- https://mcdn.podbean.com/mf/web/5q79rm/Haiti-Dominicanie.mp3
- https://haiticonnexion.podbean.com/e/e63-deux-editoriaux-sur-la-crise-haitiano-dominicaine-francaisanglais-espagnol/
- https://www.podbean.com/eas/pb-e39bn-14ab3d7
HAITI CONNEXION CULTURE
HCC- Une trilogie de lettres destinée à élever la réflexion de nos lecteurs à son plus haut niveau. Au fil des rubriques de HCC, nous faisons de notre mieux pour gâter nos lecteurs avec des textes fouillés, bien équilibrés et soigneusement illustrés. HCC - Une érudition immense dans les domaines : « de la politique, de l'histoire, des religions, de la culture et des arts en général. »
Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte...
Monday, September 18, 2023
Deux Éditoriaux sur la crise haitiano-dominicaine (Francais, Anglais, Espagnil)
Sunday, September 17, 2023
Haïti, un État en déliquescence programmée
La nation est exténuée et la Dominicanie la nargue. Qui est surpris de ce scénario ? Toi, moi, lui ? Non ! personne ! Nul n’est étonné. C’était écrit dans le ciel. Avec ses exigences tonitruantes, avec le bruit des tambours de guerre, le voisin d’à côté veut nous imposer l’arrosage de nos terres avec nos larmes. Dans cette rivière qui demeure une cicatrice mémorielle, un nouveau chapitre s’écrit.
Hier, jeune et fougueux, le fier écolier, la tête altière, chantait les louanges des pères fondateurs. Il se voyait déjà et était prêt à défier n’importe qui et à offrir sa vie en holocauste pour sa patrie. Mais les années passent et les ardeurs se froissent. La vocation se fait hésitante, le tableau s’étiole, le voile tombe et la déception s’enracine. Sa terre natale est embrayée en marche arrière.
Rattrapé par l’obsédante réalité, il découvre l’horreur d’un peuple avec des mœurs d’une autre époque, comme au temps des flibustes où les vagabonds européens, des hommes de sac et de corde, sans aucun sens de la mesure, ne faisaient point de cadeau.
![]() |
54è Président de la Dominicanie |
Un gouvernement qui vend ses citoyens, ses forces vives, à Cuba, à la Dominicanie, à titre d’esclaves pour les travaux des champs, ne doit s’attendre à aucun respect de ses vis-à-vis, bénéficiaires de cette aubaine. Pour l’amour de l’argent, tu vends tes propres enfants, de quoi tu t’étonnes ? Quand le président Abinader déclare : j’exige le retrait immédiat de ce canal hors de la rivière Massacre, c’est un ordre sec d’un maître à un valet. Voilà le résultat de la gabegie, de la corruption, de la concussion et de la couardise. Ils récoltent les conséquences de leurs inconséquences.
Comme l’a soutenu le journaliste Lemoine Bonneau, un pays qui partage ta frontière devrait être contrôlé au plus haut point. C’est de la géostratégie élémentaire. Haïti se lave les mains, elle ne connaît rien de ce voisin rancunier qui est loin d’oublier le passé. Or, gouverner, c’est prévoir, selon la logique de la littérature politique. Pour nos dirigeants, administrer c’est voler. Point barre !
C’est là que le bât blesse. Toujours selon Bonneau, le voisin dominicain sait tout d’Haïti, jusqu’à la pointure des chaussures de chaque dirigeant. L’argent dérobé en Haïti passe en transit d’abord chez lui avant de prendre le large. Par conséquent, il peut faire chanter qui il veut en vociférant des ordres sans enfiler de gant blanc.
Comment se sentent ces Haïtiens qui ont pillé, ruiné Haïti pour investir en République Dominicaine ? Sincèrement, le sentiment de honte ne gêne pas un poil de leur narine. Ils s’y connaissent en humiliations et sont imperméables à la déception. D’ailleurs, devant l’impudence ou l’insolence des arrogants dominicains, ils n’auraient jamais dû se retrouver sur ce territoire où nos compatriotes croupissent dans les « Bateys ». Même quand ils sont riches à millions et habitent des châteaux, les Dominicains les voient déjà dans leur lorgnette et les déshabillent de l’autre côté de la bouche à propos de leur richesse providentielle.
