Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Friday, March 31, 2023

Sous l’impulsion d’une photo retrouvée (Troisième de trois parties)

 Par Eddy Cavé

Ottawa le 20 mars 2025

Dans la première partie de cet article, nous avons rappelé les circonstances dans lesquelles la photo ci-dessous a été prise, soit le 5 avril 1955 à l’occasion du Cinquantenaire du Lycée Nord Alexis de Jérémie.  Dans la deuxième, nous  avons présenté chacun des membres du corps professoral figurant, assis, dans la première rangée. Cette troisième tranche de l’article traite des huit autres professeurs figurant debout à la deuxième rangée.

De gauche à droite. Assis: Clément Amiclé Beaugé, Antoine Martineau,
Jean Laforest (censeur des études), Newton Charles(directeur), Octave
Petit, Roger Jérôme,Émile Alexis                                                                 
Debout:Antoine Jean-Charles, Gérard C. Noël, René laforest, Champana
Bernard, Alix Alcindor, Médius Noël, Pierre Jean-Denis, Gilbeau Robert.

Antoine Jean-Charles, debout, 1er à partir de la gauche

Antoine Jean-Charles

En cette journée du 5 avril 1955, Antoine Jean-Charles est un jeune professeur de sciences sociales qui doit faire ses preuves dans le sillage d’Octave Petit et de Roger Jérôme. Je l’ai vu ce jour-là harceler littéralement ce dernier lui rende un livre d’histoire dont il a grand besoin pour mettre la dernière main à sa conférence du jour. Jérôme refuse et il s’en faut de peu pour qu’ils en viennent aux poings. Sportif, bien musclé, mais peu porté à la bagarre, Antoine préférera céder devant un Ti-Jérôme obstiné et déterminé à défendre jusqu’au bout sa réputation de grand professeur d’histoire.     

Parallèlement à sa carrière d’enseignant, Antoine a ouvert un cabinet d’avocat avec Alphonse Bazile et s’engage avec ce partenaire dans l’action communautaire et la création de coopératives dans la région. Aux élections de 1957, ils se retrouveront dans des camps différents, et Antoine fera carrière dans la magistrature, occupant les fonctions de Commissaire du gouvernement à Jérémie et de Doyen du tribunal civil de Port-au-Prince.                                                                                          

Dans le livre Haïti : The Duvaliers and their Legacy (pp. 114-115)  Elizabeth Abbot a relaté la terrible épreuve qu’Antoine a vécue en janvier 1964, quand il a été convoqué à Port-au-Prince pour répondre de sa participation à la conspiration Lucien Daumec. Le bruit courut qu’il avait été exécuté, mais les choses se passèrent autrement pour lui. Par contre, le juge Berthier Nachet, originaire de Corail, qui avait été convoqué et interrogé comme lui, mourut subitement peu de temps après son retour à Jérémie.                            

Durant l’interrogatoire mené d’une main de fer par Luc Désir, le chef de la police secrète,  le magistrat  défendit sa cause avec courage  et affirma qu’il ne répondrait à certaines questions qu’en présence du Président. Cette demande acceptée, l’accusé  rappela à Duvalier, toujours selon Abbott,  qu’il avait contribué à sa victoire en 1957 et qu’il n’avait rien reçu de lui en retour.                                              

Abbot relate aussi que François Duvalier fit venir sa femme pour lui faire entendre la preuve de la trahison de Daumec, leur beau-frère. L’auteure ajoute que, non seulement l’accusé a été renvoyé hors de cause, mais que Duvalier lui recommanda de dire tous les jours, comme lui,  le psaume 9. En glissant dans les poches du magistrat une enveloppe contenant 300 dollars, le dictateur lui suggéra de lui envoyer directement tous les mois un rapport sur Jérémie.  N’ayant pas donné suite à cette demande formulée en termes voilés, le magistrat ne tardera pas à  tomber en disgrâce. Comme le rappelle Elizabeth Abbot  (p. 337),  Antoine Jean-Charles  venait d’être nommé doyen du tribunal civil de Port-au-Prince quand il présida en 1986 le tribunal qui a condamné le même Luc Désir à la peine capitale. Le futur ambassadeur d’Haïti à Ottawa, Emmanuel Ambroise, était l’un des rares  parents des victimes de la dictature à se présenter au tribunal pour accuser de torture et de meurtre l’ancien chef de la police secrète. Ne serait-ce que pour cette raison, ces deux hommes ont droit à notre plus profond respect. Au terme de sa double carrière d’enseignant et de magistrat, Antoine Jean-Charles a pris le chemin de l’exil volontaire et s’est éteint aux États-Unis en 2022.

Gérard C. Noël, 2e à partir de la gauche

Gérard C. Noël

Chaleureux, empressé et charismatique, Gérard Noël est l’un des professeurs les plus compétents et les plus aimés du Lycée. Flamboyant de nature, il est aussi le moins modeste. Dans ses classes, « plume ne grouille » quand il laisse tomber son veston et s’installe au tableau. À vrai dire, il n’a jamais été mon professeur, mais j’ai assisté à quelques-uns de ses cours  de latin en classe de seconde, durant la courte période où le lycée était à La Source. J’étais alors retenu à Jérémie en pleine semaine de classe à cause d’un nordé qui soufflait sans désemparer. Impressionnant le bonhomme! Quel bagou! Et quelle facilité de concilier l’autorité du professeur en chaire avec les rapports de frère aîné qu’il entretient avec ses élèves…

De tous les professeurs que j’ai côtoyés, Gérard est, après Marcel Gilbert, celui qui a le plus influencé ma formation intellectuelle. Il m’a toujours entouré de conseils salutaires, orientant mes lectures, m’introduisant à Port-au-Prince dans le monde de ses confrères du journalisme, de la politique, etc. Un grand frère que j’admirais beaucoup, sans toutefois vouloir lui ressembler… Je n’en aurais pas été capable non plus. Pas assez doué et trop timide pour cela !  

