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Sunday, October 10, 2021

A la Mémoire des Victimes des Vêpres Dominicaines du 3 au 15 octobre 1937

Le survivant Gilbert Jean, 97 ans, se rappelle des souvenirs douloureux       
 de Parsley massacre.                                                                                               


Par:Louis J Auguste, MD, MPH

Le 3 octobre 2021 ramena le 84e anniversaire du massacre des Haïtiens sur la frontière haïtiano-dominicaine par l’armée dominicaine, sous les ordres du dictateur Rafael Leonidas Trujillo. En deux semaines, entre 15 et 30,000 Haïtiens, selon les sources, furent décapités, pendus ou tués par balles, pendant que des milliers d’autres s’échappaient avec des blessures sévères ou ont dû s'enfuir laissant tout ce qu’ils avaient accumulé au fruit de leur labeur. Je me demande qui pensera aux victimes de ce triste événement connu sous le nom de « Vêpres dominicaines. » Combien de nos quotidiens ou hebdomadaires, combien de nos animateurs d’émissions radiodiffusées ou télévisées rappelleront à la nation le sort de ces malheureux concitoyens ? Combien de nous aurons une petite pensée à leur mémoire ?

Beaucoup de nos concitoyens y verront l’opportunité de blâmer l’incompétence et l’incurie de nos leaders politiques. Certes, je ne saurais ne pas le reconnaître. Cependant, l’origine de ce conflit ne peut échoir uniquement sur les épaules des Haïtiens. Il faut remonter à 1697 quand à la signature du Traité de Ryswick, l’Espagne concéda à la France le tiers occidental de l’île de Saint-Domingue ou Hispaniola. La ligne tracée lors devait définir les limites orientales de la république haïtienne créée en 1804.

Cependant, cette frontière, au cours de plus de trois cents ans d’existence a été modifiée plus d’une fois, non seulement officiellement, mais aussi de facto, en fonction des conflits militaires dont les deux pays ont été la scène, quand par exemple, Toussaint Louverture s’est battu à tour de rôle sous le pavillon français, puis espagnol et enfin de compte encore sous le pavillon français, réarrangeant à plusieurs reprises le territoire contrôlé par les Français. Finalement, la population des zones frontalières, à l’instar de la population de l’Alsace et de la Lorraine entre la France et l’Allemagne devait voir encore changer leur nationalité quand Boyer à l’invitation des Dominicains eux-mêmes prit possession de toute l’île, jusqu'à l’expulsion des armées haïtiennes sous le gouvernement de Faustin Soulouque.

Peu informés et à la fois peu soucieux des changements incessants dans les deux capitales qui se partagent l’hégémonie de l’Ile, les habitants de la zone frontalière s’accrochaient à leur lopin de terre qu’ils avaient occupé depuis déjà plusieurs siècles.

Les deux premières décennies du XX ème siècle virent l’occupation des deux pays voisins par les États-Unis d’Amérique. Au terme de cette double occupation, le Président Calvin Coolidge exhorta les deux nations à résoudre leur dispute frontalière. En grande partie, le tracé de 1697 fut accepté avec la différence que Haïti devait céder une bande de terre au nord et la Dominicaine une bande au sud pour la construction d’une autoroute frontalière. Ainsi des centaines de familles haïtiennes se trouvaient tout d’un coup sur le territoire dominicain, sans qu’aucun dédommagement ne leur fût versé et apparemment sans qu’aucun émissaire du gouvernement se soit soucié de les informer de leur nouvelle nationalité. En fin de compte, avec la disparition des aînés et l’arrivée des nouvelles générations intégrées par la langue, les coutumes et le système d’éducation, le problème aurait pu se résoudre spontanément et à la longue.