Tout va de travers chez nous. La démographie galopante résultant de notre misère proverbiale asphyxie ce cher voisin qui ne se gêne nullement pour faire jouer la caméra en vue d’immortaliser notre humiliation en déportant nos frères exilés sans aucune forme de procès.
Et pourtant, dans un passé pas trop lointain, durant les années 1940 -1950, les statistiques glorifiaient Haïti comme le pays à imiter. Tout cela, est anecdotique. Personnellement, j’aurais honte de brandir ces chiffres qui soulignent simplement, aujourd’hui, notre incompétence crasse pour corroborer notre dégringolade en enfer. Alors que la connaissance évolue, nous vivons avec la douloureuse impression qu’on a fermé toutes les écoles de ce côté de l’île, tant notre cuisant échec défie l’analyse.
Au rythme où se déroule la ronde de l’humiliation, certains vont jusqu’à prédire une occupation d’Haïti par ce voisin insolent. Là encore, ces stratèges de salon ignorent la géopolitique et se trompent d’histoire.
Quelle raison, quel intérêt pousseraient Abinader à commettre un tel impair? Un idiot aurait posé ce geste gratuit, je n’en disconviens pas, mais un minimum d’intelligence suffirait pour démontrer à ce dernier qu’il n’a aucun avantage à doubler sa population, même pour un clin d’œil au passé. Ce serait une perte de temps. Le jeu ne vaut pas la chandelle. Mais la carte cachée de ce personnage semble miser sur la faim généralisée qui s’annoncerait pour ce pays dirigé par des gangs. Une fois la nation figée, il viendrait y recruter des esclaves volontaires pour le bonheur de son agriculture, de ses usines, de ses chantiers de construction. Et la boucle serait bouclée.
![]() |
Max Dorismond |
Note
1
– Bateys : C’est un campement où vivent des coupeurs de canne. On en
trouve à Cuba et en République Dominicaine.
Saturday, September 9, 2023
Secouer « l’inconscient collectif » pour déjouer la fatalité
Il arrive parfois à l’homme de rentrer dans la mémoire du temps pour être en contact avec lui-même aux fins de faire abstraction du présent, d’où le refus de la situation régnante, surtout si elle travaille au détriment de la collectivité. C’est ainsi que je perçois la vision du Dr Samuel Pierre dans l’entrevue qu’il a accordée à Wendell Théodore, de l’émission Le Point, le 7 septembre écoulé, dans laquelle, il brasse la cage pour réveiller une nation endormie, voguant sur des éléments déchaînés.
Devant les questions en cascade de l’animateur inquiet, comme le pays d’ailleurs, le docteur ne se fait pas prier et fournit ses réponses encapsulées qui font mouche à tout coup. Résumons-en quelques facettes !
L’excuse du gouvernement : Comme l’État a fait son mea culpa face à son impuissance à redresser la caravelle en appelant l’International à sa rescousse, le Professeur remercie gentiment ce dernier pour sa franchise, tout en évoquant les deux options suivantes: se renforcer par l'ajout de nouvelles compétences ou passer le flambeau aux plus capables.
Le public rêve en couleur : Devant le peuple ostracisé et médusé qui se conforte dans des spéculations farfelues, telles que les mines de cobalt trouvées à Carrefour-Feuille, pour se donner bonne conscience, Samuel reconnaît le droit du simple citoyen de s'illusionner, mais pas aux scientifiques, pas aux élites, qui devraient procéder avec méthode à la recherche de la vérité. Sinon, on se ferme la trappe !
