Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Saturday, August 23, 2025

Jérémie fait ses adieux à Mgr Willy Romélus, bâtisseur d’espérance

Vue de la nef de la cathédrale accueillant la dépouillle de Mgr Romélus


Par Hervé Gilbert

Sous les voûtes inachevées de la cathédrale « Notre-Dame de la Médaille Miraculeuse », Jérémie a fait ses adieux à l’un de ses fils les plus illustres : Mgr Joseph Willy Romélus. Un adieu empreint de ferveur et de poésie, à l’image d’un homme qui sut transformer la foi en œuvre et l’espérance en architecture vivante.

La dépouille de Mgr Romélus à l'église Ste-Héléne
Une courtoisie de J-Com

Le 21 août 2025, Jérémie s’est arrêtée, comme saisie par l’éternité. La cité des poètes et des cathédrales, bercée par le vent de la mer et la rumeur des collines, s’est enveloppée d’un silence vibrant, où battait le cœur d’une douleur partagée. Ce jour-là, la Grand’Anse disait adieu à un pasteur infatigable, éclaireur d’âmes et bâtisseur de pierres vivantes.

De tous les horizons, enfants de Jérémie, exilés ou enracinés, se sont rassemblés pour ce dernier hommage, porté jusqu’à eux grâce à la retransmission télévisée de J-Com. Tôt le matin, dans l’église paroissiale Sainte-Hélène, sa dépouille reposait, exposée à la ferveur d’un peuple, auréolée d’une dignité qui transfigurait la douleur. Puis s’ébranla la procession : prêtres et diacres en habits liturgiques, autorités, fidèles anonymes et figures notables, tous unis dans la lente avancée d’un cortège devenu prière.

Vue partielle de l'assemblée à la cathédrale Miraculeuse

La cathédrale inachevée devint arche d’émotion. Sous ses voûtes débordantes, les chants liturgiques s’élevaient comme des flammes vers le ciel, entrelacés de témoignages vibrants. La liturgie, présidée par Son Éminence le cardinal Chibly Langlois, entouré de Mgr Gontran Décoste et de prélats venus de tout le pays, prit l’allure d’une offrande nationale. Dans ce lieu encore inachevé, mais déjà sanctifié par la ferveur, une certitude s’imposait : la mort ne saurait clore l’œuvre d’un semeur d’espérance. Parmi les allocutions, celle de Louis Gérard Gilles, membre du Conseil Provisoire de Transition et fils de la cité, marqua les esprits en retraçant le portrait d’un guide inoubliable.

Car on ne célébrait pas seulement l’homme de foi, mais aussi l’artisan de lumière. Son épiscopat fut une semence féconde : écoles, collèges, facultés, institutions surgirent comme des forêts portées par son souffle visionnaire. De ses mains jaillissaient non seulement des prières, mais des chantiers. De son cœur naissaient non seulement la foi, mais la conviction que la dignité se nourrit de savoir.

Pour Jérémie, sa disparition est une blessure vive, mais son héritage se dresse comme une forteresse. Mgr Romélus ne fut pas seulement un pasteur : il fut un bâtisseur de ponts entre la foi et la vie, un éclaireur qui transforma la persévérance en chemin et le courage en boussole.

Ces funérailles n’ont pas seulement salué le départ d’un serviteur ; elles ont révélé la permanence d’une vision. Le glas a sonné pour l’homme, mais son nom demeure comme une étoile fixée au firmament des générations. À Haïti tout entière, il lègue ce testament silencieux : foi, éducation et constance peuvent, même dans l’adversité, bâtir non seulement une communauté, mais une éternité.

✍️ Hervé Gilbert

   

Une courtoisie de J-COM



Monday, August 18, 2025

ISTEAH-GRAND’ANSE : l’ancrage décisif


Par Max Dorismond 

L’inauguration de l’installation du site de l’ISTEAH (L’Université en ligne), dans la Grand’Anse, se tiendra à Jérémie le vendredi 22 août 2025, de 16h à 18h.