Cependant, c’était sans compter avec le facteur de race. Car les Dominicains ne voulaient absolument pas de ces paysans haïtiens en majorité peu métissés et donc de complexion noire. En effet, alors que les Haïtiens de par la Constitution de 1805 se décrétaient une nation noire et offraient la nationalité haïtienne à tout individu d’origine africaine, les Dominicains ont toujours renoncé à la contribution africaine de leur héritage. Le dictateur Trujillo lui-même partiellement d’origine haïtienne de par sa grand-mère honnissait le simple fait d’y penser. Il gardait soigneusement parmi ses articles de toilettes un coffret de maquillage qui lui permettait de faire pâlir son teint.

Ce monument près de la frontière dans la ville de Capotillo
marque le début de cette guerre.                                            

Durant les préambules de la Deuxième guerre mondiale, il s’empressa d’inviter les juifs persécutés en Europe à trouver asile chez lui, avec l’idée que cet apport de sang caucasien pourrait aider à blanchir davantage la population dominicaine.

Le troisième volet du triptyque est d’ordre économique. Pendant l’occupation américaine, les industriels américains investirent beaucoup plus dans l’économie dominicaine qu’ils ne firent en Haïti.

Sans doute, il y a eu la HASCO, mais ils construisirent plusieurs usines sucrières notamment dans la région de la Samana. Pour se procurer une main d’œuvre à bon marché, ils sollicitèrent l’envoi de paysans haïtiens dans l’autre partie de l’île. A ce moment-là, l’industrie sucrière prospérait et les industriels dominicains virent l’occasion d’exploiter la main d’œuvre haïtienne aussi à leur profit.

Cependant, c’était sans compter avec la chute de la bourse de New York en 1929. Le prix de la livre de sucre tomba vertigineusement et désormais cette main d’œuvre devait rivaliser avec les ouvriers dominicains pour les emplois. Maintenant, les Haïtiens au lieu de représenter une occasion pour les Dominicains de s’enrichir devenait un problème. En fait, depuis lors, nous voyons dans les discours des officiels dominicains une nouvelle expression. Le problème haïtien ! Il faut résoudre le problème haïtien.

Quelle occasion pour n’importe quel politicien convoitant un poste de gouvernement de gagner des votes ! Trujillo toujours en quête de se faire accepter de la bourgeoisie dominicaine y vit l’opportunité d’asseoir sa popularité. Prétextant que les Haïtiens sur la frontière volaient le bétail des rancheros dominicains, il décida tout comme son idole le Führer allemand allait faire des juifs, de mettre fin au problème haïtien. Pendant l’été de 1937, il entama une campagne de démonisation des Haïtiens et mit sur place un plan sordide pour maximiser les pertes de vie haïtiennes, tout en donnant le change et prétendant que c’était une réaction spontanée de la paysannerie dominicaine. Les soldats chargés de ce travail reçurent des instructions strictes d’éviter d’utiliser leurs armes à feu ou leurs baïonnettes et de couper les têtes de préférence à la machette. Les premières têtes commencèrent à rouler le 3 octobre 1937. Bien sûr, les masses dominicaines participèrent et comme des hordes de loups assoiffés de sang, ils poursuivirent les Haïtiens partout où ils se réfugièrent. La petite histoire nous dit que le test de nationalité consistait simplement à demander à un individu de prononcer le mot espagnol « perejil » qui veut dire persil. Si l’individu n’était pas à même de rouler le « r » comme un Dominicain, la peine de mort lui était octroyée ipso facto. En fait, le massacre atteint une dimension bien au-delà de la nationalité.

Rafael Trujillo, l'un des dictateurs les
plus sanglants des Amériques.              

Le dictateur voulait purger son pays du sang noir, et de nombreux Dominicains de couleur noir furent exterminés aussi. Il n’était même pas question de les renvoyer en Haïti, puisque ceux qui s’enfuyaient vers la frontière étaient fauchés par les balles des soldats dominicains, encore même qu’ils essayaient  de franchir la rivière du Massacre, qui entre parenthèses tient son nom d’un autre massacre, au temps de la colonisation. Les horreurs de ces deux semaines ont été bien capturées dans le roman de l’écrivain haïtien Edwige Danticat intitulé « The Farming of Bones. » Dans la préparation de ce roman, Mme Danticat passa plusieurs semaines sur la frontière haitiano-dominicaine a interviewer les survivants de cet enfer. Leurs témoignages lui ont permis de reconstruire les péripéties vécues par nos compatriotes. Elle met le récit suivant dans la bouche d’un de ses personnages : « … Now the others circled Yves and me… (We) were lifted by a mattress of hands and carried along next to Tibon’s body… The young toughs waved parsley sprigs in front of our faces.

