « Wanken » signifie
dans le vaudou ''chef suprême'' ou guide spirituel de la nation.
LN : En quelques mots, faites nous une présentation du rôle d'un
houngan ou d'une mambo, en tant qu'acteur religieux et social ?
MB : le houngan
est avant tout un prêtre vaudou, une personnalité religieuse qui a la
responsabilité sociale, culturelle et religieuse. On le retrouve à différents
niveaux dans sa communauté. Depuis la cueillette des feuilles des plantes
destinées à la conception et à la préparation des traitements pour les
personnes souffrantes. Il a un rôle de psychologue ou de conseiller dans sa
communauté, fort souvent disponible lors des problèmes entre les membres d'une
même famille, assurer l'arbitrage dans le cadre des conflits entre les
individus d'un même quartier et entre les habitants de différentes sociétés.
Sans pour autant négliger son rôle de prêtre pratiquant les multiples rituels
associés à chacun des Lwa, 401 au total. Ces esprits ou Lwa qui, dans
l'ensemble, représentent ce que le monde occidental appelle Dieu. Cependant,
dans la religion vaudou ces 401 Lwa représentent les 401 aspects de Dieu.
L.N.
: Comment avez-vous parcouru les étapes menant à votre initiation ?
M.B.:
L'initiation en elle-même a été relativement facile. J'ai suivi le rituel. En
somme, j'avais accepté de le faire. Donc, il ne s'agissait pas de se rebeller.
Bien que pendant cette période d'initiation on soit sans cesse brimé.
LN : Nous
savons, en plus de votre premier voyage en Afrique qui a duré 45 jours, que
vous avez effectué plusieurs autres périples sur le continent américain. En
quoi le vaudou haïtien diffère t-il des autres pratiques religieuses se
rattachant aux cultures et aux cultes brésiliens et afro-américains ?
Max Beauvoir s'est éteint le 12 Septembre 2015 |
L.N. : Parlez-nous de
l'éventuelle contribution de vos connaissances scientifiques en tant que chimiste
dans l'univers des lwa ?
MB : En suivant mon premier cours de biologie à City
Collège de New York (CCNY), mes premières expériences avec le microscope m'ont
permis, à partir de l'étude des cellules, d'observer le trou brillant au-dessus
de la cellule qu'on appelle « organelle ». Je suis ainsi parti de ces démarches
pour initier manifestement ma carrière de chercheur avisé et ouvert à toutes
les formes de connaissances techniques, scientifiques et mystiques. Je crois
que les gens de science se limitent à tout ce qu'on peut voir, toucher, manier,
tout ce qui est matériel. Cependant, la vie n'est pas seulement matérielle,
elle contient plus que cela. J'ai compris que le côté matériel des choses
coexistait avec le plan immatériel qui ne connaît pas de frontières. En
conclusion, face à ce plan, il ne suffit pas seulement d'agir ou de réagir, il
faut se plonger dans ce bain spirituel tout en se laissant porter comme par les
vagues de la mer. Ainsi, on comprend que les lois cartésiennes ne sont pas
toujours les meilleures.
LN : Nous entendons souvent parler de ces nombreuses
sociétés secrètes qui se manifestent souvent la nuit, et qui portent la marque
de « vaudou dur », un vaudou de combat, dites nous ce que vous savez sur le «
Bizango » ?
MB : En parlant de Bizango particulièrement, nous faisons référence
ainsi à l'archipel des Bizango que l'on trouve au sud du Sénégal; cette
population est très connue pour ses qualités guerrières exprimées jusqu'à
aujourd'hui. Nous avons toujours baigné dans un océan où les forces
technologiques nous dépassent. Entre 1791 et 1804, il fallait affronter les
plus grandes forces militaires de l'époque en particulier, l'Angleterre,
l'Espagne... La France, c'était la plus grande armée du monde ; en face nous
avons eu les bâtons et les pioches... Nous utilisions les forces spirituelles.
Les esprits ne peuvent pas mourir et c'est dans ce contexte que les Bizangos
ont contribué fortement dans les démarches devant aboutir à l'Indépendance du
pays.
L.N. : Comment aborder la question de la mort dans le vaudou ou même chez
le peuple haïtien en général ?
M.B. : La mort dans le vaudou est très
frappante. Les Bizango, eux aussi, nous parlent aussi de la mort. Nous devons
l'accepter dès le jour de notre naissance. C'est une conséquence naturelle du
fait de vivre et d'exister. Contrairement aux chrétiens, nous n'imaginons pas
nous asseoir à la droite ou à la gauche de quiconque qui va nous juger
éternellement et est capable de nous brûler dans les enfers. Nous, en tant que
vaudouisants, ne sommes pas d'accord avec cette vision à propos de la mort. La
mort constitue un passage obligé de tout être vivant, de l'individu, de
l'animal ou de la plante. Nos ancêtres sont morts et nous leur sommes
reconnaissant d'avoir laissé cette tradition qui s'appelle vaudou. Nous
estimons que c'est grâce au vaudou que nous parvenons à exister. Nous célébrons
ainsi la mémoire de nos ancêtres.
LN : Des crânes, çà et là, que nous
retrouvons souvent dans les péristyles, avec quel sentiment aborder ces objets
qui participent à la fois à la décoration des temples et à l'invocation des
esprits ?
