Par Eddy Cavé, eddycave@hotmail.com
Il y a environ une semaine, les paroisses catholiques de toutes
les grandes villes du monde hébergeant une communauté d’origine haïtienne
chantaient des messes de requiem en mémoire des victimes du vendredi noir
haïtien de 1963. Les associations haïtiennes éparpillées d’un bout à l’autre de
la planète se mobilisaient dans un même élan de solidarité avec les victimes,
les survivants et leurs descendants. Elles ont contribué ainsi à entretenir un
souvenir qui, même à l’intérieur du pays, risque de s’estomper si l’on n’y
prend garde.
Eddy Cavé |
En Haïti, la société civile, mobilisée depuis plus d’une semaine, organisait partout des manifestations de sympathie et de solidarité. En donnant la parole aux survivants et à leurs proches, les médias sont parvenus à recréer la prise de conscience qui s’imposait. Devoir de mémoire face aux risques d’amnésie collective qui guettent à chaque pas une population constituée en majorité de citoyens de moins de 30 ans! Une semaine complète consacrée à expliquer ce qui s’est passé, à rappeler les faits, à pointer du doigt les tortionnaires, à faire la lumière dans l’espoir que cela ne se répètera pas.
Après les nombreuses activités organisées en Haïti par la société
civile, c’était au tour de la diaspora d’exprimer sa douleur, ses sentiments de
révolte. Et aussi de prier pour le repos des centaines de victimes fauchées en
plein jour par une meute de criminels répondant aux ordres d’un dictateur
assoiffé de sang. Dans les diverses villes où la diaspora haïtienne a élu
domicile, le glas a sonné dans le cœur de centaines de compatriotes réunis pour
se souvenir d’une des journées les plus sanglantes de l’histoire récente de ce
pays.En Haïti, la société civile, mobilisée depuis plus d’une semaine, organisait partout des manifestations de sympathie et de solidarité. En donnant la parole aux survivants et à leurs proches, les médias sont parvenus à recréer la prise de conscience qui s’imposait. Devoir de mémoire face aux risques d’amnésie collective qui guettent à chaque pas une population constituée en majorité de citoyens de moins de 30 ans! Une semaine complète consacrée à expliquer ce qui s’est passé, à rappeler les faits, à pointer du doigt les tortionnaires, à faire la lumière dans l’espoir que cela ne se répètera pas.
L'équipe de tirs d'Haiti recevant le deuxième prix au concours de tirs à Panama en 1963. De G à D : Monod Philippe,Claude Edeline, François Benoit, Guy Marcel, Sgt Pompée, Sgt Géralus Mondé |
Parmi les fidèles réunis à l’église Notre Dame des Neiges se trouvait Marie-Claude Argant, dont le fiancé Lionel Bance a été assassiné le même jour. C’était la première fois que je la revoyais depuis l’entrevue que j’ai relatée dans l’article publié dans Le Nouvelliste du 24 mai 2012 sous le titre : « Un
certain 18 mai, Marie-Claude Argant… » Que d’anniversaires douloureux! Dans la nef et sur le parvis de l’église, la plupart des conversations semblent commencer par les mots : « Il y a 50 ans… », par « Ce 26 avril… » ou par un sanglot discrètement étouffé. À mon avis, c’est à cette date que remonte la plus grande vague d’émigration de toute l’histoire d’Haïti.
Soprano du Chœur de l’Orchestre métropolitain de Montréal, Marie-Alice Marcel a interprété durant la messe des chants grégoriens qui ont ému jusqu’aux larmes : l’Ave Maria de Schubert, le Panis Angelicus de César Franck et Bist du bei mir de Bach… Le témoignage qu’elle a prononcé à la fin de la cérémonie a également secoué jusqu’à l’officiant, Monseigneur Blanchard. :
En voici quelques extraits :
« En
octobre 1957, la Perle des Antilles changeait brusquement de visage avec
l’arrivée au pouvoir des sanguinaires du régime Duvalier. L’une des premières
victimes du nouveau régime fut Antoine Marcel, Tonton Tatane, cousin germain de
mon père et père de Raymond Marcel. Sa disparition plongea la famille dans une
profonde douleur. L’année d’après, Guy passe son baccalauréat et entre à
l’Académie militaire où il se signale déjà par ses qualités de franc-tireur.
