Jocelerme Privert, le nouveau président provisoire d'Haïti |
Né le 1er février 1954 à Petit-Trou de Nippes, Jocelerme Privert
débute une carrière de fonctionnaire en 1979. Il est nommé directeur général de
la Direction générale des Impôts en août 1995, puis secrétaire d’État aux
Finances en mars 2001. En mars 2002, il est promu ministre de l’Intérieur et
des Collectivités territoriales. Après les évènements de 2004, Jocelerme Privert
passe 26 mois en prison d’avril 2004 à juin 2006. Après un échec en 2008, il
est élu en 2010 sénateur pour six ans. En janvier 2016, il devient président du
Sénat et un mois plus tard est élu président provisoire d’Haïti. Portrait et
parcours du nouveau président provisoire d'Haïti.
Le sénateur Jocelerme Privert, 62 ans, élu au second degré
président provisoire par le parlement réuni en Assemblée nationale tôt le
dimanche 14 février, dirigera les destinées d’Haïti au moins jusqu’au 14 mai
2016, date prévue pour la prestation de serment du prochain président élu au
suffrage universel.
Le président Privert dispose cependant de 120 jours pour conduire
le processus électoral. Avant, il lui faudra nommer un premier ministre, monter
un gouvernement et s’entendre avec les secteurs de la vie nationale sur les
membres du Conseil électoral qui aura la haute main sur la conclusion des
élections de 2015.
Le parcours de Privert
Jocelerme Privert est né à Petit-Trou de Nippes |
Né à Petit-Trou de Nippes le 1er février 1954, Jocelerme Privert
ne cache pas sa fierté d’avoir apporté sa touche à la réforme de la Direction
générale des impôts. Durant son passage à la DGI, sa présence était remarquable
dans des grands forums visant la performance de l’administration fiscale. Sa
connaissance du système fiscal haïtien et des dossiers fiscaux a même attiré
l’attention d’une mission du Fonds monétaire international. Jocelerme Privert a
donc alors été invité à participer au programme de formation en finances
publiques organisé par le département des finances publiques et l’institut du
FMI à Washington en 1992.
Jocelerme Privert n’a néanmoins pas connu que de bons moments à la
DGI. Il a eu aussi des déboires. Sa nomination comme directeur général le 21
août 1995 a été accueilli par un mouvement de protestation enclenché par des
employés et des cadres de l’institution. Son départ a aussi été précipité par
un autre mouvement de protestation. « Il y avait des mains invisibles derrière
ces mouvements de protestation contre moi, accuse-t-il aujourd’hui encore.
Après plusieurs semaines de tension, d’actes de violence, de dénonciations
calomnieuses, d’interférences injustifiées, voire maladroites des plus hautes
autorités du ministère de l'Economie et des Finances (MEF), j’ai été démis de
mes fonctions après 3 ans et 10 mois comme directeur général», rappelait-il
dans un portrait d’Yvince Hilaire publié dans Le Nouvelliste en juin 2015.
Des impôts au ministère de l’Intérieur
Mais tout n’est pas resté
là pour cet enfant monoparental, élevé en grande partie par sa grand-mère
maternelle et par sa mère Any Privert dont il porte le nom. Après environ une
année sabbatique, Jocelerme Privert a été nommé secrétaire d’État aux Finances
en mars 2001 sous l'administration Aristide/Chérestal.
Président Privert recevant les honneurs militaires au Palais National . |
De son bureau de ministre au pénitencier national
Après les évènements du 29
février 2004 qui ont vu partir en exil l’ex-président Aristide, Jocelerme
Privert, marié et père de trois filles, est rentré chez lui pour s’occuper de
ses activités professionnelles. Membre fondateur de l’Ordre des comptables
professionnels agréés d’Haïti (OCPAH), de l’Association interaméricaine de
comptabilité (AIC), et de l’Association haïtienne des économistes (AHE),
Privert ne sera pas pourtant de tout repos. Tandis que des proches du pouvoir
déchu sont dans le maquis ou ont choisi le chemin de l’exil, Privert a été
arrêté chez lui le 4 avril 2004 vers deux heures du matin. Motif de
l’arrestation: participation présumée au massacre de La Scierie à Saint-Marc. «
Se faisant accompagner du directeur général de la police nationale, le ministre
de la Justice d’alors a en personne procédé à mon arrestation avec la
complicité de deux diplomates étrangers », explique-t-il avec hargne et avec un
luxe de détails. « C’étaient purement et simplement des persécutions
politiques. Une sorte de chasse à l’homme. Car aucun lien n’a été établi entre
moi et un événement quelconque à Saint-Marc, si ce n’est mon appartenance au
gouvernement Neptune », affirme-t-il, soulignant qu’il a passé treize mois au
pénitencier national sans avoir reçu copie du mandat, voire être auditionné par
un juge.
