Orlando, le 11 mai 2014
Chers parents et amis éplorés,
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Arlette Caidor |
Chacun de nous sait en son for intérieur que la mort est inévitable et
incontournable. C’est une assurance qui nous est donnée dès notre naissance.
Mais il est toujours difficile d’admettre que cet inévitable se produise, voire
accepter la mort d’un proche… Nous espérons tous vivre une longue vie,
mais hélas, toutes les vies n’ont pas forcément la même durée… Nous
souhaitons tous vivre dans un monde en paix, en sécurité et sans mauvaises
surprises. Mais quand les tragédies surgissent, elles nous ramènent à la réalité.
Brusquement, nous nous rendons compte alors que notre propre vie est
vulnérable...
Nous voici réunis ensemble pour dire un adieu à Arlette Caïdor, celle qui
fut une épouse, une mère, une éducatrice, une linguiste, une grande speakerine
de radio, une sœur, une amie, mais avant tout une femme exceptionnelle. La
nouvelle de la mort d’Arlette s’est répandue comme une trainée de poudre dans
la communauté haïtienne d’Orlando. C’était un choc auquel on ne s’y attendait
pas. Autrement dit, cela a tout
l’air d’une mort soudaine.
Certes, nous savions tous qu’elle n’allait pas trop bien. En fait, nous
avions été la voir chez elle bien avant qu’elle eut à subir son intervention
chirurgicale il y a quatre mois. Et après son opération, on se parlait
régulièrement au téléphone et elle me laissait l’impression qu’elle s’en
remettait progressivement. Mais hélas ! elle a succombé, avons-nous
appris, des suites d’un AVC ou accident vasculaire cérébral appelé
“Stroke” dans le langage courant.
L’esprit humain ne pourra jamais accepter tout à fait la mort avec raison
et prononcer en cette circonstance des propos au sujet d’Arlette peut
s’avérer étrange tant sa disparition reste pour nous inconcevable.
Quand une personne chère comme Arlette nous quitte, le vide est béant. Et
nous sommes tous confrontés à un chagrin et à une tristesse sans nom.
Cependant, le malheur d’avoir perdu
Arlette, ne dois pas nous faire oublier, le bonheur de l’avoir connu…
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Arlette au studio de RCI - Juin 2006 |
Depuis quelques mois, Arlette était atteinte d'une maladie cruelle qui
faisait ses ravages dans son corps et son esprit. Elle diminuait
progressivement ses forces et l’enfermait comme dans une sorte de prison. Mais j’ose dire qu’après
avoir supporté courageusement cette maladie, Arlette retourne aujourd’hui au
sein de l’élément naturel qui l’a conçue et l’a portée: la terre. Son parcours
terrestre s’achève tout comme le nôtre doit s’achever un jour, un parcours
comportant un bilan, des chagrins, des pleurs, des joies, des rires et des
sourires, ou bien des regrets insondables et éternels…
Nous savons que cette perte nous affecte tous. Mais contentons-nous de ces
souvenirs qu’elle nous a laissés dans le cœur et dans l’esprit, de cette formidable personnalité qu’elle
représentait pour nous, de cette vie exemplaire que l’on ne cessera jamais
d’aimer.
Souvenons-nous de cette voix d’épigone qui nous transcendait tous sur les
ondes de Radio Classique Inter pendant plus d’une décennie. Soyons reconnaissants envers elle et rendons à
elle un tribut en essayant d’imiter sa façon de voir la vie, de nous fatiguer comme elle pour ce
qu’on croit nécessaire aux autres, d’être aussi productif dans nos sphères d’action,
bref, de nous accrocher à ses proches élans.
Maintenant, j’aimerais prendre un petit moment au nom et sur la requête de
Dr Maryse Nau, administratrice de la Radio
Classique Inter, de retracer pour vous en
quelques lignes le parcours d’Arlette Caïdor. En effet, ce fut moi qui l’avais
emmené à Radio Classique Inter.
D’où vient-elle ? Que représentait en fait Arlette ?
