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Saturday, March 20, 2021

Quand une nation condamne sa jeunesse au Supplice de Tantale

 

Supplice de Tantale - Le chien enchaîné, affamé, la viande et l'eau

Par Max Dorismond 

Vous entretenir de la politique de chez nous devient fade et lassant, tant les crises sont infinies et insolubles avec des acteurs durs à cuir, emmêlés, parfois,  comme des saucissons dans leurs propres plans. C’est un constat angoissant, mais parlons de préférence d’un effet collatéral insoupçonné, à la source de ces colères à répétitions : c’est la souffrance latente d’une jeunesse appauvrie qui ne s’explique pas la bombance des richesses étalées sous ses yeux et qui lui sont inaccessibles.  Les exhibitionnistes ne chôment point et ils lui en mettent plein la vue. Entre ce nirvana tentaculaire et son extrême pauvreté, elle bave continuellement d’envie, dans son cauchemar, comme condamnée au «Supplice de Tantale». 

Pour l’édification des néophytes, le «Supplice de Tantale» est « une locution qui fait référence à la mythologie grecque. Tantale, fils de Zeus, était, suite à une punition de son père, condamné à supporter la faim et la soif pour l'éternité…» 

Le Village de Dieu - Un reportage réalisé  le 12 Décembre 2019

Une courtoisie de Télé Pacific


Ce retour dans l’antiquité ne m’est pas venu par hasard. Je voudrais bien saisir ce qui a poussé certains jeunes écervelés de chez-nous à jongler avec le suicide en optant pour le banditisme, allant jusqu’à kidnapper, ôter la vie d’autrui, avec des armes létales, laissées entre leurs mains par des esprits intéressés et malhonnêtes qui désiraient pérenniser certains privilèges, ou conserver le pouvoir jusqu'à la porte du cimetière, ou que sais-je encore...

Ces jeunes, nés dans la frustration d’une vie insensée, ne savent où donner de la tête pour que le soleil brille enfin pour eux. Ils ont décidé de prôner la violence, au lieu de crever sans nom dans le silence complice. Car leurs espoirs ont été douchés par l’incompétence organisationnelle des politiques. 

Les causes de leur agressivité sont légion. Nul besoin de se perdre en conjectures pour trouver les raisons. Le système capitaliste leur a octroyé, dès le berceau, le titre de consommateurs avérés : cellulaire high tech hors d’atteinte, running shoes Nike au prix astronomique… s’il ne faut citer simplement que ces marques. Ce qui fait d’eux, à tout coup, des frustrés convaincus et patentés. 

Un coup d’œil sur l’ambiance environnementale nous parle au cœur : absence d’écoles viables, loisirs inexistants, pauvreté endémique, familles monoparentales avec une flopée d’enfants, analphabétisme décapant, oisiveté délirante, bidonvilisation sauvage et archaïque, carence d’infrastructures sanitaires et scolaires, nul hôpital digne de ce nom, très grosse partie de la population broyant du noir, démographie galopante jamais planifiée, prostitution juvénile, relation incestueuse des politiciens avec le budget du pays… La liste est non exhaustive. 

Sur les réseaux sociaux, dans leur quotidien, à travers les fenêtres de la rue, l’éclat de la richesse de la classe possédante traditionnelle, et l’exposition ahurissante des nouveaux riches, surtout les oligarques du monde des affaires, de la politique, des religions, ne viennent point apaiser leur rancœur. 

La liste effarante des bénéficiaires de l’argent de L’ONA


Quand ces jeunes remarquent, par exemple, la liste effarante des bénéficiaires de l’argent de L’ONA, ci-devant Office National d’Assurance, quand ils imaginent le vol des milliards de Petro-Caribe qui leur revenaient de droit, ils croient disposer de toutes les justifications du monde pour faire sauter la baraque, face à cette filouterie sans nom, dans la casse du siècle réalisée par une poignée de coquins. 

