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Monday, March 7, 2016

Le révérend prêtre Eddy JULIEN s’est retiré !

Très chers amis,
Eddy Cavé
À la demande de notre ami Pèpè Smith, je vous transmets le texte de souvenirs qu’il vient de terminer pour saluer le révérend prêtre Eddy Julien, qui fut pour lui un frère aîné, un guide, un mentor.

À la différence de Pèpè, beaucoup plus jeune que nous deux, je me suis lié d’amitié avec Eddy Julien dès l’âge de 5 ans, à mon arrivée à l’école Frère Paulin  de Jérémie, aujourd’hui disparue. Dans la classe du vénéré professeur Séjour Cajoux, nous étions trois Eddy le jour de la rentrée des classes : Eddy Julien, Eddy Lévêque, Eddy Cavé. Au terme du cycle des études primaires, nous étions encore ensemble tous les trois, sans avoir jamais eu la moindre discussion. Ni dans les salles de classes, ni sur la cour de l’école ni sur les terrains de jeux avoisinants.

Eddy Julien s’étant orienté dès le départ vers la prêtrise, il a suivi un cheminement complètement différent de celui des deux autres Tokay,  mais qui a été marqué par des nombreux croisements, qui furent autant d’occasions de fort agréables réminiscences. La dernière fois que nous nous sommes tous rencontrés, c’était  à Long Island en décembre 2009, à la sortie de mon livre de souvenirs De mémoire de Jérémien. Eddy Lévêque avait organisé pour la circonstance un souper qui réunissait, en plus des trois Tokay, Frédéricq Cadet, que nous appelions Dak, Jean-Claude Chassagne, de passage à New York, Donald Ferdinand et quelques amis non-jérémiens.

Ce fut pour moi un moment de rêve, chargé d’émotions et de signification. Je n’ai malheureusement pas encore retrouvé le fichier électronique des photos prises ce soir-là, mais je suis certain de les avoir.

Plus de cinq ans se sont passées et nous n’avons communiqué depuis lors que par personnes interposées. Dans l’intervalle, plusieurs des amis d’enfance nous ont devancés dans l’éternité, notamment Yves Bijou en 2014, Dieffen Azor et Serge Picard en 2015. Je suis en train de consigner les souvenirs de cette génération dans un livre qui sort cet été et qui aura sûrement pour titre En pensant aux amis disparus. J’ai bon espoir de retrouver d’ici là les photos retraçant le parcours d’Eddy et celles prises à New York…          

Je dois partir pour assister à une messe que l’ami commun Hugues Lamour fait chanter ce midi à la paroisse haïtienne du Sacré-Cœur à Ottawa pour le repos de l’âme de ce grand Jérémien.  Nous en reparlerons.

Eddy JULIEN s’est retiré!
Par Pierre-Michel Smith
Miami, le 5 mars 2016
Sa dépouille retourne le 10 mars 2016 à la terre dont elle est tirée. Eddy appartient au patrimoine de cette ville, à la Grand'Anse tout entière. Tout jeune, petit séminariste de Maznod, par ce don de simplicité digne, par cette attention aux autres, accueillante, embrassante, il a su acquérir la sympathie. Il était la source.  Tout un réseau d’autres jeunes s’y ravitaillaient. Chez lui une petite bibliothèque où la lecture de Saint-Exupéry, Emmanuel Mounier, de l’Abbé G. Courtois, François Mauriac, Charles Péguy, Teilhard de Chardin, du Chanoine Jacques Leclercq ennoblit l’esprit et le guide vers les hauteurs et les profondeurs. En ce temps-là, la jeunesse de Jérémie ignorait la fièvre de la possession, contrairement à celle d’aujourd’hui. Le souci était ailleurs. L’argent et le confort ne sauraient la combler.

J’étais en 7e au Collège Saint-Louis de Jérémie quand Willy Saint-Elmé, Guy Dupoux, Edwin Madiou, Eddy Julien ont donné mon nom au père Péron pour m’inscrire en 6e au Petit Séminaire de Camp-Perrin. Les trois premiers se sont évanouis longtemps déjà. Il restait le chef d’orchestre Eddy Julien, zélé, actif, dont le rôle consistait à obtenir l’accord des autres en vue du bien commun. C’était le début d’une amitié sans trêve entre cet homme et moi. Il fut pour moi un maître et un grand maître; un homme très doux, très puissant, toujours maître de lui : tout ce qu’il y a d’humain et tout ce qu’il y a de divin.

À la fermeture inattendue et brutale du Grand Séminaire des Jésuites de Turgeau (P-au-P) par François Duvalier, Eddy est revenu à Jérémie enseigner au Collège Saint-Louis, puis aider dans les paroisses des alentours. Ensuite, ce fut le débouché inespéré pour les séminaristes d’aller continuer au Canada avec le Père Parent chez les Volontas DEI. Les études théologiques terminées, Eddy a requis une année de réflexion. Il est nommé en charge de la Maison des Volontas dans le quartier populaire de Bolos, une agglomération pleine de déchéances et de laideurs, un micro-pays authentique où vivent des gens modestes, pauvres, des petits, des enfants qui sont le nombre et la force et l’avenir de notre pays. Il rassemble chaque semaine les jeunes des ghettos avoisinants pour leur ouvrir tous les chemins de l’esprit, de l’espoir, de la réussite. Être pauvre pour lui ne devrait pas être un handicap social, un obstacle à certaines filières d’éducation, à divers métiers sans oublier l’accès aux soins. Il a passé une année dans ce milieu à porter parole, à être visible partout, à rendre témoignage.
Père Julien (G) et Pierre Michel Smith
Après cette expérience, Eddy est ordonné prêtre à l’église Saint-Louis de Jérémievers 1965. À 25 ans, il lui est confié immédiatement la paroisse des Irois, sans prêtre auparavant. Il s’y est installé dans deux petites pièces sans eau, sans électricité, sans meubles, sans latrine. Débordant d’énergie et d’idées nouvelles, grâce aussi à la générosité de Madame Armand, de Port-au-Prince, qui l’avait comme adopté, il a monté une structure solide: une église, un presbytère, un atelier de couture, des jeux pour les jeunes. Il en a fait une bourgade de gaieté, pleine de vie, d’animation. Sa vie, une vie simple, presque austère. Sa foi est un roc.

