Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Friday, July 20, 2018

Quand le peuple est utilisé comme un « punching-ball » …

Les rues de Port-au-Prince offraient un paysage de désolation après
les émeutes des 6 et 7 juillet 2018.                                                   


Par Max Dorismond 
 2016-10-27

… C’est l’explosion! En fait, aucun mot, aucune expression dans le dictionnaire n’est suffisant pour décrire l’atroce misère que partage la majorité, tandis que les nantis vivent dans une opulence dorée. Leurs richesses sont exposées sans vergogne avec une insolence crasse sans nul souci de blesser les faméliques d’à côté. L’argent mal acquis s’expose au vu et au su de tous. Et souvent, à l’aune de leur nez, ils maintiennent leur distance des damnés de la terre.

Pour sauver sa peau, avec l’espoir qu’un certain dieu puisse exaucer sa prière, l’électeur naïf a tenté de voter pour un de ses semblables lors des dernières élections. Ce fut peine perdue.  Il s’est trompé d’histoire. Ce ne fut qu’un mauvais rêve. Le frère élu, hélas, devenu riche à son tour, a changé de camp, le traite « d’égaré » et l’oublie presque, dans sa déchéance, au tréfonds de l’enfer. Pour comble de malheur, ce dernier ne se gêne point de l’étouffer avec des taxes sans commune mesure pour enrichir de plus en plus ses bourreaux, les parvenus qui l’humilient à longueur de jour.

À chaque minute, les profiteurs définissent la place des efflanqués sur l’échiquier de la société haïtienne. Les murs épais qui entourent leurs quartiers déterminent la frontière de la misère. La dernière humiliation en date demeure la venue du célèbre chanteur Charles Aznavour que deux générations d’Haïtiens avaient vénéré. En choisissant de le faire chanter dans les hauteurs, c’est annoncer au petit peuple que « la seule chose que nous pourrons partager avec vous : ce sont nos déchets que les alluvions vous apportent après l’orage ». 

À la dernière décision sur l’augmentation drastique du prix du carburant, ce fut la goutte qui fit exploser ce peuple de moutons, ce peuple résilient qui se laisse manger trop souvent la laine sur le dos. Il en avait assez de souffrir sans rouspéter. Ce fut le branle-bas général dans les jours du 6 au 8 juillet. Un coup de semonce qui ne laisse personne indifférent. Marco Rubio, le Sénateur américain, avait prévenu Haïti, en cas de vote favorable au Venezuela. On s’est servi du FMI (Fond Monétaire international) comme l’instrument de punition. Jovenel en a eu pour son abstention.

En effet, cette folle turbulence semble exposer tous les contentieux qui couvaient sous la marmite de l’île. Les vampires n’étaient pas plus unis qu’on le pensait. La division était consommée. Il a fallu ces 36 heures de disgrâce pour comprendre et saisir l’objectif premier des belligérants : le profit immédiat à tout prix et non le bien-être du peuple.

À prime abord, les descendants des « syro-libanais » ou les arabes, comme on les appelle, sont les premières victimes, pour avoir financé Jovenel. Ensuite on citait les « mulâtres » comme antagonistes et bénéficiaires du coup de théâtre, pour se venger.

En Haïti, ce n’est pas la couleur de votre peau qui vous attribue le titre de « mulâtre ». C’est surtout la grosseur de votre portefeuille, de votre business. Les Haïtiens pauvres à la peau claire héritent d’une autre dénomination. Ce sont des « Ti-rouge, Blanc Untel, Grimaud, Grimelle, Obamel1 pour Obama etc… ». Des Noirs riches,  hier « Pitit Sòyèt » ou en transition de classe, se croient ou se disent « mulâtres » aussi. « Wa pa kouzen yo ». Cherchez l’erreur. Vous comprendrez maintenant le rêve et l’objectif de certains qui pillent sans remords et sans regrets les caisses de l’État, pour atteindre le nirvana.

Il y a de quoi faire sourire ou pleurer, mais épluchons l’histoire pour voir d’où vient cette rivalité. Cette trilogie, « Syriens-Mulâtres-Noirs », n’anime pas le décor par le simple fait du hasard. Tous les opportunistes, depuis des lustres, ont surfé sur cette planche à des fins personnelles. Loin de moi l’idée de faire la morale à qui que ce soit. Je veux simplement rafraîchir certaines mémoires, aux fins d’éviter le piège collectif qui nous est tendu pour nous conduire une nouvelle fois vers notre perte. Car l’intelligence du prédateur ne chôme jamais. Elle ne fait qu’épier nos faiblesses pour s’introduire dans la faille béante et terminer son travail de sape pour parvenir à ses fins.