Leur sang ne fait qu’un tour, quand ils entendent parler des entourloupettes de l’Église catholique dans les franchises douanières et le business du fer, quand ils perçoivent que 98% des pasteurs, des hommes de la Bible, siphonnent allègrement les poches de leurs parents, pour bâtir châteaux et rouler en 4x4 blindées. Ils arrivent à la conclusion que même le ciel les condamne à l’avance. Car ces dieux vicieux, ces dieux exploiteurs, ne rassurent en rien. Ils y trouvent toutes les raisons pertinentes de se convertir en bandits vengeurs et sonner le tocsin de la désobéissance civile… 

Donc, quand on voit la population locale protéger ses «Robin des bois» ou ses « Bandi Legal » contre l’assaut des forces policières, il faut se questionner. L’incompétence criante et la corruption généralisée des pouvoirs, passés ou présent, sautent aux yeux et ne laissent place à aucune hésitation dans le choix de ses héros : ceux qui kidnappent, qui sont prêts à tuer pour la nourrir, pour la vêtir, la soigner, deviennent les «Seigneurs des justes causes». Ce qui explique la rage de la profanation du cadavre des pauvres policiers par le voisinage, à travers les sentiers boueux et pestilentiels de Village-de-Dieu. Ce n’est qu’un début ! C’est la rançon du dégoût. 

L’heure est grave ! La bêtise a atteint son paroxysme, au point que même le président a la frousse. Il a envie de foutre le camp, mais personne n’est prêt à le pousser dans le dos. L’opposition grelotte dans son froc. La patate est trop chaude. Tous les candidats, au « vol à la va-vite » de la caisse, hésitent. Ils risquent d’être rôtis demain sur le barbecue de Village-de-Dieu. 

En regardant évoluer les rapaces de chez nous, on est en droit de répéter qu’ils sont déconcertants. À s’accaparer d’autant de fric pour mener la vie de pacha, en s’offrant du luxe des mille et une nuits, à l’étaler sans scrupules, au vu et au su de ceux qui ne possèdent pas un rond, se révèle une pure aberration, une pure provocation. C’est jouer avec les nerfs du diable. 

Leurs exhibitions sans lendemain n’ont pour résultat que l’humiliation du pauvre et sa consternation pour son avenir. La transformation profonde de sa façon de penser, de la conception de son rôle dans la société du futur, en prend pour son rhume. Même en idée, il n’arrive pas à la cheville de ces détrousseurs qu’il rêve de concurrencer demain pour s’en sortir. Car rien ne lui annonce que ce n’est que du vent, de la vantardise. Pour lui, le bling-bling, le paraître, c’est ça la réussite. Surtout que la société les applaudit et les coiffe de la couronne de l’intelligent. 

La bouche pleine d’eau, hydraté par cette démangeaison de réaliser le même exploit, le jeune s’y voit déjà, si un minimum de lumière ne vient éclairer son parcours pour lui éviter plus tard d’emprunter la direction projetée. 

Or chez nous, en exhibitionnistes invétérés, certains nababs parlent, en « ce n’est rien », en dilettante, de leur butin, exposé sans vergogne, pour épater la galerie, comme de «l’argent pour la petite épicerie». Ils alimentent l’envie et la soif du jeune à l’instar de Tantale, sans lui offrir la possibilité de s’y retrouver. Ce dernier privé de tout est à l’image du chien enchaîné, affamé, qui tente de casser son lien pour sauter sur le savoureux morceau de viande fraîche et juteuse, difficile à attraper, placée à un mètre de sa position, d’où la torture ! 

En tournant la tête de droite à gauche, et vice-versa, l’horizon hermétique de ces fils de Tantale ne leur laisse qu’une vision : le banditisme ou la fuite en pays inconnu et inhospitalier à la poursuite d’un rêve insensé; émuler ou imiter les prédateurs aux longs doigts. La prolifération des armes de guerre est aussi pour eux, dans leur naïveté, une autre clé pour assouvir cette soif. 

L’aspect le plus terrifiant de la pauvreté, c’est la solitude et le mépris. Grandir sans identité propre et sans estime de soi peut porter l’individu à hypothéquer son avenir ou le conduire jusqu’au suicide. Mais, n’étant pas fou à lier, ce dernier a choisi la violence et la révolte pour changer l’ordre des choses ! 

En définitive, ces pilleurs de nation sont les vrais instigateurs de cet état de crise latente. L’explosion appréhendée peut causer bien des dégâts. Nul n’est à l’abri devant la détermination de cette jeunesse oubliée. Les colons cultivaient la même arrogance avant 1804. 