Le crime organisé : Quand est venu le moment de parler de la sécurité, le scientifique ne se fait pas prier. Il maintient qu’elle est un bien collectif. Par négligence et par individualisme, nous avons laissé le terrain aux gangs de tout acabit qui se sont organisés. Pour lui, c’est sans équivoque, il n’existe aucune différence entre gangs à sapate et gangs à cravate. Ils sont tous les mêmes bandits. Les plus cyniques s’occupent de la politique et pillent la caisse pour se remplir les poches. Le pays demeure un terreau fertile pour les fieffés criminels du monde qui font tous voile vers Haïti. Les éléments sérieux, puisqu’il y en a, qui pouvaient modifier l’ordre des choses, se terrent et vivent comme des zombis.
Qui est Samuel Pierre : C’est un savant qui fuit la politique comme la peste. Très apprécié au niveau international, les universités du monde entier, les conseils d’administration de plusieurs entreprises de haute technologie, ne savent à quels saints s’adresser pour l’attirer. Il répond toujours : niet ! Jalousement, les gouvernements canadiens et québécois veillent au grain. Plusieurs médailles d’honneur et des prix méritoires lui ont été décernés en reconnaissance de services rendus. En référence, je vous invite à lire Wikipédia ou cet article publié sur Le Nouvelliste du 14 juillet 2009, ou sur Haïti Connexion Network, intitulé : Dr. Samuel Pierre, un savant canadien venu d'Haïti
L’interview : C’est un entretien qui met en évidence l’intelligence de notre scientifique. À part quelques rares congénères de l’intérieur qui possèdent le curriculum du pays à son égal, 95 % des candidats à la présidence n’ont pas le dixième de sa connaissance de la situation. Au contraire, tel un refrain de carnaval, plusieurs vont s’approprier sa démonstration pour meubler leur campagne électorale. Préparez vos magnétophones et vous m’en direz tant.
En fait, c’est une entrevue hors-série que je vous invite à écouter avec attention. Car le professeur cherche à nous extraire de cette torpeur qui ankylose nos méninges et nous porte à accepter sans rechigner ce mal incurable qui semble sans issue. Le pays se meurt à petit feu, mais Samuel demeure confiant et garde l’espoir d’une éventuelle rédemption.
Max Dorismond
Visionner l'entrevue dans toute son intégralité
Wednesday, September 6, 2023
Fenêtre ouverte sur nos artistes haïtiens par Hervé Gilbert
Sunday, September 3, 2023
Mise au point sur Lumane Casimir (Deuxième partie)
![]() |
Lumane Casimir l'impératrice du folklore haïtien |
Les
gens se précipitent alors chez eux, ajoute Renée, mais, à l’invitation du Dr Georges
Métellus, qui l’appelle Ti-Atis, elle se rend avec lui au Grand cimetière de
Port-au-Prince dans la « décapotable verte » de celui-ci. C’est là
que Lumane sera inhumée, juste à côté du grand caveau connu sous le nom de
« Tombeau universel ».
![]() |
Emerante Morse |
Renée Mirault parle ensuite avec enthousiasme
de la messe de prise de deuil chantée le lundi suivant au Théâtre de verdure,
alors dirigé par Joe Féquière. C’était après le coup d’État contre Fignolé,
sous la junte militaire dirigée par le général Kébreau. Parmi les personnalités
présentes, il y avait les anciens médecins traitants Augustin Mathurin, Hébert
Dallemand, Manès Liautaud, un docteur Élie, ainsi que des chanteuses connues
comme Ermite Lamothe, Andrée Contant, Madan Renaud, etc.
Curieusement, Renée ne mentionne jamais le nom d’Émerante dans son témoignage, de sorte qu’il faudra choisir entre ce silence, ou cette omission, et l’émouvant témoignage de l’autre. Il est pour le moins difficile de croire que les deux puissent avoir raison, l’une affirmant avoir assisté aux funérailles, l’autre qu’elles ont été gâchées par une pluie torrentielle et un déferlement des eaux du Bwadchèn.