Voilà le lien ZOOM : https://us02web.zoom.us/s/82206915609

 Il y a 50 ans de cela, certains compatriotes et moi avions traversé les frontières de l’Amérique avec les bagages minces et des rêves pleins la tête. La modernité de l’époque s’offrait à nous, et nous étions plus ou moins satisfaits. Cependant, l’absence de comparaison avec notre chez-nous venait, dans notre réflexion, endiguer cette jubilation primaire au point de troubler notre sommeil.

Le temps s’est écoulé. Nous étions juges et gérants d’estrade à la fois pour dénoncer les lacunes de notre sous-développement en maudissant tous ceux qui étaient aux commandes, là-bas. En faisant le tour de la basse-cour, mille projets sans lendemain étaient demeurés lettre morte, et le pays s’étiolait à petit feu, faute d’acteurs sérieux et honnêtes pour se mettre au gouvernail. 

Violence, corruption, crimes, une trilogie de maux et leurs charges émotives venaient chambouler notre méditation au quotidien à la recherche de la cause à éplucher, à extirper, pour trouver un semblant de civilisation dans ce marché de dupes. Hélas, les raisons étaient légion et titanesques à défigurer le diable. 

En dépit de tout, nous avions pointé la méconnaissance, l’analphabétisme et l’ignorance comme les principaux facteurs de l’empoisonnement du corps social. Entre autres solutions, avons-nous choisi de mettre l’accent sur l’aide à l’apprentissage de tous ceux qui veulent terminer des études avancées sans laisser leur patelin. Une nouvelle façon de joindre l’utile à l’agréable. Haïti a souffert cruellement de cette carence. Et les mécréants qui restent à demeure occupent entretemps le haut du pavé par la force du nombre, obligeant les natifs à marcher pieds nus sur les braises de l’enfer. 

Trouvant dans le projet du GRAHN et de l’ISTEAH l’instrument idéal de développement humain, nous avons invité nos compatriotes malchanceux à s’accrocher à cette bouée de sauvetage avec l’assurance, qu’à long terme, nous pourrons souligner à l’encre rouge que nous avions fait notre devoir filial pour cette terre qui nous avait tant donné malgré tout. 

En effet, point n’est besoin de déblatérer sur ces sœurs et frères oubliés dans le pays désappointé, avec une éducation moyenne et sans avenir. Allons à l’envers du décor. Avec le téléapprentissage, le cellulaire, l’Internet, l’énergie solaire, l’Université sera amovible pour tout un chacun et facilitera le dialogue entre tous aux fins d’extraire certaines communautés trop engluées dans les oripeaux d’un passé d’inégalité et de résignation. 

Une fois le secondaire terminé, juste à titre d’exemple, l’intéressé pourra opter pour une future profession débutant avec un diplôme universitaire en technologie (DUT), une licence en sciences ou un diplôme d’ingénieur, avec l’opportunité de s’offrir une maîtrise ou un doctorat sans laisser sa région limitrophe, comme autrefois. En fidélisant l’individu formé et instruit à son milieu, on fera œuvre qui vaille pour la zone, pour tout le territoire. Ce sera un plus à ajouter au cadran de la résurrection de notre nation dénaturée. 

Le confrère négatif va spéculer sur la carence d’emploi pour le diplômé. Ne l’écoutez pas. L’individu cultivé a plusieurs cordes à son arc. Il peut devenir entrepreneur et sera préparé en conséquence. Avec l’Internet, il peut commencer par opérer à distance et offrir sa prédisposition à toute entité intéressée. Le monde est à ses pieds, il n’est pas analphabète. Et c’est là le moindre mal! 

Aujourd’hui, par le télétravail, on peut habiter au nord du globe et bosser pour le sud. L’essentiel, c’est de maîtriser une profession. Juste en pensant à ce dénouement proactif, on peut discerner tout le tort que les imbéciles patentés d’hier avaient causé à Haïti en fermant toutes les écoles en 1825, pour ankyloser la mémoire du peuple et l’empêcher de s’organiser. On peut voguer plus loin encore dans ce raisonnement. Si le diplômé désirait émigrer vers un ailleurs plus prometteur, ce serait son droit inaliénable. Néanmoins, il n’arrivera pas les mains vides dans son pays d’adoption. On ne l’accusera pas non plus de mangeur de chiens des voisins. 

