Elisabeth Beton Delègue |
En fin de
mission, l’ambassadeur de France en Haïti, Elisabeth Beton Delègue ouvre ses
portes pour partager sa vision d’Haïti et de ses élites. Elle quitte le pays
avec des inquiétudes liées aux soulèvements du 6,7 et 8 juillet dernier. Madame
l’ambassadeur reste toutefois convaincue du potentiel haïtien pour
changer la donne.
Par: Ralph Thomassaint Joseph
Pendant votre mission vous avez rencontré des personnalités de différents secteurs. Quelles sont donc vos impressions de Haïti et de ses élites ?
Haïti est un
pays extraordinairement complexe qui ne se livre pas facilement. C’est un pays
très paradoxal où vous avez à la fois une immense vulnérabilité climatique et
une vulnérabilité de la population que je n’ai jamais vus dans ma vie de
diplomate. C’est un pays en même temps qui a beaucoup d’énergie, qui est dur,
en même temps humain, qui est parfois tellement inextricable dans ses
contradictions qu’on se dit que la pelote est trop nouée. En même temps, on
voit une capacité d’adaptation à une situation qui se dégrade depuis plus de
trente ans, alors que ce pays a des atouts : ses ressources humaines et sa
jeunesse, sa position géographique privilégiée, le fait de ne pas être sujette
à des conflits ethniques, le fait d’avoir une langue unificatrice et de ne pas
avoir d’ennemis. Je ne sais pas si parfois Haïti est vraiment conscient de tous
ces atouts.
Elisabeth Beton Delègue (Photo Ayibopost) |
C’est un vrai
sujet parce que ça renvoie aux difficultés d’une démocratie en construction. Et
ça renvoie aussi à des pratiques qui se sont installées au fil du temps,
peut-être même d’ailleurs au fil des siècles. Pratiques, où les intérêts
particuliers priment sur l’intérêt général. Je crois qu’il y a un énorme besoin
de vivre ensemble dans ce pays. Un vivre ensemble qui existait – la littérature
le raconte – et qui s’est délité à cause de plusieurs facteurs dont bien
évidemment la dégradation économique. Et puis cette précarité qui s’est
imposée… L’hégémonie du provisoire, comme dit un sociologue, empêche de voir au
delà et de sortir de stratégies de survie individuelle. Vous n’avez pas
d’institution électorale permanente depuis 1987.
Ce sont des
facteurs qui participent au désintérêt pour la démocratie. Je le répète, ce
n’est pas propre à Haïti. Je pense que cela s’est exacerbé en Haïti parce que
vous êtes un creuset de difficultés et de souffrances aussi pour une grande
part de la population. Une société fragmentée avec des clivages
socio-économiques, qui pour nous venant de pays comme le mien, sont réellement
bouleversants. Il y a une nécessité de trouver les voies pour vous reconstruire
et pour ça vous avez l’énergie : une jeunesse qui est en demande de
quelque chose qu’elle doit fabriquer. L’Etat ne peut pas tout faire. Il y
a un mythe ici de l’Etat providence alors que paradoxalement il a très peu de
moyens.
Et je pense de
tout ceci que vous arrivez peut-être à la fin de quelque chose. De la
démonstration que ce statu quo ne peut pas durer, qu’il faut changer quelque
chose et qu’il vous appartient de trouver les voies pour le changer. Mais vous
ne les trouverez que en vous rassemblant, par la discussion, par la création de
consensus minimaux sur certains sujets et par un projet de société. Ce n’est
pas du tout facile. C’est mon sentiment au bout de trois ans et demi parce que j’ai
rencontré partout des gens qui par leurs pratiques démontraient qu’ils étaient
en action. Ce pays est rempli de perles, il faut trouver le fil pour pouvoir
les mettre en collier.
Vous
avez travaillé avec trois président en trois ans, quels évènements vous ont le
plus marqués ?