- Tell us what this is, one said. Que diga perejil !

… Yves and I were shoved down onto our knees. Our jaws were pried open and parsley stuffed into our mouths. My eyes watering, I chewed and swallowed as quickly as I could, but not nearly as fast as they were forcing the handfuls into my mouth…

Yves fell headfirst, coughing and choking. His face was buried in a puddle of green spew. He was not moving… A few more people were lined up next to us to have handfuls of parsley stuffed down their throats… I coughed and sprayed the chewed parsley on the ground, feeling a foot-pound on the middle of my back. Someone threw a fist-sized rock, which bruised my lip and my left cheek… A sharp blow to my side nearly stopped my breath. The pain was like a stab from a knife or an ice pick… Rolling myself into a ball, I tried to get away, from the worst of the kicking horde. I screamed, thinking that I was going to die… What was the use of fighting? »

Traduction non-officielle: « …Maintenant, les autres nous entouraient, Yves et moi… Nous fumes soulevés par un matelas fait de mains humaines pour être déposés à côté du corps inanimé de Tibon… Les petits vagabonds agitaient devant nous des branches de persil en répétant:

- Dites-nous comment cela s’appelle! Dites « perejil! » Yves et moi fumes jetés sur nos genoux. Ils nous forcèrent à ouvrir grandes nos mâchoires et les remplirent de persil. Les larmes aux yeux, je me mis à mâcher et à avaler aussi vite que je pouvais, mais je n’arrivais pas au rythme qu’ils forçaient le persil dans ma bouche.

.. Yves toussant sans arrêt et à demi asphyxié tomba la face contre terre, atterrissant dans sa vomissure verdâtre… Il ne bougeait plus… Ils alignèrent d’autres Haïtiens à nos côtés pour continuer à leur fourrer des poignées de persil dans la gorge… Je me mis à tousser à mon tour et expulsai en un jet le persil mâché, au même moment que je recevais un coup de pied au milieu de mon dos. Quelqu’un lança contre moi une pierre aussi grosse qu’un poing qui m’attrapa aux lèvres et à la joue gauche.. Un coup sec aux côtes me coupa presque le souffle. La douleur était comme celle d’un coup de couteau ou d’un pic à glace. Me pliant en boule, j’essayai de m’éloigner de ceux qui frappaient le plus dur. Je hurlai, pensant que j’allais mourir… A quoi servait-il de se battre ? »

Un autre incident décrit par Danticat dans son roman vaut bien d’être reproduit ici :

« I am coming back, he said, from buying charcoal outside the mill where I work, when two soldiers take me and put me on a truck full of people. The people who fight before going on the truck, they whip them with bayonets until they consent. After we’re all on the truck, some of us half dead, not knowing whose blood is whose, they take us to a high cliff over the rough seas in La Romana. They make us stand in groups of six at the edge of the cliff, then it’s either jump or go against a wall of soldiers with bayonets pointed at you and some civilians waiting in a circle with machetes… Then they come back to the truck to get more. They have six jumps over the cliff, then another six, then another six… Last they come for me… When I jump off the cliff, Tibon continued, I tell myself not to be afraid… I tell myself, today you are a bird… It’s a long way from the cliff to the sea… I fall and fall, passing the rocks where many of the bodies land on the way down. And then me, I fall in the water… When I look at the beach, there are peasants waiting with their machetes for us to come out of the water, some even wading in to look for the spots on the necks, where it’s best to strike with machetes to cut off heads… »

Traduction non officielle: « Comme je revenais au moulin où je travaillais, après avoir acheté du charbon au dehors, deux soldats se saisirent de moi et me jetèrent sur un camion qui était déjà rempli de monde. Ceux qui avaient résisté avant de monter sur le camion, ils les avaient battus à la baïonnette.

