Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Friday, July 11, 2025

Wildrick Clédanor, l’élégance tranquille d’un Jérémien exemplaire

Louis Wildrick Clédanor
2 aôut 1946 - 7 juillet 2025

 

Par Hervé Gilbert

Il est des visages et des présences qui ne s’effacent jamais, même lorsque le temps emporte les saisons. À Jérémie, cette ville en pente douce, suspendue entre ciel et mer, certains hommes semblaient appartenir à une mythologie intime, tissée dans les ruelles, les galeries, les regards. Louis-Wildrick Clédanor était de ceux-là — une silhouette familière, une énergie contenue, un souffle de dignité tranquille qui habitait les rues de notre enfance comme une évidence.

Il était aussi le grand frère de feu Parnel Clédanor, tendrement surnommé “Malou” — ce troubadour au timbre rare, cette voix douce et profonde qui berça nos jeunes années et vibrait comme une onde à travers les cœurs et les mémoires. Parti depuis quelques années déjà, il nous a laissés orphelins d’une présence fraternelle et chantante. Et seul le souvenir apaise encore le vide que sa disparition a creusé.

Je présente mes plus sincères condoléances à la famille Clédanor, en particulier à sa sœur Maryse Clédanor Colas, à son époux Jean-Raymond Colas, ainsi qu’à tous les proches et alliés de ce nom dont la seule évocation suscite le respect.

Je me souviens encore. Dans le tumulte feutré de la place du marché, à côté de la maison de Jean Pompée, presque en face du morne qu’on appelait “Sous-Gouvernement”, défilaient ceux que l’on appelait les « costauds » — figures viriles, nobles et puissantes, qui imposaient par leur prestance plus que par leurs mots. Parmi eux, l’image éclatante de Jean Alcide, et celle, plus feutrée mais tout aussi vive, de Wildrick Clédanor, roulant sa bicyclette avec une lenteur presque méditative, ou assis, silencieux et droit, sur la galerie de son ami Fritz Germain, à l’angle des rues Eugène Magron et Hortensius Merlet. Son allure, à la fois modeste et souveraine, était en soi une leçon de présence. Il était un athlète, oui — mais dans le sens le plus vaste et le plus noble du terme : un instituteur, un homme de maîtrise, de rigueur et de dépassement de soi.

Son esprit sportif dépassait de loin les efforts physiques : il incarnait une posture intérieure, une manière d’être au monde avec justesse, verticalité et constance. Par sa seule manière d’occuper l’espace, il révélait une quête intime d’élévation. Il n’élevait jamais la voix, mais il élevait les âmes.

 Avec lui, c’est toute une époque qui ressurgit dans ma mémoire — celle des géants discrets aux musculatures parfaites : Jean Alcide, Joe Bontemps fils, Gérard Thémistocle, Ablamith et Jean-Claude Dussap, Maxan Juste, Willy Alcindor, Pierrot Bontemps, Lahens Eugène, et bien sûr, Wildrick Clédanor. Par leur allure et leur discipline, ils ont sculpté, sans le savoir, une éthique du corps et de l’âme. Ils furent les gardiens d’un idéal silencieux : grandeur sans ostentation, force sans arrogance, loyauté sans bruit.

Maître Wildrick, tu nous laisses le souvenir d’une force paisible, d’un homme dont la vitalité irradiait en profondeur, sans éclats, mais avec une intensité rare. Que ton exemple continue d’éclairer la voie de ceux qui t’ont connu, admiré, aimé.

Et puisse la terre, douce comme l’ombre des flamboyants, t’accueillir avec tendresse. Que ton souvenir — telle une flamme qui ne vacille jamais — continue d’illuminer nos pas dans la pénombre du deuil.


 

Wednesday, July 2, 2025

ISTEAH-GRAND’ANSE dans la correction d’une insoutenable bévue

Le campus de l"ISTEAH au coeur du projet PIGRAN du GRAHN
à Génipailler, Milot, Haïti
 

Par Max Dorismond 

J’ai souvenance encore du premier livre que je m’étais procuré à mon arrivée au Canada dans les années 70, dans la première librairie visitée. Ce fut le best-seller d’Alain Peyrefitte : Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera. Un titre prémonitoire, à glacer aussi le sang, vendu à plus de 2 millions d’exemplaires. En ce temps-là, la pauvreté démesurée, la misère innommable, avaient croisé leurs jambes sur le cou de ces braves gens, tout droit sortis de la révolution de Mao Zedong, au point qu’au Québec, je m’en rappelle encore, on invitait les écoliers à compiler des cennes noires à envoyer à titre de dons aux petits Chinois. 