Le son de cloche de Jean-Claude
Martineau
![]() |
Lumane Casimir sur scène |
Que la version véhiculée par cette chanson soit vraie ou fausse, elle a l’avantage d’être crue du public et d’être encore très demandée de nos jours. Invité à réagir aux propos de Renée Mirault, Jean-Claude Martineau a affirmé qu’il n’avait rien inventé et qu’il s’en tenait à sa version originale des faits. Comme par coïncidence, il est, comme on le dit pour Lumane, un natif de Plaisance, tandis que Carole est la nièce du grand tribun Castel Démesmin, qui a été un défenseur farouche de la pensée de Dumarsais Estimé et le dernier ministre de l’Intérieur de ce dernier.
Lumane Casimir chantant Panama m tonbe
La deuxième mort de Lumane
Au cours des 65 années écoulés depuis
ces funérailles diversement racontées, le silence, la confusion ainsi que
l’oubli, volontaire et collectif dans ce cas-ci, se sont associés à divers
types de comportements pour effacer des mémoires l’ascension vertigineuse de cette
vedette hors normes surgie de l’obscurité la plus dense du pays en dehors. Et,
du même coup, sa contribution à la promotion d’un important volet de la culture
populaire et de l’identité haïtiennes.
Il est à noter que, du vivant même de
Lumane, une chanteuse américaine de race blanche, Diane Adrian, qui fit plusieurs séjours en Haïti, avait
commencé à se tailler une réputation de
promotrice du folklore haïtien. Son
disque Caribbean Nights, qui ne contient que des chansons folkloriques haïtiennes,
et ses apparitions au Casino international de Port-au-Prince contribuèrent à
faire oublier Lumane dans certains milieux. La livraison du 14 octobre 1956 de Haiti
Sun, sur laquelle nous revenons plus
loin, contient un encart publicitaire annonçant, photo à l’appui, les tours de
chant de cette nouvelle venue.
Parmi les silences relatifs à la contribution de Lumane Casimir à la réussite des soirées culturelles du Bicentenaire, à la promotion du folklore et au boom consécutif du tourisme en Haïti, il y en a un qui est particulièrement curieux, celui de la veuve même du président Estimé. Dans le livre intitulé Dumarsais Estimé — Dialogues avec mes souvenirs, Lucienne H. Estimé a rendu hommage aux organisations et artistes qui ont contribué au succès du Bicentenaire, en reproduisant un compte rendu d’Haïti-Journal. Elle cite à cet effet : le Théâtre de verdure et son influent directeur Charles de Catalogne; la Troupe Folklorique nationale, la Philarmonique Duroseau, ainsi que Wanda Wiener, Lina Mathon Blanchet, Marian Anderson, Languichatte, Marcel Sylvain et Frantz Casséus. Un grand absent, le duo Lumane - Ti Roro qui fit les délices des habitués du Théâtre de verdure et remporta d’éclatants succès à l’étranger. Plutôt bizarre !
Outre
le handicap majeur de ses origines paysannes obscures, Lumane Casimir était
pénalisée par son faible niveau d’instruction, que Renée Mirault estimait à
celui du certificat d’études primaires. Pénalisée aussi par sa situation
d’unilingue créolophone projetée sans transition dans un milieu social encore
très attaché au français de France et aux règles d’une certaine bienséance européenne.
Jusque dans les écrits féministes les plus progressistes de l’époque, les
seules femmes retenues pour leur contribution à la promotion du folklore et du
vodou haïtiens étaient des étrangères et des bien nanties détentrices de
prestigieux titres de compétence.
Ainsi, l’avocate et docteure en sociologie
Madeleine Sylvain Bouchereau ne cite, dans son très intéressant livre Haïti et
ses femmes : une étude d’évolution culturelle parue en 1957, que des noms
de grandes bourgeoises très instruites, à savoir : Jacqueline Wiener,
Odette Roy Fombrun, Lina Mathon Blanchet, Jacqueline Scott, Carmen
Brouard, Micheline Laudun, Andrée Lescot, Émerante de Pradines. Une fois de
plus, Lumane n’aura pas survécu à une prestigieuse sélection des pionnières du
folklore haïtien.