C’est
évidemment le resserrement des relations politiques au niveau bilatéral. Six
semaines après mon arrivée, j’ai accueilli le président François Hollande pour
une première visite officielle d’un président français en Haïti. Monsieur
Sarkozy était venu brièvement au moment du séisme pour témoigner de la
solidarité française. J’ai participé en décembre à l’invitation du président
Jovenel Moïse par Emmanuel Macron. Je pense que c’est extrêmement satisfaisant
parce que cela prouve que nous avons été constant et nous continuons de l’être
dans notre amitié quels que soient les gouvernements.
Le ministre
des Affaires Etrangères est venu après Matthew en décembre 2016. Ce n’est pas
rien ces types de visites à haut niveau. Cela nous a complètement stimulé pour
la coopération et nous a donné un nouvel élan pour tourner la page
post-séisme : reconstruction, l’aide exceptionnelle etc. Et ça c’est très
important parce que, on a pu avec des partenaires, travailler sur des axes plus
consolidés et reprendre pied de façon solide dans le domaine de l’éducation où
nous avions une coopération qui a un peu fait le yo-yo dans les années
précédentes.
Pourquoi y a t-il si peu d’investissements français en
Haïti ?
Moi je vais vous retourner la question. Où voyez-vous de très
importants investissements autres que français en
Haïti ? Et où voyez-vous les investissements privés nationaux ? Si je
vous pose ces questions de manière provocatrice c’est parce qu’il y a un tout. Haïti
malheureusement reçoit très peu d’investissements privés étrangers. En 2017, la
société française Rubis a racheté Dinasa.
Il y a une
présence française peut-être trop discrète puisque nous avons recensé 46
entreprises qui travaillent ici à un titre ou à un autre. Pendant les trois ans
que j’ai passé ici j’ai vu RAZEL-BEC qui avait posé un pied sur la route
nationale numéro trois. J’ai vu arriver Bolloré, Vinci qui travaille sur
l’environnement et sur l’électricité. Ce sont de grands groupes internationaux.
J’ai vu aussi arriver des société beaucoup plus modestes, souvent des bureaux
d’études peut-être qui relèvent de la nouvelle économie liée au développement
durable, à l’énergie renouvelable, aux solutions de potabilité d’eau. Quand le
président Jovenel Moïse est allé à Paris en décembre dernier, je peux vous
assurer que la réunion qui a été organisée par le MEDEF a été très fréquentée
par les entreprises. Donc, il y a un intérêt pour Haïti. Il y a évidemment le
diagnostic qu’il y a beaucoup d’opportunités. Il est certain qu’un nouveau
mandat qui débute dans la stabilité institutionnelle est évidemment plus
porteur qu’une période d’instabilité de gestation électorale qui a été très
longue.
Les
entreprises ne sont pas des philanthropes. Une entreprise n’est pas une ONG. Il
faut qu’elle trouve sa rentabilité. Il faut qu’elle puisse convaincre ses
actionnaires, si elle en a. Donc on retourne toujours aux problèmes de base
pour tout investissement direct étranger en Haïti : stabilité politique,
sécurité juridique et règles de concurrence claires et transparentes.
A la
fin de votre mission, une crise agite Haïti avec les récents soulèvements. Avec
quels sentiments quittez vous le pays ?
Avec un peu
d’inquiétude justement parce que l’explosion a surpris par sa rapidité. Elle a
surpris aussi par sa violence. Je pense que c’était une alerte qui a appelé à
un traitement. Ce qui s’est passé est de nature à montrer qu’on ne peut pas
continuer comme avant. Il y a eu des troubles sérieux qu’il faut traiter comme
tels. Il était important de prendre ses responsabilités, de donner des signaux.
On voit que cette stabilité est très fragile et je dirais en même temps qu’il y
a de l’espoir, parce j’ai trouvé qu’il y a une prise de conscience des
différents corps organisés de la société qui ont eu à peu près le même message.
Un message qui est de tirer les enseignements de la crise, mais aussi de se
déclarer prêt pour une concertation large pour traiter les problèmes plus
profonds du pays.
Elisabet Beton Delègue
sur la coopération française en Haïti
Source: Ayibopost
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