La soudaine richesse obscurcit volontairement le passé des chenapans à col blanc, en ouvrant sur leurs flancs une autre dimension insoupçonnée : le danger de tout perdre. Par conséquent, ne soyez pas trop égoïstes. Au lieu de jouer aux princes du macadam, offrez à ces pauvres déshérités le moyen de s’extirper de leur enfer, en pillant le moins possible ou en payant votre dû à César.             

Max Dorismond




4 comments:

  1. Mon cher Max

    Vraiment, tu as «déposé» dans cet article, pour reprendre une expression très tendance des jeunes. Tu me rejoins en faisant l'effort de comprendre, de saisir et d'expliquer les sources de cette criminalité que même les «Zenglens» de Soulouque n'avaient pu atteindre un tel degré d'horreur dans leurs basses oeuvres.'' Dèyè mòn gen mòn '', dit la sagesse populaire.
    J'ai aimé ta sagacité dans le déploiement des idées d'explication. Tu n'as pas choisi la facilité avec laquelle trop de gens malheureusement raisonnent. Oh -o-o-o ! se kriminèl yo ye, sans tenir compte de l'écosystème qui les a fabriqués, qui les a engendrés. Oui c'est vrai qu'ils sont puants, c'est vrai que leurs crimes glacent le sang, c'est vrai aussi qu'ils n'ont pas d'état d'âme dans l'horreur. Mais jamais, on questionne le construit de ces '' machines à tuer '' par ceux-là même qui, par gloutonnerie ont asséché la rivière qui coule dans leur environnement immédiat et périphérique. C'est un travail qui devrait se faire sérieusement pour sauver notre avenir de peuple. C'est cette explication que tu leur as donnée Max. C'est cette pédagogie que tu as utilisée pour faire comprendre à plus d'un, un mal qui est de saisie complexe. Bon évidemment, il s'en trouvera plusieurs pour monter au créneau, obnubilés qu'ils sont par des à priori qui leur sont dictés par des stéréotypes ambiants, anciens et tenaces.

    J'ai aussi aimé ton allusion à l'arrogance des colons avant 1804. Ce regard dans le rétroviseur de notre histoire est porteur de leçons à nos«élites», à la faune de nos décideurs et aussi aux politiciens et aux intellectuels sur place. Qu'il me soit permis de rappeler ici un fait qui rapelle étrangement quelques aspects de «la situation actuelle» fondamentalement. La situation coloniale et la structure sociale demeuraient invariantes depuis l'envol des premiers établissements français à Saint-Domingue. La France révolutionnaire avait fait voter des lois, parfois très explicites, en faveur des Affranchis (noirs et mulâtres) qui ne cessaient de réclamer leurs '' droits civils et politiques ''. Une façon de dire aux colons et à l'administration coloniale de «desserrer quelque peu l'étau» si nous voulons conserver la poule aux oeufs d'or, la vache à lait. Ces lois rencontrent l'arrogance et la morgue des planteurs qui décident d'aller jusqu'au bout en déclarant fermement que « plutôt d'accepter une égalité «humiliante» avec les Affranchis, ils préféraient se jeter dans les bras de l'Angleterre», l'ennemie séculaire de la France. Le faire était « un acte de haute trahison » pour les lois françaises. Ils s'y sont engoufrés tête baissée et l'on connaît l'enchevêtrement d'un tas d'événements à multiples facettes.
    Tout sociologue compétent et aguerri apprécierait beaucoup la valeur instrumentale de ton article. Je m'arrête ici.
    Bravo Max! Un article qui sort des sentiers battus, qui pose et analyse les vrais problèmes. Un article de fond, comme je les aime. Je suis très satisfait.

    Lemarec Destin
    Laval, Québec, ce 21 mars 2021.