Toujours à titre d’exemple, aujourd’hui ou dans 4 ans, à l’heure de l’Intelligence Artificielle (IA), un ingénieur en robotique ou un ingénieur roboticien1 frappe à la porte de Trump, on devra lui dérouler le tapis rouge. Ce sera ainsi dans le monde à venir. Ces derniers seront la perle rare recherchée du futur. Le système en aura besoin en masse. Il revient à l’ISTEAH, à titre de catalyseur, de les éduquer par grappes. Le racisme, l’outil des hypocrites, n’existera point pour cette catégorie de professionnels. 

Et là encore, si le pays, un de ces quatre, pouvait bénéficier de l’aide ou d’un coup de pouce d’un gouvernement haïtien, nationaliste, patriote, compétent, instruit et nullement corrompu, qui accorderait des milliers et des milliers de bourses d’études pour « former nos jeunes concitoyens » dans la science de l’avenir, nous finirions par produire un Alain Peyrefitte pour écrire « Quand Quisqueya se réveillera… 3 ». 

En attendant, plaçons toute notre confiance dans le dessein du GRAHN2 et de l’ISTEAH4 pour nous conduire vers la terre promise. C’était notre rêve à tous, bien avant de traverser les frontières de l’exil :  trouver le chaînon manquant à Haïti après plus de 200 ans d’histoire. Bienvenue ISTEAH! La Grand’Anse te salue.

Max Dorismond. 

– NOTE –

1 - Un ingénieur en robotique peut être désigné par plusieurs titres, les plus courants étant ingénieur(e) roboticien(ne) ou ingénieur(e) en robotique. On peut aussi retrouver les termes "ingénieur en automatisation" ou "ingénieur mécatronicien" si son travail est plus axé sur l'intégration de plusieurs disciplines. 

2 – GRAHN : «Groupe de Réflexion et d’Action pour une Haïti Nouvelle»

3 – Alain Peyreffite – Membre de l’Académie Française avait écrit en 70 un livre prémonitoire annonçant le développement fulgurant de la Chine : « Quand la Chine se réveillera, le monde tremblera » Voir mon texte : « STEAH-GRAND’ANSE dans la correction d’une insoutenable bévue »

4 – ISTEAH : «Institut des Sciences des Technologies et des Études avancées d’Haïti»

 


Wednesday, August 13, 2025

Monseigneur Joseph Willy Romélus, l’évêque qui défia les vents et les puissants

Mgr Joseph Willy Romélus


Par Hervé Gilbert

Sous le ciel changeant du Sud et au cœur des collines verdoyantes, une lumière s’est éteinte. Monseigneur Joseph Willy Romélus, évêque émérite de Jérémie, s’en est allé à 94 ans. Mais ses mots, ses écoles, ses cercles catholiques, ses églises et ses combats pour la justice continuent de résonner, comme des échos qui traversent le vent et les générations.

Il s’est éteint hier matin à Arniquet, son village natal, une paisible commune des Cayes, laissant derrière lui une Église, un peuple et une mémoire que nul silence ne pourra jamais effacer. Monseigneur Joseph Willy Romélus, évêque émérite de Jérémie, appartenait à cette rare lignée de voix capables de résister aux tempêtes, de se dresser avec courage et dignité, même lorsque le vent du destin s’acharne.


Né en 1931 sur la côte du Sud, il fut ordonné prêtre en 1958. Je me souviens de l’avoir rencontré pour la première fois en 1974, à Latibolière, alors qu’il était encore curé, suite à une invitation qu’il avait adressée à mon père. Jeune adolescent, je conduisais, non sans fierté, une Jeep Toyota aux côtés de mon feu père et de ma mère. Nous gravissions le morne Château par une route en terre battue, serpentant entre les collines verdoyantes. Au sommet, le village surgit comme un tableau vivant : l’air mêlait l’odeur du café et de la terre humide, et les coqs lançaient leur cri clair, tel un cortège annonçant notre arrivée. Il nous accueillit avec une chaleur qui avait déjà la grandeur d’un chef spirituel. Nous découvrions alors ce bourg, berceau de grands hommes, où chaque pierre semblait respirer l’histoire.