Pour commencer, je dirais que je me rappelle avoir rencontré Arlette pour
la première fois à Jérémie… vers les années 1972-1974, à l’Alliance française
de Jérémie. À cette époque j’étais âgé environ de 16 ans, et Arlette,
apparemment me dépassait un peu en âge et frôlait déjà la vingtaine.
À cette époque, ce cercle littéraire qui se trouvait au « Morne
l’hôpital » non loin de ma maison, représentait tout comme l’Institut
français de Port-au-Prince un réseau culturel actif pour nous les jeunes
de la ville de Jérémie. Un centre qui nous donnait la chance de nous épanouir
dans la langue française à travers des conférences-débats, expositions,
spectacle vivant, cinéma, etc.. On y allait souvent, puisqu’il y a avait une
bibliothèque où l’on pouvait lire sur place ou emprunter des livres, etc..
L’Alliance française fut en quelque sorte un Service de Coopération et
d’Action culturelle de l’Ambassade de France en Haïti, qui était chargé du
rayonnement de la langue française et des cultures françaises et haïtiennes
dans le pays. Donc, Arlette
prêtait ses services à ce réseau culturel, je la voyais parfois en compagnie du coopérant français d’alors en poste, Gérard
Bordes. À chaque fois que je m’y rendais , je la voyais toujours sur les lieux,
soit en train de lire, soit en train d’aider certains jeunes qui
s’intéressaient eux aussi à la lecture. Nous n’étions pas des amis proches,
mais on se saluait vu qu’elle fut un peu mon ainée. Je la voyais également
participer activement à d’autres activités culturelles de la ville.
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Arlette Caidor 8 Fév 1949 - 27 Avril 2014
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En 1975, mes parents laissèrent Jérémie pour s’établir à Port-au-Prince.
Depuis lors, je n’ai jamais revu Arlette, qui elle-même, avait quitté Jérémie
en 1981 pour aller résider à Port-au-Prince. La vie de Port-au-Prince
plus trépidante que Jérémie ne nous avait pas permis de nous reconnecter
jusqu’à mon départ d’Haïti en 1995. Entretemps, elle fut
professeur de français et de sciences sociales au collège Etzer Vilaire de
Jérémie. Arlette, une fois rentrée à Port-au-Prince a travaillé comme
professeur d’études sociales et de français au Collège Grégoire Eugène,
Caroline Chauveaux. Vers les années 76-78, elle avait franchi les portes de la
Faculté de Linguistique appliquée ci-devant “Centre de Linguistique appliquée”
où elle a obtenu un baccalauréat. Arlette devint professeur et formatrice
à l’IPN (Institut Pédagogique National). Par la suite, elle a reçu des bourses
d’étude à l’Université Harvard, Université du Texas, elle a suivi et étudier
les sciences du curriculum à l’Université d’Albany à New York où elle a
également décroché plus tard une maitrise en Éducation.
Elle fut professeur également à la Faculté des Sciences humaines à
Port-au-Prince de 1994 à 2001. Professeur de langue française à l’Université
Quisquéya de 2000 à 2001. Arlette a suivi des cours et des séminaires en
France, à Provence pour la recherche et la diffusion de la langue
française. À noter qu’elle avait reçu un certificat d’études
supérieures en français à l’Université des Antilles en Guyane française.
D’après des informations recueillies sur place, Arlette Caidor était une
spécialiste ayant la maitrise des méthodologies adéquates et nécessaires à
l’enseignement des langues nationales. C’était une grande dame malgré sa petite
taille … «. Arlette se te tankou yon piès Kannon »
Après 26 ans de séparation, soit après plus d’un quart de siècle, mes
retrouvailles avec Arlette Caïdor allaient se produire ici à Orlando en juillet
2001, au cours d’une de mes émissions hebdomadaires sur Radio Classique Inter,
qui s’appelait “Carrefour des Étoiles” .