En guise d’épilogue
![]() |
Lumane Casimir, une icône au destin tragique |
Curieusement, le journal local à avoir
accordé le plus d’attention au calvaire de Lumane était l’hebdomadaire de
langue anglaise Haiti Sun. Dans la seule édition 14 octobre 1956, il a
publié, sous la grande rubrique Helping Lumane Casimir, trois articles dont
l’un, signé de Félix Morisseau-Leroy, sur la croisade lancée par Antoine
Hérard. Cet article est d’autant plus important que son auteur était l’un des
militants les plus zélés de la littérature indigène et qu’il appartenait à un
courant politique différent de celui d’Antoine Hérard. L’un militait dans le
camp de Clément Jumelle, l’autre, dans celui de François Duvalier.
En faisant le grand voyage immédiatement
après le 25 mai 1957 et à la veille du coup d’État contre Daniel Fignolé,
Lumane Casimir est sortie de l’actualité sur la pointe des pieds. Son décès qui
aurait pu être, en dépit de la campagne électorale, l’occasion d’hommages
grandioses à sa gloire est passé comme un fait divers. Cette fille authentique
du « pays en dehors », cette "moun andeyò" entrée comme par effraction
dans l’histoire de la chanson populaire d’Haïti, en est ainsi sortie d’une façon
déplorable. Par la petite porte !
Aujourd’hui, les moins de 30 ans ne
savent absolument rien d’elle. Les moins de 50 ans ont vaguement entendu
le nom et connaissent peu de choses à son sujet. Quant aux octogénaires qui se
souviennent d’elle, ils sont divisés en deux camps irréconciliables :
celles et ceux qui sont convaincus que les fonds recueillis en son nom ont été
détournés et qu’elle est morte dans la pauvreté et les autres qui croient, avec
Renée Mirault, qu’elle n’a pas été abandonnée à son sort et qu’elle a été jusqu’au
bout entourée de soins et d’amis sincères.
Une autre anomalie à signaler. De même que
François Duvalier a traîné dans la boue le nom Marie-Jeanne Lamartinière quand
il l’a utilisé pour désigner les femmes du corps des Tonton Makout, le
gouvernement Martelly-Lamothe a profané la mémoire de Lumane Casimir en donnant
ce nom à un projet bidon de construction de 3 000 maisonnettes au
pied du Morne-à-Cabris. Seuls subsistent aujourd’hui le nom et la maquette de
ce projet qui a servi à détourner quelque 50 millions de dollars.
Manifestement, cette grande dame sortie des
entrailles de l’arrière-pays pour contribuer à l’affirmation et au rayonnement
du folklore haïtien ne méritait pas un tel destin. Elle n’a eu droit à aucun
souvenir officiel de son passage parmi nous : ni une sépulture honorable
coiffée d’un marbre calligraphié, ni un nom de rue ou une petite place
publique, ni une fontaine baptisée en son nom où les enfants du quartier
pourraient se désaltérer. Rien de tout cela. Il n’est toutefois pas trop tard
pour corriger ce manquement.
Illustration : Haïti Connexion Culture
![]() |
Eddy Cavé Auteur |
Mise au point sur Lumane Casimir (Première partie)
![]() |
Lumane Casimir Pionnière de la chanson folklorique haïtienne |
Par Eddy Cavé,
Ottawa, le 26 août 2023
Durant les recherches effectuées en vue de
la rédaction du livre Chanson engagée, sexisme et identité haïtienne, j’ai été
stupéfait par les omissions, erreurs, incohérences et contradictions relevées au
sujet de Lumane Casimir dans les documents consultés. Ne pouvant démêler seul
l’imbroglio dans lequel je me trouvais, j’ai fait appel à trois spécialistes
amis, l’économiste-historien Leslie Péan, le peintre et historien de l’art
Guerdy Préval, l’informaticien converti à la généalogie Jean-Édouard Stam.