Trois années plus tard, le 26 avril 1977, il s’élevait comme évêque de Jérémie, succédant à Mgr Carl-Édouard Peters, premier évêque du diocèse, récemment disparu. Pendant plus de trois décennies, il ouvrit grand les portes de ses églises aux persécutés, affronta l’injustice face aux puissants et sema, à coups d’écoles, de centres de formation et d’initiatives agricoles, les graines d’un Sud plus digne et lumineux. De 1993 à 1999, il présida la Conférence épiscopale d’Haïti, s’imposant comme médiateur national, guidant le dialogue et la non-violence, forgeant des ponts là où le conflit menaçait.

Dans la Grand’Anse, Mgr Romélus ne fut pas seulement un pasteur d’âmes : il fut un bâtisseur de destinées. Des écoles se sont levées sous son regard, comme des jardins où germaient les espérances des enfants ; un collège, une faculté de droit, une école d’infirmiers ont donné voix à l’avenir. Sous ses mains, un foyer culturel a ouvert ses portes aux chants et aux rêves, et la première pierre d’une cathédrale s’est posée comme une promesse au ciel. Il a tendu ses bras aux congrégations venues soigner, nourrir, consoler ; il a défendu, sans trembler, la dignité humaine, jusqu’à recevoir l’écho du monde en prix et en honneurs. Dans les collines et au bord de la mer, on se souvient de lui comme d’un homme qui, pierre après pierre, geste après geste, a inscrit dans la terre et dans les cœurs la marque indélébile de sa foi et de sa justice. Il osa lancer la construction d’une cathédrale majestueuse mais coûteuse, qui resta inachevée, suspendue dans le temps comme un rêve de pierre et de foi, symbole de son audace et de sa vision intemporelle.

Lauréat du Prix européen des droits de l’homme et un temps pressenti pour le Nobel de la Paix, il préférait que l’on se souvienne de lui comme d’un simple pasteur. Retiré depuis 2009, il vécut ses dernières années dans la prière et la sobriété, publiant un livre-testament : Espérer contre toute espérance.

Aujourd’hui, à Jérémie et dans tout le Sud, nous pleurons la perte d’un père. Mais son souffle demeure, porté par le vent qui danse sur les collines et par les prières qui s’élèvent des églises. Son nom résonne comme un serment immuable : tant que la justice sera à conquérir, la voix de Monseigneur Romélus continuera de marcher avec nous.

Herve Gilbert


Mgr Romélus, un hommage en vidéo par Dr Carl Gilbert




Friday, July 11, 2025

Wildrick Clédanor, l’élégance tranquille d’un Jérémien exemplaire

Louis Wildrick Clédanor
2 aôut 1946 - 7 juillet 2025

 

Par Hervé Gilbert

Il est des visages et des présences qui ne s’effacent jamais, même lorsque le temps emporte les saisons. À Jérémie, cette ville en pente douce, suspendue entre ciel et mer, certains hommes semblaient appartenir à une mythologie intime, tissée dans les ruelles, les galeries, les regards. Louis-Wildrick Clédanor était de ceux-là — une silhouette familière, une énergie contenue, un souffle de dignité tranquille qui habitait les rues de notre enfance comme une évidence.

Il était aussi le grand frère de feu Parnel Clédanor, tendrement surnommé “Malou” — ce troubadour au timbre rare, cette voix douce et profonde qui berça nos jeunes années et vibrait comme une onde à travers les cœurs et les mémoires. Parti depuis quelques années déjà, il nous a laissés orphelins d’une présence fraternelle et chantante. Et seul le souvenir apaise encore le vide que sa disparition a creusé.

Je présente mes plus sincères condoléances à la famille Clédanor, en particulier à sa sœur Maryse Clédanor Colas, à son époux Jean-Raymond Colas, ainsi qu’à tous les proches et alliés de ce nom dont la seule évocation suscite le respect.

Je me souviens encore. Dans le tumulte feutré de la place du marché, à côté de la maison de Jean Pompée, presque en face du morne qu’on appelait “Sous-Gouvernement”, défilaient ceux que l’on appelait les « costauds » — figures viriles, nobles et puissantes, qui imposaient par leur prestance plus que par leurs mots. Parmi eux, l’image éclatante de Jean Alcide, et celle, plus feutrée mais tout aussi vive, de Wildrick Clédanor, roulant sa bicyclette avec une lenteur presque méditative, ou assis, silencieux et droit, sur la galerie de son ami Fritz Germain, à l’angle des rues Eugène Magron et Hortensius Merlet. Son allure, à la fois modeste et souveraine, était en soi une leçon de présence. Il était un athlète, oui — mais dans le sens le plus vaste et le plus noble du terme : un instituteur, un homme de maîtrise, de rigueur et de dépassement de soi.