Pendant la visite électorale de Clément Jumelle à Jérémie en 1957, Gérard rencontre Brumaire Louis, le directeur d’un journal de Port-au-Prince qui ne tarde pas à l’engager comme rédacteur. De là, il devient éditorialiste, puis gérant-responsable de la publication. Sa carrière prend alors son envol et il mène jusqu’à sa mort une vie orageuse entrecoupée de courtes périodes d’accalmie.                                                          

De passage à Port-au-Prince en 1976, je le retrouve au cabinet du même Newton Charles, qui le traite comme un fils. Mais il souffre de bougeotte  et il y a deux choses qui le passionnent véritablement : la politique et la conspiration. C’est ainsi qu’il sera de toutes les oppositions au régime Duvalier et qu’il connaitra toutes les joies et tous les déboires de l’action politique : l’adulation des femmes, les bastonnades, la résidence surveillée, l’emprisonnement arbitraire, etc.                                                           

À la veille du départ de Jean-Claude Duvalier pour l’exil, Gérard était si profondément plongé dans la conspiration qu’il sera le seul civil à participer au plan de contingence conçu pour limiter les pertes de vies humaines envisagées par l’état-major de l’Armée. C’est du moins ce qu’il m’a raconté en présence de son proche ami,  l’ancien général William  Régala. Par la suite, il accédera aux postes de ministre du Travail et des Affaires sociales et de ministre de l’information sous le Conseil militaire de gouvernement de Namphy, première version.                                                       

En visite au pays pendant l’été 1986, j’ai passé, dans son immense bureau de ministre, une journée entière  à observer le fonctionnement d’un de ces hauts lieux du pouvoir en Haïti et j’en suis sorti abasourdi. Le Ministre n’a visiblement pas un emploi du temps écrit,  foule aux pieds les techniques de gestion les plus élémentaires, ne lance aucune initiative sérieuse, aucun projet non plus. Il se contente de réagir aux chocs venant de toutes les directions. Le téléphone sonne dans ce bureau comme dans une caserne de pompiers, déclenchant un branle-bas chaque fois qu’un appel vient du Palais national…

J’avais pour cet ami de toujours deux grandes questions qui sont restées sans réponse : 1)  Pourquoi l’ancien éducateur qu’il était n’a pas choisi l’Éducation nationale comme champ d’expérimentation d’une réforme salutaire pour le pays ? 2)  Pourquoi l’avocat de carrière qu’il était n’a pas demandé le portefeuille de la Justice où il aurait pu laisser un héritage durable ? Mon hypothèse, c’est que ni l’éducation ni le droit ne l’intéressaient à cette étape de sa carrière… L’euphorie du pouvoir et les polémiques avec l’opposition absorbaient toutes ses énergies, Ses points de presse à l’époque de l’Opération Rache Manyòk étaient de vrais modèles du genre…            

Gérard ne cessa jamais de me parler du discours du Cinquantenaire du Lycée  où Mèt Newton au lever du rideau : « Ce soir, je suis gris, je suis saoul, je suis content. »  Des années durant, il répétera cette phrase chaque fois que l’occasion s’y prêtera… Et il y en a eu beaucoup. J’ai consacré à sa mémoire un chapitre complet du tome 2 de mon livre De mémoire de Jérémien — En pensant aux amis disparus.                       

Par un agréable concours de circonstances, Léo Joseph, cofondateur d’Haïti Observateur, a retrouvé Gérard comme professeur de lettres à Nord Alexis après avoir été son élève au Lycée Philippe Guerrier des Cayes. Son père, le pasteur Joseph, avait  été muté à Dame-Marie après le cyclone Hazel en 1954 et il l’inscrivit au lycée de Jérémie. Cette rencontre facilita grandement son adaptation dans sa nouvelle ville et il en garde encore un très agréable souvenir.                                                                   

Par son charisme extraordinaire et sa spontanéité hors du commun, Gérard a impressionné la plupart des gens qu’il a croisés dans sa triple vie d’enseignant, d’homme politique et de bambocheur.

 René Laforest, 3e à partir de la gauche sur la photo de groupe

René Laforest

Sportif, conciliant et passionné de football, René ne semble pas avoir laissé beaucoup de souvenirs au Lycée. Il est aujourd’hui le seul survivant du corps professoral de 1955. Tout ce dont je me souviens de lui, c’est que nous pratiquions l’haltérophilie en groupe avec Joe Bontemps fils, Antoine Jean-Charles et Serge Pierre.  Il était petit de taille, mais c’était un bel athlète et un bonhomme solide comme du roc. Je me souviens également avoir fait un voyage aux Cayes avec le groupe pour assister à un match de championnat interrégional  de foot aux Cayes. René avait une telle mémoire que, durant le voyage, il reconstitua pour nous avec une incroyable précision la manière dont chacun des buts de la sélection jérémienne avait été mené… Plus de 60 ans après, je m’en souviens encore.   