MB : Il y a des gens qui pensent que la présence de ces crânes rend
l'environnement macabre. Pour moi, ce n'est pas plus macabre que d'élever un
personnage en l'albâtre sur une croix en bois, il n'y a pas de différence. En
l'albâtre ou en vrai os humain, c'est l'équivalent. Ces crânes représentent
aussi, de temps à autres, nos ancêtres. Leur présence dans les péristyles ,une
fois de plus, traduit une marque de respect pour la mémoire de ceux-là qui nous
ont laissé cette terre en héritage.
LN : Revenons encore autour des
raprochements entre ces deux champs: mystique et scientifique ?
MB : Les
domaines scientifiques dans lesquels je me suis plongé, c'était la biologie, la
physique et la chimie. Pour arriver à ce niveau de connaissance, comme celui de
l'anatomie, par exemple, combien de cadavres ont été dépecés par lamelles,
centimètre par centimètre, rien que pour établir le chemin que prenait telle
veine à travers le corps humain. On en appelle à la médecine légale qui n'opère
que par autopsie, pratique qui consiste à découper des morts. Imaginez, si un
Houngan se mettait à dépecer les cadavres, si un seul Houngan se mettait à
dépecer un seul cadavre sur le territoire d'Haïti, le tollé! Je trouve cela
absurde. Pourquoi le médecin a-t-il des droits que le Houngan n'a pas ?
L.N. :
Qu'en est-il des grands chantiers et de la vision de l'Ati national, sept mois
après votre intronisation ?
M.B.:Unifier la communauté des vodouisants,
structurer le secteur en vue de le rendre plus fort et plus actif, plus
dynamique, pour une meilleure reconnaissance dans la société. En plus d'avoir à
rencontrer plusieurs membres du corps législatif haïtien, nos démarches se
poursuivent dans le cadre de propositions de lois en faveur des vaudouisants, y
compris notamment la loi électorale. Comment est-ce que l'Etat haïtien
s'arrange à banaliser l'état civil, où le jeune Haïtien éprouve toutes sortes
de difficultés pour se faire inscrire en tant que citoyen. Une fois de plus, la
communauté des vodouisants revendique une place dans le conseil électoral
provisoire ou permanent (CEP) et bien plus encore comme étant une religion
officiellement reconnue par l'Etat mais trahi toujours par les dirigeants
politiques. Sur le plan administratif, nous travaillons en vue de faire voter
des « Ati » dans toutes les régions en Haïti. Ces « Ati » vont constituer le
grand conseil national du vaudou. Et ainsi, chacun de ces « Ati » va structurer
ses propres régions jusque dans les sections communales. A ce moment, ils
auront un vaudou très bien structuré.
LN: D'où viennent les moyens
indispensables pour aboutir à des résultats, compte tenu de la réalité
socio-économique du pays ?
MB: Je ne suis pas seul dans ce combat, je fais
parti d'une équipe avant tout, et j'ai été choisi par un grand regroupement
constitué de près de 30 à 40 associations de vodouïsants telles que: (Zantray,
Konavo, Brav, etc.) et j'ai aussi avec moi Euvonie Georges Auguste comme
secrétaire général, Anténor Guerrier responsable des finances et Mackandal
comme porte-parole. Tous font partie d'un comité composé de 16 membres pour le
sécrétariat général. Ma grande satisfaction avant tout, c'est que ce sont les
vaudouïsants qui contribuent avec le peu de moyens dont il disposent à
l'avancement de nos projets aussi grands et exigeants qu'ils puissent être. A
ne pas sous estimer que les vaudouïsants contribuent depuis toujours au
développement de notre pays. Dans le secteur de la santé par exemple, ils
participent jusqu'à aujourd'hui activement à l'amélioration et au bien-être de
nombreux citoyens vivant dans les endroits les plus réculés. En dépit des
"dechoukay" et de toutes les autres formes de persécution et de
discrimination dont sont victimes ces Haïtiens authentiques dans leurs
croyances et pratiques culturelles de "nos frères et soeurs
vaudouïsants", le vaudou est plus que jamais puissant !
LN: Comment
voyez-vous les autres religions par rapport au vaudou, en raison des
divergences existant dans les croyances fort souvent qui se terminent par des
confrontations ?
MB: J'exprime avant tout un très grand respect pour toutes les
religions. Je suis pour, avant tout, la cohésion sociale; je suis très
favorable à ce que catholiques, protestants, témoins de Jéhovah, baptistes,
etc., tous les adeptes se donnent la main en tant que frères et soeurs pour
enfin bâtir et sauver l'Haïti que nous avons reçue en héritage. Je crois
fortement que tous les haïtiens doivent travailler inlassablement pour
atteindre ce noble objectif.
De retour au pays en 1974, Max Beauvoir s'est initié la même année
au vaudou. Peu de temps après, il effectuera de nombreux travaux dans le
domaine médical, spécialement dans la médecine traditionnelle; au point que de
prestigieuses institutions internationales, telles que l'UNESCO, ont consenti
des investissements en vue de favoriser une série de voyages de recherches au
bénéfice de ce dernier et de la science en particulier.
Max Beauvoir a été élevé au rang « d'Ati national », chef suprême
du vaudou haïtien le 7 mars 2008 par la Confédération nationale des
vaudouisants haïtiens (CNVH). Cette cérémonie s'était tenue en présence des
représentants de partis politiques, d'églises chrétiennes et autres cultes, des
membres du gouvernement. Hougans, mambos, initiés et autres serviteurs des
dieux vaudou venus des différentes régions du pays ont pris part à cette
cérémonie organisée au Lambi Night-Club, à Mariani.
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