Une fois commissionné officier, il participe à Panama aux concours militaires
panaméricains de tir à titre de membre de l’Équipe nationale haïtienne, Le
mercredi 24 avril 1963, il vient à la maison pour annoncer à ma mère qu’on
vient de le révoquer des Forces armées avec plusieurs officiers du Grand
Quartier général. Maman et les autres étant absents, je suis la dernière
personne de la maison à qui il a parlé.
Informée
de la nouvelle de sa révocation, je lui pose la question tout spontanément : " Est-ce que tu vas gagner
une ambassade?"
Il me
répond : " Non, si mwen pran anbasad yap touye nou tout"
(Si je
gagne une ambassade, ils vont tous vous assassiner!). Cette
phrase résonne dans ma tête depuis 50 ans…
Mon frère
venait de se marier. À peine 4 mois. Aussi est-il reparti chez lui à la Boule
où il venait de s’installer.
Guy Marcel en 1963Ce 26 avril 1963, des centaines d’innocents ont péri à Port-au-Prince dans une folie meurtrière dont on n’arrive toujours pas à expliquer la violence. Comme bien d’autres militaires démobilisés, mon frère aurait pu gagner une ambassade et avoir la vie sauve... Guy, tu resteras toujours dans mes pensées, ne serait-ce que pour cet acte de courage et d’abnégation digne d’un héros cornélien […].
Et dire que hier encore, un des petits-fils du dictateur publiait dans un quotidien de la capitale haïtienne un article commémorant l’anniversaire de la mort du criminel et soulignant ses grandes qualités de cœur[…] Aucun respect pour la mémoire des victimes et la douleur des survivants!
Les
forces de la répression ont alors exécuté sans pitié des centaines d’innocents
qui vaquaient paisiblement à leurs occupations. Par le fer, par le feu et par
leurs balles assassines, ils ont enlevé la vie à une multitude d’honnêtes citoyens
dont le seul crime était de n’être pas des amis du régime.
Au
renversement de la dictature en 1986, le peuple haïtien avait de bonnes raisons
de croire qu’il était pour toujours à l’abri des fusillades gratuites et des
assassinats collectifs. Mais ne voilà-t-il pas qu’un autre vendredi 26 avril
les mitrailleuses d’une dictature en gestation semaient de nouveau la mort à
l’entrée de la même prison. C’était le 26 avril 1986. Vingt-trois ans plus
tard, François Benoît et des milliers de citoyens se dirigeaient paisiblement
vers le Fort Dimanche pour aller fleurir les fosses communes des martyrs de ce
26 avril 1963. À l’entrée du tristement célèbre Fort, une fusillade éclata,
tuant un nombre indéterminé de manifestants […] »
La messe de requiem a produit un véritable effet d’apaisement sur
la sœur et la veuve de Guy Marcel. Durant la réception offerte à l’issue de la
célébration, elles racontent avec une sérénité retrouvée les événements qui ont
bouleversé leur existence et coupé leur vie en deux tranches : l’avant et
l’après 26 avril.
Marie-Alice était alors étudiante en pharmacie, n’ayant pu entrer
en médecine à cause du système de patronage mis en place par le régime. Par la
suite, elle devra abandonner ses études, la faculté étant devenue un enfer pour
elle. De son côté, Liliane avait seulement 20 ans quand sa vie a basculé dans
l’horreur. Elle raconte :
« J’avais â peine quatre mois de mariage quand Guy a été révoqué
des Forces Armées. Cela faisait à peine 10 jours qu’il revenait d’un concours de
tir à Panama où l’équipe s’était signalée en se classant deuxième, après les
États-Unis. Nous habitions alors
à Laboule, et Guy prenait ses dispositions pour s’orienter vers une nouvelle carrière. Ce vendredi-là, nous avons déjeuné tranquillement et nous nous apprêtions à descendre en ville.