Son esprit sportif dépassait de loin les efforts physiques : il incarnait une posture intérieure, une manière d’être au monde avec justesse, verticalité et constance. Par sa seule manière d’occuper l’espace, il révélait une quête intime d’élévation. Il n’élevait jamais la voix, mais il élevait les âmes.

 Avec lui, c’est toute une époque qui ressurgit dans ma mémoire — celle des géants discrets aux musculatures parfaites : Jean Alcide, Joe Bontemps fils, Gérard Thémistocle, Ablamith et Jean-Claude Dussap, Maxan Juste, Willy Alcindor, Pierrot Bontemps, Lahens Eugène, et bien sûr, Wildrick Clédanor. Par leur allure et leur discipline, ils ont sculpté, sans le savoir, une éthique du corps et de l’âme. Ils furent les gardiens d’un idéal silencieux : grandeur sans ostentation, force sans arrogance, loyauté sans bruit.

Maître Wildrick, tu nous laisses le souvenir d’une force paisible, d’un homme dont la vitalité irradiait en profondeur, sans éclats, mais avec une intensité rare. Que ton exemple continue d’éclairer la voie de ceux qui t’ont connu, admiré, aimé.

Et puisse la terre, douce comme l’ombre des flamboyants, t’accueillir avec tendresse. Que ton souvenir — telle une flamme qui ne vacille jamais — continue d’illuminer nos pas dans la pénombre du deuil.


 

Wednesday, July 2, 2025

ISTEAH-GRAND’ANSE dans la correction d’une insoutenable bévue

Le campus de l"ISTEAH au coeur du projet PIGRAN du GRAHN
à Génipailler, Milot, Haïti
 

Par Max Dorismond 

J’ai souvenance encore du premier livre que je m’étais procuré à mon arrivée au Canada dans les années 70, dans la première librairie visitée. Ce fut le best-seller d’Alain Peyrefitte : Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera. Un titre prémonitoire, à glacer aussi le sang, vendu à plus de 2 millions d’exemplaires. En ce temps-là, la pauvreté démesurée, la misère innommable, avaient croisé leurs jambes sur le cou de ces braves gens, tout droit sortis de la révolution de Mao Zedong, au point qu’au Québec, je m’en rappelle encore, on invitait les écoliers à compiler des cennes noires à envoyer à titre de dons aux petits Chinois. 

Quel message, en réalité, véhiculait ce titre accrocheur? Dans ses interviews de l’époque, Peyrefitte résumait son œuvre en quelques mots : Quand on impose l’enseignement obligatoire à tout un peuple, il est condamné à prospérer, à se dépasser, per fas et nefas! En effet, la scolarisation, qu’elle soit formelle ou informelle, est essentielle pour permettre aux individus de comprendre le monde qui les entoure, de développer leur esprit critique et de participer activement à la société. Justement, Mao y croyait et prescrivait l’instruction généralisée en mandarin1 à tous ses congénères. Et la preuve nous crève les yeux aujourd’hui! En moins de 50 ans, la Chine est connue comme la deuxième puissance au monde, après les USA. L’école mène à tout. Sans surprise, les petits Chintoks peuvent nous rendre la monnaie de nos piécettes. 

Laissons la Chine et regardons un peu chez nous. Qu’avons-nous fait après notre révolution en 1804?

Justement, le contraire des Chinois. Les rares institutions de langue française érigées dans la capitale étaient réservées à une élite prédatrice qui n’avait de bourgeoise que le rêve. La masse des damnés était parquée à la campagne pour cultiver la terre, comme auparavant, loin de toute instruction, en dehors des chemins de l’émancipation, d’où la frustration généralisée, la perte de confiance en son frère de combat, dans le Nouveau Monde naissant. S’ensuivit le résultat que nous partageons par les temps qui courent : un pays exsangue, dangereux, sans gouvernement, sans administration, embrayé en marche arrière pour le pire et l’exil en finalité, contribuant à l’anéantissement de la société. 

