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Thursday, August 19, 2021

Chronique mortuaire – Départ de Musset Marcelin

Musset Marcelin (2004)

Version originale anglaise

La communauté haïtienne du sud de la Floride, plus précisément celle d'origine de la Grand'Anse, était en état de choc le samedi 14 août 2021, à cause de la nouvelle du tremblement de terre qui a frappé la péninsule sud d'Haïti, quand un autre tsunami a frappé plus près de chez nous. La nouvelle s'est donc répandue dans la communauté comme une traînée de poudre : notre bien-aimé ami Musset Marcelin est décédé. 

Musset et moi avons grandi dans la même ville, Jérémie la capitale du département de la Grand'Anse. Je pense qu'il n'est pas exagéré de dire que mon quartier et le sien étaient à un jet de pierre l'un de l'autre, comme on dit ici aux États-Unis. Je crois que si quelqu'un d'assez fort se tenait en haut de la colline, là où se trouvait la porte d'entrée principale du Collège Saint-Louis, et lançait une pierre, elle tomberait quelque part dans son quartier. J'habitais Rochasse et lui habitait “Lankoton”. 

Musset Marcelin (1969)
Nous nous sommes rencontrés pour la première fois à l'école Frère Paulin, où nous avions fait nos études primaires. Son quartier se trouvait sur mon chemin vers l'école. À cette époque, on faisait l'aller-retour quatre fois par jour, ce qui incluait le trajet pour la pause-déjeuner. En grandissant, je me suis rendu compte que je passais devant sa maison quotidiennement. Souvent, nos chemins se croisaient et nous faisions le trajet ensemble. Sa vivacité et son enthousiasme m'ont frappé dès la première rencontre. Depuis lors, sa compagnie était un délice que je recherchais chaque fois qu'il se trouvait quelque part. 

L'École Frère Paulin était dirigée par les Frères de L'Instruction Chrétienne. Ils exigeaient que tous les enfants de l'école communiquent en français, par opposition à notre langue maternelle, le créole. Pour l'encourager, ils ont établi un système selon lequel chaque élève recevait le lundi matin 10 jetons. Chaque fois qu'un élève s’exprimait en créole pendant les heures de classe - principalement pendant la récréation, lorsque nous étions tous sur la cour à courir après le même ballon - le camarade le plus proche vous réclamait un jeton, "Donne-moi un jeton". À la fin de la semaine, l'enseignant comptait les jetons restants détenus par chaque élève. L'élève qui en avait le plus grand nombre recevait une médaille le dimanche avant la messe. Ceux qui avaient le plus petit nombre étaient punis. En tant que compétiteur acharné, Musset était souvent parmi ceux qui avaient le plus grand nombre de jetons restants. Lors d'une fête chez moi, en Floride, il y a une dizaine d'années, nous riions des tours que nous nous jouions dans la cour d'école pour faire parler le créole aux autres enfants afin de gagner leurs "jetons". 

Musset et son coéquipier Maurice Chéry

Après l'école primaire, nous nous sommes retrouvés dans la même école secondaire, le Collège Saint-Louis. Les après-midis d'été, il allait avec ses frères et ses amis jouer au foot sur le terrain derrière l'école. Il s'est avéré qu’on avait le même hobby, c’était là que je passais aussi mon temps. Aussi compétitif que soit Musset, le match se terminait toujours par un match entre Lankoton et Rochasse. A mon grand dam, souvent l'équipe de Rochasse se retrouvait à l'issue des parties en position de perdant. Son équipe comprenait souvent, entre autres, son frère Saint-Ange, un superbe joueur, Maurice Chéry, et son futur beau-frère, Pierre-Richard Jean-Baptiste, qui plus tard fut sélectionné parmi les joueurs faisant partie de l'équipe pour représenter Jérémie dans les tournois Interrégionaux.

Notre équipe de Rochasse comprenait souvent Clovel Boyer, le regretté Loti Laforest, mon regretté ami le plus cher, Fritz Robert Apollon, Hervé Jean-Michel, etc. En tant qu'attaquant de l'équipe de Lankoton, Musset était notre "bête noire". Il avait un dribble fulgurant, était rapide sur ses pieds, et possédait un sens aigu où se trouvaient ses autres coéquipiers ou Saint Ange pour une superbe passe, quand il n'était pas le buteur. Sa compétitivité dans les matchs était presque inégalée. Il avait l'habitude de rendre ma vie, parfois, très misérable pendant ces après-midis de vacances d'été, alors que je jouais au milieu du terrain ou en défense pour mon équipe. 

