Jean Brunel Pierre Crédit photo : Julio Gauthier |
Jean Brunel Pierre |
Caraïbes Inter Multi Services de Jean Brunel Pierre à la rue Hyppolite à Jérémie. |
Étant
naturellement porté à admirer les gens qui forgent eux-mêmes leur destin,
gravissent avec assurance les échelons de la réussite, je n’ai pas cessé
d’admirer Brunel et de lui dire toute l’estime que j’avais pour lui. J’ai donc
reçu comme une tuile sur la tête l’appel téléphonique m’annonçant sa mort
soudaine. Et lorsque les témoignages sur son engagement social ont commencé à arriver,
j’ai eu en quelque sorte la confirmation du fait que le personnage que
j’admirais en lui n’était pas seulement un ami, mais un homme qui jouissait
dans des milieux très variés d’une très grande considération. Un être hors du
commun. En dépit, ou à cause même, de certaines grandes limitations imputables
aux caprices du destin.
Dr Simphar Bontemps |
Des
nombreux témoignages recueillis, je retiendrai trois qui confirment mes
opinions sur l’ami disparu et sur la tristesse que cette perte cause dans le
milieu haïtien. Sur l’état des soins de santé au pays et sur un plan tout à
fait personnel, le chirurgien à la retraite et ancien ministre de la Santé
publique Simphar Bontemps m’écrivait dans la matinée du 6 avril :
«
Oui, mon frère, j'ai été terrassé par cette nouvelle qui nous flanque
à la face la grimaçante situation des services de santé dans le pays. Mwen
tris, mwen tris, mwen tris… »
De
son côté, notre ami commun Michel Paisible, qui vit comme moi à Ottawa,
me racontait la veille au soir que Brunel lui avait demandé une année de lui
envoyer pour ses œuvres de bienfaisance cinq exemplaires de la dernière édition
du Petit Larousse illustré, car ceux qu’utilisaient les enfants du quartier
étaient trop anciens. Au sujet des frais d’envoi, il avait pris la peine de
préciser : « Ne te fais pas de souci pour les frais d’envoi. Tu me
les expédies par DHL pour qu’ils arrivent avant la rentrée. » Sans
commentaires!
Dans
la même veine, l’avocat Kely Tabuteau, qui fait un travail admirable en Floride
en matière de vulgarisation du droit haïtien, a immédiatement ajouté sa voix au
concert des louanges qui a suivi le départ de Brunel. Dans un bref hommage posté
dans Haïti
Connexion Worldwide, Kély souligne que Brunel avait acheté plusieurs
dizaines de ses ouvrages pour les offrir aux étudiants en droit de la ville.
La résidence de Brunel Pierre Crédit photo: Julio Gauthier |
Brunel
croyait fermement dans les vertus de l’instruction et il n’a ménagé aucun
effort pour encourager les jeunes de la ville à étudier sans relâche, même
quand les conditions de vie à Jérémie s’étaient détériorées à l’extrême. Je l’ai vu à l’œuvre durant un séjour à Jérémie au plus fort de l’embargo
commercial de 1992-1993. Tandis que la pénurie d’essence imposait des
sacrifices énormes à la population, Brunel illuminait son quartier pour
permettre aux jeunes des environs de venir étudier sous les lampadaires de sa
rue.
Quand,
dix ans plus tard, je serai sollicité par Concepcia Pamphile pour participer
aux cérémonies du 90e anniversaire de l’Hôpital
Saint-Antoine en produisant une brochure sur l’histoire de l’institution,
Brunel sera le premier à embarquer dans le projet en en prenant à sa charge une
partie des frais d’impression. Encore une fois : Merci Brunel, pour
moi-même et pour Jérémie.