Leurs lumières m’ont grandement aidé à clarifier les points qui me paraissaient
les plus obscurs. Pour l’instant, je me contente de faire le point sur les
sujets les plus controversés, réservant les détails pour le livre.
Date et lieu de naissance, état civil
et date du décès
N’ayant pas pu trouver jusqu’ici l’acte de
naissance ni le certificat de baptême de Lumane, je m’en tiens à deux sources très
fiables, même si elles concordent pas tout à fait sur une date : i) un article
très documenté publié dans l’édition du dimanche 4 novembre 1956 de
l’hebdomadaire de langue anglaise Haiti Sun, de Bernard Diederich, au sujet du
défilé d’artistes organisé le dimanche précédent au Théâtre de verdure au
profit de Lumane; ii) le certificat de mariage de Lumane avec un membre du
corps des Garde-Côtes répondant au nom de Jean Bart. On trouve aussi le nom
Léyis Jean-Bart dans divers documents.
L’article donne comme date de naissance de
Lumane le 14 octobre 1922, tandis que l’extrait de l’acte de mariage reproduit
dans le site informatique FamilySearch donne le 4 octobre de la même
année. Bien que cet écart de dix jours ne prête pas à conséquence, il vaut la
peine d’être mentionné. Ce document ne mentionne malheureusement pas le lieu de
la naissance, qui serait Plaisance pour bien des gens, le Cap-Haïtien ou les
Gonaïves pour d’autres. Cependant, il contient deux renseignements peu connus, le
vrai nom de la mariée et l’âge du mari, 19 ans.
Au regard du nom de la mariée, il est
écrit : « Elirose Casimir, dite Lumane Casimir ». Cela donne à
penser que Lumane serait un pseudonyme devenu son prénom usuel, ce qu’on n’a jamais
lu ni entendu ailleurs.
![]() |
Lumane et le Jazz des Jeunes |
La date du décès est toutefois l’élément le
plus important de la présente mise au point. Selon l’historiographe de
Port-au-Prince, Georges Corvington (tome 7 de Port-au-Prince au cours des ans, tome
VIII, page 214) Lumane est décédée au Sanatorium de cette ville en 1955, tandis
qu’Ed Rainer Sainvil, l’auteur de Tambours frappés, Haïtiens campés (pages 91,
92 et 93), donne comme lieu du décès l’Hôpital Deschapelles, près de Saint-Marc.
Le généalogiste a effectué ses recherches à partir de la date de la
soirée-bénéfice et il a trouvé que Lumane est décédée le 13 juin 1957. C’était
donc en plein dans la fièvre électorale de cette année-là, soit moins de deux
semaines après le début de guerre civile du 25 mai précédent et la veille du
coup d’État militaire contre Daniel Fignolé. Il n’est donc pas très surprenant
que ce décès soit tombé au second plan de l’actualité, mais il est curieux qu’il
n’ait pas laissé de traces dans les journaux.
Une misère atroce à Fò Senklè
Les témoignages abondent encore sur les
mauvais jours passés par Lumane durant sa traversée du désert dans son quartier
d’adoption de Fò Senklè. Le rythme infernal des tournées artistiques, la perte
de ses revenus, les privations de nourriture et la consommation d’alcool avaient
ruiné sa santé. De surcroît, son mari avait disparu du décor quand il se rendit
compte de l’ampleur du drame. Lumane sera d’abord hospitalisée à l’Hôpital
Général, puis au Sanatorium de Port-au-Prince, une fois établi un diagnostic de
tuberculose. Ne pouvant accepter le rigoureux régime d’isolement de cet
établissement, Lumane s’enfuit et se réfugie dans la clandestinité.
Le chroniqueur sportif de Radio
Port-au-Prince et futur maire de Port-au-Prince Antoine Rodolphe Hérard a
raconté qu’il sirotait un jour un rhum soda au bar du Rara Shop quand la
gérante, Mme Bareau, lui parla des déboires de Lumane et de la pauvreté extrême
dans laquelle elle croupissait. En fait, l’artiste avait disparu de la
circulation depuis un certain temps et personne ne savait où elle se trouvait. Cela
se passait au début d’octobre 1956. Le chroniqueur se rend sur les lieux, constate
par lui-même la gravité du cas et lance un appel désespéré à la population. Les
dons commencent à affluer le même jour.