Nous étions tous dans le camion, certains presque morts. Le sang était partout sans que nous sachions de qui il provenait. Ils nous emmenèrent au bord d’une grande falaise dominant la mer agitée de la Romana.

 Vue  partielle des cadavres  lors du massacre 

Ils nous alignèrent par groupes de six devant la falaise. On devait ou bien sauter du haut de la falaise ou bien faire face à une rangée de soldats avec leurs baïonnettes pointées dans notre direction et quelques civils à l’attente avec leurs machettes. Ils les firent sauter par groupe de six, puis un autre groupe de six, puis un autre groupe de six…Finalement, c’était mon tour. Je me dis qu’aujourd’hui, j’étais un oiseau et que je ne devais pas avoir peur. Il y avait une longue distance du haut de la falaise au niveau de l’eau. La chute sembla interminable et comme je tombais, je vis les cadavres empilés sur les rochers ou accrochés à la montagne. Et moi, j’atterris dans la mer…

Quand je tournai les yeux vers la plage, je vis les paysans à l'attente, certains déjà à mi-jambe dans l’eau, armés de leurs machettes et impatients d’accomplir leur tâche de couper les têtes comme on leur avait appris à le faire. »

Cet épisode est rapporté avec une légère nuance par Michele Wucker dans son ouvrage: « Why the cocks fight » Nous citons: The Haitians were transported like cattle to isolated killing grounds, where the soldiers slaughtered them at night, carried the corpses to the Atlantic port of Montecristi, and threw the bodies to the sharks. For days, the waves carried uneaten body parts onto Hispaniola beaches. »

Traduction non officielle: « Les Haïtiens étaient transportés comme du cheptel vers des zones désertées ou ils les exécutaient pendant la nuit et transportaient les cadavres au port de Montecristi donnant sur l’Océan Atlantique. Là, ils les jetaient aux requins. Pendant des jours et des jours, des parties de corps non dévorées apportées par les vagues, venaient échouer sur les plages d’Hispaniola. »

Le bilan de ces atrocités varie selon la source consultée. On s’attendrait certainement à ce que le gouvernement dominicain le minimise. Le ministre des Affaires étrangères intérimaire à l’époque déclara un total de 17,000 morts. Cependant, il est très surprenant que le gouvernement haïtien crût bon de réduire davantage le nombre de victimes à 12,168 comme le rapporta le Président Elie Lescot. Cependant, l’historien dominicain Bernardo Vega estima qu’au moins 35,000 Haïtiens périrent durant ce que les Dominicains appelèrent « El Corte » ou la moisson, et c’est ce chiffre que m’avait cité mon père, déjà dans la trentaine au moment de ce massacre.

Les questions qui doivent brûler les lèvres de tout bon Haïtien ou simplement tout être humain digne d’appartenir au genre dit civilisé sont sans doute les suivantes : Où était le reste du monde ? Quelle a été la réaction des Dominicains ? Quelle a été la réaction en Haïti ? Quelle a été la réaction du gouvernement américain ?

Plusieurs familles dominicaines qui utilisaient des domestiques haïtiens les protégèrent de la furie des soldats et de la foule. Plusieurs industriels américains qui opéraient des usines sucrières en Dominicanie et qui employaient des ouvriers haïtiens refusèrent de les remettre aux soldats qui étaient venus les chercher pour les éliminer. Trujillo chercha à minimiser l’incident, l’expliquant par une simple réaction spontanée des paysans dominicains fatigués des déprédations des illégaux haïtiens.

Par flatterie pour le Généralissime ou par peur de rétributions, les politiciens et les intellectuels dominicains restèrent cois ou nièrent que le massacre eut lieu. Certains célébrèrent même l’acte « glorieux» posé par le dictateur pour le bien de la nation. Il faut chercher dans les écrits des membres des partis d’opposition en exil pour trouver une condamnation de cet acte de barbarie par des intellectuels dominicains.

