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Thursday, May 14, 2020

VIRGINIE SAMPEUR, L’ABANDONNÉE D´OSWALD DURAND


Virginie Sampeur, l'abandonnée d'Oswald Durand


Par Mérès Weche
Ex-professeur de Méthodologie de la Recherche, à l´INAGHEI, à l’Université Épiscopale d’Haïti et à l’École Supérieure des Sciences Politiques Appliquées, ESSPA.

Le vrai Oswald Durand n’est pas celui qui a écrit Choucoune, ce poème érotique, mis en musique par Michel Moléard Morton et popularisé par de nombreux artistes d´Haïti et d’ailleurs. Cet Oswald Durand que les consommateurs de poésie sensitive, évocatrice de sensations fortes, comme chez Émile Roumer dans “Marabout de mon cœur“ c’est celui qui s’épancha aussi sur la mort de jeunes enfants, dans “Pauvres petits cercueils“, et sur le dépérissement des nos cocoteraies, en son temps, dans “La mort de nos cocotiers“. Ce double sentiment humanitaire et de la nature, qui le caractérisait, n´a point eu d’écho mélodieux dans l´âme de Virginie Sampeur dont il avait brisé le cœur et qui voulut le voir mourir ; sentiment de révolte exprimé dans son poème “L´Abandonnée“ː

L’abandonnée
Ah! si vous étiez mort! de mon âme meurtrie
Je ferais une tombe où, retraite chérie,
Mes larmes couleraient lentement, sans remords
Que votre image en moi resterait radieuse !
Que sous le deuil mon âme aurait été joyeuse !
Ah! si vous étiez mort!
Je ferais de mon cœur l’urne mélancolique
Abritant du passé la suave relique,
Comme ces coffrets d’or qui gardent les parfums,
Je ferais de mon âme une ardente chapelle
Où toujours brillerait la dernière étincelle
De nos espoirs défunts.

Oswald Durand
En effet, cette éducatrice port-au-princienne, poétesse et Directrice d’alors du Pensionnat National des Demoiselles, Durand l´avait épousée en 1863, à l’âge de 23 ans, alors que, plus vieille que lui d´une année, la mariée venait de fêter ses 24 ans. Friand de chair fraîche, le jeune Oswald, Don Juan de son état, n´a connu que huit-ans en couple avec cette dernière, charmé comme il l’était par la très jeune Rose Thérèse Lescot qui allait devenir sa seconde épouse, après avoir divorcé d’avec Virginie. Ce mariage précoce ne fut pas à l´égal de cette inoubliable idylle que connut Paul avec sa Virginie, dans l´œuvre préromantique de Bernardin de Saint-Pierre.

Comme bien d’autres provinciaux, parvenus au timon des affaires de l´État, Oswald Durand délaissa, comme de fait, la pauvre institutrice, Virginie Sampeur, quoique poétesse et Directrice d´école, car elle n´était plus de taille pour être la femme d’un politicien qui nageait dans les “ grandes eaux socioéconomiques“ de Port-au-Prince. Quand Oswald fit la connaissance de Thérèse Lescot, il était devenu un haut fonctionnaire d´État, secrétaire du Conseil des ministres sous Sylvain Salnave, pour être ensuite fort de ses accointances sociopolitiques, devenir “député du peuple“, six fois consécutives, à partir de 1885, s´élevant même au prestigieux poste de président de la Chambre.

Oswald Durand à une étape de sa vie
Ce qu’il n’avait pas renié, cependant, c’était son métier de journaliste, sachant que “dyòb leta se chwal papa, tout pitit ka fè yon kou “. Évidemment, quand tomba le gouvernement qu’il servait, il devint opposant et ses critiques furent très acerbes dans son journal “Les Bigailles“, titre d’organe de presse très évocatif pour distiller une littérature acerbe contre ceux qui suçaient le sang du peuple. Après avoir connu la prison pour ses idées séditieuses, la poésie l’élèvera, en 1888, à la dimension de la plus grande gloire, pour avoir été reçu en triomphe à Paris, par le célèbre François Coppée, au sein de la prestigieuse “ Société des gens de lettres “. Ce fut en cette année, âgé de 48 ans, qu’il allait écrire Choucoune, qui n’est donc pas une œuvre épicurienne de prime jeunesse, comme on se plait à le croire. À l’opposé de Choucoune - qui n’est en fait qu’un poème à l’eau de rose, classé dans la catégorie de “Rires et pleurs“ -, il y a son sublime “Chant national“ plus connu sous la dénomination de “ Quand les aïeux brisèrent leurs entraves “, qui fut pendant longtemps l´hymne national haïtien. Donc, il y a un autre Oswald Durand que ce simple “coureur de jupes“ reconnu dans “Choucoune“.

Mérès Weche

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