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L'équipe de Carrefour des Etoiles en 2002 à Radio Classique Inter ( G vers D)
Herve Gilbert, Fernande Gilbert, Arlette Caidor, Soeurette Lespérance et le
poète Joseph B. Fanfan. |
C’était une
émission basée sur la culture avec également la participation des
auditeurs via le téléphone. Alors une auditrice appela le studio; ce fut
Arlette Caïdor qui fit ce jour-là une belle intervention sur les
ondes, apportant de belles analyses à notre sujet du jour. Ce
jour-là, nous étions un trio animant cette émission, Soeurette
Lespérance, notre poète bien connu Joseph B. FanFan et
moi. Avant de raccrocher, je l'ai demandé de rester sur la ligne et
“off the air” je lui lançais une invitation à nous rejoindre dans notre
prochaine émission, ce qu’elle accepta sans ambages. Dès lors, Arlette
nous rejoignit et devint comme un “co-host” de l’émission. Autre
petite anecdote à ajouter, la deuxième fois qu’elle participait avec nous, je
me rappelle que Gérard Bernadel, un employé de la radio était venu spécialement
à la radio pour la connaitre . Et après qu’il eut fait la connaissance
d’Arlette, Bernadel n’avait pas caché son contentement et ses émotions en me
disant tout bas : Herve, Se li men ki Alèt la ! Hoho ! Pou jan dam sa-a
ap kraze Radio ak vwa li , A pa se yon ti Dam … Oho mwen sezi … M te konprann
se te yon jen ti fi wi .
Alors mes chers amis, c’est pour vous dire qu’avec sa voix, sa diction, son
intervention derrière le microphone de la Radio Classique Inter, Arlette était
remarquable, c’était une voix même à damner les saints… une voix du tonnerre,
une voix qui résonnait comme celle d’une femme de 20 ans.
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L'adolescente Arlette |
Par la suite,
j’ai introduit Arlette à Madame Maryse Nau, l’administratrice de la radio à qui
j’ai proposé de la faire animer une émission de chanson française le dimanche
matin, proposition que Maryse Nau avait acceptée volontiers.
Voilà ! Arlette a passé plus d’une décennie à apporter sa
contribution au rayonnement de Radio Classique Inter à informer, distraire les auditeurs du centre de la
Floride et de partout, puisque la Radio n’avait pas tardé à être aussi sur
l’internet. Arlette restera un patrimoine de la Radio Classique tandis que moi,
je partirai après plus de cinq ans en vue de me consacrer à l’écriture et à
d’autres activités personnelles.
Arlette était une personne très humble qui ne se vantait jamais. Pourtant,
c’était une dame remarquable ayant une faculté créatrice extraordinaire. C’était une tête bien pleine et bien faite, ayant une bonne maîtrise de la langue française… Je crois qu’Haïti a perdu une
potentialité humaine qui a dû s’exiler en terre étrangère en raison de
l’instabilité politique en Haïti qui n’a que trop duré. Le passage
d’Arlette à la Radio Classique en est un exemple vivant pour nous tous ;
c’est un passage marquant et ineffaçable.
Des fois on a pu entrevoir une parcelle de la belle personnalité d’Arlette.
L’un des plus beaux souvenirs que j’ai d’Arlette est le suivant : fraichement
venue d’Haïti, très enthousiaste lorsqu’elle nous a rejoints à l’émission,
avide de vouloir produire et dynamiser notre “talk show”, Arlette s’est consacrée
à la tâche de monter un feuilleton radiophonique à la radio. L’idée me
paraissait géniale et en l’espace d’une semaine, après qu’elle ait fini de
préparer le scénario, tout était déjà prêt pour le début : les
personnages, le studio qui était chez moi ; Sophiane sa fille qui
avait dix ans y faisait partie. C’était extraordinaire, nous avions
eu le temps d’enregistrer 4 épisodes de ce feuilleton que nous avons commencé à
diffuser sur la Radio Classique Inter. Malheureusement, cet élan s’est estompé et
n’a pas pu continuer en raison de l’absence de Sponsorship. En terre
étrangère, les Haïtiens regrettablement ne supportent pas les Haïtiens, c’est
notre plus grand problème dans la diaspora. Nous restons une communauté
disparate comparativement aux autres ethnies. Maintenir de telles
initiatives comme celles qu’avait commencées Arlette demandaient un emploi
de temps soutenu. Nous ne pouvions donc plus tenir vu que nous devions vaquer à
nos occupations et nos gagne-pain nécessaires à l’entretien de notre foyer.