« J’ai failli y laisser ma peau… »
Le président Privert revêtant son écharpe bicolore après sa prestation de serment. |
«Après avoir alerté par téléphone des têtes de pont de la
communauté internationale de notre situation, poursuit Privert, un contingent
de l’armée brésilienne a pris le contrôle du lieu où nous nous sommes réfugiés
peu de temps après. Sur demande de Hérard Abraham, alors Premier ministre a.i.,
une délégation de la communauté internationale nous propose de ne pas retourner
au pénitencier, mais de préférence à la prison de Pétion-Ville ou au siège de
la UNPOL. « Propositions que nous avons systématiquement rejetées. Car il
s’agissait de toute évidence d’une machination de nature à accréditer la thèse
des autorités haïtiennes d’évasion planifiée par les « chimères lavalas » pour
libérer Neptune et Privert. Après plusieurs heures de négociations, nous avons
été reconduits très tard dans la soirée au pénitencier national.
Entre-temps, la condition de détention des deux compères devient
catastrophique. Pour contourner cette nouvelle réalité, une grève de la faim a
été entamée par ces messieurs. Après plusieurs jours de grève, ils ont été
transportés d’urgence à l’hôpital étant donné la dégradation de leur état de
santé. Il a fallu attendre le 16 juin 2006 pour voir sa libération après 26
mois au pénitencier. Selon Privert, l’ordonnance des juges Hugues St-Pierre,
Mécène Jean-Louis et Grégoire Jean-Baptiste confirme bien qu’il n’a été ni plus
ni moins qu’un prisonnier politique.
Son incarcération au pénitencier national lui a cependant permis
de développer son talent d’écrivain. Auteur de Décentralisation et
collectivités territoriales, ouvrage qu’il a conçu à l’intérieur de la prison,
Jocelerme Privert peut s’enorgueillir d’un tel exploit comme feu Claude Rozier
avec son livre « Le triangle de la mort ». Il est également l’auteur de
l’ouvrage intitulé Guide du contribuable haïtien.
Sénateur de son départment
Après avoir recouvré sa liberté, Jocelerme Privert rejoint en
septembre 2006 le cabinet particulier du président René Préval à titre de
consultant. Ensuite, il devient conseiller du président de 2008 à 2010.
Véritable instigateur du projet d’élever les Nippes au rang de département
alors qu’il était ministre, Jocelerme Privert s’est présenté candidat au poste
de sénateur lors des sénatoriales partielles de 2008. Sa candidature a été
rejetée par le Conseil électoral pour faute de décharge. Il revient à la charge
deux ans plus tard et a enfin été élu aux élections législatives de 2010.
Jocelerme assume officiellement le poste de président intérimaire d'Haïti. |
Une enfance modeste…
Même s’il a pu aujourd’hui se tailler une place dans la société,
Jocelerme Privert n’oublie pas les moments difficiles auxquels il a été
confronté dans son existence. Il n’est pas gêné de répéter à gorge déployée
qu’il a grandi dans une famille où les conditions de vie étaient très
précaires. Il affirme avoir pu survivre grâce à la culture des champs que
pratiquait sa grand-mère et du petit commerce de sa maman.
