Par Eddy Cavé,
Ottawa, le jeudi 13 mai 2021
SANDRA FOURCAND 1963 -2021 |
DUR ! DUR ! DUR ! La mort a de nouveau frappé à nos portes dans la soirée du mercredi 12 mai en cours. Elle a fauché en plein vol, à l’âge de 58 ans seulement, la fille de deux amis de longue date Serge Fourcand et Marianne Lehmann. La nouvelle du décès de Sandra est tombée ce matin, 13 du mois, causant une véritable onde de choc dans la famille, le monde des parents et amis, ainsi que dans les milieux haïtiens de l’action communautaire et de la promotion de l’art haïtien à Montréal.
Dans notre compréhension très imparfaite des lois et
du fonctionnement de la Nature, nous avons cru pendant longtemps que c’étaient
les plus âgés qui partaient les premiers. Que c’étaient les enfants et le les
petits-enfants qui suivaient la dépouille des parents et des grands-parents en
route pour leur dernière demeure. Nous nous bercions d’illusions. Et quand
l’épidémie du SIDA a éclaté dans les années 1980, nous avons vu avec
stupéfaction un grand nombre de mères et de pères ensevelir des filles et des
fils qui commençaient à peine à voler de leurs propres ailes. En qui ils
avaient investi toutes leurs énergies, placé tous leurs espoirs.
En même temps, nous découvrions que ce que nous
considérions comme une loi de la Nature n’était en fait qu’une illusion, qu’une
généralisation hâtive faite avec naïveté. Comme celle de la rose des Entretiens
sur la pluralité des mondes, de Fontenelle, qui pensait que le jardinier était
éternel parce que, de mémoire de rose, on n’en avait jamais vu deux dans le
jardin. La dure réalité, c’est que la Nature frappe quand elle veut et comme
elle veut et que nous sommes impuissants devant ses diktats.
Aujourd’hui, ce sont les Fourcand qui écopent d’une
fatalité qui apparaît à mes yeux comme un caprice de Mère Nature : un cas très
rare de sclérose en plaques compliqué par la maladie connue en France sous le
nom de maladie de Charcot, en Amérique du Nord sous celui de maladie de Lou
Gherig. Un malheur qui aurait pu frapper n’importe lequel ou n’importe laquelle
d’entre nous!
Sandra était très malade depuis un certain temps et
elle avait pour cette raison considérablement réduit ses déplacements. De sa
résidence à Terrebonne, au nord-est de Montréal, elle avait néanmoins continué
à s’occuper de sa mère restée en Haïti et à entourer de son affection ses six enfants
et petits-enfants. Et la Faucheuse est passée, coupant court toute possibilité
et tout espoir de rémission !
Sandra est arrivée au Canada à la fin des années
1970 pour terminer son secondaire et entrer à l’université. C’était à Ottawa où
Serge et Mathé venaient de s’établir et où je les avais devancés de quelques
années. Le bilinguisme était alors en plein essor au Canada, et la traduction
offrait d’immenses possibilités aux jeunes diplômés. Fille et petite-fille
d’avocat, elle ne voulait pas être avocate et opta dans un premier temps pour
la Faculté de traduction de l’Université d’Ottawa.
Attirée par les langues et le journalisme, elle se
rend en Allemagne où elle acquiert une quatrième langue, puis à Bordeaux où
elle étudie le journalisme.
Bien armée pour affronter les dures réalités de la
vie, Sandra a épousé dans l’intervalle Rolf Sambale, travaille un certain temps
à Paris et retourne en Haïti en 1991 pour donner naissance à sa première fille,
Annaïse. Port-au-Prince vit alors dans l’atmosphère d’un apprentissage plutôt
cahoteux de la démocratie participative. Après le coup d’État qui renverse JeanBertrand Aristide du pouvoir, elle se réfugie d’abord à
la Guadeloupe, puis se rend en France où
elle travaille un certain temps à
l’Ambassade d’Haïti à Paris. Commence alors une période très mouvementée de sa
vie où, remariée à Ralph Dulyx, elle travaille successivement pour la FAO et
OXFAM à Port-au-Prince. Les émissions de variétés qu’elle anime à Radio
Métropole avec les Widmaier lui plaisent beaucoup, mais en 2004 elle retourne
pour de bon au Canada.