Pour sauver la mise, aujourd’hui, certains esprits éclairés, tels que le Dr Samuel Pierre et d’autres, dans une dynamique de rationalité, envisagent de fonctionner à l’envers de l’histoire pour doter la nation de moyens d'enseignement, où les laissés pour compte devraient bénéficier des avantages du télé-apprentissage (via internet). C’est ainsi que s’est installé ISTEAH2, dans plusieurs recoins du pays pour mettre l’excellence au service du bien commun, avec des cours de premier cycle (Bac), de maîtrise et jusqu’au niveau du doctorat, supportés par plus de 200 professeurs bénévoles à travers le monde. Car l’instruction joue toujours un rôle clé dans la réalisation du progrès. Elle fournit les outils nécessaires pour avancer et s’adapter aux changements.  

La Grand-Anse est la dernière étape, puisque toutes les localités de l’île sont presque toutes branchées. Et ce n’est pas tout. Comme la Cité du Savoir construite dans le Nord par le GRAHN3, le vaisseau amiral dont dépend l’ISTEAH, nous rêvons aussi d’une telle entité pour le GRAND-SUD, aux fins d’encadrer, avec cet outil d’ingénierie sociale, les petits surdoués qui s’ennuient dans l’arrière-pays. Voilà un lien qui renseigne sur la dernière collation des grades de l’ISTEAH le 31 mai dernier : https://lescientifique.org/haiti-forme-ses-cerveaux-51-diplomes-engages-issus-de-listeah 

Mme Nadia Lucien

Grâce à la bienveillance de certains Grand’Anselais et d’autres amis, nous avons pu réunir un pactole assez généreux pour concrétiser ce rêve dans le mortier du réel, en créant un espace d’émancipation intellectuelle et d’épanouissement égalitaire. Nous saluons, entre autres, l’apport de Mme Nadia Lucien, une femme d’affaires de la région, qui a mis sa propre demeure à notre disposition, moyennant des paiements symboliques. Nous lui disons mille fois : merci! 

Très bientôt, vous serez invités à participer à l’inauguration de l’implantation de l’ISTEAH à Jérémie. Une date vous sera fournie, de même qu’un lien Zoom pour tous ceux qui ne peuvent être sur place. 

Max Dorismond

 

–NOTES— 

1 — Le mandarin standard appelé Putonghua était activement promu comme langue commune pour unifier le pays, notamment dans l’éducation… Avant, la Chine utilisait plus de 500 dialectes.

2 — ISTEAH : «Institut des Sciences des Technologies et des Études avancées d’Haïti»

3 — GRAHN : «Groupe de Réflexion et d’Action pour une Haïti Nouvelle»

Wednesday, June 25, 2025

Hommage à Richard Duroseau – Le compas perd un maître du clavier

Richard Duroseau
 

Par Herve Gilbert

La communauté musicale haïtienne est en deuil. Richard Duroseau, l’un des pionniers du compas direct, s’est éteint à l’âge de 85 ans, emportant avec lui une part précieuse de la mémoire vivante de cette musique. Maître du clavier, figure discrète mais essentielle, il fut l’un des artisans les plus fidèles de l’œuvre de Nemours Jean-Baptiste. Par son élégance musicale, son exigence sans compromis et sa loyauté indéfectible à l’essence même du compas, il a traversé les époques en laissant une empreinte profonde dans le paysage sonore d’Haïti. Son départ laisse un silence lourd, chargé de résonances — mais aussi un héritage vibrant, gravé dans la trame intime de notre culture musicale.

Élevé par ses frères Mozart et Kreutzer, alors jeunes talents issus de l'Orchestre des Casernes Dessalines, Richard Duroseau entra précocement  dans la légende, porté par  les élans fiévreux de son adolescence lorsqu'il rejoignit  l’Orchestre de Nemours Jean-Baptiste, père fondateur du compas. Encore frêle, presque enfant, on le hissait sur une chaise pour qu’il soit visible derrière son instrument. Mais dès les premières notes, il imposa une signature : une manière singulière de faire parler l’accordéon, avec une justesse limpide et une délicatesse presque mystique. Dans un univers musical en pleine effervescence, il s’éleva comme l’une des premières voix du compas — un timbre discret, mais inoubliable.

