J'ai regardé, plié, au bord de la
syncope, du gouffre. Elle était grande, noire, soyeuse et veloutée, mince, un
lasso – qui se penchait, se recourbait, et vers un seau s'accroupissait et
s'annulait, dans une écharpe de vapeur qui montait vers les cieux, tandis que
sa fine musculature roulait sous les bulles de savon.
Et quand j'ai vu jaillir ce cul,
ce chant – un cul puissant, ample, un cul hautain, cambré, ferme, un cul
volontaire, qui déferlait, claquait, semblant dominer le monde et surplomber
toutes choses, et qui s'ouvrait tel un immense gâteau au-dessus du ciel blanc,
je suis parti à la renverse, tremblotant, et j'ai bredouillé :
« Mon Dieu, pardonne-moi
parce que j'ai péché. »
Faut dire que je Le tutoie dans
ces cas-là. Mais le mal était fait. A tout jamais, là, inscrit, au plus
profond. Ce cul je l'ai vu et revu. Je me suis abîmé et ouvert les yeux dessus.
Cette puissance
que compriment les fesses
Et souvent, très souvent, je l'ai
croisé au lit, dans la rue. Impénétrable et toujours fascinant... cette voilure
au vent, cet éventail aux mille secrets, cette roue des dieux, sillon du monde,
Eden de soufre. Et ce qui m'a le plus marqué, c'est cette enivrante puissance
qui s'en dégage. Une architecture et une puissance que j'ai retrouvées chez les
chevaux. Oh merde, c'est beau les chevaux. Une barque sur une crête.
Et chez la femme, il y a toujours
ceci en filigrane, cette puissance que compriment les fesses, ce vide
renversant, ce désordre de commencement du monde. Enfin bref, le cul c'est tout
ça. Et cette première image m'est restée. Et ainsi. Et longtemps j'ai observé
les femmes, dans la rue, chez elles, à la terrasse, des heures, ailleurs et
ailleurs encore, toujours, de près, de loin, d'en haut, d'en bas, des femmes,
des filles, des jeunes, des moins jeunes, des belles, des pas belles, mais
toujours des culs, des culs... théorie de culs.
Et partout. Sur le sol, dans la
pierre, dans la boue, sur les vitres, sur le sable, les nuages, sur toutes les
surfaces, et les murs, ces angles de mur et ces parois de mur, qui soudain se
mettent à bouger, frémissent, se déploient, s'arrondissent, s'épanouissent,
comme l'air d'une diva, corolles immenses de ce pays kouschiste surgissant à
l'ombre des parasols comme ces monstres préhistoriques d'un lac victorien. Ces
culs qui se rassemblent sans se ressembler.
Chaque cul a sa personnalité, son
empreinte – et je m'y retrouvais, et je m'y reconnaissais. Je savais les
nommer, je savais les épouser, et les yeux fermés
Donnez-moi un
cul, je vous ouvre le monde
Un cul, ça parle, livre ouvert,
ça chante, même avec une tonne de vêtements. Les gens se cassent la tête à lire
les lignes de la main, du visage, du regard, alors que le plus bel oracle reste
le cul. Moi, vous me donnez un cul, et c'est pas de la frime, je vous ouvre le
monde. C'est tellement riche... et puis c'est profond, c'est rien de le dire,
plusieurs vies n'y suffiraient pas.
Tenez, il y a deux ou trois ans,
je me sentais soulagé, dégagé de cette obsession, de cet intérêt pour le cul,
je croyais en avoir fait le tour, plus rien à tirer et de ce côté, avoir
dépassé le niveau, tu parles ! Au moment où je commençais à en causer avec
un air supérieur, avec une sorte de détachement nostalgique, ça m'est revenu
comme un boomerang, avec une nouvelle charge de batteries vides.
Comme quoi, je n'en étais
toujours qu'au seuil, aux balbutiements. Oui. Faut savoir être humble. J'ai
compris la leçon. Je me suis donc remis à observer les femmes, les culs.
La réponse à la
Question
J'adore observer les femmes. Je
les aime, pourquoi m'en cacher ? Faut dire qu'elles m'intriguent, et
au-delà d'elles-mêmes. Je suis persuadé qu'elles possèdent la réponse sans le
savoir. Je veux dire que la réponse à la Question se situe et ne peut que se
trouver là, dans cette faille, dans cet écart, dans ce tourbillon, ce
mouvement, ce bain des couleurs, ce télescopage des droites, des courbes et des
replis. Yes.