Avec toutes les cordes qu’elle a à son arc, Sandra
n’est jamais restée longtemps sans emploi. D’autant plus qu’elle s’est toujours
impliquée avec joie dans le communautaire et les activités de bienfaisance.
Isolé à Ottawa, je la vois très rarement à cette époque, mais c’est toujours un
vrai bonheur de la rencontrer à Montréal au Salon du livre de l’automne, au
Festival de jazz du début de l’été, aux festivals et spectacles de konpa. Cette
authentique fille du pays s’épanouissant dans l’action, les rencontres sociales
et le bénévolat, une fois accomplies ses obligations familiales, elle a mené
une vie très active et très gratifiante à cette tranche de sa vie.
En 2012, le Musée canadien des civilisations hébergeait
pour une période de trois mois une extraordinaire exposition itinérante
d’œuvres haïtiennes d’inspiration vodou provenant de la collection privée sa
mère, Marianne Lehmann. Ce fut un véritable succès pour cette exposition qui
venait d’attirer des milliers de visiteurs à Genève et à Amsterdam, et cela lui
procura un grand bonheur.
En revenant à Montréal, Sandra a mis au service de
ses employeurs canadiens et de l’organisation Communication Karayib une bonne
formation universitaire combinée à une expérience très diversifiée du marché du
travail. À Terrebonne, en banlieue de Montréal, où elle s’est fixée durant les
dernières années de sa vie, elle a parrainé diverses activités de promotion de
l’art haïtien et de la culture haïtienne en général. C’est ainsi qu’elle a
organisé en 2019 à la Maison Bélisle, dans le Vieux-Terrebonne, une exposition
des œuvres du peintre Levoy Exil, totalement inconnu au Québec.
Membre fondateur du mouvement Saint-Soleil issu de
la première communauté artistique rurale d’Haïti, Exil appartient également à
l’organisation Soisson-la-Montagne créée en 1973 à l’initiative du grand
artiste jérémien Jean-Claude Garoute, dit Tiga. L’objectif de cette activité
organisée avec conjointement avec le personnel de Communication Karayib était
de faire connaître au Québec le volet de la peinture haïtienne fortement
influencé par le vodou. Je crois que ce pari a été gagné.
Active sur plusieurs fronts en même temps, Sandra a
volé au secours du collectif SOS Grand’Anse constitué à Ottawa en 2016 après le
passage de l’ouragan Matthew sur la région.
Elle a alors mis à notre disposition un carnet
d’adresses bien rempli et apporté une aide considérable au Comité organisateur.
Dans le cadre de cette opération, elle avait obtenu de diverses grandes institutions
canadiennes des promesses d’une aide substantielle dont nous n’avons
malheureusement pas pu tirer profit.
Il est réconfortant de penser que, même si Sandra
est partie à un âge où l’on continue à faire des projets d’avenir, elle a eu une
vie bien remplie. Avec ses six enfants et petits-enfants, elle laisse une
progéniture qui va marcher sur ses brisées et qui récoltera certainement les
fruits des arbres qu’elle a plantés.
Si ce départ m’attriste autant, moi qui l’ai
seulement vue naître et grandir, qui ai seulement pu constater les grandes
étapes de son impressionnant parcours, je n’ai aucune difficulté à imaginer la
douleur des membres de la famille dont elle est issue : Serge, Marianne, Mathé,
Junior, Martine, Anne, Françoise, Patricia. À imaginer aussi et surtout la
déchirure que cette disparition prématurée inflige aux membres de la famille
qu’elle a créée : Annaïse Sambale; Youri, Leticia et les jumeaux Lara et
Laurent Dulyx; les ex-époux Rolph Sambale et Ralph Dulyx. À quoi s’ajoute la
cellule que Youri vient de créer avec sa conjointe Christina et leur fillette
Alysée.
En présentant mes plus sincères condoléances aux
familles Fourcand, Roumer, Lehmann, Guertain, Graff, Sambale, Dulyx, j’invite
les amies et amis qui ont connu Sandra à lui consacrer une minute de recueillement
et à dire au moins une courte prière pour le repos de son âme.
Sandy, je ne t’oublierai jamais. Que ton âme repose
en paix !
Eddy
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