Son empreinte traverse le temps à travers des titres devenus mythiques :  Ti manman CaroleDiscipline, Infidélité, Fanatique Compas, Haïti Compas, Sainte Cécile, ou encore Ti Claudette. À chaque mesure, sa présence se fait sentir — discrète, mais décisive, comme une respiration profonde qui donne vie à l’œuvre. Richard Duroseau n’était pas seulement un interprète ; il était l’âme invisible qui reliait les notes entre elles, un souffle créateur niché au cœur de l’architecture sonore de l’orchestre. Dans la trame du compas, il aura tissé une étoffe d’élégance et d’émotion dont nul ne saurait oublier la texture.

Les trois dangers, tel qu'acclamé par ce super
hit de l'époque qui l'immortalisa avec Nemours
Jean-Baptiste et Raymond Gaspard.                
Au fil d’une carrière aussi dense qu’inspirée, Richard Duroseau fit vibrer les scènes haïtiennes et internationales, en mettant son génie musical au service de formations d'exception:  le Mini All Stars   en particulier dans le cadre  des somptueux arrangements  réalisé par Dernst Émile pour les Quinze Titres d’Or de Nemours Jean-Baptiste  — le Super Jazz des Jeunes, Les Frères Déjean ou encore Skah Shah. Partout où il posait les doigts, naissait une harmonie discrète mais saisissante — une alchimie sonore  révélant, sous ses accords, l’âme profonde des morceaux.Très singulier dans ses improviations et sa texture lumineuse,Richard se permettait des changements de tempo, construisant des variations empreintes de caprices et de paraphrases.

Mais c’est sans doute avec Skah Shah, groupe emblématique des années 1970 et 1980, qu’il connut une période d’intensité exceptionnelle. En tant que claviériste et arrangeur, il participa à des tournées internationales et à des albums devenus cultes. Sa manière d’habiller les chansons de nappes mélodiques — tantôt feutrées, tantôt flamboyantes — contribua largement à la signature sonore du groupe.

« Richard jouait comme on raconte un secret qu’on ne veut pas trahir », disait un musicien proche. À l’accordéon comme au piano, il ne se contentait pas d’accompagner : il traduisait l’émotion du peuple, les silences de la douleur, la joie du carnaval, la nostalgie de l’exil.

Au fil des décennies, Duroseau devint un bâtisseur de l’ombre, un maître respecté pour sa rigueur, son humilité et sa générosité artistique. Il croyait en la musique comme vecteur de dignité, de beauté et de transmission. Sa maison fut un refuge pour de jeunes musiciens en quête de conseils, ou simplement d’un regard bienveillant.

Aujourd’hui, alors que son piano s’est tu, c’est toute une époque qui semble s’éloigner. Mais les notes de Richard Duroseau continueront de résonner dans nos mémoires, dans les grooves intemporels des vinyles, et dans le souffle des musiques à venir.

Images éparses de Richard Duroseau, entouré d'amis en diverses occasions

Message personnel :

À toi, Richard, maestro au cœur silencieux, merci pour l’exemple, la constance et l’élégance. Tu as montré qu’on pouvait faire grand bruit sans hausser la voix. Que le ciel accueille ton âme avec ces accords doux que tu savais si bien tisser ici-bas.

Haïti te dit merci — avec émotion, avec respect, avec amour.
Bon voyage, Richard Duroseau. Ta musique nous appartient désormais.

Hervé Gilbert


Friday, May 30, 2025

Hommage à Suzette Magloire (29 avril 1942 – 26 mai 2025)

Suzette Gilbert Magloire
29 avril 1942 - 26 mai 2025

English version

Aujourd’hui, c’est un pan entier de notre mémoire familiale, intellectuelle et éducative qui s’effondre silencieusement.

Suzette Magloire, née Marie Éléonore Suzette Gilbert, s’est éteinte ce lundi 26 mai 2025, à l’âge de 83 ans, à l’hôpital des Baradères, en Haïti, emportée par une courte maladie.

