Face à l’ignorance blessante et aux préjugés tenaces, il est des voix qui se lèvent avec dignité et mémoire. Dans une lettre ouverte, Marlène Chouloute-Hyppolite, enseignante haïtienne à la retraite, répond avec fermeté et érudition aux propos méprisants de Rémi Villemure tenus à l’égard d’Haïti. Elle rappelle, faits à l’appui, l’histoire occultée d’un peuple trahi, pillé, mais toujours debout. Une mise au point nécessaire, à la croisée de la mémoire, de l’indignation et de la vérité historique. hgttawa,
Ottawa, le dimanche 11 mai 2025
Lettre ouverte à Monsieur Rémi Villemure
Monsieur Villemure,
J’ai écouté avec attention et indignation les propos que vous aviez tenus à la suite de l’entrevue que Mme Anne-Marie Dussault avait accordée à Dany Laferrière à l’émission 24/60, le 8 avril 2025. Au cours de cette entrevue, Dany Laferrière avait réagi sur la phrase suivante: « Nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde » prononcée par le Ministre de l’Immigration, monsieur Jean-François Roberge.
J’ai eu aussi l’occasion d’entendre la réponse que vous aviez donnée à Dany Laferrière, à l’émission de madame Sophie Durocher. Vous pouvez critiquer Dany Laferrière. C’est votre droit. Cependant, je regrette que vous n’ayez pas pris le temps de vous informer sur ce pays qu’est Haïti et sa glorieuse histoire avant de répondre à Dany Laferrière.
Si vous aviez effectué un minimum de recherche, vous auriez su que ce peuple,
devenu l’objet de mépris de certains dirigeants des États-Unis aussi bien que
ceux d’autres pays dans le monde, n’avait jamais hésité à prêter main forte à
d’autres pays de la planète. Vous avez crié haut et fort: « Haïti est
probablement le pays le plus foireux parmi les 192 pays de la terre, c’est un
pays qui ne progresse pas, qui n’avance pas... ». Il en est ainsi parce que les
Konze (traîtres à la nation) sont responsables de la majorité des problèmes
d’Haïti. Ils n’ont jamais cessé de collaborer avec les dirigeants de certains
pays au détriment du peuple haïtien.
Si, selon vous, Dany Laferrière est méprisant, quant à
vous, vous êtes irrespectueux envers tout un peuple et tout un pays.
Si Dany Laferrière avait mentionné au ministre de l’Immigration, Monsieur Jean-François Roberge, toutes les raisons pour lesquelles le peuple haïtien est devenu l’un des peuples les plus misérables du monde, vous n’auriez probablement rien à lui reprocher.
Dany Laferrière aurait pu expliquer à M. Roberge, qu’après avoir acquis son indépendance au prix du sang en l804, Haïti avait subi et subit encore toutes sortes d’injustices. De plus, nous avions dû payer une rançon de 150 millions de francs-or à la France en reconnaissance de notre indépendance. Pour ce faire, Haïti a contracté des prêts auprès des banques françaises.
Cette dette,
nous la désignons sous le titre: La double dette de l’indépendance. (Voir Le
Devoir du 16 avril 2025). Quand le président Jean-Bertrand Aristide osa
demander la restitution de cette somme, il a été renversé du pouvoir par les
États-Unis et la France puis, il était contraint à vivre en exil en Afrique du
Sud jusqu’à son retour au pays le 18 mars 2011. Selon Thomas Piketty: « La France
doit 30 milliards d’euros à Haïti et devrait lancer des discussions sur les
modalités de restitution » (Le Monde, 9 mai 2025).
Saviez-vous que « le 17 décembre 1914, les Marines
américains [sic] dévalisent, armes à la main, la Banque Nationale d’Haïti. Ils
emportent toutes les réserves en or et en devises et les transportent […] à la
National City Bank of New York. »? (Réf.: Essai sur l’Histoire économique
d’Haïti de 1941 à nos jours). Ce forfait s’est produit 7 mois avant
l’occupation d’Haïti par les États-Unis, le 15 juillet 1915. Je vous
conseillerais de consulter les différents éditoriaux de M. Guy Taillefer dans
le quotidien Le Devoir. Vous avez intérêt à apprendre de lui. Je cite entre
autres: Haïti: le pays dépossédé! Opinion de Guy Taillefer. « Le développement
d’Haïti n’a jamais été entre les mains des Haïtiens eux-mêmes…» De plus, saviez-vous que de nos jours, toutes les armes
que les terroristes utilisent en Haïti proviennent des Etats-Unis ou encore
passent par la République dominicaine? Alors que l’État haïtien n’a pas le
droit de commander des armes. Que disent les puissants pays de la terre à ce
sujet? Rien! La presse canadienne analyse rarement le fond de la situation.
Si nous sommes la misère du monde, ce sont sûrement les conséquences des mauvais traitements que nous avions reçus des pays qui prétendent nous aider, sans oublier la complicité des chefs d’État haïtien choisis par certains dirigeants internationaux qui influencent ou modifient les résultats des élections.
Saviez-vous que le Canada avait joué un rôle clef dans le coup d’État de 2004
en Haïti alors que le pays devait célébrer les 200 ans de son indépendance?
Selon Michel Vastel de la revue l’Actualité, publiée en date du 15 mars 2003: «
Il faut renverser Aristide. Et ce n’est pas l’opposition haïtienne qui le
réclame, mais une coalition de pays rassemblée à l’initiative du Canada ».
En fait, Monsieur Villemure, partout, sur notre planète,
où les peuples opprimés essaient de prendre leur destin en main, les dirigeants
des nations les plus puissantes ont toujours fait obstacle à leurs efforts et
ont même participé à l’assassinat de certains de leurs leaders. Ce fut le cas
de Maurice Bishop pour l’île de la Grenade, Patrice Lumumba pour le Congo
(Zaïre), Steve Biko pour l’Afrique du Sud, Thomas Sankara du Burkina Faso, etc.
Au cours des années 1960, quand les Noirs des États-Unis
d’Amérique réclamaient leurs droits, certains de leurs leaders ont été, eux
aussi, assassinés. Citons, parmi les cas les plus connus, l’assassinat de
Martin Luther King et celui de Malcom X.
Ainsi, M. Villemure, c’est seulement quand les nations
les plus puissantes cesseront de déstabiliser ces pays dont le sous-sol regorge
de minerais précieux que leurs citoyens cesseront de frapper à leur porte pour
essuyer toutes sortes d’humiliations. À ce moment-là, les pays riches, comme le
Canada, cesseront d’accueillir toute la misère du monde à leur porte. Pour
qu’il y ait un vrai changement dans le monde, il faut que ces pays acceptent de
négocier équitablement avec les pays qui possèdent les ressources au profit du
bien-être de leur population.
De plus, les déplacements migratoires ont toujours existé
sur notre planète pour construire les richesses des pays d’accueil. On doit se
le rappeler: Le Canada est un pays construit sur la migration. Au cours du 19e
siècle, les Européens sont arrivés massivement dans le Nouveau Monde
(l’Amérique), parce qu’ils fuyaient la grande famine qui sévissait en Europe et
ils ont dépossédé les Autochtones de leur terre. Ainsi, il en sera autrement,
le jour où les nations parviendront à mieux gérer les ressources de notre
planète.
Veuillez agréer, Monsieur Villemure, mes salutations
distinguées.
Marlène Chouloute-Hyppolite
Enseignante d’origine haïtienne à la retraite
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