Par Leslie
Péan, 1er septembre 2016
L’événement littéraire marquant de la rentrée 2016-2017 sera sans doute la publication du deuxième tome de l’ouvrage d’Eddy Cavé intitulé “De Mémoire de Jérémien” paru aux Éditions du CIDIHCA à Montréal et Pleine Plage à Port-au-Prince. Un vrai journal intime sur lequel se greffe une analyse sociopolitique de la société haïtienne. Un ouvrage rempli de couleurs et d’images qui s’imbriquent harmonieusement dans le texte imprimé. Au fait, le texte renforce admirablement la véracité des photos qui l’accompagnent. Texte ? Photos ? L’un est le complément de l’autre. Au total, 474 pages de textes et 481 photos. Les deux, bien couplés, dessinent de nombreuses personnalités pleines de dynamisme et de finesse. Et c’est justement cette mise ensemble esthétique qui fait vertu dans ce livre.
À ce sujet,
l’auteur écrit : « La photo étant chez moi à la fois catalyseur
et support de la mémoire, c’est souvent par elle que commencent mes réflexions
sur un grand nombre de sujets. C’est ainsi que la seule vue des bandes vidéo,
des boîtes de diapositives et des albums photos accumulés après le renversement
de la dictature en 1986 a déclenché chez moi une avalanche de souvenirs tour à
tour plaisants et bouleversants[1]…» Ces
souvenirs constituent dans le cas d’Eddy Cavé un capital bien géré en vue de sa
transmission à la postérité.
Elda Pierre, ancienne Inspectrice du district scolaire de Jérémie. |
Le souvenir
des amis disparus est pour l’auteur un baume sur des émotions douloureuses,
mais aussi et surtout un prétexte à des analyses plus larges sur les démons qui
terrassent Haïti. C’est bien là le manifeste. Le cœur du sujet. Tout l’art
d’Eddy Cavé a été d’arriver à ce point d’équilibre et à nous faire vivre la
présence des personnages disparus malgré leur absence. Le gros des textes
n’est-il pas écrit au présent narratif ? En faisant appel à nos sens et à
nos sensations, l’auteur ouvre des fenêtres sur des vies éteintes entre 1998 et
2016. Sur une mémoire qui recèle une puissance sortilège. Point de départ pour
des renvois croisés à d’autres personnalités connexes sur une plus longue
période.
La maison des Sansaricq convertie en caserne des macoutes en 1966 et disparue dans les flam mes vingt ans après. |
Dans ses
révélations, l’auteur livre un condensé de leurs images dans le style du
«langage clair et simple[2] » qui est
sa spécialité. Introduction à une rencontre réelle conduisant à l’analyse de la
perdition haïtienne. Sans le moindre embellissement ! Les multiples
nuances et la singulière richesse de toute la hiérarchie des rapports humains
sont présentées avec beaucoup de soin. Cela va du poète Émile Roumer mort en
1991 à la vendeuse ambulante jérémienne Kalisia. Cette empreinte féminine
parcourt tout l’ouvrage. On découvre de nombreuses femmes auxquelles Eddy Cavé
donne droit de cité. L’adage veut qu’on ne trouve que ce qu’on cherche. Dans ce
chantier qu’il inaugure, Eddy Cavé fait défiler les visages de Lucette
Ambroise, Elizabeth Philibert, Yanick Rigaud, Josette Bastien, Adrienne
Gilbert, Carole Démesmin. Des femmes dont la plupart ont tenu bien haut le
flambeau de la lutte contre les tontons macoutes !
L’opération
Champosin
L’effet de
monstruosité du pouvoir absolu annule la créativité d’un peuple qui a démarré
sur des chapeaux de roue en 1804. Au plaisir de l’indépendance s’est vite
adjoint le drame de l’assassinat du fondateur Dessalines. Et depuis lors, le
retour du remords refoulé revient systématiquement. L’inventaire des mesquines
atrocités jalonnant notre parcours de peuple est époustouflant. Eddy Cavé
soulève le rideau combien lourd de la cruauté et de l’épouvante sur les
massacres du 26 avril 1963 à Port-au-Prince et de 1964 à Jérémie à l’occasion
de la commémoration du cinquantième anniversaire de ces deux tragiques série
d’événements. Il écrit : « Le démocrate que je suis ne peut
accepter comme un fait accompli l’horreur de ces massacres[5]. »
Les frères Adrien et Daniel Sansaricq |
Gérard C. Noël 1931-1996 |
Par :Lesly Péan
Une illustration de HCC
[1] Eddy
Cavé, De Mémoire de Jérémien, Tome II, Editions Cidhica, Montréal, 2016, p. 20.
[7] Ibid,
p. 109.
[8] Christophe
Wargny, Haïti n’existe pas, 1804-2004 : deux cents ans de solitude, Paris,
Autrement, 2004.
No comments:
Post a Comment