L'éternel mendiant finit toujours sous les quolibets et le mépris de la rue |
Par Max Dorismond
Vendredi dernier, le Canada venait de déclarer qu’il ferait une aumône de 100 millions de dollars à Haïti. Déjà, les « P’tits transits », perclus d’arrogance, sablent le champagne. Allez les admirer dans les hôtels huppés, loin des barricades en train de se congratuler. Ils ont frappé le jackpot, le casino est ouvert. Toutefois, j’appréhendais la réaction du contribuable canadien.
En effet, dans le Journal de Montréal, l’un des plus lus au Québec, le journaliste Loïc Tassé, d’entrée de jeu soutient avec condescendance, dans son édito, que : « L’argent qui y sera déversé sera en bonne partie détourné par les crapules qui sont à la tête d’Haïti… »
Que répondre ! Sans malice et sans nuances, le journaliste traite nos dirigeants de « crapules ». Il introduit son texte rédhibitoire par une cinglante rebuffade à damner un saint. En fait, je prie Dieu pour qu’un voisin ne vienne me glisser cette indécence à l’oreille, car je serais d’une humeur massacrante quitte à m’excuser plus tard.
Suite à une corruption débridée et innommable, nous sommes devenus la risée du monde entier. Tous les adjectifs ont été utilisés par nos moralistes pour décrire nos faiblesses et lutter contre les biais inconscients du mal en vue de nous rappeler à l’ordre et soulager la nation. Rien n’y fit ! Les avertissements, le chaos appréhendé, ne dérangent aucun filou. Tous sont nés pour voler, piller, escamoter. Ils continuent sans vergogne, comme si demain n’existait pas !
Les présidents Magloire et Eisenhower et leurs épouses lors d'un diner d'honneur à Washington en 1955. |
Haïti a tellement perdu de son prestige au niveau international que tous les chefs d’État le fuient. Aucune visite depuis des lustres. Tous connaissent les faiblesses de nos dirigeants. Avec leur mine patibulaire, ils se mettent toujours en position de quémandeur. Leurs courbettes traduisent tout haut ce qu’ils désirent tout bas. N’oublions pas celui qui tirait sur la manche de veston d’Obama au passage. Geste disgracieux et non protocolaire de petit mendiant.
Néanmoins, ils n’étaient pas tous des fripouilles. Il existe quelques souvenirs historiques à ressasser où un président d’Haïti, par le passé, était reçu avec les fastes et les honneurs dus à son rang. Mais c’est très loin tout ça.
Dans les années 50, la ville de New York avait salué l’un de nos dirigeants avec une pluie de confettis sur Broadway ? Des balcons, des bureaux, ces paillettes multicolores pleuvaient au passage acclamé d’un nègre irradiant dans une Amérique raciste en 1955 : c’était le président Paul E. Magloire, en visite aux États-Unis.
Il en fut de même pour lui au Canada où le Premier ministre du Québec, Maurice Duplessis, le présenta à ses députés au Parlement comme le chef d’État d’un pays à imiter. Haïti avait ébloui l’Occident avec l’Exposition universelle du Bicentenaire et le Barrage hydro-électrique de Péligre, ce que le Québec allait vraiment reproduire moins de dix années plus tard. Pour son retour à Port-au-Prince, la reine Élizabeth II a mis à sa disposition le porte-avions Triumph. C’était un chef d’État respecté et adulé.
« Au cours de son bref exil à Paris, l’ex-président Estimé est allé assister à une représentation à la Comédie Française. Sans l’avertir, quelqu’un est monté sur la scène pour annoncer sa présence à l’assistance… Tout le monde s’est alors levé pour l’ovationner ». Nos dirigeants ne furent pas tous des écorcheurs ! Ces souvenirs semblent irréels. Ils représentent, en effet, la mémoire d’une époque révolue que s’amuse à revisiter une génération d’Haïtiens nostalgiques et tristes.
Président Roosevelt recut le président Elie Lescot en 1943 à la Maison Blanche |
Ce qui va surprendre la jeunesse actuelle, Haïti a aussi connu des présidents honnêtes. Le plus célèbre d’entre eux fut le dénommé Élie Lescot. Avant de partir en exil pour le Canada en janvier 1956, « Lescot a remis à la junte militaire l’intégralité des 1,2 million de dollars de la cassette présidentielle ». Et, pour son malheur, on a omis de lui payer sa pension. Il a vraiment connu, avec sa famille, la détresse et la faim au Québec, jusqu’à se résoudre à concevoir et à vendre des cravates sur la rue de Lorimier à Montréal. Haïti est le seul coin où l’on punit l’honnêteté !
Aujourd’hui, le monde nous regarde de travers en murmurant. Sous les assauts de la corruption et de l’incompétence, l’île est méconnaissable. Alors, ne jouez pas à l’autruche quand les journaux du monde vous traitent de crapules, d’escrocs, de petits vicieux !
Max
Dorismond
Référence sur les présidents : « Une histoire
populaire d’Haïti » de Charles Dupuy
Cher Grandèt Max,
ReplyDeleteMerci du partage de votre billet.
Je l'ai lu, avec un intérêt particulier.
La phrase qui me touche le plus c'est "Haïti est le seul coin où l’on punit l’honnêteté". Tellement vrai!
Une chose à ne pas oublier, ces "escrocs" comme vous les appeler, n'hésitent pas à installer leur modus operandis, dans leurs patries d'adoption, allant jusqu'à terroriser à outrance, les personnes, comme vous et moi, qui refusent , s'abstiennent et restent loin de la gangrène qu'est la corruption.
Cette corruption qui tue les héritages, les valeurs, la recherche, les jeunes pousses qui sont l'avenir de chaque société et toutes les belles choses pouvant nous émerveiller.
Enfin, la décadence est exponentielle.
Quand donc, les rares intègres et honnêtes, vont-ils inviter les éberlués à s'asseoir et leur faire comprendre qu'il faut réfléchir avant de passer à l'action? Qui va leur faire comprendre, qu'il faut un plan pour tous projets et qu'il faut arrêter l'hémoragie?
Encore une fois, merci pour votre rêflexion et votre belle plume de toujours!
Min aveugle la,laguè w bagay lan main l.
ReplyDeleteQui a été officiellement accusée de corruption à Haiti ces derniers 20 ans ? Michelle Pierre-Louis, probablement le seul Premier-Ministre honnête a avoir servi depuis la constitution de 1987.
ReplyDeleteMerci. Votre texte est si vrai et dit si bien notre immense tristesse. Ici, en Haïti, la droiture et la vérité font de nous des parias. Comment sortir de ce miasme immonde ? ...
ReplyDeleteA.Rocourt
Cher Max, j'ai lu ce texte avec le cœur serré mais, Grand Dieu que je te remercie de l'avoir publié. En dépit de la manière dont certains hommes d'états eurent accédé au pouvoir, nous pouvons sans gène affirmer que notre pays a connu mieux en fait de leadership. Même lorsque la population était divisée sur un personnage, la vaste majorité respectait le drapeau et l'Institution que représentait la Présidence de la République. Et les Présidents d'alors comprenaient qu'ils étaient au service du Souverain, le Peuple, et qu'ils dirigeaient un État qui alors existait.
ReplyDeleteJ'écoutais sur YouTube ce matin le centenaire Maurice Léonce de Jérémie, qui m'a remonté le moral par son optimisme sur un éventuel leadership qui tôt ou tard émergera pour remorquer le ''bateau ivre'' .
https://www.youtube.com/watch?v=6-cEPwobkuc&t=8s