Par Eddy Cavé
Ottawa, le 17 mars 2023
À l’approche du 5 avril 2023, qui marquera le 118e anniversaire de la création du Lycée Nord Alexis, la diffusion de la photo souvenir des célébrations du Cinquantenaire de l’établissement est venue réveiller de leur torpeur les milliers d’anciens élèves et d’autres Grand’Anselais vivant au pays et en diaspora. C’est grâce à la générosité de Mme Finette Tabuteau, la fille de Jean Laforest, que cette photo a refait surface après plus de sept décennies. Les Jérémiennes et Jérémiens de partout la remercient du plus profond de leur cœur. Toutes celles et tous ceux qui regardent cette photo essaient dans un premier temps d’identifier les visages enfouis dans leur mémoire, puis d’y accoler un nom et de revoir ces professeurs déambuler dans les rues de la ville ou sur la Place Dumas. Les plus âgés les revoient, un bâtonnet de craie en main, recouvrant le traditionnel grand tableau noir de formules mathématiques, d’expressions latines ou de noms d’auteurs à retenir. Que les temps ont changé !
J’ai eu le privilège de vivre de près ce Cinquantenaire même si j’avais déjà déserté cet établissement qui se trouvait dans mon village de Nan Goudwon et à proximité de tous mes lieux de loisirs. J’étais en effet passé au Collège Saint-Louis d’où je serai éjecté rapidement pour être récupéré par le Lycée Pétion. C’est là que je ferai mes humanités et que je découvrirai le goût de l’étude, la passion de l’histoire ainsi que le militantisme politique et idéologique. Avec Marcel Gilbert, un ancien de Nord Alexis, comme directeur et comme professeur de philosophie au Lycée Pétion, je me retrouverai alors indirectement dans les sillons tracés par le Lycée Nord Alexis.
Me souvenant des célébrations d’avril 1955, je ressors de mes tiroirs un article paru dans Le Nouvelliste du 5 avril 2005 dans lequel, à l’occasion du Centenaire de l’établissement, Ary Balmir évoquait avec une nostalgie contagieuse les moments forts de cette journée mémorable : messe d’action de grâces, banquet d'anniversaire, séances de photos, lecture publique d’une lettre de circonstance adressée par le président Paul Magloire à la direction de l’institution, au corps professoral et aux élèves. Me revoilà plongé dans l’atmosphère de cette journée de festivités.
Après une journée riche en activités commémoratives, la direction de l’établissement avait clôturé le programme avec la présentation d’une pièce de théâtre au ciné Rex de Gérald Delaquis dans mon quartier de Nan Goudwon. L’atmosphère de réjouissance et de fraternité du moment reflétait en tous points la satisfaction de la nouvelle direction placée sous la férule du brillant avocat qu’était Me Newton Charles. Deux ans après, ce dernier abandonnait la barque à l’invitation de son vieil ami, le président provisoire Franck Sylvain, pour s’installer à Port-au-Prince. Sous la gouverne d’Amiclé Beaugé, le lycée allait entrer dans une période mouvementée marquée par l’incendie du 17 mai 1957, l’installation provisoire de l’établissement dans une résidence privée à La Source. En procédant, en 1963, à la construction des locaux actuels, le gouvernement Duvalier rebaptisait l’établissement du nom de Lycée François Duvalier qu’il conservera jusqu’au renversement du régime le 7 février 1986. Dans l’intervalle, Mèt Beaugé s’était établi à Ottawa et avait cédé sa place au professeur de mathématiques Gilbeau Robert.
Je n’oublierai jamais l’atmosphère d’euphorie dans laquelle s’est déroulée la soirée du Cinquantenaire du Lycée en 1955. Un véritable frisson parcourut la salle quand Mèt Netòn écarta son texte écrit pour commencer à improviser : « Ce soir, s’exclama-t-il, je suis gris, je suis saoul. Je suis content ! » Le ton était donné et l’activité se déroula dans une atmosphère festive dont la ville gardera un souvenir amusé pendant de nombreuses années.
LA PHOTO SOUVENIR DU 5 AVRIL 1955
L’arrangement
floral qu’on voit aux pieds du
Directeur, la présence de l’intégralité du corps professoral et l’élégance de
la tenue vestimentaire témoignent du caractère solennel des manifestations de
la journée. Je n’étais pas sur les lieux
au moment où la photo a été prise, mais j’ai assisté, durant la soirée, aux célébrations organisées
au Ciné Rex sous la présidence de Me Newton Charles. J’étais encore
adolescent, mais j’en garde encore un souvenir très clair. Un souvenir à
partager…
Maintenant que se sont éteintes les générations qui ont vécu l’évolution tumultueuse de ce tout premier établissement secondaire de la Grand'Anse, il importe de rappeler quelques -uns des grands moments de son histoire. De souligner également la contribution de ceux qui se sont battus pour cette noble cause.