Titularisé comme professeur de mathématiques, il est resté un certain temps au Lycée, a épousé une jeune fille de mon village de Nan Goudwon, Jacqueline Gaubert, et s’est établi par la suite à Port-au-Prince. On le retrouve alors à la Cour supérieure des comptes où il apporte à son travail quotidien la rigueur d’un professeur de mathématiques. Comme il est très casanier, très discret et  sort très peu, on sait peu de choses sur son passage dans cette institution qui jouait, elle aussi, un rôle très effacé dans le dispositif de contrôle financier de l’État.  D’autant plus que son frère Marcel, qui travaillait à l’ODVA, pour le ministère de l’Agriculture,  a disparu en prison, vers 1970.

René est aujourd’hui le seul survivant du corps professoral de 1955. Le seul des quinze professeurs apparaissant sur cette précieuse photo à avoir survécu à l’épreuve des ans. J’ai eu l’immense plaisir de renouer avec lui dans le cadre de la préparation de cet article et je me réjouis à l’idée qu’il tient le coup

Champana Bernard, 4e à partir de la gauche

Champana Benard

Champana est un professeur de sciences arrivé au Lycée après avoir abandonné des études de médecine. Démarche apparemment nonchalante, élégant et très calme, il ne fait pas de vagues et possède naturellement sa matière. Très peu de Jérémiens se souviennent aujourd’hui de lui.           

 Après la campagne électorale de 1957, il obtient un poste aux Cayes dans les usines nationalisées de vétiver de l’ancien sénateur Louis Déjoie aux Cayes.  Il y restera peu et entrera à l’Institut du Bien-être social à Port-au-Prince. De là, on perd sa trace et on n’entend plus parler de lui.

Alix Alcindor, 5e à partir de la gauche sur la photo de groupe

Alix Alcindor

Issu d’une famille de 14 enfants, Alix Alcindor était professeur suppléant quand je l’ai retrouvé au Lycée. Réservé jusqu’à la timidité, pondéré, il ne faisait pas de vagues  et se contentait de faire tranquillement son boulot. Personnalité repliée sur elle-même, Alix a laissé peu de souvenirs chez les anciens du Lycée. Tout ce dont on se souvient de lui, c’est qu’il ne dérangeait personne, faisait son boulot et rentrait chez lui. D’une santé fragile, il n’était nullement prédisposé à s’imposer par la force, les menaces et ni dans les affrontements avec « les meneurs et les mauvaises têtes ».

Médius Noël (Mèt Medo), 3e à partir de la droite

Médius Noël

Qui n’a pas connu à Jérémie le grand Médius Noël, dont la maison et le cabinet formaient un des angles du Carrefour Jubilé ? Cet homme d’environ 6 pieds 2 était d’un calme imperturbable et il en imposait par sa sagesse et sa tolérance.  À la différence des autres membres du corps enseignant, Mèt Medo avait fait ses études secondaires dans une des grandes écoles congréganistes de la Capitale, Saint-Martial ou Saint-Louis de Gonzague, où il avait appris l’anglais.                  

Selon la tradition établie, Maitre Médius initiait les nouveaux arrivants à l’anglais en classe de 6e et Amiclé Beaugé se chargeait de la suite à partir de la 5e.  Outre ses attributions au Lycée, Médius Noël enseignait le droit constitutionnel  à l’École libre de droit de la ville.                

Au moment où François Duvalier renouvelle à sa façon le personnel du tribunal civil, Prudent Joseph remplace Roger Hilaire au poste de Doyen du tribunal civil, tandis que Médius Noël succède à Catinat Sansaricq comme Juge d’instruction. C’est également à cette époque qu’au terme d’un conflit larvé avec le capitaine Abel Jérôme, Gérard Noël sera nommé tour à tour Commissaire du Gouvernement, puis juge au tribunal civil. Il sera muté à l’Anse-à-veau peu de temps après et abandonnera son poste pour s’établir à Port-au-Prince sous la protection de quelques amis bien placés.

Pierre Jean-Denis, 2e à partir de la droite sur la photo de groupe

Pieere Jean-Denis

J’ai davantage connu Pierre Jean-Denis dans des activités sociales et politiques qu’au lycée, de sorte que je suis incapable de témoigner de ses compétences ni de sa pédagogie. Je sais toutefois que, durant la période mouvementée des élections de 1957, plus précisément après l’incendie du Lycée, il fit la prison politique avec Antoine Jean-Charles, l’ancien député Oriol Eustache; avec mon père Annibal Cavé, mon cousin Pierre Mayas, mon parrain le Dr Apollo Garnier; avec mes proches ami Gérard Noël, Jean Alcide, etc. C’était durant la campagne électorale musclée de 1957 et tous ces chefs de file faisaient partie du front anti-Déjoie. Cet affrontement a coûté très cher à la fois à la ville, au pays et aux protagonistes des deux camps.

On trouvera dans le tome 2 de De mémoire de Jérémien (page 96) une photo où Gérard Noël, le Dr Apollo Garnier et Pierre Jean-Denis apparaissent, torse nu, dans la camionnette de l’Armée d’Haïti les conduisant au tribunal civil pour une accusation sans fondement. Cette scène théâtrale avait été montée par Gérard Noël et Apollon Garnier et elle créa un véritable émoi dans la ville. Elle contribua aussi à envenimer considérablement  les tensions sociales dans cette ville qui se remettait à grand peine des déchirements de la campagne électorale de 1946 entre les candidats à la députation Hermann Jérôme et Raoul Duquella.                                       

Pierre Jean-Denis était un véritable gentleman.  Mince, grand, élancé, il avait un physique attrayant et surtout l’assurance des hommes de bien qui savent de quoi ils parlent. Il avait la particularité de manifester autant de respect pour ses élèves que de considération pour ses collègues. Il a ainsi laissé d’excellents souvenirs chez toutes celles et tous ceux qui l’ont connu.