L’autre regret que j’ai de son départ précipité est le fait qu’Arlette fut
une grande écrivaine ayant une bonne plume à laquelle nombre d’entre nous
n’avaient pas eu l’occasion de goûter. J’aurais bien aimé qu’elle nous laisse
un livre, parce qu’un écrivain n’est jamais mort, leurs œuvres restent toujours
vivants. C’est dommage que la maladie l’ait emporté si vite. Arlette avait
aussi collaboré avec Haïti Connexion Network et elle nous envoyait des
textes de temps en temps.
Arlette Caïdor s’était profondément engagée dans la communauté haïtienne
d’Orlando dans des actions qu’elle a pensées utiles, viables, soutenables,
productives pour le bien du prochain d’où elle trouve inspiration, satisfaction
et motivation en dépit des difficultés jonchant toute initiative d’envergure.
Elle n’a déçu personne avec ses idéaux de rayonnement et de bien-être. Elle ne
voulait pas changer le monde, en révolutionnaire, mais améliorer la vie de tous
et de chacun qui entrait dans sa vie.
À tout ce petit monde qu’elle a capté à travers Radio Classique — et
c’est ce qui est le plus extraordinaire— Arlette Caïdor a su transmettre son
caractère combatif, sa pugnacité, son envie de mordre la vie à pleines dents,
sa joie de vivre, et surtout son exemple toujours imité, jamais égalé, de par
la manière dont elle a su mener de front sa vie familiale, ses activités
sociales, sa carrière professionnelle, ses engagements associatifs, tout ceci,
avec un inépuisable amour pour les autres.
Après la mort
d'un être cher, nous sommes fragiles pendant plusieurs mois. Surtout si cette
personne tenait une large place dans notre quotidien. Les sentiments sont
mêlées, solitude, emploi du temps bouleversé, vide intime, perte de tous les
repères.
Quant à toi Sophiane, l’unique fille, aujourd’hui, tu fais face à une
épreuve difficile que tu devras surmonter en apprenant à vivre sans ta maman.
De tous ces douloureux moments surgira toutefois une
lueur; celle du réconfort. Ceux qui perdent des êtres chers ont besoin d’être
consolés. Ils ont besoin d’espoir et de réconfort. Les Écritures nous
disent ; « C’est pourquoi, exhortez-vous réciproquement, et
édifiez-vous les uns les autres, comme en réalité vous le faites » (1
Thessalonicien 5 : 11 ) l’espérance dans l’avenir existe. Vous pouvez
trouver réconfort et assurance. Alors, Sophiane ! tu dois rester motivée
en pensant plus intensément à l’avenir, et à la signification de la vie . Sois
attentive à la recommandation biblique qui nous demande de veiller
spirituellement.
Arlette, aujourd’hui, ce n’est pas un adieu que je t’adresse, non, car tu
resteras aux côtés de chacun de nous, là, juste à côté, comme un formidable
personnage, un exemple, que l’on ne cessera jamais d’aimer.
Arlette, tu es maintenant sur l'autre rive. Tu reposes dans la sérénité
comme tu l'as souvent appelé de tes vœux.
Nous resterons tous fiers de toi. Là où tu es nous te disons merci de
ton amour, de ton amitié et de ton exemple. Tu resteras toujours dans notre
esprit et nos cœurs.
Au nom du staff de Radio Classique Inter et au nom du Board members de la Radio avec qui Arlette avait
formé une seconde famille, je présente toutes mes sympathies à Sophiane, son
frère Daniel Caidor, sa sœur Michelle Caidor et aux autres parents et amis
affectés par ce deuil.
Que son âme repose en paix !!!
Par Herve Gilbert herve,gilbert@gmail.com