Toute l’histoire d’Haïti est teintée d’exemples de ce type, mais restons plus près de nous. Lors des élections de 1957, notre Baron-Samedi national, François Duvalier, avait joué la carte de la race, « Noir versus Mulâtre ». Où cela nous a-t-il mené? Nous connaissons trop bien la réponse! À tous ceux qui souffrent de « fixité émotive », les termes « mulâtres, levantins, syriens etc… » les réconfortent dans leur for intérieur.  Mais, je dois leur annoncer que le lanceur de titres est encore plus heureux quand son refrain se répercute en hymne national. Ces termes galvaudés, pour le plaisir de la chose, ont trop blessé le pays par le passé. Soyons plus sérieux et retrouvons simplement deux camps adverses de commerçants, toutes couleurs confondues, en train de se chamailler pendant que crêve le bon peuple.

En  1957, encore, Duvalier, dans ses discours, selon les historiens, pourfendait toute la classe possédante indistinctement dans son message au peuple, mais s’arrangeait pour la rencontrer, la nuit, en catimini chez la famille Deeb, des Syro-libanais, dans les hauteurs de Pétion-Ville, pour rassurer certains. Les autres bourgeois nationaux, à part quelques barons qui finançaient sa campagne, comme les Brandt, les Mews, les Madsen etc… seront décapités pour avoir fait alliance avec Louis Déjoie, l’autre candidat-vedette du moment. L’exil devenait leur seule planche de salut. De l’extérieur, pour retrouver les privilèges perdus, ils ont écoulé le temps à ronger leur frein et tenter sans succès de dégommer le petit médecin aux lunettes en écaille.

Associés à Duvalier, débarrassés des mulâtres, comment se sont comportés les Syro-libanais? Ils avaient le vent dans les voiles. Ils consolidèrent leurs positions. Ils se souvenaient encore de la loi du 13 août 1903, sous le gouvernement de Nord Alexis, qui appelait à leur expulsion du pays. Selon l’historien Charles Dupuis, (Coin de l’histoire, Tome V, page 251), « Des quinze à vingt mille dont on estimait leur nombre en 1903, il n’en restera tout au plus  que deux ou trois mille, au bout d’une décennie ».

Depuis lors, après avoir été suspectés dans plusieurs évènements, tels que l’explosion du Palais avec le Président Leconte le 8 août 1912, ou la pétition de 1921, invitant les américains  à rester plus longtemps dans le pays, ils se sont lancés à l’assaut du pouvoir, pour avoir la paix, en corrompant et finançant comme aujourd’hui, à tour de bras, tous ceux qui détiennent les clés du Palais National. C’est ainsi qu’on les retrouve à des postes-clé sous plusieurs gouvernements. Sous Lescot, Marc Nahoum fut préfet de Port-au-Prince. Il fut reconduit au même titre sous le gouvernement de P. E. Magloire. Duvalier, bénéficiaire de leurs largesses, choisira comme conseiller spécial Ludovic (Dodo) Nassar. Jean Deeb devint Maire de la capitale. Rudoph (Rudy) Baboun fut nommé Consul à New-York, puis à Miami, avant de finir à titre d’ambassadeur à Mexico. Le Dr Reindal Assad devint secrétaire d’État du Tourisme et, enfin, le Dr Carlo Boulos, accéda au titre de secrétaire d’État de la Santé publique et de la Population2.

Dr Réginald Boulos
En outre, comme les levantins le font, dans plusieurs pays de l’Amérique Latine ou dans les Antilles, ils visent d’occuper un jour la tête du pouvoir en Haïti. Ce jour n’est pas trop loin avec les mouvements de curseur de Réginald Boulos, propriétaire de médias haïtiens et grand investisseur devant l’Éternel. L’attaque sauvage de ses possessions, lors des échauffourées du 6 au 8 juillet dernier, n’est pas un accident de parcours, mais un message sibyllin des adversaires. Le petit peuple a été utilisé et armé en conséquence.  La route de Boulos sera semée d’embûches, mais les démarches enclenchées dans son environnement inquiètent. Bien que les Levantins d’Haïti soient des chrétiens maronites, et non des musulmans, la multiplication effarante des mosquées énerve, dérange et porte à confusion. Entretemps, ils s’organisent. Le lancement officiel en janvier 2014 du Centre haïtiano-arabe pour le développement, l’éducation et la culture (CHADEC) n’est pas passé inaperçu. Voir mon article: «L'islam Haïti et la dérive participative  ».

La lutte entre bourgeois nationaux et Levantins ne date pas d’hier. C’est une bataille de tous les instants.  Souvenons-nous de l’assassinat crapuleux d’Antoine Izméry. Aucun projet fédérateur et inclusif de ces deux groupes n’a vu le jour.  Les seuls gagnants furent les Duvalier et leurs acolytes. Les bourgeois profiteurs3  avaient procédé à la mise à sac du pays, en achetant, pour une bouchée de pain, les usines les plus rentables du pays, telles que, la Hasco, la Minoterie, le Ciment d’Haïti, L’Aciérie d’Haïti, l’Usine sucrière des Cayes, pour les  fermer et les convertir en entrepôts de produits importés.  Des milliers de travailleurs ont été relégués au chômage. Et la misère a hérité d’un nouveau nom à l’international : les Haïtiens.