Les victimes qui survécurent aux plaies par arme blanche ou par balles espéraient que leur gouvernement allait passer à l’action et prendre leur défense. Comme Danticat fait dire à l’un des ses protagonistes dans « The Farming of Bones » : Tell me why don’t our people go to war because of this ?…Why won’t our president fight ? (Dis-moi pourquoi nos compatriotes ne déclarent-ils pas la guerre ? Pourquoi notre président ne se bat pas pour nous ?).

Les Haïtiens dans les plantations dominicaines

Tandis qu’un autre observe avec beaucoup de clairvoyance : -Poor people are sold to work in the cane fields so our own country can be free of them. (Les pauvres sont vendus pour aller trimer dans les plantations de canne à sucre, juste pour que le pays en soit débarrassé.)

Ils n’avaient raison qu’en partie. Certes le président Sténio Vincent ne leva pas le petit doigt pour réagir contre ce crime d’une ampleur jamais rivalisée sur l’île d’Haïti. Cependant les jeunes Haïtiens de toutes les couches sociales du pays, noirs ou mulâtres, s’indignèrent face à la passivité du gouvernement. Partout dans les villes frontalières et même à Port-au-Prince et au Cap-Haïtien, ils commencèrent à organiser des milices pour aller défendre leurs concitoyens.

Je le tiens de mon père et Mme Dumayric Charlier l’a confirmé à plusieurs reprises dans ses  causeries. Cependant, le président qui ne voulait pas utiliser son armée pour combattre la sauvagerie des Dominicains, n’hésita pas à menacer nos jeunes patriotes de bastonnade ou d’emprisonnement s’ils persistaient à vouloir se battre. Qui pis est, au lendemain du massacre, le 15 octobre 1937, l’ambassadeur haïtien a Santo-Domingo, M. Evremont Carrié de concert avec le chancelier dominicain Joaquim Balaguer émit la déclaration conjointe qui suit :« La relation cordiale qui existe entre la République Dominicaine et la République d’Haïti n’a souffert le moindre dommage. Que l’amitié qui a toujours lié l’honorable Président Trujillo et l’Honorable Président Vincent constitue la force la plus effective pour prévenir la destruction de l’harmonie qui règne entre les deux peuples et les œuvres patriotiques de ces deux leaders illustres, œuvres qui par leurs hautes valeurs spirituelles et morales de justice ont mérité les applaudissements de tout le monde civilisé.»

Aux États-Unis, il se produisit des remous superficiels dans la presse, mais pas le tollé auquel on aurait dû s’attendre. Collier Magazine envoya un reporter pour visiter les deux pays et se rendre compte de visu de la gravité de la situation. Il vit les mutilés dans les hôpitaux haïtiens, femmes hommes et enfants, sans bras, avec des plaies profondes du cou ou de la tête. Cependant quand il rencontra Trujillo, celui-ci insista que l’incident avait été exagéré par la presse et que ce n’était qu’un simple règlement de compte entre les paysans des deux côtés de la frontière.

Le sénateur américain Hamilton Fish, un républicain, président du comité des Affaires étrangères fut l’un des rares à pousser les hauts cris. Il demanda une rupture des relations diplomatiques entre les États-Unis et la Dominicanie, mais après avoir reçu un chèque important de Trujillo, il changea sa chanson et l’affaire n’eut plus de suite. Cependant, on en parlait dans les milieux politiques au point que Franklin Delanoë Roosevelt se sentit obligé de pousser les deux pays à résoudre le conflit à l’amiable. Avec Roosevelt comme arbitre, Haïti ne pouvait s’attendre à aucune justice. Ce même Roosevelt n’avait-il pas dit auparavant que: « Trujillo is a bastard, but he is our bastard » D’autre part, il avait dit d’Haïti,: If we can manage to keep the Haitians with shoes fighting against the Haitians without shoes, we have nothing to fear from Haïti. »

(Traduction de l’auteur) : Si nous pouvons maintenir le conflit entre les Haïtiens avec souliers et les Haïtiens sans souliers, nous n’aurons rien à craindre d’Haïti. »

Trujillo accepta de payer $750,000 en réparation au gouvernement haïtien, somme qui devait être distribuée aux victimes. Il importait donc de connaître exactement le nombre et les noms des victimes.