Gilbeau Robert, debout,  1er à partir de la droite 

Gilbeau Robert

Calme, modéré, démarche de sénateur, Gilbeau Robert passe tous les matins sous mon balcon en 1955 pour se rendre au Lycée où il donne des cours de mathématiques. Dans la ville, peu de gens savent qu’il est le premier, sinon le seul, diplômé de la nouvelle École normale supérieure du pays. Les autres profs ont fait de bonnes études secondaires complètes ou suivi le programme d’un an des Cours normaux supérieurs, mais Gilbeau est le premier et le seul vrai normalien.                                          

Par ailleurs, ce colosse de plus de 6 pieds en impose autant pas sa taille que par la maîtrise de sa discipline. Et quand arrivera le temps d’initier les jeunes aux mathématiques modernes, Mèt Gilbo s’acquittera de ses nouvelles obligations avec brio.

Le droit étant à l’époque un complément d’études presque obligatoire pour les notables en réserve de la République, ce jeune mathématicien se remet aux études, décroche sa licence en droit et s’inscrit au Barreau. Comme son collègue Antoine Jean-Charles, qui a épousé, lui aussi, une jeune Jocelyn, Gilbeau passe à la magistrature au bout d’un certain temps. Il obtient ensuite une mutation à la Capitale et accède au bout de quelques années au poste de Substitut du Commissaire du gouvernement auprès du Tribunal de Cassation.                                                                             

L’homme est paisible et conciliant, mais il ne se laisse pas marcher sur les pieds. C’est ainsi qu’il a survécu de justesse à un coup de feu tiré en sa direction lors d’un incident survenu, selon les témoins, au Cercle catholique de Jérémie. Dans ses nouvelles fonctions au plus haut tribunal du pays, sa vie est de nouveau menacée en 2011 à cause d’une position adoptée dans une poursuite intentée contre un entrepreneur bénéficiant de la protection du nouveau pouvoir en place. Refusant de céder au chantage et aux pressions des autorités de l’heure, il quitte définitivement le pays avec sa famille. Il s’est éteint à Orlando, en Floride en 2021.

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 En guise de complément à ce coup d’œil rétrospectif sur le personnel enseignant du Lycée Nord Alexis, nous présentons à la page suivante l’un des rares souvenirs d’une des promotions à cheval sur les décennies 1950 et 1960. Le Lycée avait alors les trois sections A, B et C, et Clément Amiclé  Beaugé  enseignait l’anglais et l’espagnol dans la section C. Dans le souci manifeste de laisser un souvenir à la postérité, cette promotion fit venir un jour le photographe ami Luc Jeune qui s’acquitta avec amour de la mission confiée.            

Une absence notable, me disait Barnave François, premier à gauche  sur la photo. Celle de Jacky Charlier, le fils du couple de militants de gauche Ghislaine et Étienne Charlier qui  avaient envoyé leurs fils Jacky et Maxon  à Jérémie pour terminer leur secondaire. Ces deux jeunes ont laissé des souvenirs impérissables dans la mémoire de leurs camarables de promotion : Jacky, pour les discussions animées qu’il avait avec Roger Jérôme sur des points d’histoire à propos desquels le professeur Jérôme et son père historien avaient des opinions diffèrentes; Maxon qui, le premier, embrigada les adolescents de la ville pour effectuer avec eux des travaux communautaires. Cela lui valut bien des déboires et il fut même torturé.      Les deux frères Charlier sont morts prématurément.  Jacky s’est éteint le premier à New York, après avoir œuvré dans les services sociaux et, dans le théatre, avec la troupe Kouidor. Quant à Maxon, il est mort à Montréal dans des circonstances non élucidées pendant qu’ il était hospitalisé dans un établissement de soins de longuée durée.

LA CLASSE DE SECONDE C, EN 1960-1961

Conservée comme un symbole de l’harmonie qui régnait au nouveau Lycée, sous la direction de Clément Amiclé Beaugé, cette photo de la classe de seconde C de 1960-1961 m’a été donnée comme une relique le jour des funérailles de Solon Baltazar à Montréal, le 1er janvier 2016. 

On y voit :                                        

Debout, de g. à dr. : Barnave François, Solon Baltazar, en arrière-plan un élève non identifié,  Pierre-Marie Duquella, Jean Misère, le directeur et professeur d’espagnol Clément Beaugé, Élie Noël et Louis-Pierre Joseph.                                  

Accroupis : Benjamin Marseille (Ti Benn), Pierre-Michel Charles, Laurent Eustache, Serge François, Marlène Lucien,  Pierre Paisible et Maurice Chevalier.Au milieu de la photo, une seule jeune dame : Marlène Lucien, aujourdf »u résidente d’Ottawa. Sa présence nous rappelle que le lycée était mixte… et non sexiste.

Comme les aînés des promotions précédentes, plusieurs des amis qu’on voit ici ont déjà fait le grand saut. Il incombe donc à ceux qui sont encore verts la lourde tâche d’entretenir la mémoire collective et de participer à la régénération tant souhaitée de la nation commune.