Son principal souci: comment mobiliser les gens, organiser la population sans avoir á mendier l’aide étrangère; comment faire adhérer ce monde á un projet collectif d’auto-développement, un développement auto-géré. Il ne veut pas seulement gaver le paroissien de chants, de liturgie. Il veut également s’occuper de son corps mal nourri, malingre, malade, squelettique et nu.
À la fin des études dentaires, avant de partir pour le Canada, Eddy Julien m’invite à rendre á la Cité un peu de ce que j’ai reçu gratuitement du pays, à soigner cette population qui n’a jamais connu de dentiste. La séduction est extrême: faire un peu d’argent, faire un peu de bien. Les gens m’ont attendu á la queue leu leu aux Irois, à l’Anse d’Ainault, à Dame-Marie. Dans les mornes, à dos de bête, Gérard Jean-Juste fraîchement ordonné prêtre me servant d’assistant, on allait à travers des chemins de crête, étroits entre deux précipices, au-devant des paysans.
Un beau jour, Eddy m’est arrivé comme ça au Canada, il n’est plus aux Irois. Quel choc!  « Et ce beau travail d’amour, à force d’ordre, de prudence, de patience, d’économie, lui ai-je dit? Et ce groupe de jeunes qui t’accompagnent, cette famille unie, cette solidarité inexprimable entre les gens du groupe, cette atmosphère de tendresse, de fraîcheur et de calme? Tout s’est-il émietté? » Connaissant l’autre versant de mon frère Eddy, j’ai deviné dans mon cœur qu’il s’est brouillé avec l’Évêque ou le Supérieur. Autant une grande passion contre l’injustice humaine, autant une sainte horreur de toute autorité au-dessus de lui, surtout quand cette autorité a l’air dure, écrasante, distante, méfiante. Rebelle, libre, indépendant quand il acquiert la certitude d’une vérité, il s’y maintient coûte que coûte.
D’une sensibilité à fleur de peau, dis-je, il est vite écorché, vif. Et quand cela arrive, orgueilleux, il freine la circulation des idées. Il peut devenir un homme de marbre qui a la froideur, l’impassibilité du marbre, qui peut refuser à un ami tout contact, toute relation jusqu’à la connivence d’un sourire, qui ne dit même pas quelque chose de beau comme bonjour.
Eddy est resté longtemps à Ottawa aux études avant de retourner une nouvelle fois dans la Grand’Anse pour s’impliquer dans une nouvelle aventure à Léon, s’élancer à la conquête de nouvelles tâches et de nouvelles responsabilités. Servir est un souci constant, une préoccupation constante chez lui. Il s’y est donné corps et âme, s’est surpassé et s’est crevé. Après plus d’une décennie de soins et d’amour prodigués à Léon, il est revenu la santé chancelante, fragile à New York. Il exerce le sacerdoce à Long Island avant de tomber malade et de partir la semaine dernière dans d’horribles conditions de misères et de souffrances.
La veille de son retour à Jérémie, novembre dernier, pour attendre la fin, j’ai passé avec lui deux heures chez sa cousine Jacqueline Clerville; entre deux vieux amis de toujours, une amitié fraternelle dont la loyauté et la dignité ne se sont jamais démenties. Deux heures de grâce, câlines, réchauffantes qui apaisent sa tristesse inexprimable. On se souvient de tout avec ardeur, avec une bouffée de joie indescriptible. Là, j’ai compris que c’était le temps pour lui de dire adieu au ciel, à la terre, aux oiseaux et aux fleurs.
Eddy Julien n’est pas seulement un homme de terrain, un homme d’action, de foi ardente, d’un dévouement sans limites aux causes qu’il croit bonnes. C’est aussi une âme poétique, une intelligence cultivée, un esprit éclectique, fin, aéré, perçant. Il écrit des choses belles et profondes. La lecture de ses écrits, l’exercice de sa pensée prodiguent d’ineffables délices comme tout ce qui participe de l’intelligence. Ses rapports, ses articles, ses lettres sont des écrits incroyablement beaux, merveilleusement raffinés dans l’ordre du cœur. Un homme sans aucune infatuation, mais doué de ressources insoupçonnables. Il est regrettable qu’il n’ait pas écrit et publié à profusion comme son camarade de Séminaire Laënnec Hurbon.
Je ne sais vraiment quel hommage rendre à l’humanisme et à l’engagement de cette personnalité incontournable qui fait partie des restes de cette gigantesque race d’hommes qui s’éteignent en Haïti homme par homme et pour toujours et qui, remarquables pour la plupart, ne sont jamais devenus célèbres.

SALUT ET ADIEU, vieux frère.

Dr Pierre Miche Smith
Pierre Michel Smith DMD- M.D. pms161@yahoo.com
Miami, Montréal

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