Si selon le gouvernement haïtien, il y avait eu seulement 12,000 morts, ça aurait fait $60 par tête d’haïtien. Mais s’il y avait eu 35,000 victimes, cela représentait à peine $20 par tête, ce qui veut dire encore utilisant une phrase de Mme Charlier qu’un Haïtien valait moins qu’un cochon à l’abattoir.

Le président Sténio Vincent accompagné de son ministe Elie
Lescot visite le dictateur Rafael Trujillo en 1935.                  

En plus, combien de familles reçurent cette infime compensation ? Quel recensement sérieux le gouvernement de Sténio Vincent avait-il fait des morts et des blessés, de tous les traumatisés émotionnels, des pertes économiques des Haïtiens qui vivaient légalement et s’adonnaient au commerce en Dominicanie ?

Non content de cela, l’accord signé par les deux présidents plaça le blâme sur les immigrants haïtiens et le gouvernement haïtien, faisant injonction à ce dernier de prendre les mesures nécessaires pour empêcher que leurs ressortissants ne traversent la frontière sans permis de travail.

Pour mettre ce massacre en perspective, c’est comme si les Américains décidaient de massacrer les Mexicains qui vivent illégalement chez eux ou bien encore rendaient le gouvernement mexicain responsable du flux d’immigrants illégaux à travers leur frontière commune. Ou bien encore, c’est comme si les Allemands ou les Français se mettaient à massacrer les habitants de l’Alsace et de la Lorraine, chaque fois que le tracé de la frontière était révisé vers l‘est ou vers l’ouest.

Les pauvres Haïtiens ont été traités différemment parce qu’aux yeux des Dominicains et des Américains, ils étaient des infrahumains ?

Parce qu’aux yeux de leurs propres concitoyens, ils étaient et ils demeurent des indésirables dont on n’a que faire. Comme disait le Président Jacinto Peynado, « au royaume des poulets, les blattes n’ont aucun droit. »

Soixante-dix ans plus tard, les paysans haïtiens sont retournés en République Dominicaine. Ils ne sont pas mieux traités et ils sont gardés dans des villages dénommés les « Bateys » sans avoir accès à l’éducation ou aux soins médicaux.

Leurs enfants et leurs petits-enfants nés en République dominicaine et ne parlant que l’espagnol ne pourront jamais avoir la nationalité dominicaine alors qu’un Allemand ou tout autre individu à la peau blanche peut obtenir cette nationalité dominicaine en moins de temps qu’il ne leur faut pour épeler son nom.

Les chauffeurs guides indiquent en passant devant ces villages sordides aux touristes qui visitent leur pays, qu’il n’y a que des Haïtiens à y vivre, comme on montre les animaux sauvages enfermés dans leurs cages au jardin zoologique. En plus, le lavage de cerveau continue et chaque politicien en quête de popularité n’hésite pas a recourir à la démagogie raciste et à s’acharner contre les Haïtiens. On fait peur aux enfants en les menaçant que les Haïtiens vont les manger.

Soixante-dix ans plus tard, les incidents se multiplient.

En 2006, trois jeunes ouvriers haïtiens ont été brûlés vifs dans un atelier. Quelques semaines plus tard, le Président Préval était l’hôte de Leonel Fernandez, son homologue dominicain.

Quand la presse lui demanda s’il avait des commentaires à propos de l’incident, il répondit et je paraphrase : «mesie, pa fe-m di sa-m pa di ! Nou pa gen-yen oken problem avek gouvenn-man dominiken. » Coïncidence étrange, n’est-ce pas ?