Le marbre ci-contre, qui se trouve à  l’entrée de l’auditorium, indique que le chantier a été ouvert le    26 novembre 1959.                                            

  — FIN DE LA TROISIÈME PARTIE—        

L’éternel mendiant finit toujours sous les quolibets et le mépris de la rue

L'éternel mendiant finit toujours sous les quolibets et le mépris de la rue

Par Max Dorismond

Quand je mentionne à certains camarades, qu’en diaspora, on se sent mal à l’aise sous l’éclosion des évènements douloureux qui labourent notre terre natale, ce n’est nullement une chimère. Nous souffrons réellement dans notre peau, nous souffrons dans notre âme, souvent, sans nul courage de nous protéger quand l’étranger nous place devant nos tares, nos déficiences et nos couardises. On aurait dit que les mots pour nous défendre avaient perdu de leur sens, de leur force, tant la stupeur nous subjuguait. 

Vendredi dernier, le Canada venait de déclarer qu’il ferait une aumône de 100 millions de dollars à Haïti. Déjà, les «P’tits transits», perclus d’arrogance, sablent le champagne. Allez les admirer dans les hôtels huppés, loin des barricades en train de se congratuler. Ils ont frappé le jackpot, le casino est ouvert. Toutefois, j’appréhendais la réaction du contribuable canadien. 

En effet, dans le Journal de Montréal, l’un des plus lus au Québec, le journaliste Loïc Tassé, d’entrée de jeu soutient avec condescendance, dans son édito, que : «L’argent qui y sera déversé sera en bonne partie détourné par les crapules qui sont à la tête d’Haïti…» 

Que répondre! Sans malice et sans nuances, le journaliste traite nos dirigeants de «crapules». Il introduit son texte rédhibitoire par une cinglante rebuffade à damner un saint. En fait, je prie Dieu pour qu’un voisin ne vienne me glisser cette indécence à l’oreille, car je serais d’une humeur massacrante quitte à m’excuser plus tard. 

Suite à une corruption débridée et innommable, nous sommes devenus la risée du monde entier. Tous les adjectifs ont été utilisés par nos moralistes pour décrire nos faiblesses et lutter contre les biais inconscients du mal en vue de nous rappeler à l’ordre et soulager la nation. Rien n’y fit! Les avertissements, le chaos appréhendé, ne dérangent aucun filou. Tous sont nés pour voler, piller, escamoter. Ils continuent sans vergogne, comme si demain n’existait pas! 

Les présidents Magloire et Eisenhower
et leurs épouses lors d'un diner d'honneur
à  Washington en 1955.                             

Haïti a tellement perdu de son prestige au niveau international que tous les chefs d’État le fuient. Aucune visite depuis des lustres. Tous connaissent les faiblesses de nos dirigeants. Avec leur mine patibulaire, ils se mettent toujours en position de quémandeur. Leurs courbettes traduisent tout haut ce qu’ils désirent tout bas. N’oublions pas celui qui tirait sur la manche de veston d’Obama au passage. Geste disgracieux et non protocolaire de petit mendiant. 

Néanmoins, ils n’étaient pas tous des fripouilles. Il existe quelques souvenirs historiques à ressasser où un président d’Haïti, par le passé, était reçu avec les fastes et les honneurs dus à son rang. Mais c’est très loin tout ça. 

Dans les années 50, la ville de New York avait salué l’un de nos dirigeants avec une pluie de confettis sur Broadway? Des balcons, des bureaux, ces paillettes multicolores pleuvaient au passage acclamé d’un nègre irradiant dans une Amérique raciste en 1955 : c’était le président Paul E. Magloire, en visite aux États-Unis.

  Dumarsais Estimé

Il en fut de même pour lui au Canada où le Premier ministre du Québec, Maurice Duplessis, le présenta à ses députés au Parlement comme le chef d’État d’un pays à imiter. Haïti avait ébloui l’Occident avec l’Exposition universelle du Bicentenaire et le Barrage hydro-électrique de Péligre, ce que le Québec allait vraiment reproduire moins de dix années plus tard. Pour son retour à Port-au-Prince, la reine Élizabeth II a mis à sa disposition le porte-avions Triumph. C’était un chef d’État respecté et adulé. 

«Au cours de son bref exil à Paris, l’ex-président Estimé est allé assister à une représentation à la Comédie Française. Sans l’avertir, quelqu’un est monté sur la scène pour annoncer sa présence à l’assistance… Tout le monde s’est alors levé pour l’ovationner». Nos dirigeants ne furent pas tous des écorcheurs! Ces souvenirs semblent irréels. Ils représentent, en effet, la mémoire d’une époque révolue que s’amuse à revisiter une génération d’Haïtiens nostalgiques et tristes.

Président Roosevelt recut le président
Elie Lescot en 1943 à la Maison Blanche 

Ce qui va surprendre la jeunesse actuelle, Haïti a aussi connu des présidents honnêtes. Le plus célèbre d’entre eux fut le dénommé Élie Lescot. Avant de partir en exil pour le Canada en janvier 1956, «Lescot a remis à la junte militaire l’intégralité des 1,2 million de dollars de la cassette présidentielle». Et, pour son malheur, on a omis de lui payer sa pension. Il a vraiment connu, avec sa famille, la détresse et la faim au Québec, jusqu’à se résoudre à concevoir et à vendre des cravates sur la rue de Lorimier à Montréal. Haïti est le seul coin où l’on punit l’honnêteté! 

Aujourd’hui, le monde nous regarde de travers en murmurant. Sous les assauts de la corruption et de l’incompétence, l’île est méconnaissable. Alors, ne jouez pas à l’autruche quand les journaux du monde vous traitent de crapules, d’escrocs, de petits vicieux! 

