Le Doyen Charles Manigat m’avait dit un jour : « Un intellectuel est un producteur d’idées. » Cette pratique de qualifier tout le monde d’intellectuel parce que des gens peuvent lire et écrire, ou parce qu’ils ont un diplôme, cela crée de la confusion, encourage la paresse, et complique les choses. Car, au final, ils sont devenus arrogants, ne veulent rien écouter et restent confinés dans des idées reçues ou fixes. Il faut stimuler la production d’idées.”
Ce commentaire m’est revenu à
l’esprit après avoir constaté l’arrogance de plus d’un sur les réseaux sociaux
et dans les médias. Des historiens, de jeunes cadres, traitent la nation avec
mépris et sans respect, parce qu’ils sont des intellectuels.
Or, le problème d'Haïti est
justement une question d’absence d'idées. Un vide tellement grand qu’il finit
par être comblé par des artistes. Aujourd’hui, ces gens sont présents dans
l’espace politique et/ou de la gouvernance. Pourquoi, parce qu'ils sont les
seuls à combler le vide avec leurs idées…amusantes, malsaines, triviales, mais
des idées quand même. Nous sommes à l’heure des artistes du Konpa et des
DJ comme Tony Mix.
Vous allez les mépriser et
cracher sur leur présence dans l’espace publique, c’est parce que vous êtes
trop incompétents pour comprendre s’ils sont là, c’est parce que vous avez
échoué. Malgré votre prétention intellectualiste vous n’avez pas pu combler le
besoin en idées de la population.
Donc, messieurs et dames, Haïti
étant une démocratie, vous êtes obligés de respecter et de vivre avec les
dirigeants élus par le peuple. Votre arrogance et votre mépris ne changeront
pas les choses.
De plus, en parlant de
décadence, comme le grand historien en a fait allusion, Haïti n'est pas la
seule nation à vivre cette situation. Ceux qui se basent sur la réalité
actuelle pour insulter le peuple, la nation, le pays, au point de reprendre les
injures de Donald Trump doivent se rappeler (s’ils le savaient) qu’après la
disparition de Rome au 5e siècle soit en 476, l’Europe connut une décadence
allant jusqu’à la perte de la lecture et de l’écriture. De 476 à 918, soit
environ 5 siècles, c’est la barbarie totale, des bergers se sont transformés en
voleurs, bandits de grand chemin, kidnappeurs et trafiquants d’enfants.
Si les choses ont changé en
occident, c’est parce que durant cette période, des gens ont continué à
travailler. L’Europe dont vous êtes fiers aujourd’hui, l’Europe dont vous
vantez les prouesses aujourd’hui, a perdu sa capacité de lecture et d’écriture
pendant cinq siècles. N’était-ce la contribution des moines irlandais qui n’ont
jamais cessé de tout copier et protéger des livres, des manuscrits, des
parchemins et de l’Église catholique en générale, ce continent n’aurait pas pu
sortir des ténèbres de l’illettrisme, l' analphabétisme jusqu’aux révolutions
italienne, française et des lumières.
Je vous invite à lire le Livre
“How The Irish Saved Civilization" (The untold story of Ireland’s heroic
role from the fall of Rome to the Rise of Medieval Europe, de Thomas Cahill.
Cela vous aidera à être plus sage. Car, comme disait le sociologue Gaston
Bouthoul, il est préférable d’avoir un leader illettré mais sage qu’un
intellectuel savant mais arrogant.
Haïti est en train de subir les
conséquences d’une décadence provoquée par les puissances étrangères conspirées
contre elle dès son indépendance. Par l’absence de sagesse de ses élites qui
n’ont jamais su vaincre leur ego pour discuter, faire des compromis et trouver
des accords inclusifs dans un esprit de respect mutuel, ce pays est ravagé par
des affrontements de 1804 à nos jours. Comme conséquences, il est vidé de sa
classe moyenne, de ses cadres, de ses investisseurs et de sa jeunesse.
Que vous soyez savants,
intellectuels ou surdoués, dans ce système démocratique, vous serez dirigés par
les dirigeants élus par le peuple. Et cela, qu’ils soient Michel Martelly,
Moise Jean-Charles, Gracias Delva, Top Adlerman, Don Kato, Bicha, Mazora, Krèk
Koko…
Personnellement, je n’ai pas
peur de la décadence dans laquelle Haïti se trouve. Je suis plutôt préoccupé
par les mesures de redressement.
Car, les chinois ont réussi à
définir une stratégie pour sortir du chaos et des humiliations qu’ils ont
subies au 20e siècle, la Corée du Sud à fait la même chose en 50 ans, La
Turquie, le Japon, la Russie est en train de se relever de la “tragédie” des
années 90.
Ils ont tous réussi en
combinant la science (le positivisme) à leur tradition, puisant dans leur
histoire, leur culture. Ils n’ont pas renié leur existence. Haïti peut faire la
même chose et la diaspora haïtienne peut servir de réservoir d’idées et de
pratiques modernes à associer avec nos traditions nationales. Car comme disent
les stratèges chinois, le positivisme européen, la science, c’est seulement 300
ans, alors que l’humanité évolue depuis plusieurs millénaires grâce
à l’intuition, en suivant les lois de la nature.
Tout orgueil fondé sur la
connaissance scientifique et la technique n’est qu’ignorance; l'effet pervers
d’une méthode et des moyens métamorphosés en idéologie et même en religion.
Car, les indiens n’ont pas attendu les laboratoires modernes pour comprendre
qu’il faut extraire l’eau des racines de manioc avant de produire la cassave.
Preuve qu’ils pratiquaient la chimie avant ses codifications savantes sous
forme de science.
Dans cette approche, je ne
rejette pas la science ni ses mérites. Je veux plutôt dire, attention à ces
haïtiens qui croient qu’il suffit de faire des études universitaires pour
qu’ils soient capables de tout faire, méprisant l'expérience empirique du
citoyen lambda a un point tel de faire preuve d’une arrogance les rendant
incapables d'écouter, d'échanger, de trouver des consensus, les plongeant dans
un jusqu’au-boutisme primaire, anti-social, les transformant en
personnalités infréquentables.
Haïti est d’abord le peuple
haïtien. Quelle que soit sa dimension, il est le centre de l’existence d'Haïti.
On n’a qu’à vivre avec, contribuer sagement à sa transformation, à son
évolution où l’abandonner à son processus d’évolution historique.
Ce qui manque à ce pays, ce
sont des efforts de réflexions stratégiques. Nos dirigeants, nos élites,
la classe politique, la presse s'adonnent uniquement à des micro-gestions, une
concentration sur le présent immédiat, un focus sur l’arbre qui les empêche de
voir la forêt.
Cyrus Sibert, Cap-Haitien,
Haiti
reseaucitadelle@yahoo.fr
05 Juin 2021
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