Il était 10 heures environ quand nous avons entendu des vrombissements de moteur. En un clin d’œil, la maison a été encerclée d’hommes en tenue de combat armés jusqu’aux dents : pistolets, fusils mitrailleurs, grenades, etc.
à Laboule, et Guy prenait ses dispositions pour s’orienter vers une nouvelle carrière. Ce vendredi-là, nous avons déjeuné tranquillement et nous nous apprêtions à descendre en ville.
Il était 10 heures environ quand nous avons entendu des vrombissements de moteur. En un clin d’œil, la maison a été encerclée d’hommes en tenue de combat armés jusqu’aux dents : pistolets, fusils mitrailleurs, grenades, etc.
Papa Doc le 26 Avril 1963, un fusil entre les
jambes pour entretenir la peur et la terreurDes macoutes en bleu et des militaires en treillis vert olive débarquent des camions de l’Armée par dizaines, grimpent sur le toit de la maison, tirant dans toutes les directions. On eût dit une guerre civile. Se rendant compte de la gravité de la situation, Guy décide de sortir de la maison. Il le fait, les deux mains en l’air criant à tue-tête : « Pa tire, pa tire, pa tire, mwen pa ame (De grâce, ne tirez pas je ne suis pas armé.)
Guy parti, j’essaie de retrouver mes esprits et je décide de me rendre en ville prévenir sa mère. Les rues sont complètement désertes… Le vendredi noir avait commencé…»
Sa voix s’est éteinte dans un sanglot. Par respect pour sa douleur, nous essayons de parler de banalités qui manifestement n’intéressent personne. Puis, la conversation dérive vers l’inévitable sujet du bilan des cinquante dernières années de notre vie de peuple, des désillusions de l’après 1986, du 10 janvier 2010, de l’après-séisme, de la reconstruction, etc. Des illusions perdues, des espoirs déçus, des rendez-vous manqués…
Initiation au tir et à la dictatureLa salle de réception ayant été retenue pour quelques heures seulement, il faut bientôt mettre fin aux conversations qui s’animent au rythme des retrouvailles, des témoignages et des confidences des soixante ans et plus. On se sépare dans la tristesse, évitant de prendre rendez-vous pour la ronde des cinquantenaires qui vient de commencer : l’affaire Hector Ryobé au début de l’été de la même année; les invasions avortées de l’ex-général Léon Cantave à Fort Liberté et à Ouanaminthe, ainsi que celles de Fred Baptiste dans le Sud-Est; l’épopée de Jeune Haïti qui déclenchera les massacres de Jérémie en 1964; la tentative de déstabilisation du régime par Gérald Brisson et les camarades du Parti unifié des communistes haïtiens (PUCH) à partir de 1967; la mutinerie du corps de Gardes-côtes avec le colonel Octave Cayard en 1970.
Le dictateur étant décédé dans son lit en 1971 après avoir désigné
son successeur, Haïti semblait entrer dans une ère de dynasties. Comme celle
des César à Rome, des Ptolémée en Égypte, des Bourbons en France. Quelle
aberration! Le peuple haïtien méritait mieux que cela.
Une question absurde, défaitiste sans doute, revient d’elle-même
chaque fois qu’on essaie de scruter le proche avenir à la lumière d’un passé
récent peu reluisant et d’un présent peu prometteur : Tout ce sang a-t-il été
versé pour rien?
Merci de partager cette tranche importante de notre histoire de peuple. On ecrase une larme pour ces coeurs meurtris, ces vies brisees et on entrevoit les fantomes du passe dans la realitie quotidienne du pays. Indifference ou ignorance, culture de sans foi, ni loi, pauvrete et desespoir... Est ce que l'on pourra un jour vaincre les demons de notre histoire?
ReplyDeletenterpeller vos gouvernement afin qu'il n'encourage pas les dictatures. Le Canada a toujours été complice des Duvalier, Namphy, Cedras, etc. et s'emploie jusqu'à maintenant à bloquer la démocratie en Haiti.
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