Discours d'Etzer Vilaire à la mémoire des héros de l'Indépendance, de Charlemagne Péralte... 

Thursday, December 2, 2021

Diaspora – Entre adoption et intégration


Par Max Dorismond 



Quand quelqu’un laisse son pays d’origine pour s’installer ailleurs, plusieurs raisons peuvent militer en faveur de cette ultime décision. On peut les résumer en un seul mot : insatisfaction. Depuis la naissance du monde, l’homme se déplace du point A au point B, dans toutes les régions du globe. Certains anthropologues stipulent que ces mouvements s’effectuent du nord vers le sud depuis l’ère glaciaire. Ceci nous incite à échafauder cet axiome, à savoir que nous avons été, chacun, l’immigrant de quelqu’un, bien avant l’invention des passeports. 

Mais, avec l’écoulement des années et les convenances de la sédentarisation, l’exilé s’est implanté, a fondé une famille, tout en bouclant la boucle sur tous les plans, selon les exigences du milieu ambiant, avec un certain bien-être au rendez-vous. Le cumul de certains actifs et l’arrivée de la progéniture confortent son homme. Le bonheur est dans le pré! Le temps passe, certaines notions s’effacent et se transforment en souvenirs pour meubler son oisiveté, mais l’inquiétude n’est jamais trop loin, surtout pour nous, immigrants haïtiens, dans ce monde racisé. 

Ce sempiternel souci qui le hante à plusieurs occasions n’est pas vain. L’autochtone lui rappelle, de temps à autre, entre l’entrebâillement des portes, qu’il n’est pas du sérail, qu’il sera irrémédiablement un étranger, une entité étampée au fer rouge. Psychologiquement, cette évocation fait mouche et dérange à bien des égards. Les calendriers de l’histoire du monde ne le laissent point indifférent sur les conséquences de ces souvenirs peuplés de fantômes. Plus il en entend, plus il en apprend, plus son obsession le hante et son rattachement à son pays d’origine s’accentue à l’échelle identitaire, et l’interpelle. 

Avec ce statut d’étranger, les évènements de l’actualité l’invitent à la réflexion. Les mouvements des suprémacistes lui rappellent l’époque rayonnante du Ku Klux Klan. La peur du «Grand remplacement» porte les racialistes à trembler dans leur froc, à l’idée de devenir minoritaires dans un monde futur dominé par le métissage de cinq continents, surfant sur un relativisme culturel à toute épreuve, avec une perte de privilèges au bout de la ligne. 

L’incursion de Donald Trump dans ce magma explosif pour exploiter, aux fins de sa politique de chaos, l’émotivité ambiante et non rationnelle, jusqu’à provoquer le bordel partout où il dépose le pied, n’est pas étrangère à ce désordre psychologique dans la tête de l’apatride insécure. 

Quand un immigrant, et surtout un afrodescendant, entend claironner le MAGA (Make America Great Again), le slogan enfumé de ce candidat à la crinière de feu, il a toutes les raisons du monde de s’inquiéter à l’idée que lui, sa famille et ses proches évoluent sur une terre d’emprunt, d’où les profondes interrogations qui l’entraînent indubitablement, par la pensée, vers la terre qu’il avait laissée auparavant, ignorant quelle époque des siècles écoulés sera reconstituée avec ce slogan arriéré. 

Or la résurgence des bombes humaines des intégristes musulmans, dans les pays des anciens exploiteurs coloniaux, n’est pas l’expression de romances à bercer des nouveau-nés. Au contraire, nous sommes en face d’une crise existentielle difficile à baliser. Aucune région n’est à l’abri. Nous connaissons assez bien la résonance quand la marmite explose. Habituellement, c’est le maudit étranger, « le bougnoul, le babaorhum1», qui paiera la facture finale; et le racisme retrouvera son terreau fertile pour croître avec ses fleurs ensanglantées et ses épines acérées dans des génocides sordides que le temps n’arrivera pas à occulter. 

L’histoire en général fourmille de ces exemples que nous ne pouvons rayer d’un trait de plume tant leurs stigmates indélébiles sur le corps social ne sont pas prêts de se liquéfier dans notre subconscient. Citons quelques-uns pour illustrer notre argumentaire. 

1 — La Shoah ou le génocide des Juifs (1939-1945) — Quel Juif, né allemand, après l’errance et les pérégrinations de ses ancêtres des 12 tribus d’Israël, à travers le monde, il y a de cela 2700 ans, penserait qu’un monstre prénommé Hitler l’enfournerait un jour dans une chambre à gaz comme un petit pain? Pour éviter ces fous débridés qui naissent de siècle en siècle, pour se protéger définitivement de l’antisémitisme séculaire et chronique, ces fils de David ont créé l’État d’Israël en Palestine en 1948, avec pour slogan : «Jamais plus», pour juguler cette itinérance mémorielle. 

2 — Le Génocide Arménien — Pendant la 1re guerre mondiale, environ un million deux cent mille Arméniens ont été massacrés ou déportés hors de la Turquie. 

3 — L’Apartheid ou séparation en Afrique du Sud — Là, c’est le maudit étranger qui a créé l’enfer. De 1948 à 1994, la minorité blanche, venue d’ailleurs, a imposé un système de domination politique avec des lois racistes pour ne pas se mélanger avec le groupe majoritaire : les Noirs. Et ces idiots de crétins afrikaners n’avaient même pas un pays de rechange pour les recevoir à la «disparition démocratique» de l’Apartheid en 1992. Le civilisé Mandela les a tous sauvés d’un pogrom assuré. 

4 — La destruction des Tziganes — Un peuple non sédentaire qui a toujours servi de bouc émissaire, de «punching ball» à tous les xénophobes de l’Europe. 