Elle était notre sœur, notre mère, notre belle-sœur, notre tante, notre cousine, notre amie. Femme discrète mais solide, lumineuse sans éclat tapageur, sa vie fut un long chant de dévouement et de dignité. Pour tous ceux qui l’ont connue, elle fut bien plus encore : une présence bienveillante, un esprit éclairé, une âme ferme et douce à la fois.

Dans les derniers mois de sa vie, confrontée à l’insécurité grandissante qui ravage la capitale haïtienne, Suzette avait quitté Port-au-Prince pour se réfugier aux Baradères, chez des parents proches. Elle fuyait non par peur, mais en quête d’un peu de répit — de lumière, de paix, de silence — loin de la tourmente chronique et de l’effondrement progressif des structures hospitalières de la ville. Ce retrait n’était pas un abandon, mais un ultime acte de sagesse, un geste lucide, fidèle à ce qu’elle fut toujours : posée, enracinée, profondément humaine.

Fille aînée de Barnave Gilbert et d’Yvanna C. Gilbert, Suzette était originaire de Jérémie, ce haut lieu de culture et de conscience, berceau d’intellectuels, de poètes et de pédagogues. Elle s’inscrivait dans une lignée éducative remarquable : son père, Barnave Gilbert, fut un directeur et inspecteur de district respecté dans la Grand’Anse ; son oncle, Marcel Gilbert, enseignait la philosophie et dirigea le prestigieux lycée Pétion à Port-au-Prince. À leur suite, Suzette embrassa le noble métier d’enseignante avec ferveur. Elle transmit, avec patience et exigence, le goût du savoir, le respect de l’autre, l’amour du travail bien fait.

Après avoir enseigné à l’école Édmée Rey de Jérémie pendant cinq années, aux côtés de son amie Paula Brierre Laforest, elle poursuivit sa vocation à l’école République d’Argentine, à Port-au-Prince, jusqu’à sa retraite. Femme de rigueur, de constance et de bienveillance, elle fit partie de cette génération d’enseignantes d’élite aux côtés de figures comme Elda Pierre, Inès Lafleur, Adrienne Perrault, Jacqueline Allen, Andrée Guillard, Amelle Desgraff Bontemps, Luce Desroches, Marlène G. Joseph, Gisèle Mayas, Eddye Saint-Louis et Andrée Couba — toutes femmes-piliers de l’éducation haïtienne.

Suzette Magloire laisse dans la peine ses quatre enfants, nés de son union avec son époux Jeannot Magloire : Marie Régine, Carine, Jeannot Jr. et Jean-Robert. Elle laisse également dans le deuil sa belle-fille Marie Guerdy et son beau-fils Ralph Magloire.

Son départ est ressenti profondément par sa fratrie nombreuse et unie : Marlène, Carl, Micheline, Rosemarie Maude, Hervé, Gardy, Flore et Hugues Gilbert — tous témoins de sa constance, de sa générosité et de sa profonde humanité.

Sa disparition nous laisse un vide immense — un silence tissé de souvenirs, de mots justes, de gestes simples, d’une tendresse rare. Mais elle nous lègue un héritage précieux : celui du savoir, de la persévérance sans bruit et de l’amour indéfectible pour un pays meurtri mais jamais oublié.

Suzette Magloire fut de celles qui ont su, avec peu de mots, transmettre beaucoup de sens — à la vie, à l’effort, à l’avenir. Elle s’en va, mais elle demeure dans nos cœurs, dans nos mémoires, dans les traces qu’elle a laissées sur notre route.

Que la terre des Baradères, où elle avait trouvé refuge face à la tourmente qui secoue Port-au-Prince, lui soit douce et légère.

À notre douleur s’ajoute celle de l’absence : en raison de l’insécurité généralisée dans le pays, il ne nous a pas été possible, à nous ses frères, sœurs, beaux-frères et belles-sœurs, de l’accompagner dans son dernier voyage. Nos cœurs sont lourds de cette séparation imposée. Mais nous sommes, en pensée, en prière et en silence, à ses côtés.

Nous adressons nos plus sincères remerciements à la famille Vincent, ainsi qu’aux parents, amis et proches qui, malgré les circonstances difficiles, nous représentent et nous soutiennent.

Du fond du cœur, mille mercis!

Les familles Gilbert-Magloire