Le gifle de Will Smith à Chris Rock |
Par Hugues Saint-Fort
Très peu de personnes savent que, pendant quelque temps (environ une dizaine de mois), j’ai été critique de cinéma pour le quotidien Le Nouvelliste. J’étais alors au tout début de ma vingtième année, étudiant finissant de Lettres modernes à l’Ecole Normale Supérieure de Port-au-Prince et fou de cinéma (la Nouvelle Vague française, le cinéma italien, et bien sûr, le cinéma américain). Je prenais le septième art vraiment au sérieux, m’étant auto-formé en histoire et techniques du cinéma grâce à des bouquins commandés en France et en lisant consciencieusement la revue française Les Cahiers du cinéma. Mes chroniques paraissaient régulièrement vers le milieu de la semaine et, au fil du temps, commençaient à attirer l’attention d’un certain public. Ma salle de cinéma préférée était le Capitol dont les administrateurs avaient l’intelligence de présenter des films relativement fraichement sortis à Paris. Le Rex Théâtre essayait de ne pas trop se laisser distancer en se mettant à jour, mais il lui était difficile de tenir tête au Capitol. Tant et si bien qu’un jour la Direction du Capitol proposa de m’offrir un billet mensuel qui me donnerait droit à trois séances gratuites par semaine avec obligation de rédiger et publier une critique sur le film du dimanche soir sur le Nouvelliste.
J’acceptai sans même prendre le temps de réfléchir. Je me rendis compte de mon étourderie quelques semaines plus tard quand mes obligations universitaires commençaient à entrer en conflit avec mes obligations de critique de cinéma. Il fallait me dépêcher d’assister aux séances de 19h00 afin d’avoir le temps de retourner à la maison, consulter mes notes, rédiger ma chronique hebdomadaire pour la porter au Nouvelliste le lundi matin. Il n’y avait pas d’ordinateur en ce temps-là, et Internet ainsi que le courriel étaient complètement inconnus.
Puis vint le temps où il me fallait quitter Haïti pour poursuivre mes études universitaires de linguistique en France. Je quittai Haïti avec des sentiments mixtes : d’une part, j’étais tout heureux de me lancer en France dans ma spécialisation en linguistique, discipline à laquelle m’avait initié le cher et inoubliable Docteur Pradel Pompilus à l’ENS, d’autre part, j’éprouvais un certain regret en laissant mon pays natal.
Pourquoi suis-je en train de raconter ces épisodes si lointains de ma vie ? Je voulais faire le pont entre ma passion pour le cinéma telle qu’elle m’accaparait alors et le semi rejet dans lequel j’ai tenu le septième art pendant tout mon séjour hors d’Haïti, d’abord en France, puis plus tard aux Etats-Unis.
J’ai pris la décision hier soir dimanche 27 mars de suivre à la télé la cérémonie de remise des Oscars sans me douter de l’énorme incident qui allait éclater. A l’heure actuelle, presque tout le monde a au moins entendu parler de cet incident qui mérite quoi qu’on dise de faire la une des journaux, malgré l’importance supérieure de certaines autres nouvelles. Car après tout, personne ne pouvait s’attendre à un incident d’une telle ampleur.
Résumons donc ce qui s’est passé. Au cours de la cérémonie de remise des Oscars, l’acteur américain Will Smith a giflé son compatriote l’humoriste Chris Rock qui venait de faire, comme à son habitude, une blague, cette fois, sur le crâne rasé de la femme de Will Smith, Jada Pinkett Smith. Puis, il est retourné, écumant de colère sur son siège, devant une assistance totalement médusée. Chris Rock qui est beaucoup moins costaud que Will Smith n’a esquissé aucune réplique. Quelques minutes plus tard, Will Smith allait recevoir l’Oscar du meilleur acteur.
Ce qui m’a frappé dans cet incident, c’est l’arrogance démesurée de Will Smith qui n’a pas hésité une seconde pour gifler l’humoriste Chris Rock dont c’est le métier de se moquer de tout le monde et surtout des personnages publics. Il faut bien que Smith se croie au-dessus de tout le monde pour exécuter un acte aussi répréhensible. Une fois de plus, la violence explose au grand jour dans la société américaine, même dans les situations où l’on s’y attend le moins. Il est possible qu’il n’y aura pas de conséquences pour Will Smith qui est super riche et bien connecté. Mais, je ne serais pas surpris si cet acte en venait à être répercuté sur le groupe ethnique des Noirs en général dans l’industrie cinématographique américaine. On pourrait prendre pour prétexte ce violent incident pour bannir les Africains-Américains des cérémonies de remise des Oscars. Je suis conscient qu’une telle hypothèse peut paraitre exagérée, mais tout est possible dans cette société. Si c’était un humoriste blanc qui avait fait cette blague sur le crâne rasé de sa femme, est-ce que Will Smith aurait attaqué cet humoriste comme il l’a fait dimanche soir sur la personne de Chris Rock ? Les journaux ont rapporté que Chris Rock n’a pas déposé de plainte au commissariat de police contre Smith. Dans une société américaine qui baigne littéralement dans les procès en justice, on peut s’attendre à ce que Chris Rock poursuive Will Smith devant les tribunaux. Mais, pour l’instant, rien n’est joué. Au moment de conclure ce texte, je viens de tomber sur un article paru sur « The Epoch Times » signalant que « Academy ‘Condemns’ Will Smith, Starts ‘Formal Review’ of Slapping Incident » (l’Académie des Oscars condamne Will Smith, commence une enquête formelle sur l’incident de la gifle). A la suite de cette condamnation par l’Académie des Oscars, Will Smith vient de présenter ses excuses à Chris Rock pour l’avoir giflé en direct lors de la cérémonie, 24 heures auparavant. Je rappelle que Will Smith n’avait pas présenté des excuses sur scène à Chris Rock.
Hugues Saint-Fort
New York, 28 mars 2022
TRIBUNE DE LIBRE OPINION
ReplyDeleteDans une société moderne pour ne pas dire civilisée, on ne peut et ne doit ni accepter, ni tolérer la violence et l'arrogance aussi grossièrement exprimées par l'acteur américain Will Smith. Ceci étant dit, on ne doit pas extrapoler cet incident jusqu'à lui trouver un alibi racial. De plus, l'humour fait partie de l'activité humaine, certes, mais il y a des limites qu'il ne faut pas humainement dépasser. JM