Le problème des Dominicains va au-delà de leur mésentente avec les Haïtiens. Le peuple dominicain n’a jamais pu résoudre son problème d’identité de race. En fait, la composition de leur population est similaire à la nôtre, nonobstant le fait que le massacre des blancs par Dessalines et les campagnes d’oppression menées sous les différents régimes noiristes contre les éléments plus clairs de notre population ont contribué à diminuer le pourcentage de métissés dans notre population.

Cependant, je pourrais mettre 50 Haïtiens à côté de 50 Dominicains et je défie quiconque de pouvoir me dire juste par l’apparence qui est Haïtien et qui est Dominicain. On n’a qu’à regarder les équipes américaines de baseball ; Sammy Sosa, Robinson Cano, Wilson Benemit, Rafael Santana, David Ortiz sont tous des Dominicains qui font honneur à leur pays. Qui pourrait nier leur ascendance africaine ?

Et pourtant, la couleur noire continue de représenter un handicap majeur pour un citoyen dominicain.

Sergia Galvan

A l’appui, je veux citer la féministe dominicaine Sergia Galvan : « La couleur noire est associée à l’opacité, à l’illégalité, à la laideur, à la clandestinité. Il règne ici la dictature d’un certain type de beauté et la pression sociale est extrêmement forte. Il y a même des écoles où les tresses africaines et les cheveux crépus sont interdits. » Ceci expliquerait l’incident quand une employée noire de l’ambassade dominicaine à Santo Domingo s’est vue refuser l’entrée d’un night-club, alors qu’on avait laissé passer ses compagnons blancs. A cette époque, l’ambassade américaine avait émis un communiqué interdisant à ses employés de fréquenter les boîtes de nuit à Santo Domingo.

On se demande alors pourquoi les Haïtiens du pays et de la diaspora dépensent plus en tourisme en Dominicanie que dans leur propre pays.

Certainement, le Dominicain doit résoudre son problème de nuances épidermiques, mais l’Haïtien a lui aussi son propre problème de couleur à résoudre. Alors seulement, commencera-t- on à améliorer les rapports entre les deux pays. En attendant, je suggère que le gouvernement érige au moins à Ouanaminthe, près de la Rivière du Massacre un monument à la mémoire de nos frères et sœurs lâchement assassinés par les sbires du caudillo dominicain et que le 3 octobre soit dorénavant dédié à la commémoration de ce crime contre notre peuple. Une place consacrée à leur mémoire pourrait aussi être aménagée à Port-au-Prince, ainsi qu’une section du musée national pour rappeler ces «Vêpres dominicaines »  aux futures générations.

Je suggère que tous les Haïtiens fassent un effort concerté pour attirer l’attention de la communauté internationale sur le traitement des travailleurs haïtiens en Dominicanie et finalement que les deux gouvernements entament des pourparlers visant à créer des programmes d’échanges culturels et sportifs commençant en bas âge pour apprendre aux deux peuples à mieux se connaître et s’apprécier.

Louis Joseph Auguste, MD, MPH

Illustration: HCC









5 comments:

  1. Louis Frantz AlcindorOctober 11, 2021 at 9:51 AM

    Memoires indelebiles que le temps n'effacera pas. Ils etaient environ plus de 15000 Haitiens a etre sacrifies puisqu'on ne voulait pas d'eux parcequ'ils etaient trop noirs.

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    1. ""Parcequ'ils etaient trop Noirs""??
      Martin Luther King ak anpil lot moun di: " pa jije moun sou kouler po, men jije'l sou karakte'l."
      Louis Frantz Alcindor
      An nou sispand lonjè dwet sou blan! Si yo antrè lakay nou, c nou ki ouvri pot pou yo!!

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  2. Marie-Carmel BerrouetOctober 11, 2021 at 7:51 PM

    L effet boomerang est divin parfois. Patience.

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  3. Quand on finira par comprendre ils sont Notre enemies. Pour reprendre Notre digniter. Rester chez nous ne traverse pas chez eux pour faire leur Sale boulot.

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