Max Dorismond

 

Référence sur les présidents : « Une histoire populaire d’Haïti » de Charles Dupuy

Thursday, March 23, 2023

Sous l’impulsion d’une photo retrouvée - (Deuxième de trois parties)

Par Eddy Cavé

Ottawa, le 20 mars 2023

Dans la première partie de cet article, j’ai fait un très bref aperçu de l’histoire du Lycée et retracé les circonstances dans lesquelles a été prise la photo qui a inspiré cette série de trois articles. Cette deuxième partie traite de la première rangée de la photo.

LA PHOTO SOUVENIR DU 5 AVRIL 1955

De gauche à droite. Assis: Clément Amiclé Beaugé, Antoine Martineau,
Jean Laforest (censeur des études), Newton Charles(directeur), Octave
Petit, Roger Jérôme,Émile Alexis                                                                 
Debout:Antoine Jean-Charles, Gérard C. Noël, René laforest, Champana
Bernard, Alix Alcindor, Médius Noël, Pierre Jean-Denis, Gilbeau Robert.

Le corps professoral de 1955

Pour apporter une touche personnelle à cette évocation d’une tranche de l’histoire de notre ville, je cède volontiers à la tentation de dire quelques mots au sujet de chacun des 15 professeurs figurant  sur la photo souvenir. Mais déjà, les visages de deux absents me viennent à l’esprit : ceux de Vicot Samedy, mon premier professeur de latin et celui de professeur suppléant Lys Jérôme, jeune frère de Roger? Vicot était un homme de bien. Excellent pédagogue, proche des élèves de ses classes et visiblement opposé au régime de punitions rigoureuses encore en vigueur au pays. Un professeur consciencieux et compétent. Une personnalité attachante ! Quant à Lys, dont le frère aîné Roger occupait tout l’espace, il passait plutôt inaperçu.

Newton Charles : 1ère rangée,au centre, vêtu de blanc

D’apparence austère, mais jovial et bon vivant, Mèt Newton disait souvent à mon père sur un ton désabusé : « Babal mon cher, dans ce pays, l’homme sérieux est le farceur qui ne rit pas. »

Mèt Newton était un intellectuel de haut vol issu d’une famille d’avocats qui a donné plusieurs professeurs de droit, ainsi que deux bâtonniers, son père Me Louis Charles à Jérémie, et son fils Gervais Charles à Port-au-Prince. Pharmacien de profession, il a enseigné la chimie au Lycée Nord Alexis dans les années 1940 et a été appelé à la direction du Lycée en 1952.

Dans la présentation de mon livre intitulé Le langage clair et simple, un passage obligé, Gervais a évoqué une conversation au cours de laquelle son père  exprimait une vision ultramoderne de la langue que devraient utiliser les avocats et les juges.  Condamnant avec son ironie habituelle la pratique ridicule du charabia, Mèt Newton lui dit un jour : « Tu vois, Gervais, il existe deux types de charabia qu’il faut éviter absolument : le charabia simple et le charabia double. Dans le charabia simple, celui qui parle sait ce qu’il veut dire, mais ne se soucie pas d’être compris; certains s’évertuent même à ne pas se faire comprendre. Dans le charabia double, non seulement l’interlocuteur ne comprend pas ce qu’il entend, mais celui qui parle ne sait pas non plus ce qu’il dit… Le comble de la bêtise. »

Appliquant dans sa famille les principes qu’il appliquait au Lycée, Me Newton a légué à la société haïtienne des chefs de file dans diverses disciplines. Durant mes derniers séjours en Haïti, j’ai eu l’occasion de voir tour à tour le médecin, René  Charles, au poste de  président de la Fondation haïtienne du diabète;  l’infirmière, Lucile, à la tête de l’Association Nationale des Infirmières et Infirmiers licenciés d’Haïti; l’un de ses deux fils  avocats, Gervais,  comme bâtonnier de l’Ordre des avocats du Barreau de Port-au-Prince. Ce n’est pas peu dire…

Mon père et ma mère étaient presque désespérés quand Newton leur annonça en mars 1957 qu’il avait accepté le poste de Secrétaire de la Chambre des députés que son ami, le président provisoire Franck Sylvain, lui avait offert à Port-au-Prince. Lui, par contre était très optimiste, et l’avenir lui a donné raison. Aujourd’hui, je n’ai d’autre choix que de me découvrir devant son courage, sa détermination, sa foi en ses compétences et en son destin.

Jean Laforest, censeur des études en 1955

Me Jean Laforest
Censeur des études en 1955

Troisième à partir de la gauche, donc à la droite du directeur, Jean Laforest combine alors les fonctions de préfet de discipline, de professeur de mathématiques et d’adjoint au directeur. D’une énergie débordante, il parle haut et fort, use encore de la férule et est à la fois aimé, respecté et  redouté des élèves, même des turbulents. Fils de l’ancien directeur Clérié Laforest, Mèt Koy,  il aura la sagesse d’attendre patiemment son tour pour accéder à la direction du lycée après le départ de Gilbeau Robert.                     

Après avoir grimpé tous les échelons de la hiérarchie de l’établissement, pour passer d’un poste de professeur suppléant à celui de directeur, Jean Laforest a laissé un immense capital de sympathie. L‘homme aimait son métier, le pratiquait avec toute son énergie  et il s’est éteint en 2011 au terme d’une fructueuse carrière d’enseignant. Invité par la famille à faire un témoignage à  la messe de requiem chantée à Ottawa à l’occasion de son décès, je m’acquittai de ce devoir avec empressement. Et surtout avec le sentiment que je parlais au nom d’une génération complète de Grand’Anselais. Merci aussi de nous avoir légué cette photo par l’entremise de ta fille Finette.

