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Richard Duroseau |
Par Herve Gilbert
La communauté musicale haïtienne est en deuil. Richard Duroseau,
l’un des pionniers du compas direct, s’est éteint à l’âge de 85 ans, emportant
avec lui une part précieuse de la mémoire vivante de cette musique. Maître du
clavier, figure discrète mais essentielle, il fut l’un des artisans les plus
fidèles de l’œuvre de Nemours Jean-Baptiste. Par son élégance musicale, son
exigence sans compromis et sa loyauté indéfectible à l’essence même du compas,
il a traversé les époques en laissant une empreinte profonde dans le paysage
sonore d’Haïti. Son départ laisse un silence lourd, chargé de résonances — mais
aussi un héritage vibrant, gravé dans la trame intime de notre culture
musicale.
Élevé par ses frères Mozart et Kreutzer, alors jeunes talents issus de l'Orchestre des Casernes Dessalines, Richard Duroseau entra précocement dans la légende, porté par les élans fiévreux de son adolescence lorsqu'il rejoignit l’Orchestre de Nemours
Jean-Baptiste, père fondateur du compas. Encore frêle, presque enfant, on le
hissait sur une chaise pour qu’il soit visible derrière son instrument. Mais
dès les premières notes, il imposa une signature : une manière singulière de
faire parler l’accordéon, avec une justesse limpide et une délicatesse presque
mystique. Dans un univers musical en pleine effervescence, il s’éleva comme
l’une des premières voix du compas — un timbre discret, mais inoubliable.
Son empreinte traverse le temps à travers des titres devenus mythiques : Ti manman Carole, Discipline, Infidélité, Fanatique Compas, Haïti Compas, Sainte Cécile, ou encore Ti Claudette. À chaque mesure, sa présence se fait sentir — discrète, mais décisive, comme une respiration profonde qui donne vie à l’œuvre. Richard Duroseau n’était pas seulement un interprète ; il était l’âme invisible qui reliait les notes entre elles, un souffle créateur niché au cœur de l’architecture sonore de l’orchestre. Dans la trame du compas, il aura tissé une étoffe d’élégance et d’émotion dont nul ne saurait oublier la texture.
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Les trois dangers, tel qu'acclamé par ce super hit de l'époque qui l'immortalisa avec Nemours Jean-Baptiste et Raymond Gaspard. |
Mais c’est sans doute avec Skah Shah, groupe emblématique des
années 1970 et 1980, qu’il connut une période d’intensité exceptionnelle. En
tant que claviériste et arrangeur, il participa à des tournées internationales
et à des albums devenus cultes. Sa manière d’habiller les chansons de nappes
mélodiques — tantôt feutrées, tantôt flamboyantes — contribua largement à la
signature sonore du groupe.
« Richard jouait comme on raconte un secret qu’on ne veut pas
trahir », disait un musicien proche. À l’accordéon comme au piano, il ne se
contentait pas d’accompagner : il traduisait l’émotion du peuple, les silences
de la douleur, la joie du carnaval, la nostalgie de l’exil.
Au fil des décennies, Duroseau devint un bâtisseur de l’ombre, un
maître respecté pour sa rigueur, son humilité et sa générosité artistique. Il
croyait en la musique comme vecteur de dignité, de beauté et de transmission.
Sa maison fut un refuge pour de jeunes musiciens en quête de conseils, ou
simplement d’un regard bienveillant.
Aujourd’hui, alors que son piano s’est tu, c’est toute une époque
qui semble s’éloigner. Mais les notes de Richard Duroseau continueront de
résonner dans nos mémoires, dans les grooves intemporels des vinyles, et dans
le souffle des musiques à venir.
Images éparses de Richard Duroseau, entouré d'amis en diverses occasions
Message personnel :
À toi, Richard, maestro au cœur silencieux, merci pour l’exemple,
la constance et l’élégance. Tu as montré qu’on pouvait faire grand bruit sans
hausser la voix. Que le ciel accueille ton âme avec ces accords doux que tu
savais si bien tisser ici-bas.
Haïti te dit merci — avec émotion, avec respect, avec amour.
Bon voyage, Richard Duroseau. Ta musique
nous appartient désormais.
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Hervé Gilbert |