Après les matchs, les joueurs des deux équipes s'attardaient un peu dans la cour de l'école pour discuter du dernier film de cape et d'épée, de "cowboy", ou des exploits de nos équipes et joueurs préférés de la Coupe du monde. Dans les années 1960, la sensation du monde du football était le jeune champion brésilien Pelé. Sans accès aux réseaux de télévision à Jérémie, nous ne pouvions pas le voir jouer. Cela n'empêchait pas notre imagination, à partir des reportages radio et des ouï-dire des amis, de construire dans notre jeune esprit une sorte d'aura de demi-dieu du terrain de football autour de lui. Le moindre dribble spectaculaire ou la moindre performance réalisée dans un match et le gamin, que nous étions, se prenait pour un Pelé. Je croyais, à cette époque, que Pelé avait l'habitude de prendre le ballon depuis la ligne médiane d'un match, de dribbler tous les joueurs de l'équipe adverse et de marquer et que personne ne pouvait l'arrêter. La réalité s'est imposée lorsque j'ai déménagé à Port-au-Prince, que j'ai commencé à regarder les matchs de la Coupe du monde à la télévision et que j'ai vu Pelé en train de jouer. Néanmoins, Musset était considéré par ses coéquipiers et lui-même comme un Pelé, surtout après ses jeux spectaculaires. 

Musset et sa femme Michelle au gala 2013 de STAHF

Relativement jeune, 68 ans à son décès, Musset vivait à Miramar, aussi longtemps que je m'en souvienne puisque j'ai repris contact avec lui aux États-Unis à la fin des années 80 lors des réunions de Combite Jérémienne. Revenant de New York, Bernard Eugene a apporté avec lui ce mouvement de base des Jérémiens de la diaspora dans le sud de la Floride. Une communauté naissante de personnes originaires de la péninsule sud d'Haïti a commencé à se rassembler. Musset était très actif dans ce segment. Depuis lors, il est rare que je me rende à un événement social organisé par quelqu'un de Jérémie et que je ne le rencontre pas avec son épouse Michelle Gilbert Marcellin à qui je présente ici mes plus sincères condoléances. 

Musset et mon frère Garry Florestal 

Cette passion sur le terrain de football était omniprésente, comme je le découvrirai plus tard, dans presque tous les autres aspects de la vie de Musset. C'était un père de famille dévoué. J'ai toujours trouvé beaucoup de chaleur lors de mes visites chez lui, ce qui me rendait presque envieux de sa relation avec sa femme et ses enfants. Sa compétitivité s'étendait sur les tables où nous jouions au bésigue lors des fêtes. Lui et mon jeune frère, Garry Florestal, développaient une rivalité amicale dans les jeux. Ce qui les rendait tellement plus divertissants à jouer. Leurs voix fortes et leurs rires entraînaient le reste d'entre nous dans cette atmosphère de gaieté. Je me souviens que Garry lui disait souvent : "Urema, je vais te fouetter au prochain match". Garry l'appelait affectueusement Urema, car c'était le nom du père de Musset. Et il répondait en kreyol : "Amène-toi." Lorsque le divertissement se concentrait sur les histoires drôles, il se mesurait au dernier conteur de l'histoire la plus drôle. Parfois, c'était un tout défi de leur faire baisser la voix.

Musset faisait preuve de la même passion et de la même dévotion pour sa ville natale. Comme la plupart d'entre nous, il voulait aider ses compatriotes restés au pays qui traversaient des moments difficiles. Lorsqu'avec un groupe d'autres Jérémiens, nous avons créé une organisation appelée STAHF pour aider l'hôpital St Antoine de Jérémie, il était là dès le début. Il se souciait beaucoup de tous ceux qui n’avaient pas sa chance. Michelle et lui n'ont jamais manqué un événement de collecte de fonds organisé par STAHF. Ils étaient toujours accompagnés de Pierre-Richard et de son épouse, Yanick Gilbert Jean-Baptiste. Avant que la pandémie ne vienne perturber nos activités sociales, la STAHF débattait de la possibilité de leur décerner un prix pour n'avoir manqué aucun de nos événements de collecte de fonds.

Ton décès, Musset, va laisser un grand vide dans beaucoup de coeur et dans nos efforts pour aider les habitants de Jérémie avec leurs besoins en soins de santé. Il sera difficile pour moi, surtout lorsque le moment sera venu, de m'impliquer dans l'organisation d'un autre événement de collecte de fonds, de devoir omettre votre nom sur la liste d'envoi. Nous sommes très reconnaissants envers vous pour les moments de joie que vous nous avez permis de vivre lors de votre passage sur cette terre. Et au nom de la STAHF et des patients qui se rendent à l'Hôpital St Antoine pour chercher un soulagement à leurs maux, nous vous disons merci pour votre dévouement, vos efforts et votre amour pour Jérémie. Nous nous souviendrons éternellement de votre bel enthousiasme pour enrichir nos vies grâce à votre sens de l'humour, votre esprit d’équipe, votre passion du devoir, vos exemples de moral, votre franche camaraderie et votre générosité sans borne. Peut-être qu'un jour, de l’autre côté de la barrière, nous jouerons à nouveau au football ensemble. Tous les amis l’espèrent ardemment. Repose en paix !

Traduction française: HCC





Jean-Marie Florestal

Secrétaire du Conseil d'administration de la STAHF

2 comments:

  1. C'est un hommage bien mérité!

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  2. En lisant votre bel éloge ,on a découvert le regretté disparu. Il fut un grand homme! Nous presentons nos sincères condoléances à sa famille ainsi qu'aux parents et alliés affectés par cette perte. 😭🙏🙏🙏

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