Clément Beaugé, professeur vedette d’anglais

Clément Beaugé
Professeur vedette d'anglais

Premier à partir de la gauche, Clément Amiclé Beaugé est un pédagogue né qui a adapté la méthode Berlitz pour faire de vrais miracles à Jérémie dans l’enseignement de l’anglais langue seconde.  Sévère à l’extrême, ne reculant jamais devant les châtiments corporels, il a formé des cohortes de professeurs d’anglais et préparé des centaines d’élèves pour une adaptation relativement facile aux États-Unis.                                                

Installé à Ottawa à la fin des années 1960, Mèt Beaugé se recycle comme professeur de français langue seconde à la Commission scolaire des écoles catholiques d’Ottawa. Sa classe devient alors une sorte de vitrine où la coordonnatrice amène les jeunes professeurs observer les méthodes d’animation et d’enseignement d’un professeur qualifié de « Super Teacher ». Élégant, théâtral même, pointilleux au plus haut point sur la discipline, Amiclé n’acceptait, depuis l’époque du Lycée de  Jérémie, aucun écart de conduite ni la moindre minute d’inattention quand il entrait en classe. Parmi les futurs professeurs d’anglais sortis de sa pépinière, il faut citer Joseph René, Gérard Gilles, Windsor Joseph, Gabriel Antoine, etc.                              

Les Jérémiens de diverses villes d’Amérique du Nord défilèrent en grand nombre  à ses funérailles qui ont été chantées à Ottawa en 1995. J’avais alors une affectation à la Cour internationale de justice à La Haye, et c’est de là que j’ai eu connaissance des témoignages de reconnaissance auxquels ses funérailles ont donné lieu. À mon retour à mon port d’attache, tous les Jérémiens rencontrés en parlaient encore. Il ne reste plus de sa progéniture que sa fille Juliette. Clément, tu as bien mérité de la Patrie. Un grand merci!

Antoine Martineau, professeur de latin

Antoine Martineau

Deuxième à partir de la gauche, Mèt Tatanne était un citoyen d’une douceur infinie. On ne lui connaissait ni fredaines en dehors du lycée ni conflits avec les élèves ou leurs parents. Il faisait son boulot à la satisfaction de tous  et repartait sur la pointe des pieds. 

Il m’est impossible de parler de son enseignement, ayant quitté le lycée avant d’arriver à ses classes.Je me souviens que Mèt Tatann surveillait une salle d’examens de passage où l’on avait mis ensemble des élèves de différentes classes pour réduire les risques de copiage. J’étais assis à côté d’un élève de 4e, même si j’étais en 5e et je me hasardai à poser quelques questions à ce voisin de table pour me dépanner. Tatanne était debout dans mon dos et j’eus une peur bleue quand le bonhomme commença à me répondre à haute voix. Pendant que je m’évertue à lui dire «  Trop fort, trop fort », il me répond calmement : «  Ou pa bezwen pè. Li pa tende.» (Aucune crainte. Il n’entend presque pas.) Vraiment, la jeunesse est sans pitié !

Octave Petit, professeur d’histoire, de droit romain et de latin

Octave Petit
Prof. d'histoire et de latin 

Troisième à partir de la gauche sur la photo de groupe, Mèt  Petit était un professeur carrément atypique. Fils de l’ancien imprimeur Pétion Petit, érudit et intellectuel d’un très bon calibre, il n’a jamais été apprécié à sa juste valeur par les gamins que nous étions. Il n’en avait cure d’ailleurs. À Ti-Michel Fignolé qui chuchotait un jour pour le taquiner : « Mèt Petit pa met chosèt ! », il répondit avec son calme habituel : « Fignolé, mwen gen chosèt nan tèt mwen. M pa bezwen nan pye m.» L’homme était d’une modestie exemplaire, se contentait de peu, faisait lui-même ses courses au marché et ne se plaignait jamais…

J’ai découvert en faisant des recherches pour la rédaction de mon livre sur l’extermination des Pères fondateurs que « ce petit professeur de province » avait été  dans sa jeunesse un historien reconnu qui donnait des conférences dans les cercles littéraires et publiait dans la jeune Revue de la Société haïtienne d’histoire et de géographie. Sa conférence sur Dédé  Bazile, dite  Défilé-la-folle, est encore disponible dans la collection Gallica de la Bibliothèque Nationale de France.   

Le cofondateur de l’hebdomadaire new-yorkais Haïti Observateur, Léo Joseph, qui a fait une partie de ses études secondaires à Jérémie, m’a longuement parlé cette semaine des relations privilégiées qu’il a eues avec Mèt Octave. Intéressé très jeune à l’imprimerie, il était le seul de tous les élèves à qui ce grand solitaire ouvrait ses portes. Léo a beaucoup appris avec lui et en a gardé un très agréable souvenir.         

J’ai eu, quant à moi, des relations un peu chaotiques avec lui. D’abord, parce que je n’aimais pas l’école, ensuite parce que j’avais l’impression qu’il ne m’aimait pas. Je me suis rendu compte à l’âge adulte que je m’étais complètement  fourvoyé à son sujet. Mèt Petit méritait beaucoup plus que le régime de privations et d’austérité que le destin lui a imposé. Paix à son âme ! 