Alors je les observe. Je prends
con-naissance. Car tout est dans le « con ». Et de loin. De près, je
ne peux pas, je m'y perds, je vois rien, elles me brouillent les idées. Alors
je me plante à la terrasse, à ma fenêtre, je les regarde passer, marcher,
évoluer, parler, discuter, que se disent-elles, mais que se disent-elles donc,
ont-elles conscience de leur cul, de cette puissance, parlent-elles de leur
cul ? Tout cela je pourrais le savoir. Je le sais, mais je ne veux pas, je
ne veux pas les comprendre. Je les comprends mais je ne veux pas. Car ce que je
comprends me prive de l'essentiel, c'est rase-mottes, petit niveau, c'est limitatif,
ça me borne.
Non, je vais plus loin, je me
relâche, c'est-à-dire que j'écoute, je m'ouvre, je crée, je m'imbibe, je me
laisse traverser, chas, submerger, transparence, car tout est là, dans le fond.
Le prélude à
l'au-delà
Alors je les observe, tous ces culs...
qui bougent, attisent, respirent, transpirent, et moi en retour je les respire,
je les hume, à foin, narines palpitantes. De près, de loin. De loin elles
ajoutent à ma réflexion, à mes pensées ; de près elles me frisent les sens
et l'émotion. Je ne sais plus. Mais d'une façon ou d'une autre je les aime. A
crever. Me rendent malade de désir.
A cause du cul. Mais pas obligé
de fourrer ses doigts dessus. Un cul ça se tient, et tout seul. Ça se comprend,
à la folie. Ça se refuse, beaucoup. Mais c'est tout simple – pour qui sait
embrasser le réel : c'est le prélude à l'au-delà. Pas au sens chrétien,
tégué, nein. Non, l'au-delà, l'autre côté, l'autre côté du mur, de la
frontière, le « no man's land ».
Pas pour rien que les mythes, les
religions et autres écritures de la peur ont cloué et continuent à clouer la
femme et le cul au pilori. Car, à travers le cul, la femme porte d'une manière
probante la trace du vide, du trou noir, l'élan vers la liberté, vers la nuit
des origines, vers cet incompréhensible, cet éternel inconnu, source de toute
angoisse et de l'effroi archaïque.
Ultime bastion
contre l'impérialisme identitaire
Mémoire d'outre-tombe, empreinte
du « diable », le cul est naturellement devenu une figure de
l'altérité, de l'insoumission, du désordre, mais aussi de l'abandon, de la
délivrance et de la créativité. Et rebelle il l'est.
Le cul, c'est l'ultime bastion
contre l'impérialisme identitaire ; c'est l'Autre, c'est la différence
contre la sacro-sainte identification, cette identification qui s'empare de
l'homme dès sa naissance, cette identification rebattue jusqu'à la
transparence, la mort ; cette identification dont la principale vertu est
de reconnaître, de limiter, d'emballer, d'amputer, de classer, d'exclure, de
laminer, d'anéantir... mon double, mon semblable, mon même, le même, le même...
rouleau compresseur.
Mais le cul, c'est l'antimiroir.
Contre le vulgaire, la raison et la purée identitaires. Et si le cul a bercé
toutes les âmes, la mienne y compris, et choyé celle du joueur, du poète et de
l'artiste, et celle de l'aventurier, du fou et de l'enfant, il a sûrement
renâclé devant celle du dictateur et de l'aveugle.
Me promenant hier matin, j'ai
croisé une jeune fille dans la rue. J'ai naturellement regardé son cul. Une
femme plus âgée a attiré mon attention de l'autre côté. J'ai fait de même.
Troublé, je me suis retourné et
j'ai compris : la jeune fille a traversé la rue et a rejoint la
femme ; elles se sont donné la main. C'était la mère et la fille. Puis le
père, la mère et la fille. Puis la mère la fille et la mère la fille et la mère
la fille et la mère... De tout temps. Des vagues.
Une vidéo
insolite d'une femme qui bouge ses fesses
Les muscles du cul sont très actifs et puissants...