Au profit de sa présidence à vie, en vue de créer une dynastie, tout a été orchestré par François Duvalier pour que la masse demeure ignorante, au point d’annihiler, chez elle, toute velléité politique. À titre d’exemple, fin 70, pour l’abêtir, le créole fut décrété langue officielle. Toutes les écoles devaient  s’atteler à la tâche. Tout le monde s’est mis au créole. On jubilait.

Mais, nous avions crié victoire trop vite. Nous n’avions pas prévu leur dessein. Près de 50 années se sont écoulées, aucun livre créole n’a jamais été édité, ni traduit, aucun programme national n’a été élaboré. Une génération de cancres heureux encombre déjà le décor. Or, s’il faut citer Daniel Pennac, dans son essai consacré à la lecture, « le livre déverrouille les portes de l’imaginaire… La lecture humanise l’homme et le rend un peu moins fauve ». Et ce qui devait arriver arriva. Leur erreur fut monumentale. Ils avaient poursuivi l’édification de leurs œuvres à la gloire de la bêtise humaine. L’inverse du plan a eu le dessus. L’ignorance s’est fait « chef ». Point-barre! Les articles « Ives » décorent le Parlement. Les « Jesus » animent les CASEC. Plus de mille partis politiques hantent le pays. Nul besoin de savoir lire. La nation fonctionne à l’oral. Si nous sommes devenus des fauves, l’un pour l’autre, nous connaissons présentement la cause.

Après le dégommage des Duvalier, d’autres, par la suite,  sont arrivés comme candidats, sans programmes, sans une once d’intelligence et ont surfé sur la même fallacieuse méthode pour accéder au pouvoir : la lutte des classes. « Les mulâtres », de retour de leur long exil, s’en souviennent et sont prêts à jouer le jeu du « pwenn fè pa ». Car, ils le savent très bien, une classe qui perd ses privilèges du jour au lendemain, est appelée à disparaître, si elle ne se les réapproprie pas dans un court laps de temps.  Ils connaissent la face et la force de leurs remplaçants et ne font pas de quartier.  Pour ce faire, ils commencent par contrôler le pouvoir, quitte à utiliser des analphabètes. Il faut barrer la route aux Levantins. Ainsi, à part Jean-Bertrand Aristide, tous les présidents qui sont entrés au palais après 1986 ne portaient qu’un unique prénom : Mario et nom de famille : Nette. Suivez mes yeux.

The punching_ball
En réalité, quand on regarde de plus près, ce n’est pas une affaire de bien-être des pauvres qu’on cherche à régler, mais un contentieux entre deux groupes de commerçants.  Le peuple, manipulé par les mafiosis, sous de faux prétextes, joue le rôle de punching_ball. Tantôt, il brûle les biens de A, tantôt ceux de Z. Il est devenu une girouette. On l’a affamé pour le manipuler à bouche que veux-tu. Pour quelques gourdes, il épouse la cause de X ou Y. Ce sont des révoltes à fermeture éclair où tous les coups et contrecoups sont permis. Haïti remboursera! Les perdants frottent leurs armes et gardent le silence pour le moment. Mais le prochain esclandre ne paie rien pour attendre.

En définitive, les étiquettes « Noirs-Mulâtres-Levantins » ne sont que des notes musicales destinées à monter un opéra comique aux fins d’abêtir le petit peuple pour engranger le plus de profits possibles dans le commerce, la politique et les magouilles innommables sur le dos des laissés pour compte. Ces titres ne sont point des marqueurs identitaires. Ils se révèlent être des leurres à faire danser les zombis, les naïfs, les obséquieux, les pédants etc... Nommez-en!

Étant donné la petitesse du marché d’Haïti, trop étroit pour tous ces bandits en col blanc, tout est conditionné pour enregistrer un nouveau Rwanda dans les Antilles. Attention, ce ne sera pas une guerre de classe ou de race, comme plusieurs en rêvent, mais une guerre entre mafiosis, dont le petit peuple miséreux fera les frais. Elle commencera le jour où un Levantin mettra personnellement la main sur le pouvoir et deviendra président. Car aucun mulâtre ne veut retourner sur les routes de l’exil où ses prédécesseurs en avaient bavé. Au fil des discours entendus, ce jour n’est pas trop éloigné. Et les Levantins sont loin de rêver en couleur.

Bonne chance, chère Haïti! J’ai déjà mes manteaux d’hiver.

Max Dorismond


Note – 1 : Voir la pièce de théâtre : « Les messieurs de ces dames » de Kako.
Note – 2 : Le Coin de l’histoire, Charles Dupuis. Tome V « La question syrienne ».
Note – 3 : Notons toutefois que ce ne sont pas les Levantins qui avaient démantelé ces usines.

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