Roger Jérôme, flamboyant professeur d’histoire 

Roger Jérôme
Professeur d'histoire

Deuxième à partir de la droite sur la photo de groupe, Mèt Jérôme est sans doute le professeur le plus pittoresque de toute l’histoire de ce lycée. Et aussi l’un des plus brillants. Célibataire endurci, petit de taille,  éloquent, énergique et doté d’une verve intarissable, on ne le voyait jamais dans les soirées mondaines. Les mauvaises langues le disaient amateur de « baka », ces « bandes à pieds » qui, durant la saison du carnaval, parcouraient les rues de la ville à la tombée de la nuit et où certains notables allaient se dévoyer dans l’anonymat complet. C’était probablement  une farce de lycéen, mais on le disait pour bien des professeurs. À Port-au-Prince également, d’ailleurs.                    

On prétend aussi que, dans la rivalité que Roger Jérômel entretenait comme professeur d’histoire avec Octave Petit, son aîné, et Antoine Jean-Charles, son cadet,  il gardait chez lui les livres d’histoire de la Collection du lycée pour s’approprier en quelque sorte  le monopole des plus récentes publications. Cela créait évidemment des frictions et Ti- Jéròm s’en fichait éperdument. J’ai assisté le jour du Cinquantenaire à une discussion orageuse au cours de laquelle Antoine Jean-Charles et lui faillirent en venir aux poings. Je reviens sur cette scène dans la troisième tranche de cet article. Aux funérailles de l’ancien directeur Georges Séraphin, décédé en 1956, Mèt Jéròm prononça, tout de suite après Lucien Balmir, un hommage funèbre  qui est resté longtemps gravé dans la mémoire des Jérémiens.

Roger n’a jamais été mon professeur, mais j’ai écouté la plupart de ses conférences, de ses oraisons funèbres. C’est donc en connaissance de cause que j’atteste qu’il était brillant.  Exubérant de nature, il jouissait de la sympathie de tous et était réputé pour ses talents d’orateur, sa grande culture et pour sa générosité. Par ailleurs, il était au centre de la plupart des blagues des lycéens de la ville. Je n’ai jamais entendu dire qu’il aurait recalé un élève par méchanceté ou  par rancune.uxième à partir de la droite sur la photo de groupe, Mèt Jérôme est sans doute le professeur le plus pittoresque de toute l’histoire de ce lycée. Et aussi l’un des plus brillants. Célibataire endurci, petit de taille,  éloquent, énergique et doté d’une verve intarissable, on ne le voyait jamais dans les soirées mondaines. Les mauvaises langues le disaient amateur de « baka », ces « bandes à pieds » qui, durant la saison du carnaval, parcouraient les rues de la ville à la tombée de la nuit et où certains notables allaient se dévoyer dans l’anonymat complet. C’était probablement  une farce de lycéen, mais on le disait pour bien des professeurs. À Port-au-Prince également, d’ailleurs.                

On prétend aussi que, dans la rivalité que Roger Jérômel entretenait comme professeur d’histoire avec Octave Petit, son aîné, et Antoine Jean-Charles, son cadet,  il gardait chez lui les livres d’histoire de la Collection du lycée pour s’approprier en quelque sorte  le monopole des plus récentes publications. Cela créait évidemment des frictions et Ti- Jéròm s’en fichait éperdument. J’ai assisté le jour du Cinquantenaire à une discussion orageuse au cours de laquelle Antoine Jean-Charles et lui faillirent en venir aux poings. Je reviens sur cette scène dans la troisième tranche de cet article. Aux funérailles de l’ancien directeur Georges Séraphin, décédé en 1956, Mèt Jéròm prononça, tout de suite après Lucien Balmir, un hommage funèbre  qui est resté longtemps gravé dans la mémoire des Jérémiens.

Roger n’a jamais été mon professeur, mais j’ai écouté la plupart de ses conférences, de ses oraisons funèbres. C’est donc en connaissance de cause que j’atteste qu’il était brillant.  Exubérant de nature, il jouissait de la sympathie de tous et était réputé pour ses talents d’orateur, sa grande culture et pour sa générosité. Par ailleurs, il était au centre de la plupart des blagues des lycéens de la ville. Je n’ai jamais entendu dire qu’il aurait recalé un élève par méchanceté ou par rancune.

Émile Alexis, professeur de mathématiques et de sciences  

Me Émile Alexis

Première à partir de la droite sur la photo de groupe, Émile Alexis attire tous les regards par son élégance, son nœud papillon, sa belle stature. J’avais déjà quitté le lycée quand il y est arrivé de sorte que je ne suis pas en mesure de parler de ses relations avec ses élèves, ses  collègues, de ses compétences, etc. À l’âge adulte, j’ai fait partie de son cercle d’amis  et je garde de lui de très bons souvenirs. Les anciens élèves s’accordent pour dire qu’il était compétent, juste  et impartial dans ses évaluations. Il a quitté l’enseignement assez tôt pour se lancer dans la politique. C’est ainsi qu’on le retrouvera ainsi  comme parlementaire à la Chambre des députés sous le gouvernement de Jean-Claude Duvalier.           

Il ne semble pas qu’il ait marqué son passage au Parlement par des réalisations concrètes ni par des interventions remarquées.                                                    

Voilà pour la première rangée de photos de ce superbe souvenir de notre Jérémie des années 1950.  Nous examinons la deuxième rangée dans la troisième et dernière partie de l’article.

      FIN  DE LA DEUXIEME PARTIE  —