Le jeune Jocelerme a passé le plus clair de son enfance à Petit-Trou de Nippes jusqu’à la fin de ses études primaires en 1969. Après son certificat d’études primaires, ses parents n’avaient pas les moyens pour lui permettre de poursuivre ses études classiques. « À cette époque, il n’y avait pas encore d’écoles secondaires à Petit-Trou de Nippes, se souvient Jocelerme Privert 46 ans plus tard. Ceux qui avaient les moyens financiers pouvaient se rendre dans des villes comme Anse-à-Veau, Miragoâne, les Cayes pour entamer leurs études secondaires. Moi, ce n’est que miraculeusement que j’ai été accueilli à Port-au-Prince par un bon samaritain. »
Arrivé à la capitale, l’enfant martyr de Any a intégré le collège
Moderne avant d’entrer au lycée Alexandre Pétion jusqu’en philo. Jocelerme
Privert se vante d’avoir fait partie de cette belle et dernière promotion de la
section A où le latin et le grec étaient des matières obligatoires au
baccalauréat. Vivre à Port-au-Prince n’était pas une partie de plaisir pour le
Trounippois, il avait l’habitude de se nourrir uniquement de sa salive pour
obtenir le pain de l’éducation, se rappelle-t-il.
Après son baccalauréat en 1976, il a fait une tentative
infructueuse d’entrer à la faculté d’Agronomie et de médecine vétérinaire de
l’Université d’État d'Haïti. À défaut de cela, le jeune homme est entré au
département des sciences sociales de l’École normale supérieure, puis à
l’INAGHEI pour des études en administration publique.
Entre-temps, il a décroché un diplôme en comptabilité chez Maurice
Laroche. Ce qui lui a permis de participer avec succès au concours de
recrutement organisé par le ministère de l’Économie et des Finances en 1978 à
travers l’École nationale d’administration financière (ENAF).
Mettre Martelly K.O et prendre la présidence
L'ex président Martelly remettant l'écharpe présidentielle au président de l'Assemblée nationale le 7 février 2016. |
C’est ce président Privert, l’un des sénateurs au carnet
d’adresses le plus fourni du parlement, homme d’expérience et de réseaux qui
débute les négociations avec Michel Martelly et la communauté internationale
après le renvois des élections du 24 janvier, quand il est devenu évident qu’il
faut sortir de Martelly pour qu’un jour des élections se tiennent dans le pays.
Le président Privert pose un regard attendrissant sur sa femme. |
Une semaine plus tard, après une séance marathon de plus de dix
heures, au deuxième tour de scrutin Jocelerme Privert est élu président
provisoire d’Haïti par le parlement haïtien réuni en Assemblée nationale au
petites heures du matin, ce dimanche 14 février 2016.
C’est Cholser Chancy, vice-président de l’Assemblée nationale qui
a proclamé les résultats du vote : 13 sénateurs et 64 députés ont voté pour
Jocelerme Privert, Edgar Leblanc Fils a obtenu 9 voix des sénateurs et 33 voix
des députés, Déjean Bélizaire le troisième candidat en course pour devenir
président provisoire a lui obtenu 2 voix chez les députés et aucun des
sénateurs.
La séance en Assemblée nationale a été très animée, emmaillée de
motions et de suspensions en huis clos, même si depuis plusieurs semaines la
capitale haïtienne bruissait de rumeurs sur les fortes chances de Jocelerme
Privert d’être élu président en cas de vote au Parlement.
Pendant une trentaine de minute, fort de l’appui des alliés du
PHTK, le parti de Michel Martelly, le candidat Edgard Leblanc Fils, lui aussi
ancien président du Sénat et de l’Assemblée nationale, a fait illusion. Au
premier tour du scrutin il a recueilli 46 voix des députés contre 45 pour
Jocelerme Privert, mais 9 chez les sénateurs contre 13 pour Privert.
A 3h 33 du matin ce dimanche 14 février, les choses étaient pliées
et le résultat définitif de la première élection au second degré du 21e siècle
haïtien complétée. Jocelerme Privert a été élu président provisoire avec un
mandat court, mais déterminant pour l’avenir de la démocratie en Haïti.
Jocelerme Privert, le président de la St Valentin, n’a pas une
minute à perdre s’il veut marquer son passage et relever l’immense défi qui
l’attend. Martelly avait eu cinq ans et n’a pas pu compléter un seul processus
électoral. Privert, lui, dispose de 120 jours pour accomplir un miracle.
AUTEURS
Frantz Duval et Yvince
Hilaire
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