Les premières contributions vont de 10
centimes à 5 gourdes. En une journée, les petites gens de tous âges apportent à
la radio des contributions qui totalisent 305 dollars haïtiens, soit 1525
gourdes. C’est l’équivalent de six mois de salaire d’un professeur débutant et la
moitié du prix d’une bonne voiture d’occasion. Les dons continuant d’affluer, Antoine
Hérard paie les nombreuses petites dettes de Lumane, lui achète ses médicaments
et prend soin d’elle. L’Hôpital Deschapelles accepte de la recevoir en
acceptant l’argument des circonstances particulières. On apprend dans un
premier temps qu’elle récupère, puis ce sera de nouveau le silence, suivi de la
nouvelle du décès.
Les plus récents témoignages écrits disponibles sont ceux du Haiti Sun des 14 octobre et 4 novembre 1956. Le lieu et les circonstances précises du décès ne sont toujours pas connus avec certitude.
Une chanson de Lumane Casimir
La gestion des fonds recueillis
Le pays n’ayant jamais pris l’habitude de
rendre des comptes par écrit, les organisateurs de la collecte choisirent de ne
pas publier de rapports écrits sur les entrées de fonds, préférant faire des comptes
rendus journaliers oraux. Ils annoncèrent tous les jours les noms des donateurs
et les montants reçus, ce qui est également très acceptable. Ces sommes étaient
versées au Fonds Lumane Casimir et étaient gérées par un comité créé à cette
fin.
À
en juger par le succès présumé de l’opération, les fonds recueillis auraient pu
servir à mettre Lumane à l’abri du besoin et à lui garantir une mort digne de
son passé de vedette nationale. Surtout après le défilé d’artistes du 28
octobre qui attira un millier de spectateurs au Théâtre de verdure. De
toute évidence, il y a eu au moins un déficit d’information, car la lumière n’a
jamais été faite sur la vie qu’a menée Lumane entre le moment où les dons ont
commencé à affluer et la date du décès. Le bruit courut à un moment donné qu’Antoine
Hérard avait démissionné du comité d’organisation en signe de protestation
contre de graves irrégularités. Dans la culture de l’oralité qu’est la nôtre,
les témoignages écrits sont généralement assez rares de sorte qu’il est souvent
très difficile de départager les avis contraires.
La triste vérité est qu’on ne connait avec
certitude ni le montant total recueilli, ni l’utilisation qui en a été faite,
ni les conditions dans lesquelles Lumane a fini ses jours.
Les funérailles
Un autre point obscur à clarifier est
celui des funérailles. Ici encore, il y a deux versions un peu contradictoires :
celle d’Émerante de Pradines, octogénaire jouissant d’une excellente réputation
dans le domaine artistique, et celle de Renée Mirault, ancienne chanteuse et
collègue de Lumane dans la Troupe folklorique nationale. Cette dernière a donné
en 2008 à l’ingénieur et animateur de Radio Méga Jacques Borges, de Boston, une
intéressante entrevue dans laquelle elle a longuement parlé des funérailles.
De son côté, Émerante de Pradines raconte, les larmes aux yeux, dans un témoignage pathétique qui ferait davantage autorité si les réalisateurs n’avaient pas situé le décès en 1955, au lieu de 1957 :
« Li mouri nan mizè. Li mouri Sou Ray. M
al nan antèman l. Mwen pote flè. Mwen fè ti sè m yo abiye yo, ale nan antèman,
mache devan Liman. Mwen santi m te dwe l sa… » (Elle est morte dans la
misère… Je suis allée à son enterrement, j’ai apporté des fleurs. J’ai demandé
à mes sœurs de se rendre aux obsèques et d’être en tête du cortège… Je lui
devais cela.)