Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Thursday, February 20, 2025

Frankétienne, le mapou de la culture haïtienne s’éteint

Frankétienne
12 mars 1936 - 20 février 2025

Par Hervé Gilbert

Haïti et ses fils de tous horizons pleurent aujourd’hui la disparition de l’un de ses plus illustres penseurs, Frankétienne. Véritable mapou de la culture nationale et figure incontournable de la littérature haïtienne, il s’est éteint ce 20 février 2025 à l’âge de 88 ans, laissant en héritage une œuvre d’une richesse inestimable.

Né Jean-Pierre Basilic Dantor Franck Étienne d'Argent le 12 avril 1936 à Ravine-Sèche, il s'est imposé comme une référence majeure, explorant avec brio les domaines de l’enseignement, de la poésie, du roman, du théâtre, de la peinture et de la musique. Frankétienne était bien plus qu'un écrivain : il était une conscience nationale, un phare de la pensée critique et un défenseur infatigable de la langue créole.

Fondateur du spiralisme aux côtés de Jean-Claude Fignolé et René Philoctète, il a révolutionné la littérature haïtienne par une écriture polyphonique, déconstruite et dynamique, capturant ainsi les tourments et les résiliences du peuple haïtien. Son chef-d'œuvre Dézafi (1975), premier roman entièrement écrit en créole, demeure une pierre angulaire de la littérature caribéenne. Cette œuvre, qui dépeint l'oppression et la quête de liberté au sein d'une plantation dominée par le zombisme, résonne comme une métaphore puissante de l'histoire haïtienne.

Le théâtre de Frankétienne, notamment avec Pèlin-Tèt (1975) et Troufobon (1979), dénonce avec audace les absurdités du pouvoir durant la dictature des Duvalier et les contradictions sociopolitiques du pays. Sa créativité dépassait le cadre de l'écriture : en tant que peintre, il traduisait le chaos et les espoirs de son peuple à travers une palette de couleurs vibrantes et tourmentées.

Largement reconnu sur la scène internationale, il a été nommé Artiste de l'UNESCO pour la paix en 2010 et a figuré parmi les candidats potentiels au prix Nobel de littérature. Son influence dépasse les frontières haïtiennes, inspirant toute une génération d'écrivains, de penseurs et d'artistes.

Malgré l’instabilité chronique de son pays, Frankétienne a fait le choix de demeurer en Haïti jusqu’à son dernier souffle, affirmant ainsi son attachement inébranlable à sa terre natale.

Bien que fils d’un étranger de passage en Haïti ayant courtisé sa mère, Frankétienne incarnait, mieux que quiconque, l’essence même de l’identité haïtienne. Sa profonde empathie pour son peuple et son engagement envers sa terre natale faisaient de lui une figure unique, un homme dont l'humanité transparaissait aussi bien dans son œuvre que dans sa vie quotidienne.

Avec la disparition de Frankétienne, Haïti ne pleure pas seulement la disparition d’un arbre sacré et emblématique de sa culture, mais l’éclipse d’une étoile qui éclairait ses nuits les plus sombres. Visionnaire, il était l’écho d’un peuple en quête de renouveau, le gardien d’une mémoire palpitante, suspendue entre le chaos et la beauté. Pourtant, son souffle demeure, suspendu entre les lignes de ses mots, vibrant dans les silences du temps. Son œuvre, telle une source intarissable, continue de murmurer à l’oreille du temps. Mais qui désormais saura en capter l’écho et en raviver la flamme, avant qu’elle ne vacille dans l’oubli. 

HCC exprime ses plus sincères condoléances à la famille de Frankétienne. Que son âme repose en paix et que nous trouvions tous réconfort et force dans l'amour et les beaux souvenirs qu'il nous a légués à travers ses œuvres."

Hervé Gilbert






Voix de Frankétienne dans Foukifoura, un monologue théâtral publié en 2000

3 comments:

  1. Hervé, je te remercie chaleureusement pour ton vibrant hommage à Frankétienne, ce maître des mots et de l'imaginaire, dont l'empreinte demeure suspendue entre les lignes de ses écrits et les silences du temps. Ses œuvres, intarissables sources de savoir et de poésie, continueront toujours de murmurer à l’oreille du monde, défiant l'oubli.Bonne traversée, Professeur !🙏🏻🙏🏻🙏🏻

    ReplyDelete
  2. Élégie pour DANTOR

    Rentre dans ta Spirale, FRANK
    En te frottant aux quatre énergies
    Pour offrir aux loas leur libation
    Et secouer les Guedes somnolents
    Te voilà limininale,Âme d’airain
    Frappant le gond sur les pas d’Ogun
    Mets ton karabela d’initié,prends ta cruche
    Avant d’entrer dans le tunnel fluorescent
    L’Assotor dans les lakous te salue
    Le Lambi a travers Monts ,aux enfants
    Montre ta barbe de griot et ton poing levé
    Dis a Rene que 30 ans après lui
    Philoctete n’est pas encore revenu
    L’écriture agonise et la parole se prostitue
    Sèche les larmes de Gasner Raymond indigné
    Dis a Fignolé qu ’Abricots a perdu ses trois croix
    Que le Nordé est quotidien,violent ,sanguinolent
    Répands ton odeur de Basilic sur notre Haïti
    Que ton fil d’Argent soude la vie de demain
    Traverse avec fracas et remonte a TWA MAMEL
    Deviens Mapou pour cultiver le Sacré
    Dominer la terre et offrir ton ombre un asile
    Un reposoir pour les Exiles dès ghettos
    Fils et filles de territoire perdu
    De Dezafi en Katchouboumbe nou pedi chimin
    Parle aux esprits Chevalier l’obscur et le malin
    Seront chasses par Têt Gridap,demande leur
    De venir chasser la vermine et la violence
    Va,FRANK,les canons aux quatre coins
    De nos forts tonnent en ton honneur
    Un cortège de Malfinis suit ton envol
    Dans notre désert peuplé de zombies
    Tu as plante du sel,de la clarté et des paillettes
    Dans la pensée de nouveaux Firmins
    Va , la route est longue ,jette tes semences
    Non ,non ne t’occupe pas des loas,Reviens
    Dans la Spirale Kase Têt Tounen

    Janin Leonidas

    ReplyDelete
    Replies
    1. Janin, tu signes une élégie d’une rare intensité, un vibrant chant d’adieu à Frankétienne, dont l’ombre titanesque plane encore sur la littérature haïtienne. Plus qu’un hommage funèbre, ce poème est une convocation mystique, un rituel où se croisent esprits, ancêtres et forces telluriques. Frankétienne y apparaît comme un passeur entre les mondes, un initié prêt à rejoindre les grandes âmes—Philoctète, Gasner Raymond, Fignolé—tout en portant la mémoire des combats inachevés d’Haïti. La langue est incantatoire, rythmée par des images puissantes : le Lambi résonne, la terre saigne sous un Nordé impitoyable, mais le poète sème lumière et clarté rebelle.Léonidas ne le scelle pas dans l’au-delà. Il l’appelle à briser le cycle et à renaître dans la Spirale Kase Tèt Tounen, transformant l’élégie en un acte de résistance poétique. Frankétienne ne disparaît pas, il devient Mapou, un repère pour Haïti en quête de son chemin.Ainsi, Élégie pour Dantor est bien plus qu’un adieu. C’est un appel, un envoûtement, une flamme qui refuse de s’éteindre. Bon bagay, Janin! 🙏🏻🙏🏻🙏🏻HG

      Delete