Quel message, en réalité, véhiculait ce titre accrocheur? Dans ses interviews de l’époque, Peyrefitte résumait son œuvre en quelques mots : Quand on impose l’enseignement obligatoire à tout un peuple, il est condamné à prospérer, à se dépasser, per fas et nefas! En effet, la scolarisation, qu’elle soit formelle ou informelle, est essentielle pour permettre aux individus de comprendre le monde qui les entoure, de développer leur esprit critique et de participer activement à la société. Justement, Mao y croyait et prescrivait l’instruction généralisée en mandarin1 à tous ses congénères. Et la preuve nous crève les yeux aujourd’hui! En moins de 50 ans, la Chine est connue comme la deuxième puissance au monde, après les USA. L’école mène à tout. Sans surprise, les petits Chintoks peuvent nous rendre la monnaie de nos piécettes. 

Laissons la Chine et regardons un peu chez nous. Qu’avons-nous fait après notre révolution en 1804?

Justement, le contraire des Chinois. Les rares institutions de langue française érigées dans la capitale étaient réservées à une élite prédatrice qui n’avait de bourgeoise que le rêve. La masse des damnés était parquée à la campagne pour cultiver la terre, comme auparavant, loin de toute instruction, en dehors des chemins de l’émancipation, d’où la frustration généralisée, la perte de confiance en son frère de combat, dans le Nouveau Monde naissant. S’ensuivit le résultat que nous partageons par les temps qui courent : un pays exsangue, dangereux, sans gouvernement, sans administration, embrayé en marche arrière pour le pire et l’exil en finalité, contribuant à l’anéantissement de la société. 

Pour sauver la mise, aujourd’hui, certains esprits éclairés, tels que le Dr Samuel Pierre et d’autres, dans une dynamique de rationalité, envisagent de fonctionner à l’envers de l’histoire pour doter la nation de moyens d'enseignement, où les laissés pour compte devraient bénéficier des avantages du télé-apprentissage (via internet). C’est ainsi que s’est installé ISTEAH2, dans plusieurs recoins du pays pour mettre l’excellence au service du bien commun, avec des cours de premier cycle (Bac), de maîtrise et jusqu’au niveau du doctorat, supportés par plus de 200 professeurs bénévoles à travers le monde. Car l’instruction joue toujours un rôle clé dans la réalisation du progrès. Elle fournit les outils nécessaires pour avancer et s’adapter aux changements.  

La Grand-Anse est la dernière étape, puisque toutes les localités de l’île sont presque toutes branchées. Et ce n’est pas tout. Comme la Cité du Savoir construite dans le Nord par le GRAHN3, le vaisseau amiral dont dépend l’ISTEAH, nous rêvons aussi d’une telle entité pour le GRAND-SUD, aux fins d’encadrer, avec cet outil d’ingénierie sociale, les petits surdoués qui s’ennuient dans l’arrière-pays. Voilà un lien qui renseigne sur la dernière collation des grades de l’ISTEAH le 31 mai dernier : https://lescientifique.org/haiti-forme-ses-cerveaux-51-diplomes-engages-issus-de-listeah 

Mme Nadia Lucien

Grâce à la bienveillance de certains Grand’Anselais et d’autres amis, nous avons pu réunir un pactole assez généreux pour concrétiser ce rêve dans le mortier du réel, en créant un espace d’émancipation intellectuelle et d’épanouissement égalitaire. Nous saluons, entre autres, l’apport de Mme Nadia Lucien, une femme d’affaires de la région, qui a mis sa propre demeure à notre disposition, moyennant des paiements symboliques. Nous lui disons mille fois : merci! 

Très bientôt, vous serez invités à participer à l’inauguration de l’implantation de l’ISTEAH à Jérémie. Une date vous sera fournie, de même qu’un lien Zoom pour tous ceux qui ne peuvent être sur place. 

Max Dorismond

 

–NOTES— 

1 — Le mandarin standard appelé Putonghua était activement promu comme langue commune pour unifier le pays, notamment dans l’éducation… Avant, la Chine utilisait plus de 500 dialectes.

2 — ISTEAH : «Institut des Sciences des Technologies et des Études avancées d’Haïti»

3 — GRAHN : «Groupe de Réflexion et d’Action pour une Haïti Nouvelle»