Le tout a
commencé avec la clairvoyance et la détermination du député de la
circonscription regroupant Corail, Pestel et les Roseaux, qui se battit du bec
et des ongles au détour du siècle pour doter l’arrondissement de sa première
école secondaire. La création du lycée
faisait partie des projets de célébration du premier centenaire de
l’Indépendance, mais l’inauguration n’aura lieu que le 5 avril 1905.
Par un de ces caprices bien connus du destin, Mèt Drainvil avait perdu son siège dans l’intervalle et c’est à titre d’invité d’honneur qu’il participa à l’inauguration de son œuvre. L’ancien professeur Parnell Marc se plaisait à rappeler que cette inauguration fut l’occasion d’un vrai duel d’éloquence entre le député sortant Drainville Pierre, le député en fonctions Dutel Beauboeuf et le premier directeur du lycée, le poète, professeur et homme de loi Etzer Vilaire. Ainsi commençait la tumultueuse histoire de cet établissement qui, dans les six décennies suivantes, allait loger tour à tour, à la Haute Ville, dans l’imposant immeuble dénommé Gros Lycée, au Fond Augustin et à La Source, avant d’aboutir à sa destination actuelle, à Nan Bourette.
L'immeuble original situé dans la Haute Ville. Connu sous le nom de Gros Lycée, il a disparu dans un incendir, de 4 janvier 2011. (Photo tirée de Mémoire de Jérémien d'Eddy Cavé) |
En attendant que je constitue pour l’histoire une galerie des anciens directeurs du Lycée, j’emprunte à l’article d’Ary Balmir la liste des directeurs qui se sont succédé à la tête de l’établissement entre 1905 et 2005 : Etzer Vilaire, Louis Arlet, Alain Clérié, Gustave Vigoureux, Camille Large, Roger Boncy, Emmanuel Ambroise, Max Duvivier, Georges Séraphin, Clérié Laforest, Newton Charles, Amiclé Beaugé, Gilbeau Robert, Jean Laforest, Jean Robergeau et Jean Divert.
Vue partielle de l'immeuble disparu dans l'incendie du 17 mai 1957 |
Cette brève reconstitution de la longue histoire du premier lycée de la Grand’Anse serait très incomplète si je n’y ajoutais pas la seule photo, prise en 1957, que j’ai pu retrouver d’une des promotions qu’il a formées. On y voit :
Debout, de gauche à droite : Jacques René, Gérard Mercure, le Léo Joseph de Jérémie (pas celui d’Haïti Observateur), Jean-Claude Chassagne, Jeannot François, Arnold Mignon, Arsène Girault, Gérard Chassagne, Donald Ferdinand. Acroupis : Andris Adonis, Eddy Vincent, Yves Michel, Antoine Blain et Lionel Bourdeau.
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FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE —
Voilà! le résultat aujourd'hui,nous avons un pays d'ignorants. Duvalier avait chassé, humilié ou éliminer toutes les belle têtes du pays pour les remplacer par des analphabètes.
ReplyDeleteMerci Eddy Cavé pour ce rappel historique. En effet, nous avons pu ressasser les souvenirs de ces grands hommes de notre cité. Mais,il faut admettre que certains d'entre eux s'étaient laissés emporter par le courant duvalieriste en devenant au fil du temps des sicaires de ce régime de fer. Nous n'allons pas citer leur nom. Cependant, d'autres ont gardé leur distance ou ont été tout simplement écartés du régime d'alors . Comme c'était le cas pour Me Jean Laforest qui n'a pas été désigné directeur du lycée au départ d'Amiclé Beaugé vers l'étranger. Alors, qu'il était mieux qualifié que Gilbeau Robert. Merci de préserver l'image de ces intellectuels de qualité qui ont apporté une contribution remarquable à la formation académique d'un grand nombre de grand'anselais.
ReplyDeleteMerci Monsieur Hervé Gilbert de partager cet article au sujet du Lycée de mon père. Ça ramène des souvenirs de lui qui parlait de sa ville natale avec beaucoup de fierté.
ReplyDeletepour une fois je peux lire ce texte si bien écrit tu as une mémoire phénoménale merci de me faire plaisir
ReplyDeleteMerci beaucoup, Eddy. Vous racontez si bien! Chapeau
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