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    1. Mon Frérot,
      Ton commentaire est arrivé à point nommé. Une vision d'un intellectuel qui a su mesurer les paramètres de la situation insupportable pour encourager l'auteur à continuer à dénoncer l'indéfendable. Cet état de fait appréhendé depuis belle lurette, est finalement arrivé de notre vivant, malgré les avertissements, les appels du pied aux détenteurs du pouvoir dans le pays, tout pouvoir confondu: politique, économique, etc... En les culpabilisant, nous ne faisons qu'accentuer la pression en guise d'aide à ces déshérités qui n'ont commis qu'une seule erreur: celle d'être nés sous la mauvaise étoile. Je te remercie pour avoir ajouté ta voix au concert.
      Mille mercis, mon vieux.
      MaxD

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  2. Un article qui vient courageusement étaler certains effets causatifs d'une dégringolade périlleuse en '' jeu de cartes'' car il est inévitable comme tu le dis avec clairvoyance, mon cher Max,(...) l’explosion appréhendée peut causer bien des dégâts. Et, j'ajouterais, on peut tous y perdre car nous avons tous des entrailles ombilicales au pays, n'est-ce pas?

    Ton analyse très opportune et des plus indiquée, devrait faire l'objet de débats d'importance dans divers milieux au pays et autant dans la diaspora. C'est peut être le moment propice dans l'angoisse de l'état de chaos et la peur de ce qui viendra, tout semblant permis, que les gens s'interrogent et fassent l'effort d'essayer de comprendre le comportement inhumain de ''probables Robins des Bois'' a partir des perspectives de ces bandits, et de leur propre rétroviseur ainsi que de la provenance et prolifération d' armes de tels calibres? Et, surtout que dans leur opulence, aveuglement et éphémère pouvoir, qu'ils aient l'honnêteté de se questionner sur leur contribution citoyenne a cette société trop longtemps leur vache a lait. Comment peuvent-ils continuer a se vautrer dans leur splendeur alors que d'autres humains, leurs concitoyens cohabitent dans la mare infecte et nauséabonde avec des porcs en pleine capitale? Comment dormir du sommeil du juste alors que des myriades d'enfants et de jeunes du pays, vagabondent le ventre souvent vide mais aspirant a l'éducation et un peu de dignité? Plus rien ne semble déranger ceux qui refusent de voir qu'une seule face de la médaille.

    Je souhaite que cet article fasse la une dans les media de chez nous et de la communauté et que tu sois invité a venir en discuter dans certaines tribunes des stations. Car trop facilement on condamne, s' horripile du comportement monstrueux des bandits mais très rarement on ose ou refuse de regarder les origines de ce mal infernal et systémique. En réalité, pour que cela change vraiment, ce ne serait pas seulement pour répéter Jupiter dans la Besace,(...) que le plus laid vienne comparaître aux pieds de sa grandeur(...) pour réparer l'affaire. Plutôt, souhaitons que nous allons cesser de faire comme le singe ( maître macaque) s'indigner, et regarder ailleurs.

    BRAVO Max d'avoir osé nommer les choses, de nous bousculer et de nous porter a parler des causes profondes de cette décente aux enfers de notre jeunesse. Ces jeunes qui comme les héritiers des véritables truands a col blanc et de tout acabit ont aussi droit a la dignité, l'inclusion, des droits fondamentaux tels la santé, l'éducation, et le partage du bien commun, le bien être, la sécurité etc...

    Encore une fois, il est agréable de te lire car tu nous touches non pas seulement dans notre intellect mais dans nos tripes, oui c'est viscéral tout autant. Merci.

    Amitiés et salutations citoyennes Edith C. Georges D.D.O.

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    1. Ma chère Édith,
      J’ai apprécié énormément ton approche à propos de ma position dans la défense des déshérités. L’homme est né bon, s’il faut emprunter la philosophie de Rousseau, c’est son environnement qui l’a déformé. Par conséquent, j’ai pris la liberté d’aller jusqu’à défendre l’interdit, juste pour signifier aux maîtres du pays que les mesures coercitives disponibles n’auront aucun impact sur les coupables de kidnapping, car les causes du mal sont plus profondes que les reflets de la surface. Par conséquent, nous les portons à prendre conscience, en les taxant de complices dans la relation de cause à effet. Une façon de pressurer le citron en vue d’aider ces déshérités qui n'ont commis qu'une seule erreur: celle d'être nés sous la mauvaise étoile. Je te remercie d’avoir ajouté ta voix au concert.
      Mille mercis, ma chère.
      MaxD

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