Un bref rappel historique
Dans
la succession des malheurs qui ont frappé la Grand’Anse après la période coloniale de grande prospérité fondée
sur l’esclavage, il y a eu : les
cataclysmes naturels à répétition comme l’inondation de 1935 et les ouragans Hazel
en 1954, Flora en 1963, Matthew
en 2016; les commotions politiques fréquentes de la période haïtienne; les
guerres civiles ponctuées d’exécutions massives comme les massacres de
Dessalines; les attaques de Sylvain Salnave en 1869 où Jérémie
n’a survécu que grâce au génie militaire des
généraux Brice Aîné et Kerlegrand; la rébellion de Jérémie sous Salomon en
1883, qui se soldera par un retentissant échec et par l’exécution des
protagonistes. À cet égard, on ne saurait passer sous silence la répression
sauvage ordonnée par François Duvalier après le coup de force manqué des
Treize de Jeune Haïti en 1964.
Un peu de Nono Lavaud et de Clémard
Joseph Charles
Nono Lavaud (au centre) entre le Dr A. Cavé et Anthony Samedi en 1946 au terme d'une grève des débardeurs du port de Jérémie. |
Max Rigaud |
Clémard Joseph Charles Collection Eddy Cavé |
Fondateur
de la première banque privée haïtienne et premier commerçant à introduire les
produits japonais en Haïti, notamment les Toyota, Clémard était pour moi l’exemple
parfait d’une réussite sociale et financière en milieu hostile. Il n’a
toutefois pas eu la sagesse de se tenir à l’écart de la politique et c’est ce
qui l’a perdu. Comme Clémard, Brunel a gravi en moins de trente ans les divers
échelons de la réussite et il a servi sa communauté avec une rare générosité. Mais,
contrairement à ce dernier, il a su résister jusqu’au dernier jour de sa vie
aux chants de sirènes et aux appels répétés de l’aventure politique. Bravo cher
ami!
Sa barque a fait naufrage durant une
nuit d’avril…
Brunel Pierre (Avril 2018) |
Cet
homme généreux et avenant au sourire communicatif était au fond, comme je l’ai
écrit au sujet de Nono Lavaud, un homme triste, solitaire malgré ses apparences
de jovialité et de parfait homme du monde. Comme Clémard Joseph Charles, il n’a
jamais été accepté comme un partenaire à part entière dans le cercle des gens
d’affaires auquel il avait accédé sur la base, non pas de la naissance, mais du
mérite. Contrairement à Clémard qui vociférait continuellement contre les
forces du statu quo qui s’étaient liguées contre lui, Brunel était fermé comme
une huitre. Sous une carapace qu’aucun de ses proches n’a pu véritablement
percer, il a vécu les succès et les échecs de l’existence avec le sourire et le
même regard impassible et impénétrable.
Et
son destin tragique, il l’a affronté avec une telle sérénité et une telle détermination
qu’il n’a donné à qui que ce soit la possibilité de voler à son secours quand
la fortune a changé de camp. Il s’est alors effondré comme un personnage de
tragédie grecque. Personne ne sait encore ce qui va advenir de sa succession.
Il laisse dans le deuil sa compagne Célise, sa fille Rode, un large cercle
d’amis et un très grand nombre de protégés. Quant à moi, c’est seulement à mon
prochain voyage à Jérémie que je pourrai évaluer l’ampleur de la perte de cet
ami très cher.
Outre
la grande affection et l’admiration que commandait cette personnalité attachante
au plus haut point, Brunel avait droit au respect de tous et de chacun. Avec un
respect et un sens de la politesse jamais pris à défaut, Brunel a toujours
interpellé ses interlocuteurs en disant Monsieur, Madame ou Mademoiselle. Les
plus humbles comme les plus puissants. Des portefaix venus encaisser un billet
de loterie gagnant aux coopérants et professionnels étrangers effectuant de
grosses opérations de change à ses guichets. C’est à mon tour aujourd’hui de
lui rendre la pareille en lui disant : « Adieu, Monsieur Brunel!
Merci pour Jérémie et la Grand’Anse. Que la terre te soit douce et légère! »
C'etait un grand jeremien!
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