5 — Le Génocide Rwandais en 1994 — Un type de purification ethnique entre deux groupes, Tutsis et Hutu, qui vivaient en communion depuis des lustres. Ce fut un massacre de même type que celui exécuté 20 ans plus tôt par les Khmers-Rouges au Cambodge. 

6 — La «Purification Ethnique» en ex-Yougoslavie – Des massacres entre Serbes, Croates et musulmans, en vue de purifier «l’ennemi ethnique» des régions imbriquées. 

7 — L’Ethnocide au Tibet — La stérilisation forcée des femmes tibétaines, la déportation massive des populations et l’implantation d’une nombreuse cargaison de Chinois ont bouleversé la composition démographique de la zone. 

8 — L’extrême droite et le Front National des Le Pen en France qui ont perdu une partie de leurs fanatiques, impatients d’en découdre surtout avec les immigrants, suivant la formule choc du père, J-M Le Pen : «La France au Français». 

9 — Éric Zémour — Le polémiste d’extrême droite, candidat à la présidentielle française pour 2022, anti-immigrant, anti-Arabe de surcroît, issu lui-même d’une famille française juive d’Algérie. Une bizarrerie qui nous signale que le monde est vraiment cinglé. À écouter son discours d’investiture, tout étranger ou descendant d’étranger se croirait dans l’Allemagne Nazi de 1933. 

10 — Le drame des afro-américains — Après la liquidation des Indiens, après avoir bénéficié de l’enrichissement gratuit de l’Amérique pendant 246 ans, grâce à l’esclavage, les ingrats yankees, dans leur déni d’humanité n’ont pas lésiné avec les techniques de mise à mort des Noirs pour blanchir la nation. Seules des chambres à gaz n’ont pas été inventées pour une liquidation de masse. 

Toutefois, nous soulignons à l’attention du lecteur que «le génocide, qui est un crime commis dans l’intention de détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux, est imprescriptible» (Convention des Nations Unies Déc.1948). N’oubliez jamais vos droits! 

Le célèbre poème: «Home, sweet home, there’s no place like home» (1823), du dramaturge John H-Payne, nous interpelle à propos de notre terre d’origine. 

Tous ces indices nous démontrent que nous devons travailler très fort, et à tous les instants, pour que notre coin de pays reste viable et ouvert à tous. Dans la présente réalité où des forces obscures de l’intérieur et de l’extérieur s’unissent pour nous effrayer afin de nous confiner hors de chez nous, ce serait une grave erreur de les laisser construire une nation invivable pour des civilisés. Nos protestations, même marginales, doivent refléter la mesure de notre dignité. 

En attendant de constituer une masse critique de compatriotes vertueux, disposés à retourner au pays, pour faire face aux ennemis de la Nation, nous sommes condamnés, dans le souci d’assurer notre futur, à offrir un soutien effectif aux résistants de l’intérieur, tout en réclamant haut et fort, pour notre diaspora, le droit de vote officiel en tous points, en vue d’extraire Haïti de la gueule du loup. Sinon, à l’instar des Juifs des siècles antérieurs, nous serons des négrillons errants, le jour où notre pays d’adoption nous flanquera à la porte. Notre progéniture devrait également être sensibilisée à cette éventuelle fatalité. 

Max Dorismond

 

 Note

1 — Bougnoul : Appellation insultante et raciste envers les Maghrébins ou les Arabes en France

2 — Babaorhum : désignation comique et insultante des Noirs en France. (Attention : à ne pas

      confondre avec Babaorum (um) dans la bande dessinée Astérix le Gaulois

4 comments:

  1. Comme d'habitude, très bonne analyse. Texte très informatif, très fouillé, qui porte à réfléchir sur notre condition d'haïtien errant, semble-t-il condamné à la servitude au profit de tout autre pays, sauf du sien.

    ReplyDelete
  2. Max: ton article rejoint en certains points le documentaire cinématographique de Raoul Peck Exterminer toutes les brutes. En effet, les déplacements migratoires ont été toujours des luttes bien des fois violentes menées par ceux qui croient qu’ils sont les maîtres du monde. A chaque migrant de rapppeler à ceux-là que leur parcelle de terre ou de pays a été toujours un emprunt ou un vol. Beau texte, comme toujours! CG

    ReplyDelete
  3. Mon cher Max,

    (Mens sana in corpore sano) Un mode de vie sain dans un corps sain. Tu ne peux être plus explicite et limpide dans la clarté de ton super texte. L’entre-choc de tes méninges ne va point s’arrêter là…C’est comme les larves d’un volcan en pleine ébullition… C’est également l’heure du réveil de toute conscience endormie…
    Lys

    ReplyDelete

  4. Max,

    Après avoir lu ce merveilleux texte très instructif, je reste un peu perplexe. Vladimir Poutine a dit lors d'une conférence à Valdaï :

    « La décadence n'est pas éternelle. »

    Moi, je pose la question autrement : Est-ce que nous ne sommes pas en train de vivre dans l'éternelle décadence ?

    Si partir, c'est mourir un peu, je me demande que : si tous les fils d'Haïti qui sont partis ne sont pas des morts-vivants. La souffrance de vouloir revenir dans notre pays et de ne pas pouvoir le faire, est ce que ce constat ne tue pas l'autre partie de « mourir un peu »

    Sommes-nous déjà mort ? Si ce n'est pas le cas, réveillons-nous de ce mauvais rêve.

    Que la police bondisse, nous allons encore geler pendant plusieurs générations. Hélas, c'est à cette triste réalité que nous devons nous en tenir.


    Amen

    Jacques Casimir (Pasteur D'Amoulio)



    ReplyDelete